lundi 25 avril 2022

Un magazine pour ceux qui sont, encore, en bonne santé

"Rajeunir. Ce que vous propose la médecine anti-âge", Le Figaro Santé. Nos solutions pour votre santé, 100 p., 7.5 €

Bien sûr, tout le monde, à partir de l'adolescence, veut rajeunir. Puisque l'on n'a pas vingt ans très longtemps et que l'on ne dit guère, comme Paul Nizan, "J'avais vingt ans. Je ne laisserai personne dire que c'est le plus bel âge de la vie" ; toute la vie, pourtant, on est nostalgique, on rêve de rajeunir. Voici donc un magazine pour mieux rêver, et penser à sa santé puisque nous sommes immortels, pour l'instant du moins !

Ce n'est pas des marmites du diable, comme Faust, dont nous parle Le Figaro Santé mais souvent de véritable médecine, de vitamines, mais aussi de sport, le tout avec une douzaine de pages de publicité. Avec des interviews : le plus intelligent, le plus franc, est celui du Docteur Antoine Piau dont "l'ordonnance anti-vieillissement" paraît un guide, le bon sens à portée de tous : d'abord, il faut marcher, et cuisiner, et puis sortir de chez soi. Quoi de plus simple ? Mais c'est un bien portant qui le dit... Notons que le magazine présente de belles infographies, plutôt claires, sur "les marqueurs du vieillissement" (pp. 54-55).

Et que faire de ses "données de santé" ? "Il faut apprendre à gérer ses données de santé" : mais comment, qui ? Comment se débrouiller avec le volume de données de toutes sortes que l'on accumule, petit à petit, d'ordonnances en analyses ? Interrogée, "l'experte" laisse les lecteurs dans le doute : "économisons donc nos données de santé". Soit, mais comment ? Ce magazine donne des recettes pour bien vieillir, pour mieux vieillir, en attendant. Ce n'est pas Mephistopheles qui parle, certes, mais chacune, chacun y trouvera un truc, une idée : les chaussures hi-tech (hoka.com), la danse, le sport toujours qui soigne le cerveau et les neurones (mais, attention, pas le sport que l'on regarde à la télévision, celui que l'on pratique un peu chaque jour, discrètement !). Donc, d'abord, il faut bouger : "le sport est un médicament de l'âme", aller au soleil ("vitamine D, vitamine star"), il faut faire fonctionner le cerveau qui ne s'use que si l'on ne s'en sert pas, etc.  Donc le malade de la médecine anti-âge n'a pas d'âge, ou il les a tous.

Le magazine donne des recettes, des idées, suggère, avertit, divertit même. Car à quoi sert un magazine de santé ? A informer sur les maladies (celles que l'on a, celles que l'on n'a pas encore), à rassurer ceux, celles qui sont un peu malades ou craignent de l'être, à soigner aussi les malades imaginaires. Et rassurer ceux et celles qui sont en bonne santé surtout, car c'est là que se trouvent le lectorat et ses annonceurs. Knock, fameux médecin, le disait bien : "Les gens bien portants sont des malades qui s'ignorent".


samedi 23 avril 2022

Bourdieu et la pédagogie des métiers de sociologues

 Pierre Bourdieu, Retour sur la réflexivité, Paris, Editions EHESS, 131 p., Repères bibliographiques 

"De la vigilance épistémologique à la réflexivité", c'est ainsi que  Jérôme Bourdieu (l'un des fils de Pierre Bourdieu) et Johan Heibron présentent les quatre textes qu'ils ont choisis parmi les travaux de Pierre Bourdieu.
Qu'est-ce qu'une "science sociale réflexive" ? Comment intégrer la réflexivité dans l'habitus scientifique ? C'est le thème de l'introduction qui devrait conduire les lecteurs "de la vigilance épistémologique à la réflexivité". 

La formation philosophique scolaire de Pierre Bourdieu ne le conduisait certes pas du tout au "métier de sociologue", au contraire. Car ce n'est pas sur l'opus operatum (ex post) qu'il lui fallait agir mais sur le modus operandi (a priori) : "beaucoup de chercheurs croient qu'il faut mener sa vie comme une vie d'artiste, en accord avec toute une mythologie." Rompant avec les principes et la pratique d'une épistémologie philosophique courante à l'époque (Lacan, Althusser et quelques autres) qui discouraient, habilement et scolairement, sur le spectacle philosophique et ses meubles, Pierre Bourdieu et les auteurs du Métier de sociologue demandent, eux, que l'on s'interroge sur "la science se faisant", "que l'on passe de la logique de la preuve, l'ars probandi, à celle de l'invention, l'ars inveniendi". Donc que le discours rompe avec le retard habituel, inévitable, qu'imposent les démarches de la preuve, retard que Jérôme Bourdieu et Johan Heibron soulignent fortement. Car ce que Pierre Bourdieu "vise à transmettre, ce ne sont pas des thèses ou des théories, mais plutôt un mode de travail et une manière de penser, au coeur desquels se trouve la pratique de l'enquête". D'où l'opposition entre la réflexivité narcissique, que les exercices universitaires encouragent, et la réflexivité scientifique, qui est un "métier" quotidien. Pierre Bourdieu se demandait d'ailleurs comment former les étudiants au travail scientifique, au métier d'enquêteur et de chercheur donc, comment leur permettre d'échapper progressivement à l'institution incorporée, et leur permettre donc d'inventer.

