mardi 31 mars 2009

Collectivités locales et journaux officiels


Un secrétaire d'Etat du gouvernement britannique (Secretary of State for Culture, Media and Sport) s'inquiète de voir les collectivités locales (local councils) publier des supports de presse qui concurrencent de plus en plus la presse commerciale. Cette intervention fait suite aux démarches de la Newspapers Society (NS), association qui rassemble la plupart des titres de la presse régionale britannique. La NS observe que cette concurrence est déloyale car elle se développe aux frais du contribuables ("at the taxpayers' expense").

Voici une invitation à examiner la situation française ; des milliers de titres sont publiés par diverses collectivités locales, presse locale quasi officielle qui puise, dans une proportion variable, à la fois dans les finances locales (impôt) et dans le gisement publicitaire local.
Presse gratuite grâce à l'impôt ?

Voyons les données IREP - France Pub (pour 2008) évaluant les dépenses des annonceurs pour leur communication commerciale :  206 millions d'Euros ont été investis dans la presse des collectivités locales, 80 millions dans la presse hebdomadaire régionale (PHR) et 773 millions dans la presse quotidienne régionale (PQR). La ponction est donc significative. A quoi s'ajoutent les sommes investies, par les mêmes collectivités locales dans leurs sites Internet (d'autant que certains comme les Hauts-de-Seine ont lancé un appel d'offres pour une webTV).

Un moyen de faciliter la tâche de l'information locale et régionale se dessine ici. 
Ne vaudrait-il pas mieux laisser à la presse régionale et locale - dont c'est le rôle et le métier - le soin d'informer sur la vie locale et régionale, de manière contradictoire, avec investigations ?
Davantage de journalisme local indépendant des institutions ne saurait nuire et Internet permet une information locale pluraliste et citoyenne.
Le citoyen et le contribuable, qui ne font qu'un, y gagneraient assurément.

dimanche 29 mars 2009

Appli promo TV


CBS Mobile lance une appli gratuite pour la promotion de Harper's Island, sa nouvelle série policière, deux semaines avant sa mise à l'antenne sur le network : clips, carte de l'île, compte à rebours jusqu'au lancement, etc.

Voici un moyen de plus dans la panoplie publicitaire et surtout promotionnelle des chaînes de télévision (marketing d'antenne). Pour CBS, cette appli dédiée à une émission s'ajoute à TV.com, appli lancée en février, grâce à laquelle on peut regarder des émissions de la chaîne (depuis les Etats-Unis uniquement). Au total, CBS a déjà mis en place une dizaine d'applis.
Contenu longtemps dans les limites des médias traditionnels et des magazines TV, le marketing de l'antenne recourt aux lieux de vie hors domicile des téléspectateurs potentiels  : digital signage dans les supermarchés, les stations services, les centres commerciaux... iPhone et GPhone constituent l'un de ces lieux que le téléspectateur emporte avec lui, à toute heure, de lieu en lieu. Lieu géométrique de toutes les virtualités. Non lieu.

On compte plus de 7 millions de iPhones aux Etats-Unis où l'appareil est désormais vendu sans abonnement dans les boutiques Apple et AT&T (no-contract iPhone). Aux iPhones s'ajoutent les iTouch qui, avec le Wi-Fi, disposent de capacités semblables en ligne. En France, le iPhone est désormais commercialisé par tous les opérateurs et un GPhone est commercialisé par Orange et SFR (avril).

L'application fonctionne à la fois comme vecteur de personnalisation et multiplicateur d'interactions ; elle donne à l'iPhone, au GPhone (Android) et bientôt au Blackberry une dimension nouvelle (800 millions de téléchargements pour 25 000 applications iPhone en un an). Nous voyons se dessiner trois conséquences :
  • Toute entreprise doit désormais s'interroger, comme elle a dû le faire pour Internet : quelle appli offrir, ou vendre, pour quel objectif, pour quel support ? 
  • Quelles synergies entre ces appli mobiles et les médias im-mobiles ?
  • Dans ce contexte, la question de la mesure de l'efficacité de ces appli, de l'évaluation de leur retour sur investissement se pose de façon cruciale, et inédite. 
  • Un nouvel axe créatif se dégage qui accentue l'importance des développements informatiques dans les métiers de la publicité.

jeudi 26 mars 2009

Un peu de sémantique dans le moteur


Le Financial Times lance un moteur de recherche qui ajoute du sémantique (meaning and relationship) au procès lexical habituel à base de mots clés et de booléen. Newssift ne traite que d'économie et de finances (son nom vient du verbe anglais to sift, tamiser). Produit par FT Search Inc., ce moteur exploite un outil de guidage et d'exploration de Endeca.
Les résultats de la première requête peuvent être raffinés en recourant à des catégorisations (facet) et filtres. Ainsi pour une recherche donnée, on peut délimiter le champ d'investigation en précisant le domaine d'application à des entreprises, des personnes, une zone géographique, un thème. Filtres différents de ceux que propose "Advanced search" de Google (langue, format, un domaine voire un site, page similaires). 
On peut comme dans Google délimiter l'intervalle de temps de référence. En revanche, on ne peut choisir la langue des documents : il semble pour l'instant n'y avoir de résultats qu'en anglais. Google donne le choix entre des dizaines de langues.

Plus original : le choix d'une orientation rédactionnelle (sentiment), positive ou négative, pour les articles. Les sources sont classées et l'on peut sélectionner le type de sources à explorer (journaux, dépêches d'agences, blogs, TV et radio, etc.).
Le principe d'utilisation de Newssift consiste à partir d'une recherche générale et de la particulariser progressivement. On peut ainsi chercher parmi les résultats, privilégier une orientation, puis une source, etc. 
On peut sauvegarder ses recherches. 

Exemple : la requête "search engines in China" donne 17 500 réponses avec Google, 2 570 avec Newssift (all dates), Newssift ne donnant que les pages à dominante économie ou finance. Sur ces 2 570, 1 430 sont positives, 669 neutres et 471 négatives. Parmi les négatives, 102 proviennent des journaux, 47 des blogs, etc.

Bien sûr, tous les premiers utilisateurs sont beta testeurs (un questionnaire est déjà en ligne). Première impression : ergonomie simple, intuitive ; mais résultats limités (à vérifier). Plus commode pour une recherche simplifiée. L'avantage de Google se voit à la quantité de données brassées, notamment grâce à la prise en compte de la diversité des langues. Pour profiter des atouts de Google, il faut passer à la recherche avancée, qui demande un effort de réflexion, un peu de temps... on rentre alors dans l'exploitation professionnelle. Google par défaut est grand public, grand public qui s'en tient au premier écran de résultats.

samedi 21 mars 2009

Huis clos scolaire


ARTE a diffusé vendredi à 21H un film ayant pour théâtre un établissement d'enseignement secondaire public d'une banlieue pauvre. L'action unique se déroule à huis clos durant un cours de français, sur Molière, dans une salle de classe. Le temps de l'action est celui de la représentation. Bienséance : le pire, on ne le voit pas. Catharsis. Théâtre classique.
L'intrigue évoque la scolarisation dans un univers livré au racisme, à l'antisémitisme, à la haine des autres, des femmes... Trafics mafieux en tout genre, viols en réunion filmés avec téléphone ("filmer, c'est pas grave", s'insurge le caméraman voyeur), intolérance, violence, racket. L'enfer scolaire, c'est souvent les autres élèves. 
Audience : selon l'audimétrie TV, 10% de téléspectateurs de ce vendredi soir ont regardé le film de Jean-Paul Lilienfeld, 30% ont préféré "Qui veut gagner des millions" sur TF1 (source : Médiamétrie). 

