lundi 27 août 2018

The Pencil is Back: from Thoreau to Google


Plate celebrating Thoreau as pencil-maker in Library Way,
a street leading to the New York  Public Library (picture FM)
With computers and tablets, we can now use a pencil. Henry David Thoreau would have enjoyed it, for sure. since the American writer and philosopher managed his father's company producing pencils. Following his student years at Harvard (1837-1840), Henry David Thoreau worked in his fathers' factory. He improved the fabrication of pencils by creating a new mix of graphite and clay; his pencils became famous.
Not to forget: there is a National Pencil Day, celebrated on the 30th of March!

The new "digital" pencils use a screen as one uses paper. One can write, annotate, create notes, draw with different colors and widths, erase; one can search too, select and copy text, pictures, etc. One can use the pencil as a magnifying glass or as a laser pointer. The old pencil, the "stylus", and its associated gestures and ergonomy conquer the computer. And returns to tablets. Eternal history of media culture; the old survives in the new. The Pixelpen imitates the pencil like the Amazon Kindle imitates the book; like the computer with its keyboard has imitated the typewriter, like paper has imitated the wax tablet... Every media disruption exploits a tradition and createzs a new one.
With the new Pixelbook, a "slate" from Google, is a Pixelpen sold separately (with a cute little "pen loop" to attach the pen to the keyboard, see picture infra). The Pixelpen uses a small battery.
"Who wants a stylus?" asked Steve Job in 2007, making fun of the Palm Personal Digital Assistant. Well, the stilus is back! And, of course, "one more thing": there is an Apple Pencil that charges when attached to an iPad!
"Stilum prendere" (take a stylus), Cicero used to say some twenty centuries ago! Nothing in the media is absolutely new...

Pixelbook and Pixelpen (Google)
References
Henry Petroski, The Pencil. A History of Design and Circumstance, New York, Alfred Knopf, 2010 (cf. chapter 9, about Thoreau: "An American Pencil-Making Family".

jeudi 23 août 2018

Les médias sociaux des enfants passent au papier

Swan & Néo. Le magazine officiel, 5,9 €, 68 p., Mondadori France, N°1 juillet 2018.

Le succès des influenceurs sur les réseaux sociaux ne serait pas aussi parfait s'il n'était complété par des magazines papier, qui leur permettent de bénéficier du réseau de distribution de la presse et de l'exposition incomparable qu'il apporte. Hybridation multicanal ?
En partenariat avec le magazine Closer Teen, Swan & Néo s'adresse aux enfants qui ont l'âge de fréquenter l'école élémentaire et les premières années de collège. Swan a bientôt 7 ans et Néo 13 ans. Dès l'édito, nos deux héros et acteurs se vantent de leur puissance sur les médias sociaux, YouTube et Instagram surtout. Les chiffres mis en avant ont de quoi faire pâlir n'importe quelles données de diffusion ou de lectorat de la presse pour enfants : ici, on parle en millions avec YouTube (près de 4 millions d'abonnés) et en milliards avec Instagram ("2,1 milliards de vues") : leur "famille de cœur", famille très étendue ! Miracles des analytics !

Comme pour L'Atelier de Roxane (réalisé par le même éditeur), les quatre membres de cette famille sont au centre du magazine, avec ses animaux (lapin, poissons rouge et jaune, hamster et cochon d'Inde). Tous sont tour à tour acteurs des vidéos que tourne quotidiennement la maman, Sophie. "Le métier de vivre" à l'époque du numérique, en quelque sorte. Les parents sont producteurs.
Le premier numéro comprend notamment des articles sur les parcs d'attraction (avec une pub en page 4 de couverture), sur les divertissement des enfants : jeux vidéo, mangas, BD, jeux de plage... Beaucoup de photos (l'album), peu de textes, généralement brefs (sur le mode SMS, avec les inévitables expressions empruntées à l'anglais). Un article sur Snapchat, un sur le look (vacances d'été et rentrée), un cahier de jeux, et surtout des idées de shopping, 12 pages : vêtements, accessoires, gadgets, mentionnant les marques et les prix (rédactionnel ou publicité, native advertising ?).

