jeudi 29 novembre 2018

The Year of the mis(s)!


Misinformation is "the word of the year", according to dictionary.com. The dictionary gives its own definition of the word: "false information that is spread, regardless of whether there is intent to mislead".

Thanks to Facebook, of course but not only. Politicians contributed a lot too. Not to mention the historians (negationists of all kinds) and the propagators of "fake news", "alternative facts"...

But there is more:
Advertising brought its own "mis": misplacement. And, best of all: miscalculation. So many opportunities to miss the target. A wonderful prefix, so productive, so useful nowadays.
But do not misunderstand me, this is nothing new: Socrates, about 380 BCE, used to complain about the Sophists and rhetoric: "a tool of persuasion" and not a tool for justice or for truth. "Thus rhetoric, it seems, is an operator (demiourgos, "δημιουργός") of persuasion for belief, not for instruction in right and wrong", (Plato, Gorgias, 455a).
And worse, of course, there is misconduct in so many companies, sexual misconduct, financial misconduct...
Misbehaving? "The year of our discontent"? We won't miss it. "The Uneasyness in Civilization", wrote Freud (Das Unbehagen in der Kultur)... Uneasiness, yes... really. And morality?

mercredi 28 novembre 2018

Magazines : des lieux qui ont une âme



L'Ame des lieux. Les lieux qui font le monde, trimestriel, lancé au début de l'été 2018. 162 p. 15€. Abonnement : 60€. Editée par les éditions ScriNéo qui publient également les magazines l'éléphant (La revue de culture générale) et Aider (S'engager pour les autres).

Les lieux ont-ils une âme ou bien ne sont-ils pas tout simplement remarquables pour des raisons historiques ou esthétiques générales, ou encore parce que nous les associons à des souvenirs personnels ? Tout comme les choses et autres "objets inanimés". L'édito du N°2 explique la vision du magazine : "La géographie le confirme : un lieu naît de son interaction avec l'homme. Il porte en lui une part de subjectivité, un peu de chacun de nous, un peu de nos histoires, de nos envies, de nos fantasmes..." (Stéphanie Tisserond, Jean-Paul Arif). Ouf ! On échappera donc au romantisme louche des racines et de la terre.
Le concept de L'âme des lieux est d'associer histoire et tourisme, réalisant une "revue curieuse et voyageuse". Le premier numéro conduit les lecteurs dans des "endroits qui [nous] rendent heureux" : Venise, bien sûr, et de manière plus originale, l'Ile d'Elbe , Tipaza (Algérie), les volcans d'Islande, le Verdun des Vosges, les toits de Paris, la Dordogne et le Périgord, la Réunion : il y en a pour tous les gouts, Bohin dans l'Orne (où l'on fabrique des aiguilles), Le Touquet, Sancerre et Chavignol...

La 4 de couverture du N°2 : un sommaire
Le magazine traite "l'actu par les cartes", rubrique qui fait voyager dans le temps aussi. Dans le premier numéro, cela commence par la culture des cerises et le Vaucluse. Une carte et un peu d'histoire, la burlat. La nostalgie du temps des cerises nous prend "mais il est bien loin"... Puis la  rubrique traite de la bière, des glaces. Dans le deuxième numéro, la rubrique élargit son horizon au Brésil puis à l'Europe ("les migrants, géographie d'un malaise"), à la Nouvelle Calédonie, avant l'élection, à la Russie, à Israël. La rubrique continue avec "la désertification rurale en France". Car "le désert croît" ! : de la Corrèze à la Haute-Marne jusqu'aux Ardennes, se dessine une diagonale inquiétante où le nombre de médecins diminue et où il ne fera pas bon être malade. Enfin, la Pologne face à son histoire : après Auschwitz, un antisémitisme qui n'en finit pas de renaître, Solidarnosc, l'occupation soviétique...
Le coeur du deuxième numéro, c'est Chicago, ses plages le long du lac, ses hauts immeubles (dont la Tribune Tower, immeuble néo-gothique, qui fut jusqu'en juin 2018 le siège du quotidien Chicago Tribune), Chicago river et ses canaux, le métro aérien ("the L"). "Windy city", certes mais "my kind of town", anyway). Bien vu. Une centaine de pages plus loin et l'on arrive à Lons-le-Saunier (Jura) patrie de La Vache qui Rit, qui germanophobe en temps de guerre, fut wagnérienne (Wachchyrie !).
Chaque numéro s'achève par une recette de cuisine : risotto de la plaine du Pô et kouign-amann de Douarnenez pour les premiers numéros.
Toutefois, un spectre hante cette géographie avenante : celui du tourisme qui défigure, des foules qui déferlent, compromettant la valeur et l'âme des lieux et risque de ruiner "l'esprit d'ici" que met en avant "le magazine de l'art de vivre en région" (ESPRIT D'ICI, 2012, Burda).

