dimanche 4 mai 2025

Devenir nazi en Autriche en 1938

Martin Haidinger, ... Und dann wurden sie nazis. Faszination Hitler, 240 Seiten, Wien, 2025, Carl Ueberreuter Verlag, Bibliogr. (Literaturverzeichnis), 26 €

Le livre publié récemment en Autriche parcourt l'Autriche nazie, depuis son rattachement (Anschluss) à l'Allemagne nazie (13 mars 1938) jusqu'à la défaite (mai 1945). L'auteur est journaliste pour la radio -télévision autrichienne.

L'ouvrage raconte la prise de pouvoir par les nazis en Autriche et mêle à la relation des faits des discours tenus par des héros de l'histoire, fussent-ils négatifs. Hitler a fasciné les Autrichiens : 99,6% d'entre eux se sont déclarés favorables à la "réunification de l'Autriche avec le Reich allemand", s'en suivent les mesures à l'encontre de la population juive qui doitavoir une cart d'identité où l'on a ajouté un prénom "juif", Sara ou Israel.

Il n'y a pas de surprises : la population autrichienne de l'époque participa dans sa très grand majorité à la nazification de l'Autriche. La photo ci-dessous que j'ai prise à Vienne rappelle les 65 000 personnes assassinées par leurs voisins : le SS Adolf Eichmann joua un rôle essentiel dans la répression et dans le vol de la population juive. La violence des Autrichiens à l'égard de leurs compatriotes juifs a été bien plus forte qu'en Allemagne et l'on a voulu y voir un modèle à suivre.

A côté du Mur des Noms ("Namensmauer") qui en compte 64 440 et célèbre les victimes de l'Autriche antisémite et nazie, dans le Ostarrichi Park à Vienne (devant le siège de la banque nationale). Le monument fut inauguré en 2021, la liste des victimes établie après des années de recherche. Photo FM.

Le Japon pour mieux le connaître mieux, un peu

 Sencha. Le slow media par Japon infos,ou Le magazine du Japon, 52 p., 11.9 €, bimestriel, abonnement 6 numéros, 99 €

 C'est un nouveau magazine destiné à cclles et ceux qui son amoureux du Japon ou qui vont le devenir... en lisant ce magazine ! Pour comprendre doucement, lentement !
Le premier article a pour objet les fêtes de la nouvelle année et le premier lever de soleil mais aussi le repas emblématique dont la tradition change (quelques statistiques pp. 14-15). 
Le deuxième article évoque des lieux qui n'ont pas eu de chance dans l'histoire, dont Hiroshima, victime des militaristes japonais d'abord et qui aujourd'hui se veut, mais un peu tard, "Cité de la Paix", et manifeste contre les armes nucléaires (qui tuent trop, trop vite !). 

Un article évoque l'évolution démographique et les familles monoparentales au Japon, familles vivant dans la pauvreté ; ce sont bien sûr les femmes qui conduisent seules ces familles, les ex-maris ayant déserté le foyer et rechignant à payer la pension alimentaire (ce type de  délabrement familial est international, la France n'y faisant pas exception (cf. INSEE), quant aux Etats-Unis, n'en parlons même pas !

A l'autre extrémité du transsibérien se trouvait autrefois le Japon avec la ville de Tsuruga et ses plats appétissants comme le "katsudon" (côtelettes de porc frites). Et puis viennent deux articles sur des destinations touristiques, Tottori et Gunma. Ensuite, un article sur le cinéma qui évoque le festival de Kinotayo et, pour finir, une interview de Pierre Jacerme, qui a enseigné en prépa à Henri IV et qui est aujourd'hui l'auteur d'un livre sur le Japon (Visages du Japon).
Enfin, est évoquée l'oeuvre de Keiji Nakazawa sur les mangas puis on notera deux colonnes sur le film Black Box Diaries qui raconte le viol d'une journaliste par un patron de presse proche des milieux politiques dirigeants. Le film qui est diffusé en salles à Paris, ne l'est toujours pas au Japon ! Il y a décidément encore quelques progrès à faire, au delà du folklore, du tourisme et de la cuisine !

Le magazine fait voir, entrevoir à peine, le Japon d'aujourd'hui, un peu, mais aussi surtout celui d'hier. Les articles sont courts (trop !) et les lecteurs aimeraient sans doute en savoir plus. Mais c'était le premier numéro, alors, attendons la suite. Le Japon, malgré tout cela ressemble quand même à l'Occident : viols, familles monoparentales...

mardi 29 avril 2025

Les Chinois, tels qu'ils se parlent

 Quand la Chine parle, ouvrage dirigé par Gilles Guiheux et Lu Schi, Paris, Les Belles Lettres, 2025, 346 p., Index, bibliogr. (pp. 295-323), 23,5 €

C'est un beau livre, bien conçu, qui réunit les contributions de 14 chercheurs universitaires spécialisés dans les études chinoises. Le ton est donné d'emblée : "A nouvelle réalité, nouveau lexique".  En effet, l'innovation lexicale chinoise reprend son essor en 1978, surtout à partir de l'usage d'Internet qui atteint son niveau maximum aujourd'hui avec plus de un milliard de personnes chinoises connectées, à l'aide un téléphone portable principalement : c'est ce nouveau moyen d'expression, et les changements qu'il permet et provoque, que tentent d'analyser les auteurs. Moyen d'expression mais aussi moyen d'oppression puisque l'Etat chinois contrôle et examine attentivement l'usage que font les Chinois d'internet, intervenant pour supprimer des comptes, censurer des contenus (depuis 2003, il existe une administration chinoise chargée de la surveillance d'Internet). Ceci atteindrait son maximum avec un principe de crédit social, le "shehui xingyong" (社会信用) dont la réussite serait douteuse.

Le livre se compose de plus d'une trentaine de chapitres (34) visant à décrire les transformations sociales dont les expressions sont symboliques ou plutôt symptomatiques de la société chinoise depuis une vingtaine d'années. Citons par exemple : "Quatre plats et une soupe" (四菜一汤) est une expression célèbre reprise plusieurs fois contre le gaspillage alimentaire. "Les Little Pink" (小粉紅), désignent des jeunes filles cybernationalistes, favorables entre autres à l'intervention russe en Ukraine. Les "journalistes citoyens" (公民记者) contribuent à la diffusion d'informations interdites par les gouvernants chinois. "Les journaux personnels en ligne" (网络日记) représentent le diarisme de l'ère numérique, notamment à l'époque du COVID. "Faire malice" (恶搞), c'est le développement d'une culture satirique, irrévérentieuse, ludique et férocement critique. "Riz-lapin" (米兔) évoque le mouvement féminin (Metoo) en Chine...Le livre multiplie les exemples,  celui des femmes âgées montre une Chine des femmes retraitées (les dama), ou celui des vieux (laopiaozu, dits "vieux flottants") produits de l'exclusion urbaine et des familles décomposées / recomposées.

Cet ouvrage fort bien documenté, qui donne pour les mots essentiels, le chinois et le pinyin, montre une Chine en mouvement, sociologique, démographique et idéologique. La langue y est inévitablement au coeur des innovations. La conclusion s'impose, claire et nette : "malgré le renforcement de la surveillance et le poids des impératifs idéologiques, la langue demeure un lieu de résistance" (p. 292). Hélas, le temps nécessaire à la collecte des expressions et à leur traitement fait que certains exemples peuvent paraître quelque peu vieillis. Il faudrait donc adjoindre au livre une mise à jour régulière, disponible en ligne. En tout cas, voici un livre utile à tous ceux qui apprennent le chinois, à tous ceux qui veulent connaître la Chine.


samedi 19 avril 2025

Les mots allemands de l'histoire de tous les jours, depuis1880

Detlef Berghorn, Neue Wörter im Duden von 1880 bis heute, Berlin, 2024, Dudenverlag, 207 Seiten, 24,7 €

C'est une approche historique de la langue allemande à laquelle nous invite ce livre allemand. Le Duden est en Allemagne, depuis plus d'un siècle et demi, une référence en matière de dictionnaires. 2300 mots ont été répertoriés dans cet ouvrage d'un historien de la langue allemande. La première édition du Duden date de 1870, la dernière - la 29ième - de 2024.

Ce livre raconte, preuves à l'appui, l'histoire des mots, en fonction des événements, de l'histoire, de l'histoire de l'Allemagne, de Bismark à Angela Merkel, mais surtout de l'histoire du quotidien des allemands, de ce qu'ils mangent ou de leur manière d'aimer. Ainsi l'extension de l'univers des mots comprenant le mot Volk (peuple) qui triple ses effectifs de 1929 à 1941 ou la mention de Heine (qui disparaît) ou celle de Spinoza qui passe de pantheistischer Philosoph à jüd. Philosoph (philosophe juif). De semblable écarts peuvent être constatés entre l'édition Est-allemande et l'édition Ouest-allemande. Les mots décrivant la nourriture, les repas disent aussi ce que mangent, ou aimeraient manger, les Allemands : en 1880, arrivent le roastbeef et le pudding, en 1961, le ketchup et les ravioli, en 1967, la pizza, en 1973 (c'est bien tard), puis l'Ochsenschwanzsuppe (soupe merveilleuse !), en 1986 le Hamburger, en 2004 le falafel et, en 2024, la Buchstabensuppen (soupe d'alphabet). Mais cette date est celle de l'entrée dans le Duden ; le mot était-il en avance, en retard, sur quelle partie de la population allemande ? Un travail explicatif de type socio-linguistique serait bienvenu.

