mercredi 30 juillet 2014

Audience mobile : le grand chambardement


Le mobile, smartphone ou tablette, n'en finit pas de tout remettre en question dans les médias. Alors que tout semblait se stabiliser après le choc Internet, les médias mobiles bouleversent tout à nouveau. Avant tout média était fixe, au foyer ou hors du foyer. Maintenant, le mobile, non seulement est partout mais il est plus ou moins lié à tous les autres médias. Obsolescence non calculée, la communication mobile ringardise l'ordinateur. Social TV et multiscreentasking au foyer. Les formats courts vidéo prennent de plus en plus d'importance. Dans la ville, devant les vitrines et les affiches, dans les points de vente, le mobile convoque les applis commerciales du e-commerce.

La mesure, qui, mieux que tout, mesure le désarroi et l'enthousiasme qui saisit parfois le marketing, reflète ce chambardement. Voilà que l'on a plus de data d'activité média (cookies) que de personnes : les consommateurs se sont dédoublés, multipliés car on ne sait guère saisir le consommateur unique, le même, celui, celle, qui tour à tour lit son courrier sur son smartphone, joue sur sa tablette, travaille sur un ordinateur au travail et sur un autre ordinateur à la maison. Tout cela avec des applis. Les panels y perdent leur statistique et les cookies s'émiettent. On rêve bien sûr de donner au consommateur un identifiant unique, de reconnaître la même consommatrice au magasin et sur un site de e-commere (off-line to online, O2O). On comptait sur le smartphone pour réconcilier les pratiques : iOS 8 met ce rêve au rancart en rendant l'identifiant aléatoire (random MAC address). Adieu store analytics avec Wi-fi et smartphones ! Voici le iBeacon et le Bluetooth LE.
Cauchemards marketing ? Voici toutefois deux éclaircies.
  • OCR (Nielsen) prend désormais en compte le mobile (navigateurs et applications). Heureusement car Facebook sans le mobile semblait une mauvaise blague. Il semble d'ailleurs que Nielsen et Facebook échangent des informations concernant les consommations de télévision sur mobiles (cf. Robert Faturechi, Meg James, "Facebook to track users' TV habits", Los Angeles Times, July 14, 2014). Il semble qu'avec l'exploitation massive de data, Facebook fournisse de plus en plus de données marketing et d'audiences, devenant ainsi un partenaire des instituts d'études... avant peut-être de devenir davantage qu'un partenaire ?
  • Mesure de l'audience de la TV reçue sur mobiles
Nielsen, encore, dans le DMA de San Francisco Bay Area (DMA N°6, premier DMA pour la population asiatique américaine - Asian Americans), mesure et qualifie l'audience sur support mobile de la station KTSF 26. Le signal broadcast est reçu en direct sur mobiles avec Syncbak qui a intégré le SDK de Nielsen (watermarking). Syncbak permet également la réception de la VOD payante.
KTSF-TV est une station indépendante (Lincoln Broadcasting Company) s'adressant particulièrement à la population asiatique de la région de San Francisco (1,5 million de personnes ; chinois mandarin et cantonais, japonais, coréen, etc.). Cette population semble sur-équipée en mobiles.

L'audience sur mobiles, ainsi mesurée, sera intégrée dans la mesure locale du DMA (NSI). Notons que cette mesure est plus complète que la mesure locale courante puisqu'elle est passive, qu'elle donne des informations socio-démographiques riches, indique les épisodes d'une série regardés en VOD, les messages publicitaires vus...

Syncbak fait partie des solutions tentées aux Etats-Unis pour la réception de la télévision locale broadcast sur support mobile : cfla télévision partout. Le network CBS est actionnaire minoritaire de Syncbak qui devrait connaître un sort plus favorable que Aereo, attaqué et coulé par les puissances télévsuelles en place.

Appli KTSF /Syncbak dans l'App Store

lundi 21 juillet 2014

Walmart total data marketing


Walmart lance une plateforme d'adexchange, Walmart Exchange (WMX). Walmart est la plus grosse entreprise mondiale, le premier distributeur mondial aussi. Avec cet Adex, il s'agit à terme pour l'entreprise d'associer des données publicitaires (first et third party) avec des données de fréquentation des magasins (in store analytics). Les données magasins proviennent des cartes de fidélité (cf. Sam's Club), de l'analyse des ventes, et, bientôt, de l'analyse des comportements : déplacement des clients devant les linéaires, attention accordée aux produits, à la PLV...  S'y ajoutent encore des données des réseaux sociaux et des données de mobilité transitant par les smartphones (cf. Walmart appSavings Catcher Programetc.). Bientôt, Walmart proposera également des services médicaux (Primary Care Clinics)...
Toute cette data est mise au service du marketing et notamment du ciblage. Walmart peut ainsi mesurer précisément l'efficacité du marketing des marques fournisseurs, en dernière instance, indifféremment de l'attribution. En temps réel, bien sûr.
De plus, le tout s'enrichit de la structure en réseau : plus de 10 900 magasins, aux Etats-Unis, en Chine (JV), en Amérique latine, au Kenya, au Canada, en Grande-Bretagne (ASDA), etc.