C'est sur tout cela, des réflexions sur les métier de sociologue et leurs évolutions (et leurs erreurs), que ce petit ouvrage porte. Nul doute qu'il contribuera à la formation de futurs sociologues, et - ils  faut bien rêver un peu - à la mise en place de formes adéquates de formation qui sauraient unir l'apprentissage du métier et la réflexion active et continue sur cet apprentissage. Mais peut--être ceci vaut-il pour beaucoup de formations, qu'il s'agisse du médecin ou de l'avocat, du statisticien ou du mécanicien ? 
Question pédagogique formidable, donc.

vendredi 15 avril 2022

Paris bien mal-en-point, Paris malade


 Didier Rykner, La disparition de Paris, Paris, Les Belles Lettres, 2022, 237 p., 19 €

Voilà un livre en colère, mais calmement : pourrait-on être en colère pour la durée de l'écriture d'un livre, pour la durée d'une démonstration avec preuves photographiques ? L'auteur, honnête, s'efforce aussi de reconnaître aussi quelques améliorations réussies, lorsqu'il s'en trouve. Enfin, notons que ce livre qui dénonce la gestion médiocre de la ville de Paris a quelque chance d'être entendu puisque la maire de Paris, qui fut quelque instant candidate à la Présidence de la République - mais qu'allait-elle faire dans cette galère ? -, est éliminée au premier tour des élections, avec moins de 2% des suffrages. 

L'association #SaccageParis avec son site Internet https://saccage-paris.com (beau site) tient de plus en plus le haut du pavé parisien. Et accumule les raisons de se plaindre. Le livre en reprend un grand nombre. Photo-journalisme ?

Inventaire.

D'abord, Paris est sale, et seuls les rats en profitent. Paris rafistolé au scotch (p.32), Paris mal entretenu, des dizaines de photographie dans le livre le démontrent. Le livre passe en revue le patrimoine parisien, des Serres d'Auteuil aux églises mal entretenues, des arbres disparus, de la Place de la République, des bus en retard, des pistes cyclables dangereuses, de la Tour Eiffel entourée d'un mur de verre, des tags intempestifs, des rues inondées, des urinoirs ridicules, des rustines du Pont des Arts, de la publicité partout... Et l"on en passe, même si l'on exagère un peu : ainsi comment éviter le mur de verre qui encercle la Tour Eiffel alors que l'on craint des attentats ?

Il faut admettre que la population qui vient à Paris, celle que l'on fait venir à Paris, ne se comporte toujours pas très bien. Certes. Mais que fait-elle donc à Paris ? Touristes, manifestants des fins de semaine ? Pour être vus, il leur faut être à Paris qui constitue leur décor. 

Et ce ne sont certainement pas les Jeux Olympiques qui vont améliorer les choses !

Dommage qu'il n'y ait pas d'index. Dommage aussi que le livre ne prévoit pas d'être mis à jour très régulièrement (mais c'est peut-être envisagé). Il faut aussi équilibrer le procès, faire valoir ce qui va mieux également. Mais ce livre est déjà très bien, et c'est une première étape.


dimanche 3 avril 2022

Cléopâtre, femme et chef d'Etat en Egypte

Bernard Legras, Cléopâtre l'Egyptienne, Paris, Les Belles Lettres, 300 p., Index des sources (Sources littéraires grecques et latines, bibliques, néo-testamentaires et prophétiques. Sources épigraphiques, inscriptions grecques et latines, inscriptions hiéroglyphiques et démotiques. Sources papyrologiques (grecques et latines, hiéroglyphiques et démotiques. Sources numismatiques, iconographiques), Index des personnes, table des illustrations.

Voici un livre agréable et fort savant. On peut penser à Lucain qui voyait, dans la beauté de Cléopâtre VII, le malheur de Rome, et il la comparait à Hélène de Sparte. L'auteur s'appuie sur des sources, souvent nouvelles, pour raconter la vie et la mort de cette reine exceptionnelle. Polyglotte, lettrée, elle parlait et écrivait le grec, se débrouillait avec l'égyptien, l'éthiopien, l'hébreu qu'elle maîtrisait, l'arabe, selon Plutarque du moins, sans doute, mais pas le latin. Mais à Rome, lorsqu'elle y fut, l'élite intellectuelle parlait grec aussi.

Le livre raconte la vie compliquée de Cléopâtre VII ; son ascension au pouvoir dépend de Rome. Elle restaure ensuite son pouvoir, elle a un fils de César (à moins qu'il ne fût plutôt d'Antoine), Césarion, avec qui elle partage son pouvoir (co-souverain). Réaliste, elle rétablit progressivement le statut économique de l'Egypte. Mais quel était le prix des guerres, comment était-il payé?

Avec Antoine, une proximité (érotique ?) s'établit jusqu'à sa mort qui précède de peu celle de Cléopâtre. Alors l'Egypte passe sous le contrôle de Rome, et fait désormais partie de l'Imperium Romanum.

L'intérêt du livre, que je ne sais pas très bien rendre ici, ne tient pas aux événements qu'il raconte, dont il fait les hypothèses. Car le livre multiplie, prudemment, les hypothèses. L'intérêt majeur de l'ouvrage tient plutôt à sa méthode. Il y a du bricolage (et le bricolage, c'est positif, comme le disait Claude Lévy-Strauss !), des paris, des discussions, des hésitations, des doutes et des affirmations tentées. Des interrogations s'ajoutent aux premières hypothèses, car en fait on ne sait pas grand chose ou du moins, on en ignore tellement. Mais le personnage de Cléopâtre VII n'en est encore que plus mystérieux et plus banal après avoir refermé le livre.

A lire, pour connaître l'histoire de Cléopâtre, mais aussi pour mieux savoir que l'on ne la connaît guère. Car l'auteur sait à merveille mélanger les sources et les difficultés. L'épistémologie est constante dans le livre, sans le dire, prudente. Très beau travail d'historien.