mercredi 1 octobre 2014

Lids down ? Multitasking en cours et en réunion


Un collègue américain, Clay Shirky, qui enseigne les media studies à l'université de New York (NYU), prend publiquement parti, à contre-cœur, dit-il, contre l'utilisation par les étudiant(e) des smartphones, laptops et autres tablettes pendant les cours. Je cite :

"So this year, I moved from recommending setting aside laptops and phones to requiring it, adding this to the class rules: “Stay focused. (No devices in class, unless the assignment requires it.)” Here’s why I finally switched from “allowed unless by request” to  “banned unless required.”

Selon lui, ce multitasking numérique nuit à la qualité de l'attention des étudiants, à leur concentration, à la mémorisation, au travail intellectuel (cognitive work), en un mot, à l'efficacité globale des cours.
La discussion du multitasking, ici évoquée à propos de l'enseignement, pourrait être étendue à d'autres situations, par exemple, aux réunions en entreprise où le multitasking numérique sévit aussi (on dit que des mesures pour l'interdire auraient été prises chez Google, et même en Conseil des ministres...). Une réunion à Amazon commence par la lecture silencieuse des documents préparatoires écrits (narratives)... A New York, le smartphone est interdit au lycée.

Par-delà ce qui relève - malgré tout - de la courtoisie, de la politesse et du savoir-vivre, le multitasking renvoie à la question de l'utilité des cours et des réunions, donc de leur durée et de leur nombre. Trop de temps perdu, de discours inutiles, de monologues à écouter, assis ou vautrés ? Qui, hypocrite lecteur, n'a jamais somnolé en cours ou en réunion ? Le multitasking pourrait-il d'ailleurs être lu, de même que l'assiduité, comme un indicateur du taux d'intérêt d'un cours ou d'une réunion.

Du fait de sa durée et de la qualité des présents, une réunion coûte souvent très cher, mais ce coût total est rarement calculé. Une réunion ne doit-elle pas être la plus brève possible, s'achever sans délai avec une décision ? Au journal Le Monde, du temps de Hubert Beuve-Méry, la conférence de rédaction du matin se tenait debout pour qu'elle soit de courte durée et attentive.

Et la durée des cours ? Il y a de plus en plus d'outils didactiques qui peuvent se substituer au cours dit "magistral" ou en réduire la durée. Et notamment des outils numériques (cours en ligne, didacticiels, etc.). Ne relève donc du format "cours" que ce qui suppose des interactions : questions, explications, approfondissements... A quelles conditions un cours est-il indispensable ? La question renvoie aux débats sur l'assiduité, l'évaluation, le contrôle des connaissances et des compétences, la prise de notes et leur circulation...

Aux arguments de Clay Shirky, les étudiant(e)s opposent que - eux / elles, enfants d'une génération numérique - sont évidemment capables de multitasking. En fait, le procès du multitasking reste noyé dans l'opinion, dans l'intuition ; pour l'instruire en toute rigueur, il faudrait disposer de plusieurs analyses, souvent manquantes.
  • L'analyse des effets du multitasking (à distinguer de la dextérité numérique) :  éparpillement de l'attention ou gain de temps ? Je ne connais pas de démonstration valable et généralisable...
  • L'analyse coût / efficacité (ROI) des réunions ou des cours, coûts directs et coûts d'opportunité (prendre en compte le temps passé, le temps de déplacement, l'occupation des locaux, etc.). 
Enfin, une réflexion homologue concerne les médias. Car la mesure de l'audience des médias omet la réflexion sur le multitasking. Toute audience est-elle bonne à compter ? Le multitasking double-t-il le nombre des contacts ? Traduit-il une augmentation ou une diminution de l'attention ? Que sait-on de la valeur des contacts selon qu'il y a multitasking ou multiscreentasking ?

5 commentaires:

Anonyme a dit…

De mon expérience (je prépare actuellement un PhD d'informatique aux US : j'assiste donc à beaucoup de cours où les ordinateurs et tablettes sont très fréquents), le support utilisé par les étudiant-e-s exacerbe l'inattention mais ne la cause pas. Si un cours est médiocre, la présence de distractions facilement accessibles (ordinateur, smartphone) accentuera la proportion d'étudiants qui choisissent de ne pas écouter/participer. Si le cours est excellent, aucun multitasking n'aura lieu : les élèves seront attentifs.

L'utilisation des moyens informatiques permet d'optimiser notre temps passé en cours. Si le cours ne retient pas notre attention (qu'il soit mauvais ou qu'il traite ponctuellement d'un domaine que l'on maitrise déjà, par exemple), on peut choisir d'avancer notre travail sur notre ordinateur au lieu d'écouter.

Mais on peut également se servir d'une tablette peut photographier le tableau, enregistrer une explication compliquée... Je suis surprise d'entendre qu'un professeur restreigne les moyens à la disposition des étudiants (qui, j'imagine, ne sont plus au lycée et ont assisté à un certain nombre de cours dans leur vie) parce qu'il pense mieux savoir qu'eux comment assister à un cours !

Zysla a dit…

Je ne pense pas que la question posée par l'article soit de savoir comment assister à un cours, mais peut-être "Anonyme" précédente n'était pas assez attentive au texte et surfait en le lisant (c'était facile, donc tentant, pardon !).
La question est :
- peut-on être suffisamment attentif pour suivre un cours en multitasking ?
- avec pour conséquence : dans ce monde où tous les repères bougent, ne faut-il pas du coup s'interroger sur ce que doit "être" un cours : être ou dispar-être !

