dimanche 1 mars 2009

Rimbaud sur Facebook


Nouvelle édition des oeuvres complètes de Rimbaud dans la Bibliothèque de la Pléiade (Gallimard, pas d'index, bibliogr.), par André Guyaux avec Aurélia Cervoni.
"Oeuvres complètes", qu'est-ce que cela veut dire ? L'intégrale de tous les moments de la vie de Rimbaud... Qu'est ce qu'une oeuvre ? 
Dans ces 1102 pages, il y a de tout : les textes publiés par Rimbaud lui-même mais aussi des exercices scolaires, français, latins, cahiers de brouillon, des poèmes recopiés par des proches (Verlaine, Germain Nouveau, etc.), des poèmes des autres recopiés par lui dans des lettres à des amis. Plusieurs versions d'un même poème. (N.B. : des corps inégaux distinguent les textes autographes des textes dont on ne trouve plus les manuscrits, l'oeuvre voulue et l'oeuvre involontaire).
Tout Rimbaud : "oeuvres, lettres, vie et documents", énonce le titre du Pléiade. Ce "tout" inclut aussi, au titre de documents, des  lettres de l'entourage (mère, soeurs, professeurs, etc.), par exemple celle de sa mère se plaignant d'un enseignant qui a recommandé la lecture des Misérables. Parmi les documents encore, la correspondance commerciale de Rimbaud, marchand en Afrique, englué dans un système colonial. Hélas, il n'y a pas d'illustrations, dommage, Rimbaud prenait des photos...

Une "oeuvre" comme celle que constitue un Pléiade est une construction sociale, historique. La notion d'oeuvre varie : aujourd'hui, elle se rapproche de ce que l'on trouve sur un réseau social. Oeuvre de récupération totale.  
Un poète sur Facebook ? Aujourd'hui, l'oeuvre de Rimbaud serait-elle là, à deux clicks d'ici, dispersée sur son profil, ses pages, et celles de ses vrais et faux amis, encombrée de liens, de photos, de notes de lectures, avec des topos sur sa situation militaire, sa comptabilité de marchand de café et de fusils, ses lettres sur les caravanes avec casseroles, la location de chameaux, sa jambe de bois, ses considérations sur le prix de l'ivoire... 

A lire et parcourir tous ces textes, on connaît mieux Rimbaud - on veut le croire - et l'on a remis la littérature à sa place dans sa vie. Peut-être comprenons-nous mieux aussi l'importance des réseaux sociaux et l'intérêt des longues chaînes de conversations à la Gmail. Un Pléiade comme celui-ci, c'est du réseau social congelé, arrêté, tous liens coupés. Alors, Facebook et Pléiade même combat, réconciliables sur un eBook, pour le plus grand bien de l'histoire littéraire, délivrée enfin de ceux qui sélectionnent dans la vie d'un auteur les seuls événements qui méritent attention ? On n'en est pas encore là... Et puis, est-on "auteur" de toute sa vie ? 
En tout cas, en parcourant ce Pléiade, "on s'attendait de voir un auteur et on trouve un homme", selon le mot de Pascal.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Fin raccourci en effet entre ce pléïade et facebook ; je ne suis pour ma part pas convaincue par cette approche de l’œuvre littéraire, ce que propose la pléïade là, sort de la littérature et compose un amalgame sur l’homme, et non son œuvre, comparable en effet à ce que l’on pourrait faire aujourd’hui sur face book et autres réseaux, ramassis divers de bouts de vie, vrais ou recomposés, l’œuvre littéraire de Rimbaud avait-elle besoin de cet écrin encombrant ? pas sûr…S.G.

Lauriane Colson a dit…

Si l’on poursuivait la parabole, on pourrait même dire que Facebook permet aux internautes de mettre en scène leur propre vie (« être auteur de toute sa vie ») à défaut d’être reconnu, publié ou exposé dans les sphères culturelles au sens large. Et à défaut d’être en mesure de diriger sa vie, les réseaux sociaux offrent la possibilité d’en être le metteur en scène. Il est même possible d’être connu par le monde entier à peu de frais, d’avoir son quart d’heure de célébrité, en se faisant retwitter par Trump, en postant une vidéo hilarante de soi-même en train de battre un record absurde sur Youtube ou même en publiant chaque jour une photo différente de son chien dans une position loufoque.

A la différence de Rimbaud dans sa Pléiade, nous choisissons nous-mêmes le contenu de notre vie que nous partageons. Peut-être que si les lois sur la confidentialité numérique étaient appliquées dans le cadre de la Pléiade, nous serions privés d’un pan de la vie de Rimbaud, sa vie privée.

Les œuvres d’un grand artiste doivent être appréciées au regard de son œuvre globale et de son apport à l’Art, aux courants qui en découlent, aux écoles qui l’ont fait émergé. Doit-on dès lors étendre ce principe à la vie privée de l’artiste ? Met-elle en lumière des parts ignorées de l’œuvre ?
L’artiste a-t’il aussi le droit de choisir ce qu’il expose et de tirer le rideau sur le reste ?