mardi 23 août 2016

Fearless, documentaire sportif : le rodéo vu par Netflix


La télévision américaine diffuse depuis longtemps des documentaires consacrés aux sports sur des chaînes comme HBO, ESPN, Epix... Netflix investit à son tour ce créneau avec un sujet inattendu consacré aux Bull Riders brésiliens et américains qui montent des taureaux pour en faire un spectacle, un sport professionnel, sous la houlette de PBR (Professional Bull Riders).
Documentaire en 6 parties, "Fearless" est produit par Brazil Production Services et diffusé par Netflix depuis le 19 août 2016. Le documentaire filme et sérialise le "tour" de ces professionnels, "tour" qui commence au Brésil (Barretos, Sao Paulo) pour s'achever en finale à Las Vegas (PBR World Finals).
Une partie du tournage, réalisée en portugais, est sous-titrée en anglais.
Sport issu du métier de cow-boy et de l'élevage bovin (dressage des taureaux, suivi vétérinaire). Codifié précisément pour permettre des comparaisons, des classements, des commentaires, des annonces, etc. ce sport nouveau présente de plus en plus une structure spectaculaire analogue à celle des sports traditionnels.


Le thème dominant de la série est le danger et la peur. Danger : les blessures sont graves, handicapantes souvent. Peur du danger qu'il faut combattre avant chaque rodéo (faut-il être sans peur, "fearless" pour gagner ?), crainte rarement avouée des taureaux écumants qui font des sauts prodigieux pour désarçonner leur cavalier qui se cramponne à la corde (bullrope). Au bout du danger et de le peur, brille l'espoir de la gloire et de l'argent. Malgré les drames, la série est illustrée de rêves d'enfants, de la fierté des familles : toute la féérie et le folklore des sports dans une société du spectacle. La série, selon Netflix, explore la "condition humaine".

Grâce à son étrangeté, ce sport que nous ne connaissons pas en Europe permet de percevoir toute l'économie du spectacle sportif, tous ses ingrédients : arènes, mise en scène, hymnes nationaux, uniformes (couverts de publicité), gestes religieux, pin-ups, parrainage, sonorisations assourdissantes, discours de célébration et d'exagération qui empruntent à la réthorique religieuse. "Les dieux du stade", disait-on (cf. "die Götter des Stadions", 1936, film de Leni Riefenstahl, cinéaste hitlérienne).
Qu'est-ce qu'un sport ? Construit par tout un champ d'acteurs autour d'un enjeu économique dont la dénégation est partie prenante : sportifs, sponsors, agents, organisateurs (fédérations qui luttent pour le monopole de la légitimation) et fans. L'avénement d'un sport dans certaines compétitions (jeux olympiques), et sur certaines chaînes est l'étape finale de la légitimité... L'histoire de ESPN2 (lancé en 1993) est une illustration de cette légitimation progressive de sports alternatifs par la télévision : sports extrêmes, lumberjacking (scieur de bois, bûcheron), billard, beach volleyball, VTT, snowboard, BMX, etc. : sports jeunes dont les droits sont encore accessibles et dont l'audience est à construire. Le rodéo est au tout début de ce parcours de légitimation, Netflix y contribuera.

Cette série documentaire témoigne de la stratégie constante de Netflix : diversification de l'offre au-delà de la fiction (séries, films), avec des émissions moins chères, émissions pour enfants, animes, talk-show ("Chelsea"), voici maintenant le tour des contenus dits de "niche" ; internationalisation aussi, avec un pluri-linguisme recourant au sous-titrage (ce qui réhabilite cette technique et ce mode de consommation inhabituel aux Etats-Unis). Netflix rentre dans le sport par le documentaire de niche et se tient à distance des retransmissions sportives en direct.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Netflix - afin de se développer sur tous les territoires - DOIT produire du contenu local. C'est le cas avec la série "Marseille" dont l'idée a été de créer un "House of Card" à la française pour atteindre le public français. Même si la série n'a pas rencontré le succès prévu, cela reste tout de même un exemple concret de sa stratégie. Produire du contenu pour un marché local pour étendre sa clientèle représente un coût que Netflix peut se permettre pour le moment. La création est donc guidée par le client final et non plus par l'envie d'un créateur...voici un débat qu'il serait intéressant de mettre sur la table.
Jean-BenoîtHenry226

Unknown a dit…

La diversification des contenus sur Netflix est en effet un des enjeux de la plateforme. Le sport est alors l'un des catalyseurs de la concurrence qui l'oppose à Amazon Prime Video. Si Amazon Prime Video est la seule des deux plateformes de SVOD à proposer des rencontres sportives en Live (cf. Les 10 matches de NFL du Thursday Night Show), les deux plateformes se rencontrent sur l'ère du documentaire sportif.

Une autre approche, celle des coulisses du sport et de la vie des sportifs qui leur permet un fort taux d'engagement et un suivi du public. En effet, la série tête d'affiche de Netflix sur ce secteur se nomme "Last Chance U". Cela fait directement écho au désir de diversification perçu dans cet article abordant le programme de rodéo.

Dans "Last Chance U", les équipes de Netflix suivent pas à pas les joueurs et staff de l'équipe de EMCC (East Mississippi Community College), et ce depuis 2 saisons, tandis qu'une troisième saison est en tournage actuellement pour une sortie en 2018.
De son côté, Amazon Prime Video, grand rival de Netflix propose une série similaire en tout points: "All or Nothing". La grande différence, c'est qu'ici nous suivons pas à pas l'équipe des Cardinals de l'Arizona (équipe professionnelle) dans leur quête du Graal (Une victoire au Superbowl).

Bien qu'il existe un désir de diversification, les deux plateformes ne se réinventent pas complètement. Elles cherchent surtout à capitaliser sur leur savoir-faire en créant de l'engagement autour de leurs séries sportives. Les téléspectateurs s'attachent aux personnages et aux objectifs des équipes, peut-être même davantage qu'au sport en lui-même. Cependant, cette diversification est très intéressante et laisse envisager que Netflix puisse aller plus loin en proposant les matches en live de l'équipe qu'elle suit depuis 3 saisons maintenant.

À n'en pas douter, Amazon Prime Video a déjà pris une longueur d'avance de ce point de vue en s'octroyant les matches de NFL du jeudi soir pour 10 millions de Dollars.

Loïc Ferreira