lundi 10 septembre 2012

Etudes média : les grandes fusions ?

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L'hégémonie du numérique dans les médias et, plus généralement, dans les activités de transaction et de communication (activités de moins en moins dissociables), la migration des activités de ciblage et de segmentation publicitaire vers une collecte et un commerce généralisés de data ne peuvent que mener à la fusion progressive d'un grand nombre d'études. L'objectif ultime des fusions d'études est de ramener le plus grand nombre de médias à une sorte de plus petit commun dénominateur : le contact comme "équivalent général" (métaphore plus féconde conceptuellement que celle de "currency").
La presse a entamé, la première en France, ce mouvement de concentration, de coordination et de rationalisation. La convergence des études suit, en léger différé, la convergence complexe des comportements des utilisateurs de la presse qui constituent la source unique. Diverses raisons justifient ce mouvement de fusion : il permet des économies d'échelle pour la production des données amorties sur de plus larges effectifs (études de calage, un même panel en ligne pour collecter les informations plus ou moins disparates) ; il simplifie les traitements et l'exploitation des données (moins d'opérations statistiques, de modélisations, moins de logiciels de traitement, etc.).
Alors que le recrutement de panélistes est de plus en plus difficile et coûteux, il faut réduire le nombre de panels et réduire la durée de passation de chaque enquête : cette optimisation passe par la fusion des "études média".
On pressent un GRP que nous appellerons non proctérien comme l'on parle de géométries non euclidiennes (cf. H. Poincaré) parce que, plus générales, elles englobent celle fondée sur un postulat révoqué (cf. G. Bachelard). Un nouveau GRP, plus "commode" (H. Poincaré) se profile qui postule d'autres définitions du contact et de l'occasion de voir ou de lire. Pour transcender et unifier toutes les définitions possibles, certaines agences média s'en remettent à la mémorisation, au bêta de Morgensztern qui est une sorte d'équivalent général (cf. échangeabilité / Austauschbarkeit).
  • Audipresse ONE, lancée par la presse française, regroupe en une même étude des magazines et des quotidiens (autrefois AEPM et EPIQ) ; elle  collecte des données de lecture des supports numériques de ces mêmes titres. "Lectures convergentes" : croisement des habitudes de fréquentation des versions numériques avec les lectures 30 derniers jours ou des habitudes de fréquentation (résultats dits "Brand"). A terme, on annonce une fusion avec Nielsen NetRatings.
  • Audipresse Premium regroupe des données produites auparavant par l'étude IPSOS "La France des cadres actifs" et celle des "Hauts Revenus". Audipresse Premium produit des données d'utilisation papier et Web croisées avec des données Média Marché.
  • L'OJD (Office de Justification de la Diffusion) publie des données de diffusion des supports papier et de supports numériques (sites, applis), concernant des titres de presse mais aussi des sites d'autres médias (télévision, etc.).
  • Mesures site centric et people (user) centric : données hybrides OJD + Médiamétrie. Ce projet a pour objectif l'union de ce qui est collecté par des panels d'utilisateurs avec ce qui est observé par et sur les sites (cookies, analytics). Chacune de ces deux méthodologies présente des "commodités" que les annonceurs voudraient cumuler :
    • Mesures publiées en continu pour tous les sites, mêmes petits (données site centric), données dédupliquables pour le calcul de la répétition entre sites (données user centric). 
    • Les panels, même méga ou maxi, ne peuvent par construction que massacrer la "longue traîne", apporteuse de précises et précieuses affinités. Mais les audiences sur site sont parfois compromises par la volatilité des cookies
    • Il est curieux toutefois de voir des annonceurs, au nom de la sacro-sainte puissance et de contenus dits "premium", renoncer à la richesse de la longue traîne, où l'encombrement publicitaire est moindre, l'intérêt et l'engagement de l'internaute plus élevés et indiscutables (et dont la visibilité de la publicité affichée est désormais assurée par des logicels de vérification).
D'autres "fusions" sont inéluctables, certaines sont déjà en chantier : en télévision, en radio, dans le Web même où sont encore séparées les audiences des supports mobiles et des supports fixes alors que s'affirme une sorte de multiscreentasking fusionnel et une domination du mobile. Quant à la publicité extérieure, elle aura du mal à fusionnner les données de l'affichage (4x3 papier/colle) avec celle, numérique, des écrans (digital signage, DOOH) tant semble radicale leur hétérogénéité. De plus en plus, la mise en place de dispositifs DOOH incluent des analytics, témoignant de l'attente impatiente des annonceurs et des commerçants.
Au bout du compte, se dessine une fusion ultime : celle des analyticsmédias avec ceux des points de vente (déplacement, contacts linéaires, contacts produits, contacts PLV, fidélisation, etc.). Elle passera sans doute, entre autres par des applis ad hoc téléchargées dans les mobiles des consommateurs.