Ce type de magazine emprunte beaucoup à la presse enfants traditionnelle mais elle se rapproche aussi parfois du unboxing, pratique de marketing apparue aux Etats-Unis, il y a plusieurs années, très populaire sur YouTube, qui consiste à filmer le déballage d'un produit, d'un appareil (on dirait parfois du téléachat). Swan & Néo représente l'une des évolutions possibles de la presse enfants, plutôt tournée vers la consommation que l'éveil et en synergie avec les médias sociaux.
Influenceur est un métier. Métier lucratif pour les parents ? Quid des enfants ? Le travail des enfants étant réglementé, l'Observatoire de la parentalité et de l'éducation numérique (OPEN) s'est saisi du sujet : "les enfants stars sur YouTube, bonne ou mauvaise idée ?" Le débat est lancé...
A rapprocher de l'interdiction récente du  téléphone portable à l'école. Nos sociétés et les institutions d'éducation doivent apprendre à vivre avec les médias sociaux tout comme il leur fallut apprendre à vivre avec la radio et la télévision.
Faut-il laisser le champ libre aux médias sociaux ?

Références
  • Cesare Pavese, Le métier de vivre (Il mestiere di vivere: diario 1935-1950, Einaudi, 1952), traduit de l'italien, Paris, éditions Gallimard.
  • MediaMediorum, Social media at the French newsstand


lundi 20 août 2018

Multitasking? No way!

Cambridge (Mass.), August 2018 (photo FM).


Between Harvard University and the Massachusets Institute of Technology (MIT), a poster warns students: do not multitask, don't cross the street while texting or reading. "Please, put down your phone".


Also, "There is no next if you text", warns a commercial from the US National Security Council... which reports that "cell phone use while driving leads to 1.6 million collisions in the U.S. alone each year". No texting while driving!

Deadly smartphone, not so smart users.

lundi 13 août 2018

Regain. Journal de campagne pour citadins inquiets


Regain. Journal de campagne, 146 p. trimestriel, été 2018, 7,5 € (abonnement annuel : 25 €), grand format, avec un Carnet pratique inséré (16 pages de recettes en tous genres).

Regain se veut un "journal de campagne" au positionnement nouveau : "Regain célèbre le progrès agricole, la nouvelle génération paysanne, les métiers de la ferme, la vie animale, la bonne chère, les balades en campagne et les feux de cheminées". Pourquoi Regain ? Le titre proclame une philosophie écologique qu'énonce l'édito de la directrice de la publication, Daphné Hézard : "l'urgence de ralentir", "l'art de vivre à la campagne", "le regain pour les sols sains", pour l'agriculture biologique, contre "l'agriculture intensive". Regain s'adresse aux citadins stressés qu'inquiètent de plus en plus la mal bouffe, le bruit, la pollution, le réchauffement climatique, le massacre de l'environnement urbain, citadins qui éprouvent de plus en plus un "désir de campagne". Le mot "Regain" connote encore un peu Jean Giono (cf. p. 142) et son roman publié en 1930, adulé par le pétainisme ; une photo noir et blanc, intitulée "pensée", est une référence ambigüe qui pourra être mal comprise et n'est pas nécessaire... Le mot "regain" évoque surtout une seconde jeunesse, celle des prairies (seconde coupe), des figuiers et des gens. Tout le magazine respire la douceur de  vivre - et de travailler ? - à la campagne, le retour à la nature, aux produits bio, la biodiversité.... Tentation nostalgique d'une civilisation rêvée qui n'a pas existé, tentation que produit et alimente une urbanisation galopante. Gare aux risques d'utopie !

Regain milite pour des villes vertes, des villes intelligentes au service des piétons et des cyclistes, un aménagement du territoire respectueux du monde rural ; soucieux d'avenir, Regain milite pour les toutes prochaines générations. Ce titre se distingue radicalement de la presse agricole professionnelle, réunie dans le Syndicat National de la Presse Agricole et Rurale (SNPAR), qui compte plus de 130 titres (je n'inclus pas la presse dite cynégétique, presse des chasseurs), titres spécialisés par pratique et souvent localisés. Dans le sillage de Regain, il faut plutôt évoquer les titres conçus pour tous ceux et celles qui veulent Vivre BIO ("Nature et bien-être", précise ce titre en sous-titre). Combien de titres et de hors séries mettent en avant le "bio" ? D'après nous, plus d'une centaine de titres nouveaux et de hors séries au cours des quinze dernières années, beaucoup portant sur l'alimentation, la diététique et la cuisine mais aussi le jardinage (le potager), la santé, les cosmétiques.
Magazine lancé en 2008, 4,2€. Bimestriel