Le distributeur se trouve donc à la tête d'un incomparable capital de données : Big data. Incomparable avec ce dont disposent ses fournisseurs. Incomparable, surtout, avec ce dont peut disposer une agence de publicité ou d'achat d'espace publicitaire, quelle que soit sa taille.
La bataille publicitaire pourrait bien se révéler inégale : qui détient l'arme absolue de la data pour le marketing et la publicité "omni-channel" ? Le distributeur, plutôt que les marques (fournisseurs), plutôt que les agences de publicité...

Ajoutons que Walmart a mis en place son propre laboratoire de recherche et d'innovation sur le commerce numérique et le comportement des clients, @WalmartLabs, une sorte d'incubateur (accelerator). Le distributeur prend en main la recherche marketing et la réflexion stratégique, débordant largement les prérogatives des agences de publicité. @WalmartLabs a mis au point, par exemple, un moteur de recherche sémantique pour les produits (Polaris)  et a réalisé de nombreuses acquisitionsAdchemy (sémantique), OneRiot et Kosmix (social media), Inkiru (predictive intelligence), stylr (appli de e-commerce), et, récemment, Luvocracy, une place marché de produits recommandés par des amis, etc.
Dans la même voie, un grand distributeur européen, Tesco (Grande-Bretagne), a racheté Dunnhumby puis sociomantic Labs pour le traitement sémantique de la data.
En France, Carrefour annonce sa collaboration avec Acxiom pour l'ensemble de ses données marketing (AOS, Acxium Audience Operating System).
Notons encore, pour souligner les similarités stratégiques dans la grande distribution, le lancement de distribution de programmes vidéo (OTT) : Vudu par Walmart, blinkbox par Tesco. La vidéo est, entre autres, source décisive de données qualifiantes (cf. Netflix).

Walmart a pour objectif de permettre à ses marques fournisseurs de réduire leurs investissements publicitaires afin qu'elles puissent vendre leurs produits moins cher.
La data collectée par Walmart est utilisable pour piloter et optimiser les plans médias, y compris off-line, presse et télévision notamment : tout plan télé doit être informé par la data. Walmart se trouve ainsi fournisseur de data pour ses fournisseurs, et peut-être, à terme, consolidera et optimisera les achats médias de ses fournisseurs.

Références :

mardi 15 juillet 2014

Start-Ups en série


START-UPS <silicon valley> est une série qui a été programmée par la chaîne américaine Bravo (NBCUniversal), en 2012 : la diffusion fut interrompue après huit épisodes et ne fut pas renouvelée depuis. L'audience, raisonnable pour le premier épisode (700 000 personnes selon Nielsen), diminua ensuite. "Geeks are definitely the new rock stars", prophétise le site de Bravo ; pas sûr !

Screenshot de l'émission (générique)
Start-ups. Silicon Valley relève du genre télé-réalité (unscripted drama) ; elle réunit six acteurs, entrepreneurs de start-ups de la Silicon Valley : deux ont lancé Ignite Wellness qui suit les activités sportives (monitoring); l'un recourt à un accélérateur Appcelerator, plateforme d'incubation d'applications (cloud software suite) ; l'une est journaliste bloggeuse; l'une travaille à une start-up pour la mode (Shonova); l'autre à un comparateur de prix pour l'automobile.

Randi Zuckerbergexecutive producer de la série, souligne qu'il s'agit d'un reality show, pas d'un documentaire ; l'ancienne directrice marketing de Facebook se veut garante de la véracité des personnages et souligne sa volonté de vulgariser la culture des start-ups (television friendly) et de l'économie numérique.  Pour cela, la série met l'accent sur les relations, amicales et amoureuses, les flirts, les confidences ("capturing the interpersonal dynamics that go on in companies. There is real drama in start-ups", dit Randi Zuckerberg). De plus, tout ce monde se veut à la mode, s'habille avec une distinction toute californienne, parle à la mode, mange à la mode...