Quelques notes sur ce que cette diffusion dit des médias.
  • Diffusion en avant-première sur ARTE, la semaine précédant la sortie en salles  (50 salles seulement, dit-on, quand certains films ouvrent avec plusieurs centaines. Affiche ci-dessous, kiosque AAP). Entorse à la chronologie des films.
  • L'état de la langue vernaculaire rendu par le film et les acteurs. Vocabulaire, prononciation : ce qui se parle là tend par moment vers le degré zéro de la communication et du respect. Si l'on en croit ce film, il semble ainsi ne plus y avoir de mots pour dire "femme", par exemple. En attendant des analyses socio-linguistiques (cf. Labov, "Language in the Inner Citiy. Studies in the Black Vernacular", 1972).
  • La place du téléphone portable, centrale, à la ville comme à la scène. Pour le meilleur et pour le pire.
  • La parodie des émissions électorales qui légitiment une culture d'exclusion : votez, éliminez, virez, etc. "Star Ac" et "Maillon faible". Pauvreté de la vie sociale et de l'expression des opinions (s'interroger sur la prolifération sur Internet d'incitations à "voter", de sondages accompagnés de statistique insignifiante... au nom de l'engagement !). 
  • "La journée de la jupe". Parodie encore. On n'en peut plus de ces "journées" événement  : journée des accidents de la route, du Sida, contre le cancer, de la femme, sans tabac, de la télévision, du patrimoine, sans télévision...  il y en a tellement que l'on ne manquera bientôt de jours à moins de ne plus créer que des demi-journées. (il y a déjà des jours avec deux journées). Les Saints du jour sont plus drôles, et merci aux pauvres saints aémères !
Dommage que ARTE s'attache surtout à échauffer le coeur, à provoquer la fureur et la pitié des spectateurs (Boileau). Manquent, sur le site ou à l'antenne après la diffusion, qui apporteraient un contre-point salutaire à la narration tragique, des éléments documentaires, des statistiques, des interviews de profs, d'élèves, des photos, ou encore des sous-titres en français pour certains dialogues.... Ceci casserait le laisser-aller émotionnel où l'on peut s'enliser : car si l'on s'indigne généreusement, si l'on s'émeut, va-t-on penser cette indignation, cette émotion ? Le site Internet d'ARTE aide à prendre un peu de distance en donnant la parole aux jeunes acteurs. Mais c'est trop peu. Revient donc la question du statut respectif du documentaire et de la fiction, de leur éventuelle dialectique (et non de leur mélange en docu-fiction ou docutainment).

Evidemment, Isabelle Adjani joue superbement. Trop ! Evidemment, elle nous embarque, tout comme ses jeunes complices, on s'identifie et l'on en oublie de réfléchir : comment en est-on arrivé à cette misère scolaire, sexuelle, langagière, politique qu'évoque le film et que l'on tait ailleurs ? Comment en est-on venu à accepter cette destruction de l'école républicaine, laïque ? A qui profite le crime ? 
Film courageux, bonne soirée télé, ne boudons quand même pas notre plaisir. 
Nombreux, dans Bisouville (pour ce terme, désignant le petit monde du showbiz, voir l'interview du réalisateur dans Le Point), sont ceux qui ont refusé le projet, dont France Télévision. A quoi sert notre redevance sinon à financer de telles réalisations ?

mardi 17 mars 2009

Les maîtres des mots en Chine


Revenons sur l'affrontement entre les deux principaux moteurs de recherche mondiaux, Google et Baidu, sur le marché chinois (cf. notre post du 19 juillet 2008 sur Baidu et l'exception culturelle). C'est la bataille culturelle de ce début de siècle : elle concerne la partie la plus sensible et la plus universelle de la culture vivante : la langue et les mots.

Quelle est la situation ? En Chine, premier pays du monde pour le nombre d'internautes, Google a capté une part des recherches supérieure à 25%, loin derrière Baidu, un moteur chinois qui en détient 65% (sources : Analysys, China IntelliConsulting, iResearch) ; un duopole s'est constitué, ne laissant que des miettes à Sohu (搜狐) et Yahoo! (dont la part était pourtant de 21% en 2005).

La part de marché de Google est certes plus élevée que sa part de recherches, mais, pour 90% des Chinois, Baidu reste le moteur de premier choix. La marque Baidu bénéficie d'une meilleure notoriété spontanée que Google (malgré une réputation altérée par diverses illégalités, corrigées). L'existence d'une concurrence semble profitable au consommateur chinois.
En Chine, les moteurs de recherche recourent aux médias traditionnels pour renforcer leur image, ne comptant pas seulement sur le bouche à oreilles : Baidu a lancé une grande campagne TV en fin d'année, qui s'est révélée efficace. Google, de son côté, a déjà recouru à une campagne dans le métro pour populariser sa nouvelle et ultracourte adresse : g.com.