Et l'ouvrage multiplie les exemples avec les mots du football, les mots des moyens de transport, les mots de l'amour aussi (Syphilis en 1880, Playboy en 1961, Lebenspartner en 1991, etc.). Le travail se termine avec les importations de mots : Abonnement en 1880, inschallah en 1941, Datscha en 1951 (pour la version d'Allemagne de l'Est !) ... 

Superbe exercice. On aimerait, bien sûr, une étude comparative, internationale. Et surtout, peut-être, une approche de sociologie historique : qui étaient les linguistes, hommes ou femmes, qui décidèrent de l'entrée d'un mot dans le Duden, quelles étaient leur formations, leurs goûts et leurs dégoûts, leurs engagements religieux et politiques... Quels mots furent refusés, pour combien de temps ? Cet ouvrage en demande manifestement d'autres... et d'abord un dictionnaire des mots "refusés" (pensons au Salon du même nom à Paris en 1863).

vendredi 28 février 2025

Pierre Bourdieu, en famille, entrevu

 Denis Podalydès, L'ami de la famille. Souvenirs de Pierre Bourdieu, Paris, Julliard, 253 p.

Encore un livre sur Bourdieu ! Certes mais celui-ci ne s'intéresse que très indirectement à Bourdieu. L'auteur, Denis Podalydès, fut "l'ami de la famille" et il raconte son amitié, quand il avait leur âge, avec les enfants de Pierre et Marie-Claire Bourdieu, ainsi que ses relations avec leurs parents. En fait, on ne voit guère Pierre Bourdieu, toujours pressé, et qui ne fait généralement que passer : Bourdieu travaille tout le temps, c'est la notation première et l'on n'en saura guère plus le concernant (et il nettoie la piscine !).
Mais on voit aussi la mère, généralement inconnue et pourtant tellement importante, Marie-Claire Bourdieu (née Brizard), impeccable. Elle est à la piscine, elle cultive ses enfants et leur fait apprendre la poésie, dont Victor Hugo ("Booz endormi"), un des fils joue du violoncelle... Le livre raconte surtout la "perpétuelle quiétude", "sans phrase et sans chichi", de la vie que notre invité mène en vacances dans la famille Bourdieu. 

L'amitié avec les enfants commence par la khâgne (classe préparatoire littéraire) du lycée Henri IV où Emmanuel Bourdieu, le cadet de la famille, est élève. Emmanuel intégrera l'ENS (rue d'Ulm) en 1986, l'auteur non, qui entrera, lui, au Conservatoire national supérieur d'art dramatique. Deux vies ?

Le livre est mélancolique. De temps en temps, l'auteur qui a finalement appris un peu de la sociologie de Bourdieu, cite prudemment tel ou tel concept pour rendre compte de ce qu'il vit et observe (l'habitus, le champ, le capital culturel, l'enchantement) mais il évoque surtout de Bourdieu "l'alchimie incompréhensible de son travail". Un chapitre est pourtant consacré à Manet chez qui Denis Podalydès devine un double de Bourdieu ; il évoque le travail en commun de la femme et du mari pour Manet l'hérésiarque, fruit d'un goût ancien, partagé. L'auteur a participé aux enquêtes coordonnées par Pierre Bourdieu et utilisées pour La misère du monde (livre publié en 1993) ; il fera aussi la connaissance d'Abdelmalek Sayad, collaborateur précieux de Pierre Bourdieu. Finalement, Denis Podalydès croit pouvoir définir ainsi le sociologue : "Attentif à ce qui ne se dit pas, à ce qui échappe tout en affleurant dans la conversation elle-même, à ce qui gît entre les mots, il accorde autant d'importance aux silences, aux respirations, aux gestes, aux attitudes, au regard, qu'au propos énoncés. La sociologie est paradoxalement une méthode, un texte sans phrase". Superbe portrait, et il est si peu de sociologues conformes à ce portrait : la plupart ne sont que des lecteurs... et encore !
On voit aussi Bourdieu ne pas porter grand intérêt à une lettre de Godard qu'il ne prend pas au sérieux. L'auteur participe à un film biographique d'Emmanuel Bourdieu, le fils, "Vert paradis", diffusé en 2003 (sur ARTE, "Les cadets de Gascogne"). Le livre se termine en évoquant le montage des films de la famille, tournés par Marie-Claire Bourdieu surtout, et par une visite à la mère de Pierre Bourdieu : "un verre de Jurançon en apéritif, et tout fut excellent".

Un livre sur un sociologue n'est pas chose aisée s'il se veut biographique et peu sociologique : comment le sociologue vit-il avec sa sociologie, puisqu'il vit avec, ou peut-être ne sait-il pas, ne sait-il plus, vivre sans, mais a-t-il jamais su ? La sociologie (les cours, les droits d'auteur) le fait vivre matériellement, assez bien sans doute, dans une belle maison, avec une piscine, avec de grandes vacances, pour les enfants au moins... Mais que se passe-t-il dans sa tête de sociologue quand il ne travaille pas ? A moins qu'il travaille sans cesse, prisonnier de sa sociologie, intelligence entravée ? Et l'influence de sa vie privée sur son oeuvre, sur sa famille ? Allez savoir. On apprend au moins dans ce livre que l'on ne sait pas grand chose de ce que fut Pierre Bourdieu, y compris de a vie privée. Mais on croit parfois le deviner, c'est l'illusion que donne ce livre, et cela n'empêche pas de l'aimer.

Ce livre est agréable à lire, la famille Bourdieu est assurément sympathique mais Pierre Bourdieu reste un mystère. Quant à la vie familiale... Mais toute vie n'est-elle pas mystérieuse pour les observateurs, peut-elle être même écrite ? Le livre de souvenirs est souvent touchant. Enfin, il m'a touché.

N.B. Voir pour la relation de Bourdieu au Béarn et au béarnais, de Colette Milhé« Les étranges relations au béarnais de Bourdieu »Lengas , 87 | 2020,  http://journals.openedition.org/lengas/440

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samedi 15 février 2025

Violences sous les Tropiques : les enfants de Mayotte

 Natacha Appanah, Tropique de la violence, Paris, Gallimard, 2016, Folio, 185 p. 

Mo (abréviation de Moïse, ou de Mohammed ?) est sauvé des eaux de l'Océan Indien par une infirmière qui l'élèvera jusqu'à son adolescence. L'histoire se déroule à Mayotte (Maoré), près du Tropique du Capricorne, entre l'Afrique et Madagascar. Choyé par sa mère adoptive qui prend bien soin de lui, Mo connaît une enfance heureuse. Il a une maison, il apprend à lire, il va à l'école, il a pour ami un chien sympathique, Bosco, nommé d'après l'auteur du livre préféré de Moïse, "L'enfant et la rivière" d'Henri Bosco. Sa vie avec Marie, sa mère adoptive, est belle et heureuse.

L'histoire se déroule à Mayotte, "une île française nichée dans le canal du Mozambique". La nature y est superbe, l'océan est somptueux mais Moïse devenu adolescent vit maintenant avec la bande de Bruce, un autre adolescent ; il est devenu "un bon soldat de l'armée de Bruce", le chef de Gaza, le surnom donné à Kaweni, un quartier de l'île, : "la peur, la faim, la marche, le sommeil, la faim, la peur, la marche, le sommeil", ainsi en allait-il de la vie de Moïse. Et puis... 

Eh! bien, lisez la suite, vous ne serez pas déçu-e-s.

Le livre est agréable à lire mais difficile à digérer. La violence y est quotidienne, omniprésente et silencieuse souvent. Finalement, Moïse ne conduira donc pas son peuple dans un pays accueillant, le pharaon et les siens continueront de faire la loi et d'y exploiter des esclaves. IL n'y a pas de miracle dans la vraie vie. Le roman, est-ce l'échec de Moïse ? Le livre a plu aux jeunes adolescents français qui lui ont décerné de nombreux prix. S'y sont-ils reconnus ? Mayotte est devenu un département français en 2011. Le cyclone Chido a dévasté l'île, il y a quelques semaines. Les écoles sont détruites, l'eau y est rare, la médecine difficile mais le climat, hors cyclones, est toujours magnifique... 

lundi 6 janvier 2025

Homère, encore et toujours parmi nous

Barbarin Cassin, L'Odyssée au Louvre. Un roman graphique, Paris, Flammarion / La Chaire du Louvre, Glossaire, Table des illustrations, 264 p., 34,9 €

C'est un très beau livre, où, bien sûr, l'on croira percevoir une livraison calculée pour la nouvelle année ; en fait, l'occasion, s'il y a, c'est la réouverture au Louvre de la galerie Campana qui présente des vases grecs. Mais Barbara Cassin, helléniste et philosophe, propose de lire Homère, comme elle, en philosophe et en helléniste. Avec trois points de départ, trois affirmations : d'abord, Homère n'a jamais existé, ensuite l'Odyssée est une tradition orale dont une version écrite n'a été arrêtée qu'à Alexandrie plusieurs siècles plus tard (Barbara Cassin se référera souvent à l'édition et à la traduction en français de Victor Bérard, normalien,1864-1931, publiée par Les Belles Lettres), et enfin, affirmation linguistique, l'auteure rappelle que "personne, jamais, n'a parlé la langue d'Homère" (langue "très singulière", "une langue faite pour graver l'oral dans la mémoire").

