mardi 19 mai 2020

Sigmund Freud : biographie des débuts, version Netflix


Freud, 8 épisodes (d'environ 55 minutes), série dirigée par Marvin Kren, distribuée par Netflix.

La série est produite par Netflix avec l'Österreichische Rundfunk (ORF), le secteur public de la télévision autrichienne, Bavaria Fiction et Satel Film. Tout d'abord, la série qui est censée se dérouler à Vienne est tournée entièrement à Prague. Prague a été moins modernisée que Vienne. Donc Prague et Vienne, "fin de siècle", avec 90 rôles, durant 86 jours de tournage.

Dans cette série, Sigmund Freud traite de l'hypnose et c'est à cette occasion qu'il met en scène le patient couché, et lui qui l'écoute. Freud est présenté comme un médecin ambitieux qui découvre la cocaïne et y fait appel pour lutter contre la fatigue et la dépression. Nous sommes en 1884. Freud appartient au milieu juif modeste dans un monde drogué à l'antisémitisme. La série est tournée par un metteur en scène viennois, spécialiste des films d'horreur, aussi a-t-on pu y trouver davantage d'allusions à Sherlock Holmes qu'à Sigmund Freud, mais c'est peut-être mal comprendre la série : chacun des épisodes de la série porte un titre qui renvoie, plus ou moins, à Freud, à ses oeuvres et à ses notions ultérieures : "Hysteria", "Trauma", "Somnambulant", "Totem and Taboo", "Desire", "Regression", "Catharsis" et "Suppression".

 


C'est le début de la psychanalyse et Freud s'essaie à la mise en chantier du subconscient, et de l'inconscient. Sa situation matérielle est particulièrement difficile et il est d'ailleurs en retard pour le paiement de son loyer.

An Anatomy of Addiction:
Sigmund Freud, William Halsted,
and the Miracle Drug, Cocaine,
Vintage, 2012, 336 p. Index.
Mais la série n'est pas une véritable biographie de Freud. Notons toutefois, que, à cette époque, Freud publie deux articles marquants sur l'action de la cocaïne : en 1884, "Über Coca", Zentralblatt für die gesamte Therapie, Bd.5, S. 221-229 ; en 1885, "Beitrag zur Kenntnis der Cocawirkung, Wiener medizinischeWochenschrift, Bd.35, Sp. 129-33. La consommation de cocaïne a d'ailleurs été présente pendant le première période de la vie professionnelle de Sigmund Freud comme le montre Howard Markel dans son ouvrage (An Anatomy of Addiction: Sigmund Freud, William Halsted, and the Miracle Drug, Cocaine, 2012).

Beaucoup des critiques n'ont pas toujours apprécié le style de la série, lui reprochant de mélanger des personnages, des idées. Ignorante confusion ? Peut-être. Freud y est décrit comme un personnage mystérieux pris dans une histoire policière louche tout en étant sans cesse préoccupé par l'invention des concepts propres au développement de la psychanalyse.
Certes, la série mélange les genres sur un fond d'histoire austro-hongroise ; la plupart des héros ont un vice, on y voit malgré tout l'hypnose fonctionner et Freud tenter maladroitement ses premiers pas de psychologue.

Cette série est très controversée car elle mêle différents éléments de l'époque de Freud, dans le désordre d'ailleurs. Elle a pourtant aussi le mérite de montrer ce que pouvait être l'époque des débuts confus de la psychanalyse, l'ambiance sociale, politique et intellectuelle. L'intérêt de la série est de montrer la vie compliquée de Freud qui durant toute cette période est aussi en communication, au moins épistolaire, avec sa fiancée, Martha Bernay.
L'interprétation du rêve ne viendra que plus de dix ans plus tard, fin 1899 (Die Traumdeutung) mais n'aura aucun succès de librairie (quelques centaines d'exemplaires seulement).

Les lecteurs de Freud sauront trouver, dans cette série, des allusions multiples à son oeuvre, à ses problèmes, mais cela n'empêchera pas les non-lecteurs de l'apprécier pleinement, autrement peut-être.

mercredi 13 mai 2020

Hollywood, une mini série qui refait l'histoire


Hollywood, minisérie de Ian Brennan et Ryan Murphy (qui a signé un accord de collaboration avec Netflix pour cinq années). Netflix, 7 épisodes de 45 à 55 mn

Nous sommes à l'époque d'Hollywood triomphant, après la fin de la deuxième guerre mondiale. La série est sortie le 1er mai 2020. Elle suit les aventures de quelques acteurs et actrices débutants prêts à tout pour réussir, mais aussi de réalisateurs et de productrices qui se sont faits un nom dans les années cinquante. Mais la série énonce et dénonce aussi les inégalités qui pour l'essentiel n'ont pas encore changé : inégalités sexuelles et raciales notamment, pour les plus évidentes. Mieux valait être homme et blanc. Homosexuels, non-blancs et femmes de talents, mieux valait se cacher et ne jouer que son rôle attendu.


