dimanche 27 mai 2012

La TV découvre le refus de publicité

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Un procès va s'ouvrir aux Etats-Unis à l'initiative de plusieurs chaînes de télévision contre l'un de leurs plus important distributeurs. La cible est Dish Network, opérateur de télévision directe par satellite qui propose à ses sept millions d'abonnés un enregistreur numérique (DVR), The Hopper, doté depuis peu d'une fonctionnalité qui permet d'éviter les messages publicitaires présents dans les chaînes retransmises en prime time : "Auto Hop" dit parfois "Ad Hopper", qui "saute" par dessus les pubs (mais qui n'efface ni ne détruit). Toutefois, cette fonction dite "Primetime Any Time"ne peut être mise en oeuvre que le jour suivant la diffusion (à partir de 25H, ET). Les networks ont refusé de diffuser des messages publicitaires en faveur de cet appareil (refus de vente).

Mise à jour 31 mai 2012

Selon les chaînes, cet appareil remet en cause le modèle économique de la télévision commerciale et ne respecte pas le contrat de retransmission et les droits d'auteur. Fox, CBS et NBC portent le problème devant les tribunaux et demandent même des dommages et intérêts. Nous retrouvons une situation qu'ont connue, il y a une dizaine d'années, Replay TV et TiVo.
Les networks, à propos de Dish Network, parlent de VOD frelatée (bootleg), malencontreuse (wrongheaded) voire d'insulte. Et il s'est même trouvé un cadre d'agence média pour s'indigner que l'on ose mettre en question ("trashing" !) le modèle économique de la télévision commerciale (à quel titre, quid  de la neutralité média qu'attend l'annonceur ?).

Dish Network contre-attaque : les networks par leur menace (litigation) mettent en péril une innovation. Innovation limitée puisqu'elle ne fait que généraliser le principe du magnétoscope et de la télécommande. De plus, Dish Network paie les chaînes de télévision pour les retransmettre : cela donne aux abonnés le droit et la liberté de refuser ou d'accepter la publicité.
Public Knowledge, un groupe à but non lucratif qui milite pour l'ouverture publique du Web, la liberté et la transparence de l'innovation technologique prend le parti de Dish Network et de ses abonnés et lance une pétition de soutien à Dish Network par e-mail : "Tell old media to keep their hands off your DVR".
  • Le passage de la télévision au numérique secoue et remet en questions son modèle économique. Le décompactage (ou désagrégation, désarticulation) des programmes de télévision numérique - qui permet la VOD et la télévision de rattrapage - s'étend logiquement à la publicité qui est un programme parmi d'autres. Ce n'est qu'un début, cela touchera d'autres formes d'"encombrement" (clutter) des programmes : génériques, auto-promotion, séparateurs, etc. Progressivement, le téléspectateur reprend en main la programmation. D'ailleurs, sur la télécommande de Dish Netwrok, se trouve une touche pour avancer de 30 secondes, durée courante d'un message publicitaire.
  • Plus ces outils d'autonomisation des téléspectateurs se développent, plus s'affine la qualité de la réception publicitaire. Les annonceurs iront de plus en plus vers la publicité voulue qui sera plus chère parce qu'elle est plus efficace.
Et si l'on traitait la TV comme le Web ?

Appliquons, pour voir, le raisonnement des networks américains au Web. Dans ce cas, faudrait-il interdire à l'internaute d'effacer les cookies, condamner les logiciels de filtrage publicitaire (advert filtering) comme Adblock ou Fanboy ?
Mais il faut plutôt traiter la télévision comme le Web car la télévision tend inéluctablement vers le Web.Une fois connectée au Web, elle sera confrontée à la liberté constante et omniprésente des téléspectateurs. Il faut imaginer la publicité opt-in et respectant la vie privée. Au lieu de manoeuvres de retardement, mieux vaudrait préparer la télévision et ses clients à ce virage : optimisation du ciblage, capping, créativité des messages...

5 commentaires:

Miguelito #6 a dit…

On peut tout de même comprendre la crainte légitime des chaînes de télévision car la publicité représente tout de même une majeure partie de leurs revenus, d'ailleurs les Etats-Unis sont le premier marché en termes de revenus publicitaires dans le monde. Par exemple en France, la première chaîne privée tire 57,4% de ses revenus grâce à la publicité. Je pense que la télévision va, à moyen terme, et comme le souligne l'article tendre vers le web. La publicité généralisée telle que nous la connaissons sous sa forme actuelle va disparaître petit à petit pour laisser place à de la publicité ciblée selon les informations qui seront fournies par les box (adresse IP). Le refus de voir la publicité va donc devenir payante !