L'histoire de Google en Chine témoigne de l'importance de la localisation. Symbolique, le nom chinois de Google : nom constitué selon les règles usuelles de sinisation, phonétique et sémantique (Gu - 谷 céréales - Ge 歌 chant, soit le "chant des moissons"). Soumission ostentatoire à la langue chinoise.
Pour survivre et obtenir une licence (juillet 2007), Google s'est plié aux lois locales, entre autres sur le filtrage de certains mots, pour des raisons de politique intérieure chinoise.
Comme Baidu, Google a pris pied dans les contenus, au moyen d'acquisitions et partenariats : Tianya Wenda (天涯问答, sorte de "comment ça marche"), Kingsoft Ciba (词霸"le maître des mots", logiciel de traduction automatique anglais vers le chinois simplifié), Top100.cn (巨鲸音乐网, téléchargement musical), Chunyun ditu (春运 地图, itinéraires avec Google Maps pour les déplacements au moment de la Fête du printemps, mais aussi lors des tempêtes de neige et tremblements de terre), etc. Partenariat avec Sina aussi. Comme ses concurrents, Google a développé une méthode de saisie du chinois en pinyin (IME,Input Method Editor, 谷歌拼音输入法), pour laquelle on l'a accusé de plagier Sohu, plagiat reconnu par Google qui s'est excusé. 
Google réussit d'autant mieux en Chine qu'il est moins américain, qu'il se sinise, colle au plus près de la vie quotidienne chinoise. La Chine a dompté Google et Google a sans doute beaucoup appris dans cette mutation. Que l'on se souvienne des Jésuites envoyés convertir la Chine au XVIème siècle, le pape les rappela : ils devenaient confucéens !

Pour s'en sortir et se siniser, Google.cn a dû s'émanciper un peu de sa tutelle californienne. Comment gérer depuis la Californie une entreprise qui s'établit en Chine ! On dit que ce type de rigidité expliquerait aussi l'échec en Chine de Yahoo!, eBay, MySpace, Facebook et d'autres. Etre global et local ? Pas si simple. Le pragmatisme nécessaire au front s'accomode mal des grands principes concoctés à l'arrière.
Pourquoi n'a-t-on pu suivre cette voie en Europe, et en France surtout où l'on parle tant de défense de la langue française, de la francophonie, d'exception culturelle. All talk, no action.

谢谢, 岚

dimanche 15 mars 2009

Une page de pub, une page de trop


C'est de plus en plus fréquent : on pense arriver sur le site du quotidien en ligne, et l'on attrappe, en plein écran, une page de pub qui s'étale, tranquillement, et qui prend tout son temps. 
Pour s'en débarasser, cliquer. Où ?  Ou attendre. Ainsi augmente la durée de passage sur le site... critère irrésistible d'une audience engagée ! 
On change de navigateur, et cela recommence, évidemment. Moins de la moitié de l'écran pour ce que l'on est venu parcourir. L'autre moitié pour un produit qui ne nous intéresse pas, et qui désormais nous sera antipathique. On clique sur une autre section, et cette fois c'est en plein milieu... Médiaplanner, mon frère, ne vois-tu rien venir ? 

N'y a-t-il pas de solution pour une activité publicité discrète mais attirante parce qu'elle concernerait l'internaute de passage et le retiendrait ? 

iphone meter


D'accord, cet iPhone meter ne sert à rien, et l'on ne sait rien de la métode d'estimation, ni qui en est l'auteur. Mais quand même, cela impressionne ! Notez que Apple, dit le site, n'y est pour rien...

"We arrive at the estimates by conducting primary and secondary research. 
Disclaimer: We are not affiliated with Apple Inc."

Faut-il y voir une nouvelle acception de la mesure ? L'idée progresse en effet que produire un nombre à tout prix et le publier peut faire advenir ce qu'il énonce, selon le principe de la prophétie qui se réalise elle même (self-fulfilling prophecy). Et cela peut donner lieu à communication, autoproclammation ? 

mercredi 11 mars 2009

Agrégateur d'infos pour faire son miel ?


meehive (jeu de mots sur Beehive, la ruche) est un agrégateur californien, lancé en mai 2008, qui fabrique votre média "quotidien", à la volée, à partir de ce qui est disponible sur le Web (blogs, CNN, sites de presse, etc.). Simple : déclarez vos centres d'intérêt et recevez immédiatement le journal correspondant. Au principe de ce "quotidien", se trouve un moteur de recherche (Kosmix) qui est propriétaire de meehive. On n'est pas loin des personnalisations que proposent d'autres moteurs avec iGoogle ou MyYahoo! (mais on ne peut arranger la mise en page de meehive).

"You are unique. Your newspaper should be too". Ce slogan ("vous êtes unique, votre journal devrait l'être aussi") repose sur un postulat : un journal doit être un miroir, un florilège personnel, confortable et réconfortant. Et s'il l'on posait le postulat inverse : un journal doit nous éloigner de nous-même, mauvaise compagnie, de notre ethnocentrisme et de notre solipsisme spontanés, nous déranger, nous surprendre, nous secouer.