La série suit donc les aventures, succès et déboires des héros qui vont tous réussir, mieux souvent que les héros qu'ils ou elles sont censés représenter. C'est là que se trouve l'astuce de la série : ce sont des personnages de Hollywood qui sont joués, presque tous dans des positions dominées : sexisme, homophobie et racisme sont les cultures qui dominent alors Hollywood. Les personnages sont des héros plus ou moins vrais de Hollywood, Rock Hudson, Hattie McDaniel, Anna May Wong ou Henry Wilson, le prédateur qui engage des homosexuels contre services et quelques autres. Mais si, dans la série, la plupart des héros finissent par réussir leur carrière cinématographique et amoureuse, dans le Hollywood de la réalité, ce n'était pas toujours le cas et le suicide évité de l'actrice qui veut se jeter du haut de l'enseigne "Hollywood" a en revanche réussi dans la vraie vie.

Une station service de Richfield Oil, sur Hollywood Boulevard, sert de point de ralliement. Des aventures s'y jouent, des rencontres s'y organisent. Cette série est une vision satirique de Hollywood. Beaucoup des problèmes évoqués sont toujours d'actualité. Les rêves n'ont guère changé : le cinéma fait sa télé. Mais le procès récent de Harvey Weinstein peut donner quelque espoir...

mardi 5 mai 2020

Inégalités ? Les familles responsables, et complices, de reproductions inégalitaires qui durent



Céline Bessière, Sibylle Gollac, Le genre du capital. Comment la famille reproduit les inégalités, Paris, La Découverte, 326 p.

Le monde social est loin d'être parfait et il vaut mieux s'y trouver riche que pauvre, et notamment plutôt homme que femme. Car comment dans les familles s'accumule et se transmet le capital économique ? Comment se reproduit la division de la société en classes par l'appropriation, majoritairement masculine, du capital économique ?
Le livre mêle habilement, pour le plaisir des lecteurs, des faits divers touchant des personnes célèbres (les Bezos de Amazon, l'héritage de Johnny Halliday, etc.) à des événements plus courants concernant le commun des mortels.
Les auteurs conduisent l'ouvrage en associant sans cesse des histoires opposant, dans des divorces difficiles, des femmes à leur mari, qui s'en sort toujours mieux.
L'une, Céline Bessière est Professeur à Dauphine, l'autre, Sibylle Gollac, normalienne, est chargée de cours au CNRS. Elles ont enquêté sur les pratiques de transmission du capital qui aboutissent presque toujours à une dépossession des femmes lorsqu'il y a séparation conjugale et héritages. Le livre exploite un échantillon de dossiers en matière familiales (10% des décisions rendues). Il repose également sur un grand nombre d'entretiens et d'observations  conduites par les auteurs.

Quels sont les facteurs qui interviennent dans la transmission du capital économique, malgré les lois qui organisent a priori l'égalité des hommes et des femmes ? Comment la société de classes se reproduit-elle ? Les "biens structurants" vont plutôt aux héritiers mâles ; c'est là le fait d'une comptabilité sexiste défendue par les avocats et notaires, hommes et femmes qui, eux-mêmes souvent héritiers, défendent les mâles. En cas de divorce, une femme perd 20% de ses revenus, en moyenne. Les auteurs déconstruisent en fait l'unité économique où peut s'observer le mieux l'inégalité économique, le ménage : "qui possède quoi dans le ménage et pourquoi ?" Le ménage est l'unité d'observation économique majeure et il est encore mal traité par les sciences économiques et la gestion. Et c'est dommage.
Comment en sortir ? La rémunération du travail non rémunéré doit être prise en compte : "ce que le travail gratuit des femmes rapporte aux hommes qui ne sacrifient rien de leur carrière professionnelle". Ou ne faut-il pas que ce travail soit mesuré et comptabilisé, et donc payé ? Le travail des femmes est très souvent mal mesuré, mésestimé. Le droit entre hommes et femmes est certes égalitaire, formellement, pour l'essentiel, en France (droit de la famille et droit de la propriété, optimisation fiscale) mais la pratique, notariale notamment, continue de favoriser les hommes. Il y va sans doute aussi du rôle du capital culturel qui s'entremet dans la division du travail. La répartition du capital culturel se fait pourtant de plus en en plus en faveur des femmes, de mieux en mieux dotées mais cela ne suffit pas encore à compenser les avantages informels dont bénéficient les hommes.
La conclusion est nette : "le constat statistique est sans appel : dans le capitalisme contemporain, les inégalités de richesse s'accentuent. Des groupes sociaux s'approprient le capital économique et parviennent à le transmettre à leurs enfants, tandis que d'autres en sont durablement privés".

La nécessité de mieux connaître le fonctionnement réel de ménages est une des clefs du problème : il faut disposer de statistiques moins parcellaires. Ce n'est pas seulement un travail d'économistes mais aussi d'ethnologues auquel se sont livrées les auteurs. Faut-il pour autant réclamer une "sociologie féministe de la famille ?" Une sociologie scientifique n'y pourvoirait-elle pas ? "Scientifique" me paraît constituer une garantie suffisante (mais ma fille aînée en est moins sûre !). Alors, disons, nécessaire, capable d'armer le discours des militant-es. Revendiquer l'association du capital économique et du capital culturel est central dans la conclusion des deux auteurs et cela doit être mieux marqué et peut-être démontré par la suite : il faut poursuivre le travail de Pierre Bourdieu dans ce sens, et revenir à l'économie donc. Les inégalités sont genrées, certes : "les femmes travaillent mais n'accumulent pas". Aussi ce livre se veut-il une contribution à la "littérature, relativement nouvelle en France, sur le genre du droit".