lundi 23 juillet 2018

Netflix et les GAFA. Le bal des acronymes


Le journalisme comme la pédagogie produisent des simplifications et parfois en abusent : on avait les GAFA pour désigner un groupe de quatre entreprises ayant en commun d'être américaines d'origine, de réaliser un énorme chiffre d'affaires et d'afficher une capitalisation boursière extraordinaire et une croissance soutenue. De cet ensemble, on extrait le duopoly, sous-ensemble désignant Facebook et Google caractérisés par leur domination du marché publicitaire aux dépens des médias (publishers, legacy media) mais aussi avec leur complicité intéressée.
La faiblesse conceptuelle de l'acronyme GAFA est gênante. Certains y ajoutent Netflix pour créer les FANG (Facebook, Amazon, Netflix, Google) ou FAANG (Facebook, Apple, Amazon, Netflix, Google) ou FAMGA, ensemble qui inclut Microsoft (GAFAM). Où met-on la barre ? Quid de Snapchat, de Twitter, de Spotify, de IBM ou Oracle, Adobe ?
L'hétérogénéité arbitraire de ces ensembles est flagrante. Ne vaut-il pas mieux s'appliquer à distinguer clairement ces six entreprises, plutôt que s'obstiner à les confondre ?
Simplifions, sans entrer dans le détail des diversifications en cours ou à l'essai en ne retenant que les principaux éléments de leur chiffre d'affaires.
  • Facebook et Google sont des supports de publicité et collectent des données avec l'accord, au moins tacite, de leurs utilisateurs, en échange de services (réseau social, courrier, messagerie, cartographie, etc.). L'essentiel de leur chiffre d'affaires (86% pour Alphabet / Google, la totalité pour Facebook) provient de ces métiers. Leur présence sur le marché vidéo et TV est significative (YouTube TV).
  • Netflix produit et distribue des films, des séries TV mais n'a aucun revenu publicitaire ; si Netflix étudie les comportements de ses abonnés (données de consommation), il ne se préoccupe évidemment pas de mesure publicitaire de l'audience (ignorant superbement Nielsen et consorts). En revanche, Netflix est annonceur et contribue au chiffre d'affaires des médias traditionnels dont il est par ailleurs client (achat de droits de séries, de documentaires aux studios, etc.). Netflix est un pur média (pure player).
  • Amazon est une entreprise très diversifiée : AWS (cloud computing, serveurs, etc.), production et diffusion de video (Prime Video), distribution de produits de toutes sortes (logistique, livraisons), points de vente. Amazon est un support de publicité, de plus en plus important, innovant. C'est aussi un annonceur.
  • Apple conçoit, fabrique et vend des appareils (ordinateurs, téléphones, tablettes, montres) et des logiciels pour les utiliser (servcies). De là provient l'essentiel de son chiffre d'affaires. Apple est annonceur et n'a pas de revenus publicitaires (sauf les App Store Search Ads). Tout comme Netflix, Apple ne se sert pas des données d'observation de ses clients à des fins publicitaires ; tout comme Netflix, il n'appartient pas à ce que son président a stigmatisé du nom de "data-industrial complex" (Tim Cook, 23 octobre 2018). Apple a ses propres points de vente. 
  • Microsoft conçoit, réalise et vend des logiciels : Windows, Azure (cloud computing, etc.). Microsoft est support de publicité et collecteur de données personnelles, notamment avec MSN, Skype et LinkedIn (qui s'apparentent à des réseaux sociaux). Microsoft est également annonceur. 
Du point de vue des médias traditionnels dont le modèle d'affaires est largement fondé sur la publicité, Netflix et Apple ne sont pas des concurrents directs ; au contraire, ce sont des annonceurs courtisés par les médias et les agences média, des clients prestigieux.
La fureur de dénoncer peut conduire à tout confondre. Les seuls points communs de ces six entreprises plurinationales sont d'être américaines (côte Ouest) et de recourir à un mode de production et distribution numérique fondé sur l'intelligence artificielle (données, machine learning, algorithmes, etc.) .
En confondant, on occulte. On occulte surtout la faiblesse croissante des médias traditionnels, particulièrement européens et les causes profondes, structurelles de cette faiblesse.

Si l'on n'y prend garde, les expressions GAFA, GAFAM ou FAANG constituent des obstacles épistémologiques à la connaissance économique, elles relèvent des obstacles de type linguistique ("habitudes toutes verbales", disait Gaston Bachelard), denkmittel biaisant ou bloquant l'analyse et la compréhension. La douteuse évidence de ces pseudo catégories nuit à la clarté. Qui a intérêt à cette confusion ?

Ce que vendent ces entreprises, principalement 
Référence

  • Gaston Bachelard, La formation de l'esprit scientifiques. Contribution à une psychanalyse de la connaissance objective, Paris, Vrin, 1934.

Aucun commentaire: