mardi 26 janvier 2016

Publicité extérieure, affichage : quels marchés pertinents ?


Le développement formidable de la publicité sur supports numériques demande de reconsidérer la terminologie usuelle, et les classifcations, empiriquement construites, des médias et de la publicité. 

Quels sont, dans cette perspective, les marchés pertinents de l’affichage (posters, billboards) et de la publicité extérieure (Out-Of-Home -OOH - ou Outdoor) ? Nous mentionnons la terminologie anglo-américaine pour mieux faire valoir le flou des catégories utilisées en français (catégorisations importantes car mobilisées par le droit, l'économie, le marketing). La terminologie, c'est bien connu, peut constituer un champ de luttes. "Héritage de mots, héritage d'idées" !

Tout d’abord, affichage et publicité extérieure sont des notions différentes. L'affichage peut être considéré comme un sous-ensemble de la publicité extérieure.
  • L’affichage se définit arbitrairement, actuellement, par la nature technique des supports, matérielle, immobile : cadres et affiches (et colle), et, depuis quelques années, écrans (vidéo) ; le Digital-Out-Of-Home (DOOH) ayant par contagion pris, en France, le statut des affiches (mêmes régies...). De plus, l'affichage papier se technologise (rétro-éclairage LED, supervision), ouvrant la voie à l'interactivité.
  • La publicité extérieure (Out-Of-Home) peut se définir par l'aire de réception, extérieure au domicile, fréquentée "on the go", indépendamment des technologies. Il y a de plus en plus d'écrans, de capteurs et de Web, et, dès lors qu'il y a écrans, capteurs, Web, cloud, il y a possibilité de mesure numérisée des usages, collecte de données et commercialisation programmatique. TV, Web, DOOH : même combat !
Dans son analyse du marché publicitaire, l’IREP distingue cinq segments dans la publicité extérieure : digital, outdoor, transport, mobilier urbain, shopping (N.B. : ensembles non disjoints). Cette acception s’en tient au "média" traditionnel et exclut, de facto, ce que l’on appelle encore "hors média" (below the line).
Pour notre évaluation, nous incluons une partie du "hors média" dans la publicité extérieure : la publicité et la promotion sur le point de vente (PLV, in-store marketing), les foires et les salons. 
Nous y ajoutons la publicité dans les salles de cinéma (la situation publicitaire n'y étant pas différente de celle des gares ou des aéroports). 
Nous ne disposons pas des dépenses 
publicitaires pour le mobile en 2014
Enfin et surtout, il faut prendre en compte le Web et les applis de smartphones, dont les messages publicitaires sont reçus ("poussés") sur supports mobiles (smartphone), géo-localisés (adresse IP, GPS, Wi-Fi) ou contextualisés (beacon BLE, "Nearby" de iOS9, "Explore around you" de Google Maps). Ainsi, par exemple, l'appli mobile Google Now indexe des millions d'adresses (contextual understanding). Les opérations mobile-to-in-store avec notifications (couponnage, etc.) se développent.
Selon les objectifs publicitaires, on appréciera le degré de substituabilité de ces différents vecteurs.

Pour l'évaluation de leur contribution au marché pertinent, nous avons pris en compte, pour chaque segment de communication, les données IREP - France Pub de l'année 2014, dernière année complète disponible.
Les dépenses de communication des annonceurs nous ont paru plus judicieuses que le nombre de faces qui neutralise la qualité des emplacements, leur visibilité, les effets d'insertion dans des réseaux...
Selon les données IREP - France Pub, pour l’année 2014, le strict périmètre de l’affichage représente moins du tiers des dépenses des annonceurs de la publicité extérieure : 4 114 millions d’euros (valeur nette, cf. tableau supra). 