Et si on pose l'hypothèse que la publicité sur le petit écran va disparaître c'est le consommateur qui va en faire les frais, le prix des abonnements va grimper (les télévisions privées) alors que les chaînes publiques vont devoir puiser davantage dans les caisses de l'Etat pour exister. Les annonceurs (les marques) vont peut-être se tourner vers plus de product placement à l'intérieur des séries TV ? C'est une possibilité, mais seuls les plus puissants financièrement et les plus connus pourront utiliser cet outil marketing.

A mon avis, les spots publicitaires durant les événements sportifs ainsi que la publicité de court-métrage gardent tout de même un certains intérêt auprès des téléspectateurs. Ya qu'à penser à la publicité durant le SuperBowl qui fait partie intégrante de l'expérience et de son identité.

Stephanie, Fribourg a dit…

Il est évident que les annonceurs ne peuvent pas aller contre les innovations de ce genre et les possibilités de plus en plus nombreuses pour le public de "zapper" une publicité qui ne les intéresse pas. Comme sur le web, l'accord de l'internaute pour recevoir des publicités n'est depuis longtemps plus coché par défaut mais volontairement (en Europe du moins), la publicité télévisée doit s'adapter. Une publicité voulue comporte des avantages, l'assurance que le message publicitaire touche une cible interessée et sera donc plus efficace.

Patrick P. a dit…

Je pense aussi que les publicitaires qui travaillent avec la télévision, vont devoir malgré les coups de gueule accepter la situation et s'adapter.

À propos d'Internet, il existe aujourd'hui une quantité de solution pour "zapper" les publicités qui surgissent quand on surfe. D'ailleurs il y a de plus en plus de demande en matière de protection contre les publicités, en témoigne le nombre d'internautes qui disent leur agacement sur les forums.
En fait il y a différentes solutions pour contrer ces messages publicitaires : logiciels, plug-in, anti-virus généralistes, nettoyages manuels…. En voici quelques exemples :

- Des logiciels spécialisés pour bloquer les pop-up et les bannières comme Adcleaner (assez complet), CrocPopUp+, PopUp Killer ou Proxomitron.
- Easy cleaner ou CCleaner des programmes pour supprimer les cookies.
- Les navigateurs ont aussi leurs extensions pour contrer la pub : Adblock et Adbock+ (très utilisés) pour FireFox ou Adblocker pour Safari
- On peut aussi de toucher manuellement aux fichiers "hosts" de nos machines, si on est un peu connaisseur bien sûr.
- des logiciels plus généralistes comme Spyblocker et Bitdefender qui s'occupent également de protéger contre les virus ou d'autres types d'attaques.

Jérôme Soulard a dit…

On comprend tout à fait que les networks voient d'un mauvais oeil cette tendance générale de contournement des messages publicitaires. Leur modèle économique est attaqué et leur réaction de défense (certes primaire) semble plutôt naturel.

A mon avis, les networks réagissent de la même façon au problème de la publicité que le font les "majors" de l'industrie du disque vis-à-vis du téléchargement illégal: ils prennent le problème à l'envers! Au lieu d'accepter les évolutions de sociétés et de chercher des solutions innovantes de revenus (publicité hyper-ciblée, voulue, etc.), ils cherchent à se cramponner tant bien que mal à des acquis archaïques.

Pour réagir au dernier paragraphe de l'article concernant le rapprochement entre web et télévision, je pense qu'il faut tempérer un petit peu les progrès du web en la matière.
En effet, de plus en plus de sites détectent les logiciels de filtrage publicitaire, et obligent l'utilisateur à les désactiver pour afficher le contenu du site en question. De même, les spots publicitaires avant le lancement d'une vidéo sont légion, et les producteurs de contenu vidéo essaient d'appliquer le modèle de la télévision à celui du web.

Encore une fois, on se trouve face à un comportement réactionnaire, qui au lieu d'accepter les changements de sociétés et de s'y adapter, cherche désespérément à ses conserver des privilèges aujourd'hui obsolètes.

@najma226 a dit…

Du nouveau dans cette affaire puisque Dish a remporté une victoire judiciaire provisoire contre Fox Broadcasting Co. en juillet 2014 (Fox Broadcasting Co. v. Dish Network LLC, 12-CV-04529, U.S. District Court, Central District of California). Si DISH se réjouit d'une décision allant dans l'intérêt du consommateur, cette affaire illustre le désarroi des chaînes de télévision devant l'innovation technologique perpétuelle et la possibilité offerte au consommateur de contrôler le contenu de ce qu'il regarde.

Devant cette impossibilité de contraindre le consommateur à visionner les messages publicitaires, il devient impératif pour les chaînes, en association avec leurs partenaires de la publicité, de redéfinir la notion même de publicité à la télévision. La publicité ne devrait-elle pas devenir un programme télévisé en tant que tel, suscitant l'intérêt du téléspectateur ? A terme, nous assisterons sans doute à une revalorisation des métiers de conception des publicités audiovisuelles, laissant place à beaucoup plus de créativité, de contextualisation et donc de moyens, comme c'est déjà le cas avec le SuperBowl.