En fait, ce magazine sans publicité a des airs de documentaire géographique, extrêmement varié et habilement conçu ; pour rêver, anticiper des voyages ou des lectures, apprendre et se distraire, entre anecdotes, cartes postales et cartographie. Magazine confortable, de garde, qui vieillira bien. Les articles sont parfaitement illustrés, clairs. Le pari cartographique apporte une lisibilité innovante et constitue une entrée féconde pour s'orienter dans les principaux sujets. Les notions de patrimoine ne sont jamais loin. Bien positionné entre histoire et territoire, traditions et terroirs, L'âme des lieux devrait avoir un bel avenir.

lundi 19 novembre 2018

The Kominski Method : le Paradoxe du comédien relu par Hollywood


The Kominski Method, série de 8 épisodes de 30 mn, Netflix, 2018.

Cette série originale de Netflix, produite par Warner Bros. et dirigée par Chuck Lorre ("The Big bang Theory") met en scène le métier d'acteur. Cela se passe à Los Angeles, bien sûr, où les immeubles de Netflix trônent désormais non loin de studios de cinéma presque centenaires !
L'histoire est celle d'un acteur vieillissant et de son meilleur ami, un agent un peu plus âgé, qui a réussi. Deux thèmes s'entrelacent pour conduire l'intrigue : le métier d'acteur et le vieillissement.

The Kominski Method est d'abord la tragi-comédie de l'âge, des grands et petits malheurs de vieillir au masculin. Cette série est un peu le pendant masculin, le négatif, de "Grace et Frankie" (Netflix), qui donne du vieillissement une image surtout féminine, plutôt heureuse et optimiste, l'humour aidant à dominer l'adversité. The Kominski Method donne de l'âge une image amère, férocement ironique, d'un réalisme souvent cynique : le deuil, la santé, les enfants, la sexualité vacillante... Beaucoup d'autodérision et d'humour dans des dialogues ciselés et calculés comme pour une stand-up comedy.
Le troisième - et dernier - âge est à l'honneur, et ses héros sont fatigués. C'est la tonalité de la série, cela frise parfois la gérontologie.

Un second thème est au cœur de la série : le métier d'acteur et comment l'apprendre. Un acteur autrefois adulé, maintenant sans rôle, enseigne pour survivre le métier d'acteur (coach). Mise en abyme ! Bien sûr, tout évoque l'Actors Studio (1947, à New York puis 1966, à Los Angeles) et sa "méthode" empruntée à Stanislavski (1863-1938, théoricien du théâtre russe) et Vakhtangov (1883-1922, Moscou) qui influenceront Lee Strasberg, créateur de l'Actors Studio.
Avant Stanislavski, revenons toutefois à Diderot et au Paradoxe sur le comédien (1773). L'acteur doit-il, peut-il jouer ce qu'il ne ressent pas ? Dans The Kominski Method, l'acteur qui joue l'acteur joue à ne pas ressentir sa vie qu'il fait semblant de jouer. La vraie vie et ses émotions finissent pourtant par le rattraper et il est tenté de jouer pour s'en sortir. Le seul tournage auquel on assiste est celui d'un spot publicitaire : l'acteur s'y laisse aller à sa sensibilité, l'homme prenant le pas sur le personnage. Erreur ? Revient le fameux paradoxe. "Les larmes du comédien descendent de son cerveau ; celles de l'homme sensible montent de son cœur", et Diderot d'insister : "C'est l'extrême sensibilité qui fait les acteurs médiocres : c'est la sensibilité médiocre qui fait la multitude des mauvais acteurs ; et c'est le manque absolu de sensibilité qui prépare les acteurs sublimes". Tel est le paradoxe au cœur de The Kominski Method et d'abord au cœur de "The method" de l'Actors Studio ("the home of method acting", fondé en 1947). Le jeu de l'acteur doit équilibrer émotion ressentie et émotion jouée. Le métier s'apprend à coups de répétitions, de techniques et d'exercices (gestes psychologiques, décontraction, etc.). On peut imaginer également des allusions à la "biomécanique" de Vsevolod Meyerhold (1974-1940, Moscou). Michelangelo Antonioni dira le contraire : "Je m'efforce de solliciter chez l'acteur l'instinct plus que le cerveau" (o.c. p. 20 ; voir aussi p. 31).

La série (single-camera setup) peut être regardée innocemment (sans savoir) ; elle peut aussi être regardée en pensant à tous les acteurs de cinéma issus de l'Actors Studio et à la fameuse émission qui les met en scène pour de longs interviews hors scène ("Inside the Actors Studio"). Pour ceux qui aiment le cinéma, série indispensable.
Brillante distribution d'acteurs (Alan Arkin, Michael Douglas). Travail remarquable tant par la réflexion, en acte, sur le travail de l'acteur, que par le traitement parodique du vieillissement masculin. Au plan théorique, il faudrait sans doute approfondir la différence, pour le jeu d'acteur, entre le théâtre et le cinéma où le nombre de prises peut être réduit ou multiplié.

MàJ 18 janvier 2019 La série ayant gagné deux Golden Globe Awards (meilleure "comedy series" et meilleur acteur, Michael Douglas), Netflix l'a renouvelée pour une saison.


Références
  • Denis Diderot, Paradoxe sur le comédien
  • Inside the Actors Studio", émission de la chaîne Bravo, 1994 (Paris Première en France), tournée avec le public de l'Actors Studio Drama School
  • Molière, L'impromptu de Versailles, 1663 : "c’est en quoi vous faites mieux voir que vous êtes excellente comédienne de bien représenter un personnage qui est si contraire à votre humeur: tâchez donc de bien prendre tous le caractère de vos rôles, et de vous figurer que vous êtes ce que vous représentez", Scène 1)
  • Sonia Moore, The Stanislavski System: The Professional Training of an Actor, 1984
  • Famous alumni of The Actors Studio
  • Michelangelo Antonioni, "Paradoxes sur les acteurs" (1959), "Réflexion sur l'acteur" (1961) in Ecrits (Fare un film è per me vivere), Editions Images Modernes, 2003, 351 p.

vendredi 16 novembre 2018

TV: L'heure, c'est l'heure. Après l'heure, c'est plus l'heure

Télé-Loisirs, Programmes du 10 au 16 novembre, p. 14

L'hebdomadaire Télé- Loisirs se fait l'écho de téléspectateurs qui se plaignent des retards des émissions : l'horaire de diffusion n'est pas l'horaire annoncé dans la presse (l'écart étant parfois d'un quart d'heure). Le magazine a collecté une pétition de 22 000 signatures et a comptabilisé la durée hebdomadaire perdue à attendre les émissions attendues...

Au moment où l'on évoque les succès de Netflix et du streaming à la demande (SVOD), où le binge-viewing semble une évidence partagée, il est intéressant d'observer qu'une partie de la population française vit toujours au rythme des chaînes traditionnelles, historiques même (TF1 d'abord). Et d'abord au rythme du prime time. L'expression peut sembler surannée, ringarde même alors que l'on affirme que "prime time is my time".
La banalité des arguments rapportés par le magazine doit être soulignée : "Je me lève à 5h30 et j'aimerais pouvoir vois un film en entier un soir" ; quand on se lève tôt, on ne peut pas se coucher trop tard. La France qui se lève tôt !

Au-delà des arguments et des récriminations, que nous apprennent cet article et cette pétition ?
Ils nous rappellent que pour une partie de la population vivant en France, la télévision est affaire d'horaire : on attend qu'elle soit ponctuelle, politesse des rois ! Oubli, négligence des chaînes ? Ignorance ? Mais que savent les "chaînes" des téléspectateurs actuels et potentiels ? Elles ont les données d'audience a posteriori : en plus d'inspirer des tarifs publicitairesces comptages, effectués à partir d'un panel, traduisent des choix, des préférences de la population à un moment donné, rien de plus ; elles ne peuvent déceler des mécontentements qui montent et des changements de comportement en gestation.
 Les chaînes cherchent-elles à le savoir ? Les téléspectateurs ne sont pas si "enchaînés" à leur grille qu'elles veulent se l'imaginer. Les services de streaming à la demande (SVOD) en savent plus long sur les comportements de leurs abonnés (de TOUS leurs abonnés, à tout moment). Les résultats de la pétition de Télé-Loisirs, comme un élément d'un cahier de doléance, peuvent être perçus comme une involontaire et convaincante publicité pour Netflix et Amazon Prime Video dont le prime time est, par construction, toujours à l'heure de leurs abonnés. Alors, est-ce l'heure d'OTT qui vient de sonner pour les grandes chaînes ?