La structure rédactionnelle de Regain est classique qui, aux articles de fond, ajoute une rubrique mode présentant des articles associés au mode de vie à la campagne, au travail agricole... une rubrique littéraire, une rubrique cuisine / gastronomie... Beaucoup de portraits (militants écologistes, héros actuels ou anciens du retour à la nature, etc.), évocation touristique d'un village, des articles sur les vaches, sur "l'analyse microbiologique des sols", sur l'ostréiculture, sur les poules, sur le marché... Un article bienvenu sur les "prairies connectées" traite de l'agriculture numérique (agtech : financements participatifs, robots agricoles, logiciels de gestion commerciale, drones) ; on attend davantage de réflexions sur l'apport des outils numériques au retour à une agriculture plus humaine, plus respectueuse, des sols, de l'eau, des arbres, des animaux, de la santé... La solution ne peut se trouver dans la réaction, le refus des innovations scientifiques et techniques, les retours en arrière ; la solution emprunte certainement à certains aspects de l'économie numérique : intelligence artificielle, capteurs, internet des choses, cloud computing, 5G, connected farm, smart irrigation ...
Une dizaine d'annonceurs sont présents dans ce numéro, certains bien intégrés dans leur contexte : De bonne facture (vêtements fabriqués en France), Kokopelli (semences biologiques), la fondation Goodplanet, luniform.com (sacs de toutes sortes), Trunk (vêtements, chaussures), Monocle (shampoing, soins), Buly (cosmétiques d'origine naturelle, opiat dentaire), France Culture (station de radio du secteur public), Hermès (bijoux)...
Regain est-il un magazine politique ? Sans doute ! Regain pose des problèmes quotidiens, vitaux, que l'on ne saurait éluder bien longtemps et qui sont des problèmes politiques cruciaux ; la question agricole ne peut être réduite à la discussion bureaucratique des subventions européennes. "La ruralité est une chance pour la France", titrait un hors-série de Village (octobre 2016) sur "le pouvoir des campagnes", Village qui titre en août 2018 sur "le grand retour des métiers manuels", sur le bio...

Magazine séduisant et raisonnable, discutable (stricto sensu), Regain invite au débat, à la réflexion : qu'en est-il du réalisme économique des solutions évoquées dans le magazine ? Certaines peuvent sembler un peu romantiques, certes, mais que penser du réalisme économique du système actuel, de ses erreurs et de ses horreurs ? Magazine généreux, élégant, écrit, avec de belles photos, copieux, à lire et consommer lentement, à appliquer aussi, à ruminer ; il y en a bien pour un trimestre. L'évolution de ce titre innovant sera suivie avec intérêt : la ruralité sera désormais de plus en plus moderne.


Références

Repenser la vie dans les villes, à propos d'un livre blanc de JCDecaux, Villes. La nouvelle donne

Faire son chemin, sans média

Vivre autrement ? Quelle place pour le numérique. A propos de Tom Hodgkinson

Richard Golsan, "Jean Giono et la « collaboration » : nature et destin politique", Mots. Les langages du politique, 1998, pp. 86-95 in Persée

lundi 6 août 2018

Dans la jungle de l'orchestre : série musicale


"Mozart in the Jungle" est une série produite et diffusée par Amazon Studios, (février 2014 - février 2018, soit 40 épisodes de 30 minutes) ; le scénario reprend le mémoire autobiographique d'une hautboïste, Blair Tindall, Mozart in the Jungle: Sex, Drugs, and Classical Music (Atlantic / Grove Press, 2005).
La série a obtenu deux Golden Globe Awards en 2016 ("best comedies series" et "best actor"). Amazon a cessé la production après la quatrième saison, en avril 2018.

