jeudi 16 juillet 2020

Des clés carto pour notre monde


"Les clés carto pour comprendre le monde", hors-série, l'éléphant. la revue de culture générale, 152 p. , ScriNeo, 16 €

Le titre dit tout : le magazine explique le monde à l'aide de la cartographie et ce principalement grâce à la collaboration de l'IGN (Institut national de l'information géographique). C'est donc globalement de géographie dont il est question. Cela commence par une excellente BD consacrée à Erathostène, qui dirigea la bibliothèque d'Alexandrie et entreprit de mesurer la circonférence de la Terre, avec succès (en 230 avant notre ère). Ensuite, Jacques Lévy, normalien et Professeur,  explique la notion de "capital spacial", notion qui renvoie à celle, voisine, de "capital culturel" (Pierre Bourdieu), et joue comme variable essentielle dans l'explication du vote (André Siegfried toujours !). Et l'auteur, interviewé, de conclure du rôle de l'école : "l'intérêt de la société tout autant que de ses membres est d'avoir des individus créatifs et agiles". Est-ce le cas en France aujourd'hui ? 

Remarquable article de Jean-Luc Arnaud (CNRS) sur le Service géographique de l'armée qui montre le retard pris par l'analyse géographique du territoire national, retard militaire : "De l'Ancien Régime à la IIIe République. Histoire d'un art au service du pouvoir". L'Institut national de l'information géographique et forestière, créé en 1940, est désormais devenu un outil indispensable à l'aménagement des territoires, à la surveillance des eaux, des sols, des forêts. Les dessinatrices gravent les cartes (ce sont des femmes, uniquement, jusqu'en 1970). La photographie aérienne quant à elle, doit beaucoup aux B-17, bombardiers de l'armée américaine, désarmés et recyclés pour la paisible cartographie ; ils sont remplacés aujourd'hui par des Mystères 20.
On apprend beaucoup de choses en lisant ce magazine : par exemple, qu'il n'y a pas d'accord franco-italien pour la carte définitive du mont Blanc, ou encore l'histoire de la sauvegarde difficile des temples d'Dabou Simbel en Egypte, la mesure de l'élévation du niveau des mers (3 mm par an en Méditerranée). Un article met aussi en relation le service commercial Google Maps et le Géoportail de l'IGN, service public qui crée la donnée, que Google se contente d'agréger.

L'article sur les forêts de France (un tiers de la surface du territoire national) part d'un constat : la forêt française est privée pour les trois quarts, situation qui freine la réalisation d'un inventaire. Qui donc possède les forêts français : dommage, on ne nous le dit pas ! La forêt française reste une richesse importante qui compte douze espèces d'arbres dominants (sans compter ceux de la forêt de Guyane) quand la Finlande n'en compte que deux.
Enfin, Marseille, avec son marégraphe, donne le niveau zéro de l'altitude et permet de dire que, depuis 1885, la mer a monté de 16 centimètres : réchauffement climatique !

Et puis, le magazine donne de nombreux autres éclairages liés à la cartographie : les zones à risques pour les prochaines épidémies, l'état de la concurrence russo-américaine, l'histoire de la guerre européenne en 1939-45, la "ruée vers l'Ouest" français, l'industrie minière en Australie, le méridien de Greenwich et les albatros qui, armés d'une balise, peuvent repérer les navires de braconniers... Et le magazine, dont je suis loin d'avoir tout dit, se termine par un article sur Julien Gracq, normalien et géographe, marcheur impénitent, surtout : "La description, c'est le monde qui ouvre ses chemins, qui devient chemin, où déjà quelqu'un marche ou va marcher". Très bel article de Sophie Doudet, qui nous prend pour ce que nous sommes : des humains qui parcourent un petit bout de notre monde, avant de le quitter. Signalons encore, en fin de magazine, une bibliographie, bien faite, "pour aller plus loin", pour les lecteurs curieux (enseignants, étudiants, parents ... vous, lectrice et lecteur).

Voici un magazine qui donne une idée de ce que peut apporter une presse bien conduite : une introduction aux savoirs qui joue avec tous les éléments du style journalistique, y compris des éléments de jeux ("jouer pour retenir"), des photos, des histoires, des cartes, des quiz, des articles de longueurs différentes, des dessins, des images de satellites artificiels. Cette revue de culture générale met donc tout en oeuvre pour le plaisir et le savoir de ses lecteurs. Sans publicité, elle-mérite d'être gardée, parcourue à nouveau, et encore. C'est une belle réussite de presse et d'édition et qui commence par une formidable question de sa direction: " Combien de données faudra-t-il encore produire avant que les hommes ne se décident à réagir collectivement face à l'urgence écologique ?"

4 de couv du magazine


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