Ne méprisons pas les usages traditionnels des médias traditionnels. Voyez Amazon qui imprime et envoie des millions de catalogues pour les achats (de jouets notamment) de fin d'année ou encore Facebook qui, aux Etats-Unis, fait connaître sa dernière innovation (Portal) à grands coups de GRP TV (50 millions de $ en un mois). Quant à Google, il fait la une de la publicité extérieure avec son téléphone Pixel.

jeudi 8 novembre 2018

Cord shaving, cord cutting, cord nevers... voici les cord shifters


Les résultats trimestriels de Comcast viennent de tomber (T3, 2018).
Comcast a gagné 334 000 abonnés broadband ("residential internet customers") mais a perdu 106 00 abonnés vidéo. Au cours d'une année, Comcast aura perdu 363 000 abonnés vidéo mais gagné 1,23 millions d'abonnés haut débit. Source : Multiscreen Index, Informitv.
Bilan positif ?
Sans doute, d'autant qu'il semble que la marge réalisée avec un abonné haut débit soit plus élevée que celle réalisée avec un abonné vidéo. Difficile de conclure précisément toutefois, faute de données (prise en compte des abonnements promotionnels, etc.). Néanmoins, il est raisonnable d'estimer que le modèle économique des câblo-opérateurs n'est pas aussi compromis que l'on a pu le craindre. Des abonnés se désabonnent du câble et de la réception des chaînes cab-sat (cord-cutting) et s'abonnent, ou restent abonnés au fournisseur pour la connection Internet (transfert : cord-shifting). Comcast passe progressivement du statut de câblo-opérateur à celui de Internet Service Provider (ISP, fournisseur d'accès Internet, FAI). Il compte davantage d'abonnés Internet haut débit que d'abonnés TV / vidéo, et l'écart se creuse.
Une même situation semblable peut être observée pour Charter,/ Spectrum l'autre grand câblo-opérateur : 66 000 abonnés vidéo perdus, 266 000 abonnés haut débit gagnés (T3, 2018).

"We surpassed 30 million customer relationships", a déclaré le P-DG de Comcast. "Customer relationship", relation client ; pour ne pas dire "abonné" (subscriber) ? "What's in a name"! Voici un nouveau KPI : l'ensemble de ceux qui souscrivent à un des deux types d'abonnements, au moins : l'ancien ou le nouveau ?

La connexion Internet est désormais vitale, son importance s'accroît : Comcast ne court donc aucun risque. En revanche, l'abonnement aux chaînes vidéo (cab-sat) est en baisse ; les abonnés à Internet peuvent remplacer l'abonnement aux chaînes traditionnelles (legacy) par des abonnements streaming, souscrits auprès de Netflix ou Amazon Prime Video, notamment. D'ailleurs, Comcast se vante d'être le premier fournisseur d'abonnés Netflix aux Etats-Unis... Paradoxe ? Comcast développerait une set-top box dédiée exclusivement aux services de streaming et qui ne donnerait donc pas accès aux chaînes traditionnelles.
  • Pour palier ce transfert, Comcast pourrait lancer des services OTT accessibles aux Etats-Unis et en Europe, puisque Comcast vient d'acquérir Sky. NowTV pourrait constituer un tremplin tentant. 
  • Comcast pourrait aussi s'accorder avec Netflix... 
  • Comcast pourrait également se tenir à l'écart des services en streaming, au modèle économique incertain, et se concentrer sur la fourniture de connexion Internet, au modèle économique plus sûr : développer et améliorer son réseau, vendre davantage de produits aux abonnés (domotique, cloud, par exemple), ou encore vendre de la bande passante aux utilisateurs de son réseau puisqu'il n'y a plus de neutralité du Net pour l'interdire.
Netflix sur xFinity par Comcast

Voir aussi, sur MediaMediorum :

mardi 6 novembre 2018

And now, it's HBO that goes dark!