Le marché de la publicité extérieure s’avère diversifié. Son animation est le fait des points de vente où s’installent des écrans en réseau à l’initiative de la grande distribution ; elle est aussi le fait des foires et salons avec ce qu'ils impliquent d’événementiel. Globalement, l'animation du marché de la publicité extérieure est le fait du commerce, de la proximité des actes d'achat. Elle a pour objectifs, de manière indissociable, de maintenir et accroître l'image des marques (branding) et de développer les ventes : "Out of home builds brands and drives transactions" (OAAA).
L’essentiel de l’animation proviendra, de plus en plus, de la publicité recourant au Web et aux applis, qu’il s’agisse de search ou de display avec ciblage hyper-local. 
Notons que la télévision, une fois connectée (OTT), se positionnera sur ce marché, un message publicitaire cliquable, géolocalisé, renvoyant les téléspectateurs à un point de vente déterminé proche de chez eux et non plus à un réseau national de magasins. 

Le développement de la communication numérique bouscule la notion de marché pertinent pour la publicité extérieure ; il faut y intégrer ce qui se passe avec les smartphones (cartes, itinéraires, plans, collecte de données, interactions), et, surtout, il importe de substituer une analyse dynamique des forces en présence à un constat figé car les changements disruptifs ne préviennent pas longtemps à l'avance... Sur ce marché de la publicité extérieure ont commencé d’intervenir des acteurs disposant d'immenses moyens, Facebook (exemple : Local Awareness adverts), Google, et des groupes de télécommunication, entre autres (que l'on pense par exemple au travail de Google avec New York City (cf. Intersection pour LinkNYC ou MTA) ou encore au partenariat de Google Maps avec la SNCF pour la cartographie des gares françaises. La présence de ces groupes dans ces secteurs est encore peu visible et ils échappent aux outils de mesures classiques. Leurs capacités technologiques et financières peuvent en faire du jour au lendemain de redoutables concurrents des groupes actuels de publicité extérieure tant est disproportionnée leur capacité à recueillir et exploiter des données. En toute logique, à propos du marché publicitaire du métro de Londres, J.F. Decaux (16 mars 2016) compare la part de marché de JCDecaux à celles de Facebook, de Google et de la télévision (ITV, Channel 4). 
Le marché futur de la publicité extérieure sera un marché de data, de capteurs (sensors) et d'analyseurs de comportements. C'est le marché naissant de la ville intelligente (smart city) qui est en jeu dont les objets sont inter-connectés (Internet of Things).
Google, Facebook, Cisco, Intel, IBM ou Oracle participeront-ils aux prochains appels d'offres des collectivités publiques et des entreprises de transport ? Les renouvellements d'appels d'offre étant fréquents et le secteur de la publicité extérieure étant d'ores et déjà sensible aux technologies numériques si disruptives, la notion de marché pertinent ne doit-elle pas anticiper les évolutions numériques (les données économiques mobilisées enregistrent le passé, elles sont par construction en retard sur le marché en train de se faire, aveugles, or, dit-on, "competition is one click away").

En tout cas, il est urgent de remettre en chantier les périmètres des marchés médias pertinents, en rompant avec les découpages arbitraires, souvent sur le point d'être obsolètes et qui risquent de freiner le développement de marchés d'intérêt public.

N.B. voir les arguments d'une décision de the Australian Competition and Consumer Commission et le commentaire de Mark Ritson, dans The Australian Business Review, May 22, 2017.
Voir aussi MediaMediorum sur un autre juegment de concentration : (AT&T + Time Warner) : les médias traditionnels encore bien loin derrière

3 commentaires:

Unknown a dit…

Je suis assez d'accord avec les points soulevés dans cet article. La publicité extérieure présente en effet un potentiel énorme de croissance, grâce notamment à l'évolution technologique qui peut permettre à terme de créer des "smart cities" avec capteurs sensoriels, data, smartphones. Les possibilités sont énormes et terme d'innovation et de créativité.