Certes, la série évoque l'angoisse de la levée de fonds, le doute des jeunes entrepreneurs au moment de passer du statut de salarié à celui d'entrepreneur, de quitter la Silicon Valley pour New York... On perçoit les décors emblématiques et les rituels des entreprises du numérique : présentations PowerPoint, diagrammes jetés au feutre sur des tableaux blancs, ordinateurs portables, smartphones et tablettes omniprésents, dès le matin, de la cuisine à la salle de bain.
Le montage fait alterner des dialogues champ-contrechamp avec des monologues introspectifs, sorte de sous-conversation disant le non-dit, illustrant la vigueur du débat intérieur.
Derrière l'intrigue, on perçoit aussi des questions plus générales : que signifie la Silicon Valley, une aire géographique (le générique s'ouvre sur une carte de la Silicon Valley), un pôle économique ou un état d'esprit ("entrepreneurial mindset") ?

Parce qu'elle donne une image fausse de la Silicon Valley, la série a été beaucoup critiquée. On y a vu plus de soap-opera que de réalité. Cet essai souligne combien il est difficile de montrer le travail d'une start-up du Web, la gestation si peu spectaculaire ("relatable", dit Randi Zuckerberg) des idées innovantes : codeurs devant un écran, présentations de business plan aux VCs et business angels, discussions stratégiques ("pivoting")... Comment faire vibrer un public pour des événements aussi peu visibles, si peu lisibles : pour la levée de fonds, on montre la signature du chèque de un demi million de dollars...
D'autres émissions s'essaient à faire voir l'économie numérique et à célébrer la culture scientifique : ("Shark Tank", sur ABC depuis 2009, "The Big Bang Theory", sur CBS depuis 2007, "Person of Interest" sur CBS depuis 2011, sans compter le film sur Facebook, The Social Network).
A priori, la vidéo semble se prêter moins bien à cette ambition de vulgarisation que l'essai ou le roman (cf. l'approche de Katherine Losse dans The Boy Kings. A Journey into the Heart of the Social Network).
Sur le même sujet, dans un tout autre style, HBO a également produit une série intitulée "Silicon Valley", sitcom réunissant six jeunes gens créant une start-up. La première saison est un succès. A suivre.

Bien sûr, on peut voir dans la série de Bravo une bonne idée mal ficelée, une occasion manquée de faire connaître une nouvelle économie et ses contradictions. Les start-ups y appparaissent comme un univers de privilégiés, monde irénique où tout le monde il est beau, tout le monde il est jeune et riche. A l'opposé, on oublie la gentrification provoquée par Apple, Google, Facebook et autres, aux manifestations anti-tech contre les bus transportant luxueusement les employés du numérique, aux problèmes sociaux d'Amazon... Lutte des classes dans numérique ? Belle occasion de série ?

mercredi 9 juillet 2014

Le petit Nicolas, re-construction des années soixante


Génération(s) PETIT NICOLAS Les chouettes souvenirs d'une époque formidable, Hors-série de télé 7 JOURS, 80 p, 6,95 €

Le Petit Nicolas est un héros des années 1960, des débuts de la Cinquième République, en plein cœur des "trente glorieuses". La BD - en fait, il s'agit plutôt de dessins de Jean-Jacques Sempé illustrant des histoires de René Goscinny - est publiée en France en 1960.
Au sommaire de ce document d'histoire de la vie quotidienne contemporaine, se trouve une liste d'objets de consommation courante et d'émissions populaires présentés par ordre chronologique de 1950 à 1967 : "l'anatomie du goût" de ces années.
L'histoire de la vie quotidienne est parcourue, comme si elle était vue par le Petit Nicolas, avec une certaine tendresse, en évacuant tacitement les drames, les guerres, la colonisation.
C'est l'anthologie candide de tout le monde, consensuelle, histoire d'une socialisation partagée par la grande majorité de la population française : service militaire, école, médias. Une certaine uniformisation est à l'œuvre qui, sans doute, réunira cinquante ans plus tard les lecteurs nostalgiques de ce hors série. Lectorat, électorat ?

