dimanche 18 mars 2012

"Le Temps" de Rousseau

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Le Temps est un quotidien suisse francophone, récent (1998), issu de la fusion de deux titres, dont le fameux Nouveau Quotidien, très innovant et iconoclaste. Plus de quatre cinquièmes des ventes (45 000 exemplaires) du Temps proviennent des abonnements. Lecteurs fidèles et réguliers. Taux de circulation : 3. (Source : Etude Mach Basic 2011-2012). Il y a ces lecteurs du papier, il ya aussi des lecteurs du numérique (42 000  exclusifs) et ceux qui lisent à tous les râteliers (10 000 "mixtes". Source : Etude pilote Total Audience 1.0). Ces mixtes effectuent aussi des lectures à partir de la toute récente application mobile. Notons, en passant la complexité, à peine effleurée ici, de l'évaluation des lectures multiples proposées par un unique titre média, Le Temps. Aucun média ne peut proposer une aussi grande variété de lectures que la presse.

Le samedi, c'est le jour de la culture. Et, cette semaine, le 17/3/2012, Le Temps consacre sa Une, toute sa Une, et encore son supplément, tout son supplément, Samedi Culturel, à Rousseau. Incroyable ! Un journal qui ne se plie pas aux meilleures ventes ("best-sellers") ou à l'idole du jour. Un quotidien qui, suivant la maxime de Thoreau, fait lire l'éternité ("Don't read the times, read the eternity"). Héritage du Nouveau Quotidien ?

A la Une du supplément, Rousseau, réfugié dans un coin de nature, écrit avec un ordinateur, sur fond de gratte-ciel. Se demande-t-il toujours "si le progrès des sciences et des arts... a corrompu nos moeurs" ? Dirait-il aujourd'hui que le Web, comme l'Imprimerie, a causé des "desordres affreux" et "n'a rien ajouté à notre véritable félicité" ? (Discours sur les sciences et les arts", Par un Citoyen de Genève, 1750).
Le dossier de Samedi Culturel imagine des réponses rousseauistes à des questions contemporaines. Par exemple, "Etes-vous tenté de vous inscrire sur Facebook ?" Réponse imaginaire de Rousseau, paraphrasant Aristote : "O mes amis, il n'y a pas d'amis". Mais Rousseau mettrait-il aujourd'hui ses Confessions sur Facebook, "Le Devin de Village" sur YouTube ? Les considérations de Rousseau sont décidément actuelles qu'il s'agisse de la "lenteur de penser" ou encore de son avertissement à propos des inégalités : "Vous êtes perdus, si vous oubliez que les fruits sont à tous et que la terre n'est à personne" (1755).
L'oeuvre de Jean-Jacques Rousseau a presque de trois siècles ; à la Une du Temps, c'est Voltaire qui apporte le gâteau d'anniversaire pour "entarter" son adversaire préféré.
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2 commentaires:

Jonas Wechsler a dit…

Bonjour. Maintenant j'ai envie à lire Rousseau, mais est-ce qu c'est possible à lire en français si on n'est pas francophone?

Reffet Loic UNIFR a dit…

"Je veux rester ce que je suis"

Pour Rousseau, le progrès des sciences et des arts a corrompu nos moeurs et porté atteinte à la pureté du goût. Le génie se trouve étouffé par les modes contemporaines, l'expression de la personnalité s'efface pour ne laisser briller que le commun. L'individu n'est plus que le reflet d'un tout.

Le Net dans tous ses paradoxes est l'expression de nos singularités, tout en uniformisant et rapprochant le plus grand nombre. Cette plateforme virtuelle est un prolongement de nos personnalités. Les réseaux sociaux, la blogosphère, les forums sont autant de liens permettant d'exprimer ses différences, ses propres opinions et de se confronter à d'autres jugements.

Dans son texte, Rousseau déplore cette attitude "moutonniste". Le progrès permet de plus en plus de nous démarquer. Mais cette propension aura toujours ses limites. Depuis que l'homme sait communiquer, il est dans la négociation permanente. Il cherche le compromis, il désire se rapprocher de l'autre, trouver un terrain d'entente. Si quand bien même il ressent ce besoin rebelle d'être différent, sa nature intrinsèque le renverra toujours vers quelques semblables.