Tout en racontant l'Odyssée à ses lectrices/lecteurs, Barbara Cassin leur donne quelques cours de grec ; d'abord, chaque chapitre commence par des citations, en grec, avec la traduction en français sur la page de droite. Et ensuite, c'est parfois du mot à mot, presque du "petit grec" : la professeure fait cours... Sur la nostalgie, sur kharis (la grâce), aiôn (fluide vital), empedon (planté, comme le lit conjugal p.161 ou encore attaché au mât du navire pp. 97-98) ou phôs (φῶς), la lumière, mot lié à φημί (parler) ou encore les étymologies des noms d'Ulysse (Ulysse le fâché, "enfant de la haine"), de Polyphème (le cyclope, "au singulier phêmê indique ce qui se dit, ce dont on parle"), ou sur les négations "Outis et mêtis" (deux manières de dire "personne", p.78). On retrouvera l'essentiel de ce vocabulaire dans le bref glossaire (p. 254-257). Ainsi va le texte, expliquant, citant, récitant, décomposant, analysant, recomposant. Et l'on passe par Kafka (Le Silence des Sirènes), à Schleiermacher, à Heidegger (hélas ! devenu tellement inutile), à Parménide, à Jacques Lacan, Aristote, Platon, James Joyce, John L. Austin, Günther Anders, Theodor W. Adorno, etc. Beaucoup d'auteurs que fréquente habituellement Barbara Cassin et qui ajoutent à sa compréhension. Au bout du compte, on comprendra un peu mieux Homère grâce à ce livre et, surtout, on sera mieux armé pour suivre et apprécier les aventures de l'Odyssée.

Le fil directeur de l'approche de Barbara Cassin est sans doute le travail de Friedrich Nietzsche sans cesse cité, "toujours lui" : "Platon contre Homère" (Généalogie de la morale) et qui disait (Le Gai Savoir) : "Ces Grecs étaient superficiels par profondeur" ou encore "Faire d'Homère l'auteur de l'Iliade et de l'Odyssée relève du jugement esthétique" (Homère et la philologie classique). Nietzsche est manifestement, pour Barbara Cassin, l'un des grands, sinon le plus grand, lecteurs d'Homère.

De la page 190 à la page 252, sont présentées des illustrations de l'Odyssée tirées du musée du Louvre, collection de la galerie Campana à l'ouverture de laquelle on doit cette conférence et cet ouvrage.

"On est libre quand on lit Homère" (p.22), conclut en introduction Barbara Cassin qui souligne encore : "Car la culture grecque est un palimpseste, un texte de textes, et sous tous les textes, il y a :"Homère".). Alors lisons ! Et relisons...

dimanche 1 décembre 2024

Entrer dans la carrière universitaire. Pour n'en plus sortir ? Pierre Bourdieu

Victor Collard, Genèse d'un sociologue,  Paris, CNRS éditions, 2024, Index, Bibliogr., 447 p. 

De son enfance lycéenne jusqu'aux débuts de sa carrière universitaire comme philosophe puis sociologue, vous saurez tout de Pierre Bourdieu, en passant par son service militaire en Algérie. Tout ou presque. Enfin, le livre est illustré de divers documents et photographies : documents scolaires, du baccalauréat à la liste des thèses que Pierre Bourdieu a dirigées, essentiellement des 3e cycle (dont la première est celle de Fanny Colonna, grande sociologue, sur les instituteurs algériens), de son service militaire au Gouvernement général à Alger : il est pistonné et il n'aura donc pas à "crapahuter dans le bled", et il devient sociologue pour crapahuter dans les livres.

On le suit donc du lycée de Pau jusqu'à la classe préparatoire littéraire à Paris au lycée Louis le Grand puis enfin élève à l'Ecole Normale Supérieure (rue d'Ulm). Le livre est copieux et c'est bien, il fourmille de détails sur les condisciples de Bourdieu, sur ses examens. Le moment algérien est décrit par le menu qui se termine par la prise d'un poste d'enseignant à la faculté d'Alger. Ensuite, de retour en France, se situe l'épisode Raymond Aron qui le recrute mais qui décrira finalement (dans ses Mémoires, p. 350) un Pierre Bourdieu devenu "un chef de secte, sûr de soi et dominateur, expert aux intrigues universitaires, impitoyable à ceux qui pourraient lui faire ombrage". Un bon, un patron, donc ! Mais qui ne le devient pas qui a une chance de l'être ?

Pierre Bourdieu commence une thèse sous la direction de Georges Canguilhem, résistant et médecin, épistémologue "dur", thèse qu'il abandonnera bientôt. Mais Bourdieu gardera toujours un intérêt pour les productions philosophiques (cf. voir par exemple, son travail sur Martin Heidegger) et il dialoguera régulièrement avec son professeur de l'Ecole normale, Louis Althusser, marxiste, et qui n'était pas encore un assassin. Pierre Bourdieu, universitaire donc, d'abord, sans doute.

Pierre Bourdieu a épousé Marie-Claire Brizard en 1962. Ils auront trois fils qui seront tous les trois normaliens. Mais l'auteur du livre ne mentionne pas Marie-Claire Bourdieu (née Brizard), absente même de l'index, mais qui pourtant signa des articles avec son mari ; ils se sépareront en 1983. Ainsi, par exemple, "Le paysan et la photographie" (Revue française de sociologie, VI, 1965, pp. 164-174) article signé par Pierre et Marie-Claire Bourdieu ou encore "Goûts de femmes" (Actes de la recherche en Sciences Sociales, octobre 1976). Curieuse biographie, bien conduite mais quelque peu bancale donc : prudence de l'auteur qui craint peut-être un procès, ignorance classique des biographies universitaires pour la vie non universitaire (qu'en savent-ils ?) ? Allez savoir. La genèse promise par le titre reste finalement limitée à une vie scolaire puis universitaire : presque rien sur l'accent, sur les petites amies, sur les copains de rugby, sur les bistrots, sur la "vraie vie" donc. On le dit pourtant quelque peu insolent, mécontent souvent. On aurait bien aimé connaître mieux ce Bourdieu là. Mais cela restera encore la face non éclairée de sa biographie. Jusqu'à quand, jusqu'à qui ?


lundi 25 novembre 2024

Rome, ville sacrée de la "dolce vita"

 Roma nella "dolce vita", (Rome dans la "dolce vita"), Intra Moenia Edizioni, Napoli, 14,9 €, 190 p.

La dolce vita, le film de Federico Fellini, avait mis dans notre tête la Fontaine de Trevi où l'on lançait des pièces de monnaie dans l'eau. Tourné en février 1960, dans des décors artificiels de Cinecitta simulant la Via Veneto, avec Anita Ekberg et Marcello Mastroianni (p.134-135), le film gagna la Palme d'or du XIII Festival de Cannes, cette année là.

Le livre met en scène le film dans l'histoire de la société italienne de l'après-guerre. Mussolini n'est plus là et la vie quotidienne reprend sa place avec de nouvelles idoles : la petite Fiat 600, '"l'automobile par excellence des Italiens" (p. 34), la machine à coudre Singer, les deux roues des scooters, Vespa et Lambretta, les valises en carton (Claudia Cardinale dans le film "La ragazza con la valigia"), valises des immigrants partant vers le Nord par le train du soleil ("il treno del sole"), les jukeboxes, la machine à laver la vaisselle, les réfrigérateurs, le téléphone (mais qui n'est pas encore portable). C'est aussi l'âge des bikinis, des premiers soins esthétiques...

Et l'on rencontre dans ce petit livre, les grandes vedettes de cette époque : le film "Vacanze romane" (avec Audrey Hepburn - et sa Vespa - et Gregory Peck, en 1953), on peut voir Pier Paolo Pasolini, Michelangelo Antonioni, Vittorio de Sica, Brigitte Bardot qui passe, James Stewart, Jayne Mansfield, Ava Gardner, Gary Cooper, Grace Kelly, Henry Fonda, John Wayne, Sophia Loren, Orson Welles, Frank Sinatra, Liz Taylor. Et voici enfin Rita Pavone, idole des jeunes italiens.

En 1954, c'était "La strada" de Federico Fellini avec Giulietta Masina et Anthony Quinn, et l'on croise aussi le romancier Alberto Moravia via Veneto, les héros du film "Ben Hur"... Le livre se termine par la visite à Rome de Kennedy en 1963 et son assassinat, quelques mois après.

Les brefs commentaires des photos sont donnés en quatre langues (italien, anglais, français, espagnol). Excellent travail de documentation quasi-sociologique. Et un bon livre aussi, pour se souvenir.

mardi 1 octobre 2024

500 expressions françaises bien décortiquées

 Lire magazine, hors-série, septembre 2024, 196 p., Index, 12,90€

On les a toutes, ou presque toutes, déjà lues ou entendues. Sans toujours en connaître le sens exact, sans souvent en savoir l'origine.  C'est ce qu'apportent ces pages qui nous donnent l'origine, expliquent la signification, la "décortiquent", qu'elle soit actuelle ou passée, de 500 expressions françaises (donc on n'y trouvera pas le québécois, et c'est dommage : c'est pour un autre numéro, peut-être ?).

Ces 500 locutions font voir la richesse de la langue et son histoire aussi. C'est une sorte d'étymologie à laquelle se sont livrés les auteurs. Ainsi, par exemple,"savoir nager entre deux eaux" qui a d'abord signifié "naviguer entre deux courants". Le verbe "nager" vient du latin nato, natare, dérivé du latin classique navigare : à vos Gaffiot ! Parfois, l'origine est douteuse ou confuse : ainsi "avoir la quille" qui évoque trois linguistes, chacun proposant une explication, sans convaincre les lecteurs. Mais faute de service militaire obligatoire, qui connaît encore cette expression parmi les jeunes générations ?