A dispute is going on between an MVPD, Dish Network, and WarnerMedia (now part of AT&T). There is a disagreement over the pricing policy for HBO and its sister channel, Cinemax, both pay TV channels. Consequently, the 1st of November, HBO and Cinemax went dark for the first time in 46 years. Therefore, the 2.5 million households also subscribing to HBO, from among the 13 million Dish Network subscribers, no longer receive their channel. For how long? Who knows? For the time being, no negotiation is in sight.

This situation could be - and has been - interpreted as an indirect consequence of the recent acquisition of Time Warner by AT&T. AT&T owns DirecTV, which is in head-on-competition with the satellite operator Dish Network.
The Department of Justice (DoJ) has always questioned AT&T's acquisition, which could give ATT too much power over TV consumers. Does this situation mean the DoJ is right? Dish Network has testified against the acquisition and could take advantage of this blockage: according to Dish Network, AT&T tries to prevent Dish from distributing WarnerMedia channels (HBO being the most prestigious of them). Every concentration has side effects.

The fight is just beginning. Next episode, the belligerents will meet in the Court of Appeals. HBO subscribers patiently (or not) wait until the end of the blackout... or subscribe to Netflix or Amazon Prime Video. These last two may well end up being the real winners of this battle.

N.B. Dish Network lost 341,000 pay-TV subscribers (third quarter 2018), DirectTV lost 359,000.

jeudi 1 novembre 2018

Elle, Laeticia Halyday, des centaines de Unes : la presse populaire, limite des sciences sociales ?

24/09/2018







Laetitia Halliday ? Si elle n'existait pas, la presse aurait dû l'inventer. Mais d'ailleurs, ne l'a t-elle pas "inventée" ?
Combien de unes sont consacrées chaque semaine à Laeticia Hallyday depuis la mort de Johnny ? Veuve joyeuse ? Mante religieuse ? Mère consciencieuse ? Amoureuse ? Pardonnera, pardonnera pas, pardonnera qui ? Héritera, n'héritera pas ? A-t-elle ou non retrouvé l'amour ? A-t-elle refait sa vie ? Avec qui ? Et le confinement ? Et près le confinement ? Que dit-elle ? Tout ?


 

le 17/07/2020

05/07/20202


Comme le mass-médiologue se complait dans la condescendance, il adore la presse people ; d'ailleurs, il sait quels sont les "bons" magazines : ce sont ceux que lui-même lit, "presse de prestige", dit le politologue. Au mieux, les analyses de contenu, armes de sémiologues, désormais aux mains de data scientists, donnent à connaître les idées, le style voire - qui sait ? - les sentiments des producteurs de contenus, journalistes encartés, photographes, pigistes ou paparazzi (de quelle "Dolce Vita" ?). Décrire, compter, ce qui n'est pas rien. 
Quant aux lecteurs et lectrices, de leurs raisons, de leurs intérêts, des effets de ces médias sur les comportements, on ne sait rien : on imagine, on croit savoir, on dénonce, et l'on se moque, surtout. La presse magazine s'intéresse à la vie amoureuses mais aussi aux enfants de "l'idole" des anciens jeunes. Laura et David. Et à la première des épouses, Sylvie. "Ex fan des sixties"...

Même Charlie Hebdo prit parti dans le débat, avec humour. Caricature féroce qui sera reprise tous azimuts, avec avidité, par la presse quotidienne francophone. Laeticia Hallyday s'avère un formidable gisement de questions, d'étonnement, de compassion ou d'indignation pour la presse des célébrités presse dite people : CloserParis Match, Diva, Voici, Gala, Public... mais aussi L'OBS qui raconte le "polar de l'héritage" (second degré, bien sûr !) ou Télé Poche, Télé Star. En avril 2018, le directeur du Point s'était déplacé, en personne, "pour recueillir le témoignage de Laeticia", à Los Angeles : "c'est un document historique", dira-t-il. Premier degré 

Toute presse n'est-elle pas, à sa manière, people et feuilleton ? Faut-il s'en moquer, s'en désintéresser ? 
Voici plus d'une centaine de unes réparties sur plus de deux années. L'ensemble est cohérent, la combinatoire prévisible : l'amour, l'argent et la vie d'une femme ("Frauenliebe und Leben", auraient dit Chamisso et Schumann, 1840). Plus ou moins d'amour, plus ou moins d'argent aussi.