La réponse à la première question est assez simple : on sait (travaux des neurologues, articles récents dans Pour La Science) que le cerveau ne sait pas effectuer plusieurs tâches simultanément. La seule chose que notre kilo et demi (un peu moins) de matière grise sache faire, c'est passer plus ou moins rapidement d'une tâche à l'autre.
Donc la chose est entendue : pendant qu'on fait du A on ne sait pas ce qu'il se passe en B, ou alors c'est qu'on ne fait pas vraiment du A (vous me suivez ?). Ainsi on n'est pas un peu moins attentif au prof pendant qu'on est sur Faccebook, on est juste totalement absent de la pièce où se déroule le cours pendant une accumulation de temps : une somme de micro secondes, de secondes, de minutes ... Tout dépend du "switchtaking" qu'on est en train de pratiquer. On l'a compris, le multitasking n'existe pas !

A partir de là, la deuxième question surgit naturellement : si ce que l'on retire du cours switchtaské ( vilain mot !) suffit, alors il faut s'interroger sur le sens qu'il y a à continuer à dispenser les cours de manière classique. Et quitte à se remettre en cause, remettons à plat notre façon d'enseigner. Je n'ai évidemment pas toutes les réponses, mais le débat vaut la peine.

Mon avis est que si le prof est assez responsable de la qualité d'attention des étudiants il n'est pas responsable de tous les manquements à cette attention. Même le meilleur des profs aura du mal à capter 100% du temps d'attention de 100% des étudiants sur certains sujets pourtant nécessaires à aborder.
Enfin, l'assertion de "Anonyme" : "Si le cours est excellent, aucun multitasking n'aura lieu : les élèves seront attentifs" est une hypothèse raisonnable à formuler et intéressante à vérifier. Une hypothèse intéressante n'a jamais constitué une preuve ... même si mon intuition me porterait spontanément à "croire" ce qui est avancé. Et la croyance a peu de lien avec la vérité, même si elle ne l'exclut pas.

Yasmine 226 a dit…

Ce sujet soulève un autre problème qui est celui de la génération Y plongée dans le monde du travail.
Depuis de nombreuses décennies, les individus pratiquent le multitâche. Par contre les outils tel que Internet ou les réseaux sociaux ont augmentés le nombre de tâches que l’on peut exécuter. Ce multitasking comporte des conséquences. La génération Y, concernée par le multitasking a de la difficulté à se concentrer sur une seule tâche pendant une longue période de temps. Cette mauvaise habitude se poursuit dans le monde du travail. Ainsi professionnalisme, techniques de communication verbale et écrite, esprit d’analyse et connaissances en administration manquent souvent aux nouveaux venus sur le marché du travail. Il y a ici un grand défi pour les entreprises qui embauchent la nouvelle génération. Etant habitués à changer rapidement d’une tâche à l’autre, les Yers vont avoir besoin d’un management d’encadrement pour ne pas se laisser distraire facilement par toute source de distraction.

Anonyme a dit…

Selon moi, le Multi Tasking est une problématique dont il faut tenir compte et qu'il ne faut pas chercher à contrer. En effet alors qu'a une époque les élèves étaient habitué au quotidien à se concentrer sur une seul et unique tâche à la foi, et à tourner leur attention vers un élément précis à un instant T, aujourd'hui la génération dite Y est née avec les nouvelles technologies et le Multi Tasking fait parti de ses usages. Ce Multi Tasking ne rend pas forcement l'apprentissage plus ou moins efficace mais il est intéressant de l'étudier de manière à répondre à ses nouveaux usages, et susciter différemment l'intérêt des nouvelles générations.

François Guité dans son article “Les profs sont unidirectionnels, les élèves multi“ évoque cette problématique lié au décalage entre les usages des étudiants et celui de leurs professeurs. Il nous dit "de nombreux professeurs communiquent de façon unidirectionnelle (parfois bidirectionnelle) à un auditoire habitué au maillage multidirectionnel en simultané pour communiquer et apprendre". Peut être faudrait t-il adapter le cadre scolaire afin de perdre une partie de ce Multi Tasking qui fait perdre une partie de l'attention des élèves, et la rediriger vers un apprentissage nouvelle génération et adapté.

Marjorie 226

Anonyme a dit…

Le multitasking "scolaire" est à mon sens une pratique qui a démarré avec l'arrivée des téléphones portables et le développement des SMS. Dans un premier temps rares (car couteux) puis de plus en plus accessibles.
Sont ensuite arrivés les smartphones puis l'usage des ordinateurs en classe et enfin le Wi-Fi.
C'est à ce moment que le multitasking s'est je pense réellement développé.
Une pratique pas si vieille, nous n'avons pas appris à lire sur des tablettes connectées au Wi-Fi !
Mais qui c'est visiblement très bien installée et qui se développe très rapidement.
A la question de la modernisation du mode d'enseignement type e-learning/didactiels,
je pense qu'un élève ne peut se soustraire à l'interaction d'un cours "magistral".
Bien qu'il fasse plusieurs choses à la fois (cela ne concerne pas la totalité du cours comme on pourrait le laisser croire) il reste à l'écoute du professeur et des éventuelles interactions.
Parfois même il va chercher des informations/tableaux/schémas sur Internet pour compléter son cours ! Le multitasking permet aussi au élèves de compléter leur enseignement.
Quant à la courtoisie, le respect et la politesse, je rejoins complètement les avis de ceux qui préfèreraient voir ces écrans disparaitre. Il est assez désagréable j'en convient, de parler à un auditoire qui semble s'intéresser à autre chose.
Mais nous évoluons dans un monde où les comportements modifient les coutumes de courtoisies. Les actions qui avant paraissaient déplacées semblent aujourd'hui tout à fait innocentes.

Reste à savoir comment les prochaines générations gèreront le multitasking et comment l'enseignement fera face à cela.

Manuëlla226