L'inventaire du Petit Nicolas commence par les "choses" et les mots qui font le décor de son enfance :
  • D'abord l'école et son outillage : les plumes, la craie, les photos de classe, la pointe BIC interdite, les bons points... Ecole pour tous, heureuse.
  • Puis viennent des produits chers aux enfants d'alors : par exemple et dans le désordre, la chicorée du petit déjeuner (Leroux parraine le cyclisme), Manufrance et son catalogue, le Club des Cinq, les bonbons (Cocos Boer, roudoudou et caram'bar), les jouets (Dinky Toys, Meccano, Jokari), les patins à roulettes, les billes... 
Ensuite, sont évoqués, entre autres :
  • Les transports : l'automobile (la 4CV, la 203, Dauphine, la DS, la 4L...), le Vélo Solex et la Vespa, les bus, les trains
  • Le supermarché et ses caddies, les arts ménagers
  • Le statut social des femmes (ménagères), le service militaire pour les hommes
Les médias audiovisuels ponctuent l'inventaire :
  • La radio, sans doute sous-estimée : "La famille Duraton, "Salut les copains", "Pour ceux qui aiment le jazz"...
  • Le sport : foot avec le Stade de Reims (Kopa, Piantoni, Fontaine), Tour de France avec Anquetil, Poulidor, catch...
  • La télévision est omniprésente  (normal : télé 7 JOURS !) ; elle ponctue cette histoire, d'année en année : Léon Zitrone, "Au théâtre ce soir", les speakerines, "Thierry la Fronde", "La caméra explore le temps", "la Piste aux Etoiles", "Monsieur Cinéma", "Bonne nuit les petits", "Age tendre et tête de bois", "Interville", le JT... 
  • La radio comme la télévision sont alors médias de masse, touchant toutes les classes sociales, tous les âges, au même moment. Les médias entrent dans la vie quotidienne : "société du spectacle" en développement.
Ce hors-série dresse empiriquement l'inventaire des marqueurs temporels d'une époque, aujourd'hui lointaine. "Souvenirs, souvenirs" ? Analyses de contenu d'une époque, d'une génération définie par un ensemble de références (produits) et de pratiques de socialisation. Beaucoup de ces produits et pratiques ont disparu pour devenir objets de collection, de nostalgies.
L'historien, comme l'archéologue, ne travaille qu'à partir des restes d'une époque : "Les choses" qu'évoque Georges Pérec, "une histoire des années soixante", dit-il de ce "roman" (1965), des "Mythologies",  disait Roland Barthes (1957) dressant la sémiologie d'une même époque.
Comment caractériser une époque ? Quels en sont les objets marquants, les traces certaines ? Il manque encore à l'histoire contemporaine une méthodologie rigoureuse de construction de patterns, semblable à celle que l'analyse lexicale mobilise pour extraire d'un média des clusters thématiques, des catégories et taxonomies.

Quels seront les choses et les médias qui seront les marqueurs du début du XXIème siècle ? Que pouvons-nous en savoir aujourd'hui ? Une première différence vient à l'esprit : les "choses", la socialisation des "générations Petits Nicolas" étaient françaises, celles des années 2000 seront d'origines étrangères. Mais, surtout, notre analyse des années soixante s'avère d'abord une re-construction, une re-présentation a posteriori par les années 2000 ; elle traduit une nostalgie de ces années d'enfance et d'adolescence qui, par comparaison, en dit long sur les années 2000.

N.B.
Sur une approche semblable par la presse (Paris Match et Historia), voir : La France heureuse 1945-1975
De même, Les mots clés de la vie d'une femme, de Annie Ernaux
On peut aussi regarder cette tranche d'histoire de manière moins satisfaite mais "hilarante", avec le document vidéo de Michel Audiard, "Vive la France", 1974, Les Films de La Boétie, DVD, 72 mn ou sur YouTube.

jeudi 3 juillet 2014

Le Webspectateur rapporte plus que le téléspectateur


CBS, qui domine le marché TV américain grand public, affirme qu'un Webspectateur (streaming) rapporte 10 à 20% de plus qu'un téléspectateur (revenu publicitaire).
Pourquoi ? L'audience Web est plus rare (plus jeune, etc.) que l'audience TV, donc plus chère. Elle reste toutefois indispensable pour les annonceurs soucieux de branding : la marque se construit et se maintient avec cette audience plus encline à l'innovation, à la prescription, au partage. Le Web est son univers de référence, et de réception.

L'audience totale TV, bien qu'elle soit encore incomplètement connue et mesurée, est dispersée entre un nombre croissant de canaux. La part de l'audience TV en direct (live) baisse, surtout pour les cibles de jeunes adultes que le style de vie très actif (emploi, sorties, études, etc.), l'équipement mobile et la dextérité numérique conduisent à consommer et à découvir les émissions hors du foyer, loin du téléviseur.

Manifestement, CBS souligne une tendance promise à durer. Depuis longtemps, la chaîne déclare que peu lui importe le canal de diffusion, pourvu qu'elle ait l'audience et la notoriété. Ceci invite à penser et peser finement la relation publicitaire TV / Web : comment se constituent et se maintiennent la notoriété, la mémorisation ? Comment optimiser la combinaison des canaux de réception publicitaire ? Problème classique de médiaplanning.
La valorisation de l'audience mixte TV / Web reste discutée... Elle devrait être testée. Et il faudra y ajouter le numérique hors foyers (DOOH).