vendredi 1 février 2019

Série médicale : quand le chirurgien est autiste


"The Good Doctor", série, 2017-2019, 31 épisodes de 40 mn.

La série est inspirée d'une série coréenne de 2013 (KBS2) qu'elle semble suivre fidèlement. Elle est diffusée par le network américain ABC (groupe Disney), en France par TF1 (qui a préféré la version américaine à la version coréenne ? Sans même traduire le titre, contrairement aux Québéquois...).

Le héros est un jeune chirurgien, autiste et atteint de ce qu'il est convenu d'appeler le syndrome du savant, savoir extrême qu'il applique à la médecine. Doté d'une mémoire exceptionnelle associée à un sens aigu de l'observation, il est par bien des aspects un chirurgien compétent et un atout décisif pour l'hôpital.
Cette double dimension d'autiste et de savant en fait un personnage remarquable. L'autiste, tel qu'il est présenté par la série, est à la fois asocial et sympathique. Introverti, il a un côté misanthrope ; comme celui de Molière, il ne sait ni "être sage avec sobriété" ni accepter l'hypocrisie nécessaire à la vie sociale. D'où une difficulté certaine d'inclusion sociale et de communication qui peut entraver sa compétence professionnelle. Ce conflit est l'argument primordial de la série.

En général - mais je n'ai regardé que la première saison, en anglais, diffusée par Amazon Prime Video - chaque épisode couvre au moins deux ou trois patients, des cas médicaux que le montage divise et distribue, et entrecroise. S'ajoutent au suspense des diagnostics et des opérations, des histoires d'amour et des rivalités professionnelles ; l'hôpital apparait comme un champ de luttes où se rencontrent des professions diverses ; la hiérarchie y est constamment rappelée, à tout propos. L'ambition est partout, enjeu majeur pour tous, ravageur. Les caractères sont amenés, d'épisode en épisode, à explorer diverses situations : l'erreur, l'amitié, la mort, l'amour, le mensonge, la déception, le voisinage, l'espoir... L'autisme s'avère un puissant révélateur des relations sociales ; il les décape. Si le chirurgien autiste n'éprouve aucune difficulté à saisir les problèmes scientifiques, il a, en revanche, beaucoup de mal à concevoir les sarcasmes, tout comme d'ailleurs l'intelligence artificielle des sentiments y échoue (rapprochement à creuser !) ; les limites de sa compréhension des interactions sociales évoque celles de l'intelligence artificielle confrontée à la langue et aux émotions (facial recognition, hand gesture recognition, etc.). Il aime avoir raison et proclame ses succès, comme ses échecs, sans pudeur. On s'attend bien sûr à ce qu'il tombe amoureux pour devenir plus humain !

Les séries médicales, tellement nombreuses, ont en commun d'être confrontées à de redoutables problèmes de réalisation ; elles doivent rendre la salle d'opération spectaculaire, rendre les gestes médicaux visibles et le raisonnement médical compréhensible alors que le tout venant des téléspectateurs n'y comprend pas grand chose et les gestes du chirurgien sont difficiles à percevoir (voir "The Night Shift", par exemple, NBC ; TF1 en France). La série doit faire percevoir, ressentir l'urgence, le stress : le temps est toujours compté. Il semble que la réalisation mette l'accent sur des maladies spectacularisables (les arrêts cardiaques), les affichages des écrans de la salle d'opération qui visualisent la situation cardiaque de l'opéré ou visibles (les maladies dermatologiques...). Pour être réalistes, les conversations entre les personnels médicaux doivent être techniques, mobiliser un vocabulaire spécialisé : le téléspectateur, impressionné, doit comprendre qu'il est normal de ne pas comprendre (cf. le latin des médecins de Molière). Quant au réalisateur, il doit trouver le parfait équilibre entre l'obscurité de subtilités chirurgicales imperceptible et l'évidence des enjeux de l'épisode (transplantation, don d'organe, amputation ou non, etc.), sans oublier les dimensions juridiques de chaque situation et la crainte des procès, endémique.

La série laisse soupçonner un autiste en chacun de nous, un savant aussi, peut-être, spécialisé dans son domaine, fût-il modeste et trivial (le fan, le collectionneur, etc.). "The Good Doctor" donne à concevoir et comprendre plus avant les différences, au-delà de la couleur de la peau et du sexe. L'autiste n'est pas un autre. 

Les travaux de Aaron Cicourel sur la communication entre médecins, ceux de Erving Goffman sur l'interaction peuvent permettre d'approfondir les aspects sociologiques de cet univers médical. La fiction télévisuelle n'est-elle pas, à sa manière, une analyse en acte.


Références

L'autisme et les travaux de la Haute Autorité de la Santé

Cicourel (Aaron V.), Le raisonnement médical. Une approche socio-cognitive, textes présentés par Pierre Bourdieu et Yves Winkin, Paris, Seuil

2 commentaires:

Jacques-Antoine Lando a dit…

Les séries médicales ont toujours eu du succès (Dr House, Urgences...) et ont toujours été appréciées des chaînes de TV, tout comme les programmes de flux médicaux (qui ont quelques fois le droit d'avoir la case prime-time sur de grandes chaînes). Peut-être pour favoriser la proximité qui ai si chère aux chaînes de TV ?

Amélie Costadoat a dit…

Je n'ai pas vu la version américaine mais j'ai vu la coréenne :)
On retrouve effectivement cette ambivalence intéressante entre autisme et savant dans le personnage principal mais petit à petit les questions de hiérarchie et d'ambition prennent complètement le pas. La série se perd un peu à mon sens.

En ce qui concerne le choix de TF1 de prendre la version américaine, outre le sujet d'un casting occidental qui parle sûrement plus à sa cible, la chaîne a sûrement misé sur plusieurs saisons, ce que les coréens ne font quasiment jamais (un "drama" est prévu pour une saison unique et on a le dénouement à la fin).