Quelle jungle ? La "jungle des villes" (Bertolt Brecht, "Im Dickicht der Städte", 1921) où se déroule l'action, New York, Venise, Tokyo ou Mexico ? Certes mais surtout la jungle de l'orchestre, monde sans pitié ni indulgence. Mozart, c'est la musique classique et l'opéra, mais c'est aussi le génie empêtré dans la ville, Vienne ou New York (on entend la chanson : "New York, Concrete jungle where dreams are made of".
Les deux héros principaux sont complexes et attachants. D'abord Rodrigo, chef iconoclaste, mexicain, maestro trentenaire, fantasque, invité à diriger le New York Symphony Orchestra, dont il remplace le chef conformiste et vieillissant ; grâce à Rodrigo, on entend beaucoup d'espagnol et d'italien. Et puis, il y a la jeune hautboïste, Hailey, frémillante et impatiente, qui occupe dans l'orchestre le pupitre difficile de second hautbois.
La jungle, ce sont d'abord les conflits d'ego et d'intérêts, les rivalités entre musiciens, les privilèges des uns, la relégation des autres. Instrumentistes que menacent, lancinantes, la perte auditive, la dystonie, l'arthrose (doigts, poignets) : fragilité à mettre en regard avec la somme d'efforts constants et de gestes répétés que requiert une pratique instrumentale professionnelle d'un tel niveau.

La série rappelle qu'un orchestre est une entreprise ; comme telle, elle doit équilibrer son budget et trouver des financements. Les musiciens, syndiqués (unionized), revendiquent et défendent leurs droits, âprement, comme tous les salariés : augmentations, pauses réglementaires, couverture médicale, retraite. Mais le talent ne suffit pas, pour que l'orchestre lève de l'argent, il lui faut courtiser les riches supporters, mécènes et parrains. Les musiciens doivent également se plier aux exigences du marketing et des médias, en accepter les contraintes commerciales parfois humiliantes. Ce sont les lois invisibles de cette jungle que la série met en scène ; des coulisses et des bureaux, où elles agissent d'habitude discrètement, la série les fait passer au premier plan, suivant le théâtre grec où l'orchestre désignait le devant de la scène, là où évoluait le choeur, juste devant les spectateurs. Comédie documentée : "sexe, drogue et musique classique", titre le mémoire d'origine. Il faut ajouter argent et voyages !
Conflits de génération, conflits de culture, conflits d'intérêt entre les gestionnaires, les musiciens, l'avocat d'affaires qui les représente, les administrateurs, les mécènes et parrains. La vie de Mozart est évoquée en arrière-fond : allusions à son père, sa sœur, à Antonio Salieri (Vienne), à Hyeronimus von Colloredo (Salzbourg), vie à laquelle Rodrigo s'identifiera au cours de dialogues imaginaires... Rodrigo, c'est Mozart.

L'orchestre est une société, un groupe où s'observent les affinités, les hiérarchies d'instruments (les cordes / vents / cuivres / percussion, etc.) qui sont autant de hiérarchies sociales, les flirts, les amitiés, les amours, les jalousies, les frustrations (tuttistes / solistes) : "le musical c'est du social" (cf. Bernard Lehmann, o.c.). Au-delà de l'autobiographie et de son réalisme, la série s'avère une illustration d'un travail sociologique, la comédie en prime. On ne s'ennuie jamais au cours des deux premières saisons ; ensuite, l'intrigue s'effiloche. La saison 4 introduit un robot humanoïde qui, ayant avalé toutes les données de la vie et de la musique de Mozart, se propose, grâce au machine learning, d'achever le "Requiem". Comme il semble bien difficile aux acteurs de simuler le jeu des musiciens, aussi de nombreuses rôles sont interprétés par des musiciens professionnels... qui jouent les acteurs.
La bande son est superbe, évidemment (cf. tunefind) : Mozart mais pas seulement, Olivier Messiaen, Franz Liszt, Ludwig van Beethoven, Gustav Mahler...
N'oublions pas qu'un orchestre peut jouer sans chef : Les Dissonances ou I Musici. La jungle sans roi ?


Références
  • Bernard Lehmann, L'orchestre dans tous ses éclats. Ethnographie des formations symphoniques, Paris, Editions La Découverte, 22 €
  • Norbert Elias, Mozart. Zur Soziologie eines Genies, Frankfurt, Suhrkamp
  • Theodor Adorno, Einleitung in die Musiksoziologie, Zwölf theoretische Vorlesungen, 1961-62, Frankfurt, Suhrkamp
  • "Blair Tindall and the Classical Music 'Jungle", NPR, August 8., 2005 
  • Philippe Greiner, "Mozart et l’archevêque de Salzbourg: les voies d’une incompréhension", Transversalités, 2008/3, N°107, pp. 125-140.