Pensons aux travaux de Richard Hoggart sur "la culture du pauvre" pour reprendre le titre, bien discutable, de l'édition française de The Uses of Literacy: Aspects of Working Class Life with special reference to publications and entertainments. Richard Hoggart y évoque l'attention "oblique", "attention à éclipses", rusée en quelque sorte, dont sont capables les lecteurs de la presse dite populaire, capables d'y croire sans y croire. "Mentirvrai", dirait Louis Aragon, qui s'y perdait lui-même. Richard Hoggart, "ethnographe de la citadinité populaire", selon l'expression de Jean-Claude Passeron, décrit la "réception paradoxale" de cette presse que les classes intellectuelles moyennes fustigent, condescendantes. Car elles sont sûres, elles qui détestent le vulgaire profane et l'évitent, que les lecteurs des frasques et malheurs de Laeticia Hallyday y croient, et s'en soucient sincèrement. Mais ces lecteurs et lectrices savent bien, pourtant, aussi, que le "lundi au soleil", ce n'est pas pour eux : "Arrête de lire Ici Paris Paris/ Faudra r'tourner bosser lundi", chantait Patricia Kaas ("Regarde les riches").


















































"Les  grecs ont-ils cru à leurs mythes", se demandait Paul Veynes. Comme lui, nous pourrions nous interroger : "que faire de cette masse de billevesées ? Comment tout cela n'aurait-il pas un sens, une motivation, une fonction ou au moins une structure ?" Tant de unes, ces centaines de milliers d'exemplaires achetés, consultés ne peuvent pas ne rien vouloir dire.









A ce sujet, de tout cela, les "sciences" des médias ne veulent rien dire et restent muettes.
Quel sens donner au mythe de Laeticia Hallyday (après celui de Johnny) ? "Opium du peuple", "soupir de la créature opprimée" (Karl Marx) ? Une enquête pourrait-elle le dire ? Quelle enquête ? Déclarative ? Certainement pas.

Le personnage social de Laeticia Hallyday et sa réception privée semblent décidément réfractaires à l'analyse. Comme tous les médias et l'approche people-lisante qui domine de plus en plus la politique, le sport, le business et la littérature, le personnage public indique surtout la limite des sciences sociales : la subjectivité. Laeticia Hallyday renvoie les professionnels des médias à l'"injustifiable subjectivité" (Jean-Paul Sartre) des lecteurs, et à notre définitive mais bavarde ignorance. Le lectorat de nombreux segments de presse constitue une classe parlée ; par qui ? Des journalistes, des photographes ? Classe muette mais rémunérée... Catégorie de ciblages publicitaires ? Femmes...
Revenir au moins à Marcel Proust qui prévenait : "Détestez la mauvaise musique, ne la méprisez pas". Donc, détestez cette presse, ne la méprisez pas. "Sa place, nulle dans l'histoire de l'Art, est immense dans l'histoire sentimentale des sociétés".

N.B. En décembre 2018, edd a publié un classement des personnalités dont la presse française a parlé en 2018 : en tête vient Laeticia Hallyday, elle est suivie de Laura Smet, fille de Johnny Hallyday, puis de David, fils de Johnny Hallyday et Sylvie Vartan. CQFD !
Références
  • Richard Hoggart,  The Uses of Literacy: Aspects of Working Class Life with special reference to publications and entertainments, Londres, Chatto & Windus, 1957 ; en français, La culture du pauvre. Étude sur le style de vie des classes populaires en Angleterre. Présentation de Jean-Claude Passeron, Paris, Editions de Minuit, 1970. 
  • Paul Veynes, Les  grecs ont-ils cru à leurs mythes? Essai sur l'imagination constituante, Paris, Seuil, 1983.
  • Jean-Claude Passeron, "Portrait de Richard Hoggart en sociologue", Enquête. Cahiers du CERCOM, N°8, 1993.
  • Marcel Proust, "Eloge de la mauvaise musique" in Les Plaisirs et les jours, XIII,  Paris, Gallimard, 1924
  •  Jean-Paul Sartre, L'être et le néant. Essai d'ontologie phénoménologique, Paris, Gallimard, 1943.