mardi 24 septembre 2013

Everybody lies

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Voici une enquête de Y & R dont le résultat premier est, peut-être, qu'il faut douter des enquêtes, et surtout des déclarations des enquêtés. Intitulée "Secrets and Lies", elle a été conduite au Brésil, en Chine et aux Etat-Unis.

Il s'agit en fait d'une enquête double qui produit et confronte deux types de résultats : les résultats conscients, verbalisés, déclarés, calculés au terme d'une méthodologie traditionnelle, d'une part. Les résultats "inconscients", spontanés, issus d'une enquête du type "Implicit Association Test" (IAT), d'autre part ; ces résultats sont susceptibles de révéler, trahir des secrets, des attitudes tacites, non verbalisées habituellement.

L'écart manifeste entre les valeurs conscientes et les valeurs inconscientes représente une sorte de taux de mensonge ou de taux de censure (quel sur-moi ?). Il mesure peut-être aussi l'artefact, le biais induit par toute situation d'enquête.
Par exemple, les personnes interrogées aiment mieux Facebook qu'elles ne le déclarent, et moins Google et Apple qu'elles ne le prétendent. National Inquirer, tabloid hebdomadaire people qu'il est de bon ton de mépriser - ou de lire au second degré -, est placé inconsciemment plus haut que dans l'échelle des valeurs conscientes et déclarées.

Source: Y & R, "Secrets & Lies", septembre 2013.

Les Américains seraient plus compliqués qu'autrefois, explique le responsable de l'enquête. A moins que l'on ne sache tout simplement mieux aujourd'hui qu'autrefois objectiver cette complexité et la quantifier.

Cette double enquête représente une sorte de psychanalyse sociale, une fenêtre sur le malaise ("Unbehagen", disait S. Freud) de la société américaine. A partir de quelles valeurs cible la publicité ? Le "ça", où vivent des valeurs refoulées, ou le "moi" ? Vielle histoire qui renvoie à celle de la publicité et à l'ouvrage canonique de Ernest Dichter (The Psychology of Everyday Living, 1947), d'où émanent des principes publicitaires que l'on peut voir mis en œuvre dans l'émission "Mad Men" !).

Sécurité, satisfaction sexuelle et tradition dominent les valeurs américaines tacites, cachées, tandis que sont déclarées (revendiquées ?) l'entr'aide (helpfulness), l'autonomie ("Choosing your own path") et le sens donné à la vie ("Meaning in Life"). Bien sûr, on peut réfuter la méthodologie "automatique" de l'IAT permettant de dé-couvrir les valeurs inconscientes (les préjugés), on peut aussi contester la représentativité des personnes enquêtées... La morale de l'histoire est que, comme ne cesse de l'affirmer Docteur House : "Eveybody lies" ou, encore, que "Humanity is overrated" !
C'est enfin une occasion de questionnner les questions et les questionnaires. On pense à la remarque de Philippe Descola : "Un anthropologue ne commence à faire du bon travail qu'à partir du moment où il arrête de poser des questions, où il se contente d'écouter ce que les gens disent, car poser une question c'est déjà un peu définir la réponse" (Diversité des natures, diversité des cultures, Paris, Bayard, 2010). 

La collecte de data, dans certains cas, est conforme à cette exigence. Dès lors, ne faudrait-il pas distinguer les data recueillies par observation (sans artefact) de celles produites par interrogation ?
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