Application pour iPhone gratuite, meehive est accessible aussi sur le compte Twitter, via RSS et email. Possibilité de partage et recommandations. Synthèse presque complète de la distribution de l'information sur des supports personnalisés et mobiles. 
Qui indique à quelle distance se trouve la télé et son 20H immobile...

Notez les habituelles métaphores, nostalgiques : "newspaper", "quotidien" (pourquoi  ?).
Notez aussi la quantité d'information que recueille un tel site : ce que souhaite le lecteur, ce qu'il lit effectivement, les mots choisis pour indiquer ses thèmes favoris, etc. De quoi alimenter en mots le marketing comportemental.

Reste le modèle économique : publicité ? Si revenus publicitaires il y a, seront-ils partagés avec les sites qui "confient" leur contenu à meehive ? Car enfin, où sont les abeilles de cette ruche, celles "dont le travail est joie" ("Les Châtiments") ? Celles aussi à qui Victor Hugo suggérait de quitter le "manteau impérial" et d'oser attaquer l'Empereur...
Automatisation, moteur de recherche, sélection par l'abonné qui devient son propre rédacteur en chef, zéro papier, fournisseurs gratuits : cette expérience (dont nous sommes tous bien sûr beta testeurs) permet de poser presque complètement les problèmes de la presse. Hélas, il a été mis fin à l'expérience en octobre 2010. "Fail fast", dit-on !

lundi 9 mars 2009

Le "ressenti" ment : statistiques ethniques et médias


Voilà que l'on relance des "statistiques ethniques" pour "mesurer l'ampleur des discriminations". Comment serait approchée ou déterminée l'appartenance ethnique ? Ou les appartenances... et la discrimnation ? Par déclaration du "ressenti" ! Voilà une notion dont la précision et la rigueur n'échapperont à personne. Classement subjectif, artéfact. Jusqu'où ira-t-on dans les variables ? Langues, religions ? Catégoriser, classer, n'est-ce pas risquer de fabriquer et légitimer la discrimination que l'on veut éviter ?

Passons sur l'impossibilité de monter un questionnement effectuable : en quelle langue, par quels enquêteurs et enquêteuses pour limiter les biais ? Quant à l'enquête écrite, auto-administrée... Supposer la maîtrise universelle de l'écrit, lecture et écriture, est déjà en soi une discrimination : on n'en est pas sorti...

Que peut-on espérer d'une telle variable dans les médias et la publicité ? Mise en oeuvre aux Etats-Unis, elle est source constante de problèmes de constitution d'échantillons. Comment représenter correctement la population "Hispanic", "African American", "Asian", etc. dans les panels ?
De plus, il semble que les écarts entre pratiques de consommation média selon ces variables soient incertains : on ne sait même pas en quelle langue s'adresser aux "hispanics", anglais ou espagnol ? Question de génération, semble-t-il. Ceux qui sont nés aux Etats-Unis réclament de l'anglais. SiTV vise les téléspectateurs supposés hispanophones... en anglais. Les plus récents immigrés préfèrent l'espagnol, qu'ils comprennnent mieux. Mais c'est aussi ce qui retarde leur intégration... et accentue le "ressenti" de discrimination. Problème connu et analysé en Allemagne où l'arrivée de télévision turque (vidéo, chaînes turques sur le câble) a freiné l'acquisition de l'allemand et, partant, la réussite scolaire des enfants allemands de parents turcophones.

En France, en français, des dizaines de magazines, "féminins" notamment, visent les populations françaises selon les cultures : Gazelle, Shenka, Miss Ebene, Amina, Pilibo, etc. Des annonceurs y trouvent une affinité avec les cibles de certains de leurs produits : ethnocosmétique, par exemple. Et encore, pourquoi "ethno" ? Il y a diverses sortes de cheveux, et différentes sortes de shampoings, cet énoncé universel suffit.

