mardi 23 mars 2010

Presse : lectorat secondaire, le payant engendre le gratuit

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Dans les médias, dénoncer la gratuité est un exercice salvateur. On en oublierait que la télévision la plus regardée est gratuite, que toute la radio est gratuite, et l'affichage aussi (mobilier urbain, transports). Et que la presse payante, elle-même, est souvent gratuite pour la majorité de ses lecteurs.
En effet, pour un exemplaire payé, on compte de nombreuses lectures gratuits : lectures dans les points de vente, lectures dans les lieux où l'on attend où l'on attend (wait marketing : coiffeur, médecin, dentiste, etc.), lectures dans les transports (train, avion), exemplaires mis à disposition, prêtés, donnés... On parle alors de lecteurs secondaires, par opposition aux lecteurs primaires, ceux qui ont choisi d'acquérir un exemplaire, se sont rendus au point de vente et l'ont payé, autant d'indiscutables témoignages d'engagement, d'intérêt. Les lecteurs secondaires sont des lecteurs d'occasions, profitant d'une opportunité.

Le rapport entre l'audience totale du titre et la diffusion payée (DFP) est le nombre moyen de lecteurs par numéro vendu ou taux de circulation. Ce taux indique le nombre de lecteurs "gratuits" engendrés par un numéro payé. Par exemple, en 2008, Fan 2, bimestriel visant les adolescentes, comptait 1 466 000 lectrices (AEPM) pour une diffusion de 80 065 exemplaires (OJD, DFP). Soit : 80 065 lectrices qui ont payé et 1 386 000 qui n'ont pas payé. Taux de circulation = lectorat / DFP =  18,3. Voir l'exploitation de ces données par la régie publicitaire du titre, Régie M6 Interactions.
  • Toutes ces pratiques de gratuité visent le marché publicitaire, elles font pencher l'équilibre économique du titre en faveur des revenus publicitaires (l'éditeur vend des lecteurs à des annonceurs plutôt que des magazines à des lecteurs). 
  • Les numéros déposés à l'entrée des universités relèvent de la même finalité commerciale : recueillir une audience jeune et diplômée, actuellement rare dans le lectorat de la presse quotidienne mais aussi recruter et fidéliser des lecteurs/trices encore jeunes (investissement). 
  • Comment valorise-t-on un lecteur payant par rapport à un lecteur gratuit ? Combien de lecteurs secondaires vaut un lecteur primaire ? Pour le calcul de l'audience totale et d'un Coût Pour Mille Lecteurs (CPM), on divise parfois l'audience secondaire par deux. Que sait-on de la différence entre lecture primaire et lecture secondaire ? Peut-on affirmer que le taux de circulation est l'inverse d'un taux d'intérêt ?
  • Peut-on transférer ces notions à d'autres médias ? Qu'est-ce qu'un téléspectateur primaire sinon celui qui tient la télécommande ? Un auditeur secondaire ? Celui qui entend la radio sans avoir voulu l'écouter (passager d'un taxi, client d'un bistro, etc.) ? Et sur Internet, avons-nous encore des lecteurs secondaires ? Redoutables questions si l'on s'en sert pour analyser la relation aux contenus qui composent un média, pour analyser les différences de réception, de perception entre un contenu que l'on a trouvé après l'avoir cherché et un contenu que l'on a trouvé sans le chercher (serendipity). 
Dans une économie de médias à la demande, y aurait-t-il encore des consommations secondaires ? La gratuité dans les médias n'est pas exceptionnelle, et certainement pas nouvelle, au contraire. Plutôt dénoncée qu'analysée, elle est pourtant la base même de l'économie des médias.
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1 commentaire:

Anonyme a dit…

donc l'opposition internet gratuit/ papier payant est à moduler. Article vraiment tres interessant qui provoque à une recherche plus détaillée et multidisciplinaire (sociologie, philosophie, psycho...), et oblige à réviser une opposition économique trop rigide. MHL