Pour achever la lecture de ce magazine, il ya des pages (68 et 69, ou 166 et 167) donnant des jeux qui permettront aux lecteurs-trices de tester leur savoir et leur mémoire. Pas si facile ! 

L'ensemble est à lire à petites doses pour enrichir son français, et savoir, si on l'ignorait, que l'on ne le sait pas si bien que l'on croyait.

lundi 9 septembre 2024

Une formidable leçon d'humanisme

Bonnie Garmus, Lessons in Chemistry, 390 p., Penguin Random House, 2022,

miniseries sur Apple TV+, 8 épisodes, october 2023

C'est d'abord un roman, formidablement féministe. Ce roman met en scène une jeune femme que passionne la chimie mais qui, à cette époque, les années 1960, est cantonnée au métier alors subalterne et mal payé de laborantine. Ce qui, bien sûr, s'accompagne de comportements sexuels inacceptables.

Elisabeth Zott, notre chimiste, est mise à la porte de l'entreprise de chimie qui l'employait suite au décès par accident de son partenaire, et amant, génial chimiste. Mais elle se trouve finalement embauchée pour une série télévisée diffusée en fin d'après-midi. Elle y prendra le rôle de cuisinière dans un show d'une station locale californienne, "Supper at six", mais elle y gardera ses réflexes et sa culture de chimiste. De plus, notre cuisinière et mère, désormais sans compagnon est rationnelle, et athée.

Le livre est souvent drôle, très agréable à lire. Parfois réaliste, parfois presque surréaliste, les lecteurs, et j'imagine les lectrices, ne s'ennuieront jamais. Et cela valut à son auteur toutes sortes de prix, aux Etats-Unis comme en Grande-Bretagne. Le roman connaît un grand succès et les principales idées en seront reprises dans une série remportée par Apple TV+, aux enchères. La série est bien tournée, et l'humour est présent à chaque instant. L'auteur du roman travaillait dans la publicité (copy writer) quand elle écrivit son livre ; il y a donc du vécu dans la série, dont le vol d'une idée essentielle par un collègue mâle, notamment. C'est une fable certes mais elle emporte les suffrages des réalistes et surtout des femmes : l'héroïne, Elisabeth Zott, enseigne tranquillement la résistance quotidienne aux absurdités d'un monde encore bien trop masculin.


lundi 26 août 2024

Le style de vie "bourgeois" de l'exilé Bertold Brecht

 Ursula Muscheler, Ein Haus, ein Stuhl, ein Auto. Bertolt Brechts Lebensstil, Berenberg Verlag, Berlin, 158 Seiten, 2024, 26 €

Voici un livre original et bien conduit, bien fait, très agréable à lire. Et qui fait penser. Bien sûr, on apprend beaucoup sur Brecht et son environnement, sur son style de vie ... "bourgeois", assurément. L'auteur est architecte et elle a publié diverses études sur le Bauhaus, sur la Tour Eiffel, sur Le Corbusier, et sur l'histoire de l'architecture. Son approche de l'histoire de Brecht est inattendue, et bienvenue.

Bert Brecht avait "prolétarisé" son nom qui était Eugen Berthold Friedrich Brecht. Il aimait les habitations confortables, un mobilier adéquat, des voitures de qualité, plutôt sportives ; il aimait les cigares et les bonnes bières. Il selectionnait son mobilier : dans le livre, on trouve de beaux passages sur ses fauteuils ! 

Brecht était inscrit sur les listes noires (Schwarze Liste) établies par les autorités nazies aussi devait-il fuir sans cesse, et devancer l'arrivée des troupes allemandes, tout comme Thomas Mann, Heinrich Mann, Walter Benjamin et bien d'autres intellectuels allemands. Où qu'il fût, exilé très souvent, en Suède, en Californie (Santa Monica), au Danemark, en Suisse (à Zurich où il avait ouvert un compte en banque), à Moscou, en Finlande (Helsinki), Brecht chercha à acquérir de l'immobilier. Il finira sa vie, après guerre, en Allemagne, dans la zone d'occupation soviétique, à Berlin-Est (Sowjetische Besatzungszone, appelée aussi Deutsche Demokratische Republik). 

Brecht donc aimait beaucoup les voitures de sport et il voulait son confort pour travailler. Cela paraît banal mais ne l'était pas à son époque, surtout pour un écrivain célébrant la classe ouvrière. Il est mort en 1956  d'une crise cardiaque ; quelque temps auparavant, il avait acheté une maison au Danemark pour une de ses collaboratrices. Son style de vie que l'on appelle "bourgeois" était sa manière de vivre compte tenu du monde dans lequel il lui fallait vivre : une optimisation sous contraintes, en quelque sorte.

L'ouvrage d'Ursula Muscheler donne à voir, souvent dans les détails, des aspects du style de vie brechtien (et l'on n'aborde pas la relation de l'écrivain aux femmes !). La vie de Brecht apparaît aujourd'hui plutôt agréable, sans doute parce que l'auteur ne met pas l'accent sur les soucis et les difficultés de Brecht qui dut gagner la vie de sa maisonnée. Mais surtout, Brecht durant toutes ces années d'exil puis de retour en Allemagne, a écrit de nombreuses pièces de théâtre et des poèmes. Son oeuvre restera, et certaines de ses propriétés en deviendront des lieux de célébration.

dimanche 11 août 2024

N'apprenez pas l'anglais, puisque vous le savez déjà !

Bernard Cerquiglini, "La langue anglaise n'existe pas". C'est du français mal prononcé, Paris, Gallimard, 2024, 196 p., Index des mots commentés, bibliographie. 

Bernard Cerquiglini est un bon linguiste. Normalien, Professeur des Universités, membre de l'OULIPO, auteur de nombreux livres, il a fait carrière dans l'étude et l'histoire du français mais, surtout, et le titre du livre le rappelle, il a gardé un peu d'humour : affirmer que la langue anglaise n'existe pas ne manque pas de culot ! Mais la démonstration rappellera aux Français les grandes étapes linguistiques de la conquête du monde par la langue anglaise, "vainqueur de la mondialisation". Victoire que l'anglais devrait au français - mais pas seulement - qui lui a fourni "tout ce qui a fait d'elle une langue internationale recherchée, employée, estimée comme telle". Conclusion : "l'essor mondial de l'anglais est un hommage à la francophonie", tel est le parti pris, a priori paradoxal, de ce livre.

La démonstration commence par un peu d'histoire, entre 1066 (bataille d'Hastings) à 1400, le français est d'abord la langue de l'Angleterre, puis il devient une langue seconde pour les Anglais raffinés. Ensuite, l'anglais l'emporte totalement mais en empruntant beaucoup de français : donc, "qui s'exprime en anglais parle largement français". Un résultat arithmétuque le souligne : 29% des mots anglais viennent du français, 29% viennent du latin, 26% du germanique. Après des chapitres historiques, vient un chapitre intitulé : "comment on a fabriqué la langue anglaise", dont la première phrase dit l'essentiel "la langue anglaise est un français régional". Mais le livre n'aborde pas les questions grammaticales ; d'où viennent les structures syntaxiques de l'anglais ? Qu'ont-elles de commun avec celles du latin et celles du français ? Et puis, quelles sont les conditions économiques et militaires de la domination de l'anglais ? Pour le reste, la démonstration est éloquente et le livre est bien conduit. Alors, améliorez votre anglais amis anglophones : mêlez-y donc un peu de français et de latin !


mardi 2 juillet 2024

Etnographie de la diplomatie française

 Christian Lequesne, Ethnographie du Quai d'Orsay. Les pratiques des diplomates français, Paris, CNRS Editions, 2017, Bibliogr., Index nominum, 255 p.

C'est Sciences Po qui regarde les acteurs de la politique étrangère française dont une partie est formée par Sciences Po. L'auteur est professeur de Science politique à Sciences Po et, bien sûr, ancien de Sciences Po lui même (Strasbourg). Il a fait sa thèse sous le direction d'Alfred Grosser (Professeur à Sciences Po, Paris. On ne sort donc guère de la famille.

L'auteur rend compte de sa pratique professionnelle, expérience qu'il a complétée par une centaine d'entretiens semi-directifs auprès de diplomates (pour l'essentiel).
Nous avons, malgré le titre, peu d'observations ethnographiques : "Observer en ethnographe la disposition d'une salle de négociation ou d'un bureau, l'organisation d'un repas, c'est comprendre le sens social qui est attaché à des notions globalisantes comme l'Etat, la souveraineté ou encore le droit international". Mais on en voudrait plus ! Christian Lequesne accorde une grande importance aux "actions banales" donc plus au "quotidien dans ce qu'il a de routinier", plus qu'aux crises (et il évoque ici la notion d'habitus de Pierre Bourdieu) ; ces actions banales que révèlent des répétitions correspondant à diverses "cartes mentales" (ensemble de principes d'orientations politiques) en disent effectivement davantage que les moments exceptionnels de la vie des diplomates. 