Plutôt que laisser s'entretisser enflure verbale et bonnes intentions, lisons ce que qu'écrit Claude Lévi-Strauss sur "l'optimum de diversité" et la créativité des sociétés : "la civilisation implique la coexistence de cultures offrant entre elles le maximum de diversité, et consiste même en cette coexistence. La civilisation mondiale ne saurait être autre chose que la coalition, à l'échelle mondiale, de cultures préservant chacune son originalité" (Race et histoire, p. 112). La mondialisation comme barbarie ?



vendredi 6 mars 2009

News From Net to Paper


The new dogma is that the time of the printed page is over and will be replaced by digital platforms. Some small American newspapers have already given up print to become Web-only. Obviously, the new paradigm for news and communication is digital. But within this digital paradigm, there is still room for paper (see our post "Dans les papiers de Vendredi"). Print must just find its place in the digital world. Paper born again with a new economic model.
The Printed Blog is an illustration of this digital revolution. Launched in major American cities (Chicago, San Francisco, 2,000 copies), it claims "synergy between the tactile newspaper and online content".
  • The mode of production is digital (blogs, i.e. user-generated journalism - writers will share advertising revenue). The website is designed as a hub for community input, where readers can submit questions and articles, where advertisers will be able to buy space. A place for interaction, a digital newsroom, maybe even an advertising market place.
  • The twice-daily distribution and the final product are traditional (paper, newspaper stand). 
  • Advertising is hyperlocal and very cheap, targeting small advertisers (stores, car dealers, and even households).
"Print from the Net" is based on using the Net as a source for ideas, a market place of ideas. And yet readers can still enjoy the traditional comfort of holding a physical paper.
Now it remains to be seen whether this new business model will succeed. To be followed ...

dimanche 1 mars 2009

Rimbaud sur Facebook


Nouvelle édition des oeuvres complètes de Rimbaud dans la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard, pas d'index, bibliogr.), par André Guyaux avec Aurélia Cervoni.
"Oeuvres complètes", qu'est-ce que cela veut dire ? L'intégrale de tous les moments de la vie de Rimbaud... Qu'est ce qu'une oeuvre ? 
Dans ces 1102 pages, il y a de tout : les textes publiés par Rimbaud lui-même mais aussi des exercices scolaires, français, latins, cahiers de brouillon, des poèmes recopiés par des proches (Verlaine, Germain Nouveau, etc.), des poèmes des autres recopiés par lui dans des lettres à des amis. Plusieurs versions d'un même poème. (N.B. : des corps inégaux distinguent les textes autographes des textes dont on ne trouve plus les manuscrits, l'oeuvre voulue et l'oeuvre involontaire).
Tout Rimbaud : "oeuvres, lettres, vie et documents", énonce le titre du Pléiade. Ce "tout" inclut aussi, au titre de documents, des  lettres de l'entourage (mère, soeurs, professeurs, etc.), par exemple celle de sa mère se plaignant d'un enseignant qui a recommandé la lecture des Misérables. Parmi les documents encore, la correspondance commerciale de Rimbaud, marchand en Afrique, englué dans un système colonial. Hélas, il n'y a pas d'illustrations, dommage, Rimbaud prenait des photos...

Une "oeuvre" comme celle que constitue un Pléiade est une construction sociale, historique. La notion d'oeuvre varie : aujourd'hui, elle se rapproche de ce que l'on trouve sur un réseau social. Oeuvre de récupération totale.  
Un poète sur Facebook ? Aujourd'hui, l'oeuvre de Rimbaud serait-elle là, à deux clicks d'ici, dispersée sur son profil, ses pages, et celles de ses vrais et faux amis, encombrée de liens, de photos, de notes de lectures, avec des topos sur sa situation militaire, sa comptabilité de marchand de café et de fusils, ses lettres sur les caravanes avec casseroles, la location de chameaux, sa jambe de bois, ses considérations sur le prix de l'ivoire... 

A lire et parcourir tous ces textes, on connaît mieux Rimbaud - on veut le croire - et l'on a remis la littérature à sa place dans sa vie. Peut-être comprenons-nous mieux aussi l'importance des réseaux sociaux et l'intérêt des longues chaînes de conversations à la Gmail. Un Pléiade comme celui-ci, c'est du réseau social congelé, arrêté, tous liens coupés. Alors, Facebook et Pléiade même combat, réconciliables sur un eBook, pour le plus grand bien de l'histoire littéraire, délivrée enfin de ceux qui sélectionnent dans la vie d'un auteur les seuls événements qui méritent attention ? On n'en est pas encore là... Et puis, est-on "auteur" de toute sa vie ? 
En tout cas, en parcourant ce Pléiade, "on s'attendait de voir un auteur et on trouve un homme", selon le mot de Pascal.