Néanmoins, si l'ambition est grande, les résultats sont pour l'instant nuancés. Les publicités sur Smartphone/tablettes/ordinateurs agacent de plus en plus, au vu de l'importance du phénomène des adblocks. Et c'est pourquoi le modèle de l'affichage et de la publicité extérieur fonctionne encore, c'est un média non intrusif, qui s'impose à nous. Mais pour moi, si ce segment marche encore c'est justement parce qu'il ne demande pas trop d'interactions. Un système de publicité qui requiert une interaction, dans la rue, avec l'utilisation d'un smartphone, ou la captation de gestes, ne serait pas forcément efficace car les individus ne sont pas forcément prones à s'arreter et participer.

Par ailleurs, il y'a un réel enjeu de mesure de l'efficacité de ces outils. SI on peut à peu près bien mesurer l'efficacité ou au moins le contact avec la cible des publicités TV ou sur des supports numériques. Car si on installe des écrans tactiles ou interactifs, on ne peut mesurer que le nombre d'interaction, mais pour autant cet écran peut avoir été vu par beaucoup plus de monde.

L'affichage digital publicitaire a bien sur vocation à croitre, mais il ne faut pas oublier que pour l'instant il ne réprésente environ que 10% du total des investissements publicitaires extérieurs (type affichage), soit 105 millions d'euros (là où l'affichage représente 1,1 milliard d'euros)

Unknown a dit…

Je pense que la publicité extérieure et plus globalement l'ensemble des dispositifs digitaux mis en place dans des lieux publics (dooh) représentent pour les marques une vraie opportunité pour attirer l'attention de leurs clients potentiels et les convaincre d'une manière plus subtile qu'à travers les pushs via smartphones. De vraies réflexions stratégiques en amont sont nécessaires pour réussir à attirer l'oeil de ses clients au bon endroit, au bon moment, et à travers le bon support, tout cela en proposant une "expérience" qui soit fidèle aux valeurs de la marque et répondant à ses objectifs stratégiques. Choisir le "bon endroit" et le "bon moment" sont d'autant plus importants lorsqu'il s'agit d'un dispositif extérieur car les passants sont souvent pressés, parfois en retard, ou même s'ils ont un peu de temps ils ne sont pas prêts à le perdre pour quelque chose qui n'ai pas d'intérêt ni de satisfaction directe voire immédiate pour eux. C'est donc un vrai challenge pour les marques, qui, s'il est mené à bien, peut aboutir à des résultats très satisfaisants.
Pour illustrer mes propos, un cas récent me vient en tête : celui du dispositif mis en place par Canaplay au mois de novembre dernier pour recruter de nouveaux abonnés et promouvoir leur nouvelle offre de formats courts. Il s'agissait d'un écran digital interactif placé dans un abribus, permettant d’accéder à une variété d’épisodes, d’une durée au choix de 5, 9 ou 11 minutes. Les utilisateurs étaient invités à pluguer leurs écouteurs pour accéder au contenu sonore.
Ce qui est intéressant dans ce cas c'est la réflexion en amont, et le choix de l'emplacement. En effet, le choix de l'abribus est très pertinent car en attendant que le bus arrive, les minutes semblent vite très longues et les gens ont tendance à s'ennuyer. Leur proposer un contenu vidéo est donc une bonne solution pour les divertir, d'autant plus que le contenu en question a une durée très courte donc adaptée au temps d'attente. Les gens ont donc tout intérêt à l'essayer ! Ce dispositif a beaucoup fait parlé de lui car c'est un dispositif assez innovant et plutôt bien réfléchi et je suis certaine qu'avec un peu de créativité, les marques réussiront de très belles campagnes outdoor.

Damien a dit…

Bonjour, excellent article et excellente réflexion. L'avantage de la publicité extérieure est qu'elle est matérielle et qu'elle est présente sur les différents axes de mobilité. Dans un monde où il y a de plus en plus de flux humains cela s'avère intéressant. C'est la raison pour laquelle la publicité extérieure restera indémodable.