L'ouvrage constitue une observation de ce monde diplomatique, de ses habitudes de pensée et de travail. Il s'agit plutôt de méthodes que de théories : " Il ne saurait y avoir de bons travaux de relations internationales sans une approche méthodologique qualitative des agents dans leur quotidien". Je trouve que le livre ne donne pas assez d'éclat au travail quotidien, banal des diplomates. Mais il y a quelques bonnes anecdotes ; je n'en retiendrai qu'une sans la commenter, ce serait trop facile : en 2015, le pape a bloqué la nomination d'un ambassadeur parce qu'il était homosexuel.
Donc un bon livre, mais encore un peu trop rapide, un bon manuel pour les étudiants de science politique à qui il manquera, quand même, l'analyse de contenu des entretiens...

vendredi 7 juin 2024

Les années soixante au cinéma : une heure et demie de la vie d'une femme

 Agnès Varda : Cléo de 5 à 7, film de 1h30mn, 1962

Ce n'est donc pas un rendez-vous galant que ce 5 à 7 : le film en noir et blanc raconte une heure et demie de la vie d'une jeune parisienne, chanteuse à la mode, que son médecin a déclaré victime d'un cancer. C'est surtout une heure et demie de vie parisienne, de la vie à Paris, le 21 juin 1961, le tournage était prévu pour le 21 mars, premier jour du printemps. Mais ce sera le premier jour de l'été, bientôt le départ du Tour de France, et le film sort en juin 1962. On voit Paris vu et regardé par quelqu'un qui va peut-être mourir. Bientôt ? On ne sait pas. La durée objective des pendules et la durée vécue, perçues par l'actrice : ce sont les temps du film.

13 chapitres scandent ce film qui dure une heure et demie pour décrire et raconter une heure et demie exactement de la vie de notre chanteuse de variétés. Les notations du temps sont fréquentes dans le film (horloges et autres compteurs) qui rappellent la proximité croissante de l'échéance, puisque Cléo devrait connaître, à la fin du film, son diagnostic médical, donc la gravité de son cancer.

L'époque est celle de la guerre en Algérie et l'armée, constituée surtout d'appelés, est représentée par un soldat en fin de permission, en uniforme, qui fait sa cour à l'héroïne. L'un et l'autre se sentent condamnés. Cléo, qui redevient Florence, est accompagnée à l'hôpital de la Salpêtrière par le soldat rencontré, Antoine. Les jeux sur les mots sont nombreux... Antoine et Cléo...pâtre, etc.

Le film est aussi, surtout, un documentaire sur la ville mais également sur le cancer qui ronge, mais c'est, en même temps, un conte de fée. Les images évoquent la Nouvelle Vague et le surréalisme. C'est aussi un film élaboré, pensé, calculé, précis dans nombre de ses détails. Madonna demanda à Agnès Varda d'imaginer de retourner le film à New York vingt ans plus tard  (cf. le bonus de l'édition du film en DVD). Cela ne s'est pas fait. Dommage ? Soixante ans après, les spectateurs ne s'ennuient jamais : c'est la première réussite de ce film d'une femme sur la vie d'une femme. On y voit aussi une bande des copains à l'occasion d'un tout petit film avec des héros de la Nouvelle vague : Jean-Luc Godard, Jean-Claude Brialy, Samy Frey, Anna Karina...

Voir aussi, ou plutôt écouter, les excellents podcasts consacrés au film sur le site de la Cinémathèque.

vendredi 12 avril 2024

Comment se mesure le monde ?

Piero Martin, The seven Measures of the World, translated from the Italian by Gregori Conti,Yale University Press, New Haven, London, 209 p., 2023. Suggestions for Further Reading, Index.

Voici un ouvrage de vulgarisation scientifique. Il porte sur sept unités de mesure fondamentales, indispensables pour comprendre le monde physique : le mètre, la seconde, le kilogramme, le kelvin, l'ampère, la mole et le candela. C'est un ouvrage d'histoire des sciences, voire même d'épistémologie. Mais c'est aussi une sorte de roman où l'auteur mêle aux données mathématiques et physiques les petites histoires qui font la grande histoire des sciences. Les trois premières mesures sont le pain quotidien de la langue française mais les quatre suivants sont quelque peu rare dans les conversations !

Ainsi chacune de unités de mesure constitue un chapitre du livre ; l'auteur est professeur de physique expérimentale à l'université de Padoue en Italie. Le livre écrit en italien est élégamment traduit. Certaines unités sont connues de tout le monde ou presque, en Europe du moins, le mètre, le kilogramme et la seconde font partie des échanges quotidiens, dans les magasins du moins où l'on vend des mètres de tissu, des kilogrammes de fruits, de pommes de terre, de viande. La seconde est de la durée :"attends une seconde !", dit-on. Ensuite les unités renvoient à des expériences plus complexes moins évidentes, l'ampère, le kelvin, la mole et le candela. La mole renvoie à Avogadro, à la constante d'Avogadro mais sa manipulation est plus malaisée.

La candela est plus poétique ; elle évoque les chandelles pour traiter de la luminosité. Autrefois mes grands-parents parlaient des "bougies" à propos de la puissance des ampoules pourtant électriques depuis déjà quelques années, mais ils y voyaient ainsi plus clair que la définition actuelle qui mobilise la constante de Planck.

 Voici un livre plaisant à lire en une semaine (une mesure par jour !). On apprendra les mesures et l'on se souviendra des erreurs, inévitables, indispensables : car il s'agit "de changer de culture, de renverser les obstacles déjà amoncelés par la vie quotidienne", comme le souhaitait Gaston Bachelard (La formation de l'esprit scientifique, Paris, Vrin).



dimanche 10 mars 2024

La nouvelle vague informatique, en cours de déferlement ?

 Mustapha Suleyman, Michael Bhaskar, The Coming Wave. Technology, power, and the twenty-first century's greatest dilemma, New York, Crown, 2023, 332 p., Bibliogr.,  Index. La bibliographie est disponible sur Internet, classée par ordre alphabétique.

Voici un ouvrage qui marque une date, peut-être même une époque : il y est question d'intelligence artificielle.

L'auteur - c'est celui dont le nom est écrit en plus gros caractères sur la couverture - après avoir travaillé pour DeepMind puis Google est maintenant à la tête d'une nouvelle startup lancée en 2021, financée puis avalée par Microsoft en mars 2024, Reid Hoffman, Bill Gates, Eric Schmidt et Nvidia : Inflection AI, qui vient de lever 1,3 milliard de dollars.

 Mais cet essai concerne surtout la startup DeepMind. "In 2010 almost no one was talking about AI (artificial intelligence)" et, quinze ans plus tard, l'intelligence artificielle est partout, dans le monde des techniciens et des scientifiques, et dans le monde de l'argent. DeepMind fut créée à Londres en 2010, et achetée par Google au début de 2014, après que Facebook y eut renoncé ; l'auteur de ce livre, Mustafa Suleyman, fut l'un des trois fondateurs de DeepMind. Il lui fut aussi reproché de mal traiter les employés et des responsabilités lui furent retirées en 2019 ...

Le livre se compose de trois parties. La première s'intéresse à l'histoire des technologies : comment elles ont franchi les étapes et forcé le développement d'un "problème d'endiguement" ("the containment problem"). Les vagues de technologies se succèdent ("a wave is a set of technologies coming together around the same time, powered by one or several new general-purpose technologies with profound societal implications"). Ces technologies aux conséquences sociales formidables s'implantent, deviennent bientôt invisibles puis vont de soi. Ainsi le langage, l'agriculture et l'écriture furent à l'origine de trois vagues essentielles ; plus tard, l'usine, le développement du bronze et du fer, l'imprimerie, l'automobile, l'électricité, Internet prirent le relais. Toutes ces technologies prolifèrent sous l'effet de la chute de leurs coûts de développement et d'un accroissement de la demande. Le livre ressemble parfois à du Marshall McLuhan, à du Harold A. Innis ; il se veut prophète et annonce les changements à venir, ceux qu'il faut espérer et ceux qu'il faut craindre.

La deuxième partie, c'est la prochaine vague. Partant de AlphaGo, quand Google vainquit les champions du monde du jeu de Go et remit l'intelligence artificielle dans la tête des chercheurs, avec la biologie, la robotique et le quantum computing. Ensuite vint ChatGPT et les LLMs (large language models). Voilà l'essentiel. Pour le reste, le livre raconte des histoires, des anecdotes, les raconte bien, d'ailleurs, et elles sont souvent pertinentes. Elles énoncent les possibilités politiques qui guettent le monde dans lequel nous vivrons et dont la Chine sera sans doute la puissance dominante. Alain Peyrefitte nous avait prévenus, dès 1971, dans son essai grand public : "Quand la Chine s'éveillera, le monde tremblera"... 

L'homo technologicus est pris dans une ménagerie d'intelligences, concluent les auteurs :"Our mental, conversational worlds will inextricably include this new and strange menagerie of intelligences". Et de laisser imaginer un monde où les drones et les robots seront partout, où le génome humain sera élastique et la vie un peu plus longue. Encore une prophétie ?

lundi 19 février 2024

Notre temps, un magazine pour passer le temps

 Notre temps, mars 2024, 132 p., mensuel, 4,4 €

De qui est-ce le temps ? Quel temps, celui qui passe, celui auquel on appartient ? Si l'on s'en tient à la une de ce magazine, à la photo qui illustre ce numéro mensuel, on ne peut douter : il s'agit du temps des trentenaires. Mais en feuilletant le magazine, le doute s'installe, et il s'agit plutôt de la seconde partie de la vie, de celle qui précède et anticipe la retraite, la maladie, la mort, les petits enfants, partie de vie jamais nommée mais horizon toujours présent de toutes les décisions, médicales ou économiques. Mais enfin, déclare une actrice interviewée, "il y a de beaux rôles pour les actrices de plus de 50 ans". D'autant que la part de la population des "50 ans et plus" s'accroît régulièrement... 

