mardi 2 octobre 2018

L'élection fait la télévision : la société du spectacle politique


On ne sait toujours pas si, comme l'imaginaient les recherches en sciences politiques autrefois, la télévision peut faire l'élection. En revanche, on sait, avec certitude, que l'élection peut faire de la télévision.
Nouvelle illustration. La télévision américaine offre actuellement un feuilleton étonnant : il s'agit de la nomination d'un juge à la Cour Suprême (SCOTUS). No more than that! Nomination qui passe par le Senate Judiciary Committee où s'affrontent les sénateurs.

Tous les ingrédients pour une série TV sont réunis. Une histoire de harcèlement sexuel (sexual assault), grave mais ancien, qu'excuseraient l'alcool et l'âge du perpétrateur, selon la défense. Une victime courageuse, émouvante, ignorante des usages juridiques, qui plaide la cause des femmes. L'accusé : un juge suprême potentiel, défendu avec hargne par le Président de la République qui l'a choisi. Revirement au dernier moment (cf. infra) : contre toute attente, un sénateur Républicain (Jeff Flake (on n'échappera pas au "flake news and misconduct"!), obtient une semaine d'investigation supplémentaire par le FBI. La décision du Sénat est reportée d'autant. Suspense...
Résultat : plus de 20 millions de téléspectateurs, affirme Nielsen, audience répartie entre les 4 networks commerciaux nationaux ainsi que CNN, Fox News, MSNBC ; à quoi il faudrait ajouter PBS, C-Span, Univision, Telemundo, Fox Business News, les réseaux sociaux, etc. Score digne d'un match de foot ou de la cérémonie des Academy Awards, souligne AP. Et pas de droits audio-visuels à payer, acteurs gratuits.

Hélas, par delà les affres et le ridicule de la société du spectacle politique, l'enjeu réel est formidable qui conditionnera la vie des femmes américaines pendant longtemps. Car ce juge insoupçonnable est bien sûr hostile à la liberté de l'avortement. Et il va siéger à vie. Tout cela serait comique, si ce n'était tragique. Une femme en colère, apostrophant le sénateur Jeff Flake à l'entrée de l'ascenseur (cf. infra) stigmatise l'inanité dramatique de la décision politique : “you have power when so many women are powerless”.

Un jour, peut-être, de cette histoire vraie on fera les beaux jours d'une série télé, sans doute pas très bonne, car Nicolas Boileau nous a mis en garde :  "Jamais au spectateur n’offrez rien d’incroyable" // Le vrai peut quelquefois n’être pas vraisemblable."  Art Poétique, Chant III

Le Sénateur Jeff Flake apostrophé à la porte de l'ascenseur : il changera son vote à la suite de cette intervention

7 commentaires:

Unknown a dit…

On se rend compte que la politique, notamment ses affaires et ses scandales, prend une place de plus en plus importante à la télévision. C'est également valable en France avec dernièrement l'affaire Benalla dont les auditions et les sujets du type reportage/enquête font des records d'audiences sur les chaînes TV.
Comment expliquer cet intérêt soudain pour ces affaires ? Les scandales politiques peuvent-ils devenir la prochaine télé-réalité à succès ? Les séries comme House of Cards ont-elles joué un rôle dans cette prise d'intérêt, de conscience, et l'importance que prennent ces diffusions ?

Camille Desroches a dit…

On pourra noter que ce phénomène est également très français !
En effet, la politique française est retraduite via de nombreux moyens : tout d’abord, beaucoup de séries comme Baron Noir sur Canal + retracent la vie de personnages politiques marquants (à tel point que le réel a parfois rattrapé la fiction…). On remarquera d’ailleurs dans cette série que la course à l'Elysée cristallise l'essentiel du récit et dicte les actions des personnages.
Mais, il n’y a pas que la politique qui est reproduite : il existe beaucoup de documentaires sur les derniers procès marquants de la société comme le documentaire sorti récemment sur Jacqueline Sauvage notamment.

Alors, les politiques inspirent-ils à ce point là les sociétés de production ou les français seraient-ils trop friands de télé réalité politique ?

Unknown a dit…
Ce commentaire a été supprimé par l'auteur.
Oury Caroline a dit…

Les élections politiques et notamment présidentielles constituent des évènements médiatiques lors de débats télévisés aussi bien aux Etats-Unis qu'en France.
Il est devenu habituel pour les principaux candidats de s'engager dans un débat télévisé. L'objectif est de convaincre les indécis à quelques mois des élections pour faire pencher la tendance en la faveur d'un candidat, avec des sujets qui divisent l'opinion ou d'actualité.
En France, beaucoup d'études réalisées en sociologie des médias constate le succès d'audience des débats et émissions télévisées consacrés au scrutin présidentiel. Cela peut être surprenant à l'heure où la télévision est concurrencée par internet et les réseaux sociaux... Mais la télévision demeure le média de masse où il est possible de s'adresser à ses adversaires et aux indécis tandis qu'internet ou les réseaux sociaux n'intéresse que certains fans ou militants.
Ce constat permet d'admettre que la place de la télévision lors des élections a une importance mais cela ne suffit surement pas pour remporter un scrutin?

Unknown a dit…

La politique et les médias ne sont-ils pas destinés à devenir de plus en plus proches dans les années à venir?
Quand nous regardons le nombre de série (à succès) sur la politique (House of Cards, Designated survivor), on peut se demander si les personnes regardent la politique essentiellement pour le débat d'idées ou pour le "show" que les candidats nous proposent.
En Amérique du Sud, les médias et les chefs de gouvernement (en particulier Chavez) ont toujours eu des liens étroits mais proches à la fois: tous les dirigeants comptaient sur les médias pour parfaire leur image. Chavez avait par exemple créé une radio ou il y racontait son quotidien, mais également à la television ou il se mettait en scene. De l'autre cote, chaque media contre son gouvernement devenait très vite censuré.
Aujourd'hui, nous avons l'impression que la guerre et le combat entre les candidats devient plus médiatique que sur les idées elles memes: qui aura la meilleure punchline, la meilleure video de la semaine pour pouvoir faire parler de lui?
Il est essentiel et important de limiter ce phénomène, qui risque de profiter essentiellement aux candidats "outsiders".

Eva Hulin a dit…

Tout est prétexte à faire de la télé-réalité aux États-Unis. Quand on voit le nombre de TV show provocants et invasifs de la vie privée comme les "court show" (The People's Court, Judge Judy, Judge Mathis etc.), ou autres talk shows médicaux comme Dr Phil ou The Doctors, on s'étonnerait presque que ce programme n'ait pas fait son apparition bien avant !

Talel Habachi a dit…

Pour rebondir sur les précédents commentaires, je pense que ce programme est différent des House of Cards et autres Designated Survivor, Baron Noir, ...
Ces programmes cités précédemment sont des programmes particulièrement fidèles à la réalité politique (notamment Baron Noir, avec le personnage principal qui serait notamment inspiré de J.Dray). Ces programmes ressemblent fortement à la réalité, mais ils restent tout de même des fictions.
Dans notre cas c'est un cas réel qui est proposé, l'impact étant bien plus fort. Cela rapprochant toujours plus la politique et le spectacle ...