Références "hors médias"
Bachelard (G), "Les dilemmes de la philosophie géométrique", in Le Nouvel esprit scientifique
Poincaré (H), "Les Géométries non euclidiennes", in La science et l'hypothèse
Marx (K), Le Capital, Livre 1, Chapitre Premier, III, 2 et 3 (cf. "Die Allgemeine Äquivalentform")

5 commentaires:

Anonyme a dit…

N'allons nous pas perdre en qualité et légitimité?
JimmyBrami

MargotteTsx a dit…

Décidément, la rationalisation est partout. Moins de coûts, moins de panels, moins d'informations à traiter, un temps d'étude optimisé, tout cela me paraît bien à
première lecture. Je me demande tout de même si, de cette fusion des études médias, ne
résultera pas une perte de qualité en matière d'analyse et de représentativité. Certes,
c'est à l'image de notre consommation des médias qui se compléxifie chaque jour un peu
plus. Tout s'entremêle et se recoupe. Mais faire du contact un "dénominateur commun" au plus grand nombre de médias me laisse perplexe. Je crains que nous n'ayons pas encore assez de recul sur la nouvelle ère de consommation des médias et sur nos nouvelles pratiques pour déjà, en changer les règles d'analyse. Il ne fait toutefois aucun doute qu'en faveur
d'études et de ciblage pertinents, la notion de "contact" va devoir être redéfinie.

Anonyme a dit…

La technologie au service des médias mais pour quels réels résultats ? Ce n'est que le début.
@Ciancri

Manel BH a dit…

Comme évoqué par Margaux plus haut, la notion de contact se complexifie. Cette fusion des études va effectivement permettre de simplifier la tâche de définition de l'efficacité d'une campagne. Mais sommes-nous sûrs de la pertinence de ce modèle? Entre les bases de données de lecteurs "papier" et de lecteurs "numériques", comment être sûrs d'éviter les doublons ou d'avoir récolté assez d'informations permettant de recouper ces deux BDD?
Par ailleurs, autre limite, cette convergence des études ne va-t-elle pas conduire à une perte de qualité? Est-ce que l'on peut étudier des lecteurs de presse féminine comme on étudie des lecteurs de PQN?
Dernière remarque, quant à la dernière partie présentant le numérique et l'affichage extérieur comme "non complémentaires", certaines initiatives(http://digitalnews.marcelww.com/2011/04/20/la-chasse-au-tresor-de-ray-ban/) ont montré que l'affichage grâce aux QR codes et aux applications permettait d'enrichir les datas et d'attirer davantage de prospects. Cette association n'est donc peut être pas si futile.

Manel BH

MarieGUEHENNEC a dit…

Comme le souligne l’article, certaines fusion sont inéluctables. Les annonceurs ont aujourd’hui à faire à un consommateur multi-connecté. Selon Médiamétrie, à date, on dénombre 4,5 millions de M-acheteurs (+32% en 1 an) et 960 000 T-acheteur (+71% en un trimestre).

Par ailleurs, une étude mondiale Nielsel réalisée en 2012 a montré que nombreux sont ceux qui utilisent leurs tablettes ou smartphones devant la TV. Aux États-Unis, 88% des propriétaires de tablette et 86% des propriétaires de smartphone ont déclaré avoir utilisé leur appareil au moins une fois en regardant la télévision au cours des trente derniers jours. Près de la moitié (45%) des utilisateurs de smartphone ont déclaré qu'ils utilisent leur appareil en face de la TV de manière quotidienne - dont 25% plusieurs fois par jour.

A l’époque où la multitasking semble être devenu la norme, les études multi-média sont indispensables. C’est en ce sens que Médiamétrie et Google projettent de mettre en place un panel afin d'analyser les comportements "bi-médias" des téléspectateurs et internautes et mesurer les comportements multi-écrans.

Pour Georges Mao, Directeur des Etudes pour la région Europe du Sud de Google : "Les panels "Single Source" sont des outils de recherche clés pour mesurer ces audiences Cross Media. »

On est cependant en droit de se demander si ces initiatives n’arrivent pas un peu tard face à un usage média qui évolue beaucoup plus rapidement.

@MarieGUEHENNEC