Si l'on en croit l'OJD et l'ACPM, l'audience de ce titre est de 2,4 millions de personnes, composée d'un tiers d'hommes et de deux tiers de femmes. Les abonnements représentent 81% de la population des acheteurs du titre ; des fidèles donc. Rappel : en France, une personne sur cinq a au moins 65 ans (source : INSEE, 2022) et la France compte 66 millions de personnes, donc 13 millions sont la cible de Notre temps, cible du magazine papier et/ou cible du site Internet de ce même titre. Au total d'ailleurs, ce magazine est de facto le premier des magazines, juste derrière les hebdomadaires de fin de semaine et ceux de télévision dont les audiences sont menacées par les divers outils numériques.

En gros titre, en rouge, donc, de ce numéro de mars : la retraite des femmes. Cela constituera le "cahier central" intitulé "vos droits et votre argent" : tout d'abord, le logement qui est traité en tenant compte de l'avancée en âge ("après un veuvage", etc...), des déménagements. Ensuite, vient la retraite : le passage à la retraite est souvent difficile pour les femmes, retraite dont le calcul financier est compliqué par des carrières interrompues par les enfants, par le métier du mari, qu'elles suivent, en général.

Puis, après un peu d'activités manuelles (un "tote bag brodé"), il sera question de la cuisine, de celle que l'on se mijote, centrée ce mois-ci sur le citron ,"un zeste de soleil" ; 6 pages lui sont concentrées, avec des recettes mais aussi des conseils diététiques (la santé toujours !), mais rien sur le citronnier qui pousse dans le jardin ou sur le balcon, dommage ! Ensuite, il est question du marché : l'églefin, les oranges sanguines, les radis red meat et les asperges ; puis du supermarché ("Banc -test : les crottins de chèvre", avec les prix au kg). Articles utiles, voire indispensables. Ensuite, des recettes pour les feuilletés.

L'agriculture ("le bio a pris racine", 2 pages pour un bilan qui reste modeste), et le salon des séniors. Puis une page pour l'année 1974 ("Souvenirs, souvenirs", cela s'est chanté, il y a bien des années). Le dossier santé est consacré à la musculature, il est suivi de deux pages sur les compléments alimentaires, puis d'un dossier sur la presbytie, d'un dossier sur une innovation médicale, les ultrasons pour améliorer la situation du coeur et, enfin les fleurs sauvages : c'est beau et bon pour le sol.

Ensuite, vient la culture avec le cinéma et les DVD, des romans (il y en a même un sur Spinoza, philosophe malin, si loin de son temps !). Puis viennent quatre pages, dans le cadre des "Amours historiques", sur celle qui deviendra l'héroïne du Roman de la rose, épouse de Louis IX, dit Saint Louis, à qui les français de religion juive devront de porter une rouelle d'étoffe jaune, suggestion faite au roi en 1269 par un juif converti ! Ensuite, quatre pages sur Evreux, puis cinq pages sur Sri Lanka : tourisme, ici ou là-bas.

Finalement viennent les jeux, mots croisés, mots fléchés, le bridge, etc. puis la publicité et les annonces classées (pp. 110-132) : au total, environ 38 pages de publicité dans le magazine, presque toutes utiles.

Concluons. Manifestement, dans Notre temps, il y en a pour tous les goûts, pour de nombreuses lectures actives (moi, j'aime bien les recettes) : il y en a pour un mois. Magazine multitâche sans être généraliste, il est conçu pour aider ses lectrices et lecteurs à devenir vieux. Alors qu'est-ce que c'est qu'être vieux, que devenir vieux ? Ce magazine donne des réponses à ces questions futiles mais vitales que l'on ne se pose pas, sauf parfois le soir quand on ne dort pas. Les réponses sont intelligentes, variées. Du très bon travail, assurément. "Notre temps, le plaisir d'avoir son âge", promet la régie publicitaire du titre. Peut-être !

jeudi 28 décembre 2023

Médias : qui les possède ?

MEDIAS français. Qui possède quoi ?Le Monde Diplomatique, Décembre 2023 (double page centrale)

Qui possède les médias ? En France ? Non ! Utilisés par les Français(e)es, non et non, les médias français, seulement les médias français ! Donc aucun des fameux GAFAM (Google, Amazon, Apple, Facebook, Microsoft) n'est concerné, ni Netflix, ni Disney, ni même Uber, mais on n'en finirait pas de lister les "ni". Alors, à quoi bon cette présentation ? On ne saura rien de Twitter (reclassé X par Tesla) ou de Gmail ou de YouTube, ou encore des nouveaux produits de l'intelligence artificielle (ChatGPT, etc.). On ne saura rien non plus des géants chinois (Baidu, Alibaba, Tencent, etc.). Alors ? 

Dans le titre, au centre du tableau, est imprimé en tout petit, "français". Ah! Il ne s'agit donc que des médias français. Les lecteurs et lectrices du Monde Diplomatique auront ainsi l'illusion qu'il existe, autour d'eux et elles, des Français et Françaises qui peuvent vivre dans la douce illusion de consommer des médias français. Ce document est "devenu un classique", nous dit-on, à apprendre en classe alors, aurait-dit un de mes profs ... sait-on jamais ? 

Mais il y aurait alors un travail - des travaux - à accomplir pour répondre à la question "qui possède" les médias utilisés par les personnes qui vivent en France. Mais plus que du graphisme, utile certes, il faut surtout mettre en place des recherches en économie, en gestion, en sociologie peut-être aussi. Et d'abord, peut-être, qu'est-ce qu'un média en 2024 ? Qui doit répondre à cette question ? La recherche universitaire en économie et en gestion, d'abord ? Peu probablement les écoles de journalisme, trop dépendantes des médias...


dimanche 10 décembre 2023

Foucault : on présente ses restes philosophiques !

Michel Foucault, Le discours philosophique, Edition établie, sous la responsabilité de François Ewald, par Oracio Irrera et Daniele Lorenzini, Hautes Etudes / HESS, Gallimard, Seuil, 310 p.,  Index des notion, Index des noms

"Depuis quelque temps déjà - est-ce depuis Nietzsche, plus récemment encore ? - , la philosophie a reçu en partage une tâche qui ne lui était point jusqu'ici familière : celle de diagnostiquer. Reconnaître, à quelques marques sensibles, ce qui se passe. Détecter l'événement qui fait rage dans les rumeurs que nous n'entendons plus, tant nous y sommes habitués. Dire ce qui se donne à voir dans ce qu'on voit tous les jours. Mettre en lumière, soudain, cette heure grise où nous sommes. Prophétiser l'instant."

Voici le début de ce texte inédit de Michel Foucault, retrouvé dans ses archives déposées à la BNF. Le texte aurait été écrit en 1966, l'auteur avait alors quarante ans. 1966 est l'année où il publia Les Mots et les choses, qui sans doute précède ce texte, c'est aussi l'année où il participa avec Gilles Deleuze à l'édition en français des oeuvres complètes de Nietzsche chez Gallimard. On notera d'ailleurs les références nombreuses à Nietzsche dans le texte de Foucault (seul Descartes est cité plus souvent). Mais, prudence, car Michel Foucault n'a jamais publié ce texte pourtant presque terminé (il ne s'y trouve que peu de modifications, d'hésitations...). Pourquoi ? On ne le saura pas.

Quel est le rôle "actuel", tel que l'on pouvait le percevoir en 1966, de la philosophie ? Notons que l'ouvrage comporte deux types de notes, celles de l'auteur, bien sûr, mais aussi celles de nature historique, qui sont celles, modernes, de ses éditeurs (2023). Le discours philosophique doit être distingué du discours scientifique, note d'emblée Michel Foucault, et c'est cette irréductibilité du discours philosophique aux discours scientifiques qui l'oblige à parler du sujet. Cela étant admis ("A la différence des énoncés scientifiques, ceux de la philosophie ne sont donc pas séparables du maintenant de leur formulation"), il reste à démontrer la spécificité du discours philosophique, et sa différence avec le discours littéraire mais aussi avec le discours quotidien (le "bavardage" heideggerien ?). 

"Le rôle de la philosophie est de chasser du discours quotidien tout ce qu'il peut avoir de naïf, d'ignorant de ses propres conditions, par conséquent d'illusoire et d'inconscient". Le philosophe tient donc un discours "savant" mais pas un discours de savant, et l'épistémologie aurait sans doute beaucoup à redire à cette distinction. Le discours philosophique rompt avec le discours du quotidien, par conséquent avec le discours des médias. "Cette discipline de l'archive-discours, qui traite de l'archive comme forme des lois de l'inscription, de la conservation, de la circulation des discours, et qui traite des discours comme positions réciproques des énoncés dans l'espace de l'archive - cette discipline, on peut l'appeler archéologie".

Qu'est-ce qui fait que l'archive devient "discursivité" ? Michel Foucault en arrive à sa conclusion - provisoire  ? - qui déclare que "la discursivité, c'est la propriété de pouvoir être transformé en discours" (p. 249). Le livre s'arrête là, et les lecteurs n'en sauront pas d'avantage.

Les questions qu'aborde Michel Foucault ont aujourd'hui plus de soixante ans et il ne les a pas publiées : que comptait-il en faire ? Qu'en est-il aujourd'hui de cette archive-discours ? Son ampleur, son volume, sa variété se sont accrus, se sont même incroyablement multipliés. Internet lui donne chaque jour une dimension nouvelle : les moyens de la stocker (ChatGPT, Google Gemini, etc.) et d'y accéder évoluent considérablement. Alors, que reste-t-il, maintenant, des intuitions de Foucault ? Qu'en restera-t-il demain ? Je n'ai pas trouvé de réponse venant des philosophes en place qui ont peu commenté ce texte...


vendredi 24 novembre 2023

Les inégalités dans le monde, occidental surtout

 Le Monde et La Vie, L'Atlas des inégalités. 6000 ans d'histoires. 150 cartes & infographies, 184 p.

