mercredi 14 septembre 2011

News Corp. : quel journalisme ?

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Le scandale provoqué par la révélation, sans doute encore inachevée, d'écoutes téléphoniques illicites ("phone hacking") effectuées en Grande-Bretagne par des titres de presse du groupe News Corp. (dont le tabloïd News of the World) doit être mis en perspective. Bien sûr, cette presse a tort : aux tribunaux de le dire. Mais pourquoi en est-on là ?

La presse doit vendre, et, depuis toujours, les "scandales", ces pièges placés sur le chemin pour faire tomber ceux qui s'y risquent, font vendre du papier, à condition d'être le premier titre à les publier, les dévoiler. If it bleeds, it leads ! Sus aux scoops. Surenchères fatales...
Les analyses fouillées, circonspectes et savantes ne font pas vendre en masse. Toute l'histoire de la presse et des médias audio-visuels le rappelle.
On condamne bien sûr la presse, des bien-pensants en Europe, aux Etats-Unis s'émeuvent, actionnaires, parlementaires, se fendent de déclarations outragées, unilatérales... Tempérons ces indignations calculées.
  • Le Web et ses outils de partage social rapide (Twitter, blogs) accélèrent le rythme et la vitesse de publication des scoops : le papier doit suivre, et pour ce média, la lutte est difficile (délais de production, de bouclage et de distribution les plus longs et les moins compressibles). La presse ne peut plus guère être le média des scoops comme elle l'a été, triomphante, à l'époque où des trains à vapeur traversaient le pays en une nuit pour apporter, partout, ses scoops à la une, en première exclusivité. Modèle économique moribond.
  • Les pouvoirs se mettent en scène avantageusement dans la presse, grâce à la presse. Ce faisant, ils protègent leurs secrets, espérant détourner l'attention du grand public et des journalistes ; l'actualité américaine et française récentes ne cesse de l'illustrer. Vices privés et fonds publics sont-ils compatibles ? Lectorats, électorats, même combat ?
  • Ces pouvoirs, nationaux et locaux, ne s'embarrassent pas toujours de transparence. Pour que l'on y voie clair, le métier de journalisme, ce contre-pouvoir, est d'abord travail d'enquêtes et d'investigations. On ne souligne jamais assez ce mot, CONTRE. Le "quatrième pouvoir" ne vaut que d'être un contre-pouvoir. Le métier de journaliste n'est pas facile lorsqu'il est d'investigation : ses vérités sont des conquêtes, des dé-couvertes, laborieuses. 
  • Quels lectorats ? Nos sociétés ont certainement la grande presse qu'elles méritent ; les attentes, la demande qu'expriment les lectorats constituent un baromètre infaillible de la performance du système éducatif et culturel (écoles, familles). Plutôt que se dédouaner et condamner les gens de média, balayons devant notre porte. Que demandons-nous aux médias ? Que leur demandent les pouvoirs établis ? De connivence, d'indulgence, il ne peut y avoir de journalisme ; que des relations publiques.

2 commentaires:

Sandra Desain a dit…

Je me souviens que l'histoire de NewsCorp m'avait profondément choqué. Je suis d'accord que le journalisme est un métier de plus en plus difficile et pesant. Même s'il faut arrêter de les blâmer à la moindre occasion, c'est bien à eux de fixer la limite éthique et morale de leurs comportements. Oui leur monde est horriblement exigent, mais jusqu'où sont-ils eux aussi PRETS à aller pour y répondre?

Isabel Zbinden a dit…

Les journalistes cherchent par tous les moyens à obtenir le scoop et, à cause de la pression psychologique, temporelle et sociétale qu'ils éprouvent, n'hésitent plus à employer des méthodes parfois déloyales. Comme le dit l'article, c'est précisément pour répondre à la demande qui va dans ce sens qu'ils agissent de cette façon.
Demandez-leur, je suis sûre que plus d'un vous répondra qu'il rêve d'avoir du temps à disposition pour mener convenablement une enquête, aller au fond du problème et gratter les détails. Mais le public veut tout tout de suite. Et il faut que ça soit sensationnel. Les journaux gratuits tels le 20 minutes ou le Blick am Abend l'ont bien compris. Il faut de gros titres qui interpellent, quitte à tourner l'histoire et ne pas dire toute la vérité. Le Matin se trouve dans la même lignée. Ils peuvent vous tourner une situation banale en scoop incroyable qu'il faut absolument lire. Et le public en redemande. C'est captivant, sur le moment, ça ne demande pas beaucoup de travail intellectuel, c'est vite lu. Une distraction en quelques sortes.
Cela n'excuse certainement pas entièrement le comportement des journalistes de News Corp. mais le place dans un contexte qui le demandait.