Voici un bilan social et économique de l'évolution des inégalités dans le monde. Vaste projet ! Le bilan est dressé moyennant force tableaux statistiques, cartes géographiques et histogrammes. L'essentiel est consacré au monde occidental, mais quelques pages sont consacrées au Japon ou à l'inde. D'une manière générale, le bilan dit peu de choses sur les responsabilités des religions dans la création et la perpétuation des inégalités : La Vie, hebdomadaire autrefois "catholique" illustré, est co-éditeur alors...

Le magazine se compose de cinq parties. Tout d'abord, de quoi parle-t-on ? Alors cela commence par des mots : guerre, violence, responsabilité, appropriation (donc la propriété ?), mais aussi écosystème ("personne ne tient debout tout seul"), l'exil, le colonialisme, le climat, l'âge et l'on pourrait en ajouter, des mots empruntés au vocabulaire juridique, notamment. Mais les juristes sont presque absents de la discussion...

Ensuite vient, ou devrait venir, l'histoire. Mais l'on n'y apprend peu de choses. Toutefois Anne Doustaly, normalienne, confronte l'Europe et le Japon féodal et souligne qu'est encore peu étudiée la situation des femmes. Jean-Louis Margolin, normalien également, est l'auteur d'un article sur le racisme et Pierre-Noël Giraud, économiste et polytechnicien met l'accent sur les "inégalités d'accès" (à la santé, à l'éducation, à la vie politique, etc.). L'utopie de l'égalité traite de l'uniforme scolaire et du service militaire (facteur de mixité ?). 

Le chapitre 4 traite des inégalités en France. Il commence par un entretien avec le démographe Hervé Le Bras qui, après avoir dressé un bilan réaliste des inégalités, conclut que la France reste un pays traditionnel où les changements sont lents. Les métiers invisibles (assistantes maternelles, livreurs, éboueurs, caissières, etc.) font l'objet d'un article, hélas trop court. Analysant les inégalités scolaires, Marie Duru-Bellat (ex. IREDU) rappelle des sujets qui peuvent fâcher : les élèves de 15 ans ont un niveau réel de connaissances souvent médiocre, car le diplôme ne dit pas tout et "l'école parallèle" est souvent inefficace pour les enfants dont les parents ne savent pas, ou ne peuvent pas, transmettre à leurs enfants ce qu'il leur faudrait savoir pour réussir à l'école. Les déserts médicaux croissent partout en France : les médecins généralistes se font rares, ils fuient les régions, les quartiers pauvres. Alors, que faire ? Intervenir pour modifier le marché médical, améliorer les rémunérations des médecins ?

La dernière partie est plus générale. Thomas Piketty souligne l'aggravation mondiale des inégalités patrimoniales, des inégalités liées au genre et des inégalités environnementales (les émissions de carbone). On notera la performance de l'Europe, encore insuffisante certes mais meilleure que celle du reste du monde (y compris des pays dont les chefs d'Etat, Chine ou Russie incluses, donnent des leçons !). Quant à la liberté de se déplacer, elle est certes favorable aux habitants des pays riches où le droit existe mais aussi, et surtout, elle est favorable aux riches et puissants des pays pauvres où ce droit n'existe pas. 

Et c'est toujours la même histoire que racontent, sur tous les tons et dans toutes les formes scientifiques, les auteurs de ce hors-série. Tout est décidément trop court mais devrait ouvrir, pour les lectrices et lecteurs, l'appétit de savoir mieux ce que chacun d'entre nous peut faire pour réduire ces inégalités. Et il y aurait tellement d'inégalités à distinguer, à dénoncer...


dimanche 12 novembre 2023

Noël magique et complet avec Modes & Travaux

Modes & Travaux, Noël magique, mensuel, 3.5 €, 124 p.

Rappelons tout d'abord qu'il y a toujours eu un "Cahier couture" dans Modes & Travaux. Ce patron, qui vise les tailles de 36 à 48, est inclus dans le numéro avec des conseils pour la coupe du tissu, les essayages et l'assemblage ("patron de la robe de fête"). Ce numéro de ce magazine féminin doit aider" ses lectrices à "préparer des fêtes de Noël inoubliables" : comment ? 

Il y a d'abord les cadeaux "créatifs"(37 idées cadeaux à offrir !), de 12 à 200 €, "pour les petits...  et les grands enfants". Ensuite vient la mode : 'Réveillon, on sort le grand jeu !". Le dossier mode propose tout un arsenal pour les fêtes de fin d'année : des robes et des tops, des bottines et des escarpins, des gilets et des jupes, des chemises accompagnées de toutes sortes de bijoux, bracelets, sacs, bagues et colliers. Et puis, il y aussi des patrons pour les lectrices couturières "expertes".

Le magazine propose également 3 pages sur les parfums à offrir, ou à s'offrir, pour les fêtes : une vingtaine de  marques dont la journaliste "décrypte" les "grandes nouveautés pour nous aider à faire notre choix" (pp.41-43). Ces 3 pages sont suivies de 2 pages sur les mascaras.

"15 idées pour mettre la maison à l'heure de Noël" : décorer la table, le sapin, les escaliers, les fenêtres, les paquets cadeaux. Décorer le lieu de vie avec du papier, un calendrier de l'Avent, les étoiles, les lampions, les sapins. 

Le magazine montre aussi comment décorer un chalet à Mégève. Il s'agit de faire rêver, bien sûr, car très rares sont les lectrices qui disposent d'un chalet à Mégève !

Le menu de réveillon est appétissant, et facile à réaliser, de la bûche framboise chocolat blanc à la couronne poire-chocolat, du jambon de Noël aux épices au rôti de dinde farci aux fruits secs, des poires au foie gras et au pain d'épices jusqu'aux sablés apéritif aux pommes ; le menu est complet en 6 pages, bien illustré, auxquelles s'ajoutent de petites gourmandises et surtout de délicates mignardises : sablés, truffes en chocolat, financiers, macarons, tuiles aux amandes et, pour finir, "un gâteau féerique" avec chocolat, ganache...

Et la publicité ? Ah ! Il y en a, et même, d'une certaine manière, on peut dire qu'il n'y a que cela : de la 4 de couv pour L'Oréal aux jouets Lego offerts par Leclerc ou à la publicité pour la radio Nostalgie ou au nouveau magazine marmiton. et, bien sûr, il y a les auto-promo de Modes & Travaux : " Mon Cahier créatif" pour les enfants (les lectrices sont des parents et des grands-parents), les fiches abonnement avec la montre cadeau, le hors-série "Mon dressing d'hiver" avec 10 patrons exclusifs. D'une manière générale, pour tous les produits mentionnés, le magazine indique le prix et le moyen de l'acheter (avec en fin de magazine, les "adresses internet du numéro". Dans nos sociétés, tout est à acheter, alors, au moins, ce magazine est franc.

Et puis, pour finir ou pour commencer, il y a aussi les 30 étiquettes cadeau et les "100 étoiles pour illuminer vos fêtes !" 

Voici un magazine qui se veut utile à ses lectrices, sur tous les plans.

dimanche 5 novembre 2023

L'Express a eu soixante dix ans

L'Express. Le numéro de nos 70 ans. 1953-2023, 220 p., novembre 2023, 12,9 €

Cela commence par deux pages consacrées à Cartier (une montre) suivies par par deux pages pour Dior (parfum), suivies par deux pages de Kering (diverses marques), suivies par deux pages de Bucellati (des bagues), suivies par deux pages de Jaguar (automobile), suivies par deux pages de Glenfiddich (whisky), suivies par une page de DS (automobile)... Et alors, enfin, vient un sommaire - d'une page... Et l'on pourrait poursuivre l'inventaire publicitaire sur plus d'une centaine de pages... C'est le prix à payer pour lire le magazine, en plus des 12,9 € du prix facial...

Deux belles pages (pp. 164-165) montrent et résument l'histoire de la géographie du titre (l'emplacement des bureaux), l'évolution de la direction de la rédaction (seulement 3 femmes sur 14), mais des unes avec des seins nus (de femmes), l'évolution du logo. On aurait pu faire mieux et entrer dans les détails, analyser les déplacements géographiques dans Paris, la démographie des directions... Mais L'Express n'est pas sociologue.

Donc, c'était il y a 70 ans, le journal de JJSS (ah ! les initiales !) paraît alors comme supplément des Echos du samedi (Les Echos est la propriété du père et de l'oncle de Jean-Jacques Schreiber). L'Express défend d'emblée la politique de Pierre Mendès-France qui devient président du Conseil (18 juin 1954) ; il met fin à la guerre d'Indochine (le Viet Nam), donne son autonomie à la Tunisie. Dans l'hebdomadaire écrivent François Mauriac (prix Nobel), Albert Camus, Jean-Paul Sartre et d'autres... Le magazine envoie Françoise Sagan (Bonjour Tristesse) à Cuba (1960). Jean Daniel (Bensaïd) est recruté, il quittera L'Express pour créer France-Observateur (qui deviendra Le Nouvel Observateur). L'Express dénonce la torture, demande à l'IFOP un sondage sur les jeunes de 18 à 30 ans qui lui permet d'annoncer "la nouvelle vague". En 1956, Françoise Giroud dénonce la législation anti-avortement. L'Express est censuré, de nombreuses fois. Brigitte Bardot est victime d'une demande de rançon de l'OAS, qui pose des bombes aux domiciles (Françoise Giroud, Jean Daniel, etc.). En 1954, Madame Express voit le jour avec Christiane Collange (la soeur de JJSS !). 

Voilà, c'est le début de l'histoire. L'histoire, les petites histoires qui suivent sont celles de la France. C'est un beau numéro que l'on aura plaisir à feuilleter, à lire aussi pour retrouver toutes ces années passées, ces célébrités politiques dont on ne sait plus grand chose aujourd'hui, et ces pages de publicité que déjà on oublie.


samedi 8 juillet 2023

Le Tour de France : deux étapes dans l'AIN

Spécial Tour de France 2023, La Voix de l'Ain,  24 p.

Le Tour fera cette année deux arrêts dans le département de l'Ain, ce qui fait le bonheur de l'hebdomadaire départemental La Voix de l'Ain. La première étape, le vendredi 14 juillet, ira de Châtillon-sur Chalaronne au Grand Colombier (138 km), "une étape 100% andinoise" et la seconde, le 20 juillet, de Moûtiers à Bourg-en-Bresse (185 km). Le 110ème Tour de France se jouera-t-il sur les terres de l'Ain ? Des journalistes et des sportifs donnent leur avis, prudent !

Le magazine est riche en publicités ; dès la une, deux messages pour les bicyclettes "100% made in Ain". Et l'on retrouve à nouveau des "experts du vélo", en page 2, à Ambérieu- en-Bugey. En 4 de couverture, diverses destinations vantent le département : "Cet été, faites étape chez nous !" la publicité propose de visiter des villages, de rencontrer les divers producteurs, de découvrir les vieux quartiers de Bourg-en-Bresse. Il y a aussi une invitation de france tv (2 et 3) à suivre le Tour en direct (les autres étapes !) .

Le magazine donne des cartes avec les horaires de passage, ceux de la caravane publicitaire et ceux du Tour (avec 3 vitesses). Utile, le magazine donne à ses lecteurs / lectrices l'emplacement des parkings, des fêtes et réjouissances locales aussi.

Des figures historiques du Tour : le presque centenaire Antonin Roland, qui a porté le maillot jaune à plusieurs reprises. et puis il y a aussi Roger Pingeon, vainqueur en 1967, second en 1969 (entre Eddy Merckx et Raymond Poulidor), et puis vainqueur du tour d'Espagne, la Vuelta. Mais, il y a aussi l'association "Donnons des "elles" au vélo !" qui milite pour la promotion du vélo féminin : elles arriveront un peu plus tard mais nous savons bien qu'elles finiront par arriver.

 Bon, c'est le Tour de France, alors on ne parlera donc pas de Paul Nizan, professeur de philosophie à Bourg-en-Bresse, qui tenta sa chance, en vain, aux élections législatives dans ce département en 1931.


lundi 3 juillet 2023

La Voix de l'Ain en vacances d'été

 Destination 01, Eté 2023, Evadez-vous !, supplément à La Voix de l'Ain, 84 p.

Ce magazine se termine par "L'agenda des sorties 2023" qui répertorie les festivals, les visites, les concerts, les randonnées dans le département. Et il commence par une carte touristique où l'on peut situer, d'Est en Ouest : la Bresse, les Dombes, le Bugey et le Pays de Gex.

Cela se poursuit avec le "Terroir et bonnes tables" ; la gastronomie est une spécialité de l'Ain et les produits locaux le démontrent. La carpe des Dombes, la galette de Pérouges, la tarte bressane, la quenelle sauce Nantua, les crêpes parmentières ou les grenouilles à la persillade sont des spécialités régionales au même titre que les fromages, Morbier ou Bleu de Gex. Et n'oublions pas la volaille de Bresse ! On nous emmène aussi à la découverte du Pouilly-Fuissé, Bourgogne réputé.

Et le magazine poursuit ainsi évoquant le patrimoine de la région, patrimoine fait de nature et de culture. L'histoire est partout, avec le "Musée de la grande vapeur" à Oyonnax (sur l'électricité) ou la Maison d'Izieu dont les enfants et animateurs, raflés par les nazis, finirent leurs jours à Auschwitz en 1944. La Dombes et ses étangs, les gorges de l'Ain et de nombreux lieux qui invitent à la randonnée à pied, à cheval ou à vélo. Bourg-en-Bresse accueille cette année la 18ème étape du Tour de France, et puis nous revoilà dans les Dombes, le Parc des oiseaux, Trévoux et l'on s'embarque en montgolfière... On atterrit dans les Soieries Bonnet et l'usine-pensionnat de jeunes filles, fondés en 1835. Et nous revoilà dans le Bugey, terre de vins, la cuivrerie de Cerdon, le Festival d'Ambronay (musique classique), à deux pas de la Suisse.

Vendre un pays, une région, son été, ses vacances, sa cuisine, ses vins, ses restaurants tel est l'objet de ce magazine régional. Destination 01 vend bien le département. C'est un guide touristique, pour les vacances. Tout y est publicité et rien ne l'est. Tout y échappe aux classifications habituelles. Sa durée de vie est d'un trimestre au moins, et son nombre de reprises en main (non calculé ici) est sans doute très élevé. Comment est-il distribué ? On pense aux touristes de passage, entre autres. Il peut être distribué partout, par chaque commerçant, par chaque administration. Superbe travail, méticuleux, précis, et utile aux commerçants comme aux touristes.

dimanche 2 juillet 2023

O mathématiques sévères !

 Nathalie Chouchan, Les mathématiques. Textes choisis et présentés par Nathalie Chouchan, GF, 2018, 249 p., Bibliogr.

Bien sûr, on les a oubliées, un peu, ces "savantes leçons" qu'évoque Lautréamont. Alors ce livre nous les raconte à nouveau, plus sérieusement, en partant de ce qu'en disaient les "philosophes" d'époques anciennes : Descartes, Leibniz, Platon, D'Alembert, Pascal, Husserl...

Nathalie Chouchan, normalienne et professeur de philosophie en classe préparatoire, propose un bilan de l'histoire des mathématiques, enfin, d'"une" histoire. Les textes qu'elle a choisis donnent à voir cette histoire, et  l'illustrent. Pour cela elle a réparti le choix des textes en six parties : l'objet des mathématiques, le raisonnement mathématique, les principes et fondements, un problème mathématique (infinité et continuité), mathématiques et physique et s'achève avec "les limites de la science mathématique" et un texte de Wittgenstein.
A cela s'ajoute un vade-mecum qui décrit les principaux concepts et, enfin, une bibliographie. 

On aurait pu choisir d'autres textes, pour une autre histoire, bien sûr. Mais Nathalie Chouchan est professeur et elle enseigne. C'est son premier métier et, ici, elle le fait bien. 
On peut regretter des absences, bien sûr : Jean-Toussaint Desanti et Les idéalités mathématiques, par exemple ou encore Benoît Mandelbrot ou Alexandre Grothendieck. Mais le livre est bien conduit et les élèves de notre professeur s'y retrouveront, et les autres élèves aussi. A chacun, chacune d'ajouter une référence à celles qui sont données dans ce livre d'apparente vulgarisation. Apparente seulement ! Qui appelle un enrichissement continu...


dimanche 18 juin 2023

La publicité passe au numérique : et l'IREP promet le passage

 IREP, Le marché publicitaire français en 2022, avril 2023, 122 p.

Que nous le voulions ou non, le marché publicitaire mondial, et français aussi, passe au numérique. Et si le marché publicitaire français se porte à peu près bien, c'est essentiellement le fait du numérique tandis que les anciens médias voient leurs revenus provenant de la publicité décliner. Telle est la conclusion évidente des travaux de l'IREP. 

Le document annuel qui décrit l'évolution des recettes publicitaires Nettes en France est d'excellente qualité : on y trouvera toutes les données générales que l'on souhaite, et aussi bien sûr,  celles que l'on ne souhaiterait pas. Bravo à l'IREP et à sa direction, Christine Robert, pour cette synthèse expérimentée et prudente. 

Bien sûr, on peut lire ce volume de données publicitaires de différentes manières, et chacun, chaque média y trouvera des sources de satisfaction et même d'espoir voire aussi de désespérance : c'est ça la statistique ! Par exemple, pour l'année 2022, le total presse est de 1 816 millions (€) tandis que le total internet (search, social, display, etc.) atteint  8 493 millions. Et encore, le total presse inclut aussi 348 millions pour le digital que l'on pourrait aussi mettre dans le total internet. 

Le total marché étant de 16 736 millions (je commente le tableau 1, page 9), Internet dépasse donc désormais la moitié des investissements publicitaires en France. Notons que le poids total des investissements dans une dizaine de titres de presse quotidienne nationale n'atteint que 143 millions en 2022 pour combien de titres, deux ou trois ? Et une démonstration semblable peut être conduite pour la presse magazine ou pour la presse hebdomadaire régionale.

La situation allemande n'est pas différente : internet représente dans la première économie européenne 54,3% des investissements publicitaires. Et aux Etats-Unis ? Presse : 2,5%, internet : 69,7 %. La bataille publicitaire est jouée et gagnée pour quelque temps par Internet. Oui, mais quoi dans Internet ? C'est peut-être là qu'il faut investir, maintenant, et produire de nouveaux outils d'observation du marché, outils que le marché attend, et redoute aussi. Mais qu'est-ce que le marché sinon le produit de ce travail d'observation ?