lundi 31 octobre 2022

L'histoire de la médecine pour apprendre, et rire un peu

 Jean-Noël Fabiani-Salmon, Philippe Bercovici, L'incroyable histoire de la médecine, Nouvelle édition augmentée, Paris, Les arènes BD, 307 p., Bibliogr.

Le livre est étonnant, étonnant de qualité (mis à part le titre que je ne trouve pas très bon et ne donne pas a priori envie de l'acheter). Il est vrai que je ne l'ai pas acheté mais qu'il m'a été offert... par un médecin. 
Voilà donc plus de 30 siècles d'histoire de la médecine, d'histoires aussi, petites histoires et grandes histoires. Des siècles racontés avec talent et humour par un dessinateur, spécialiste des BD, Philippe Bercovici, et un médecin, le Professeur Jean-Noël Fabiani-Salmon qui enseigne, à l'université, l'histoire de la médecine à de futurs médecins et qui fut chef du département de chirurgie cardio-vasculaire à l'hôpital Georges Pompidou. Des experts donc.

Tout d'abord, on peut saluer la formidable correspondance des dessins, dialogues et des commentaires. Superbe travail d'association de plusieurs compétences.
Ce livre, c'est l'histoire de la médecine qui raconte et explique comment la médecine devint, petit à petit, une science. Mais qui la raconte en évoquant, chemin faisant, les anecdotes et cocasseries des étapes de cette longue histoire. Et l'on apprend de bonnes : par exemple que Edgar Monitz reçut le prix Nobel pour la lobotomie, pratique dangereuse, abandonnée quelques années plus tard, mais le prix resta ! ou encore l'histoire de l'anglaise Rosalind Franklin qui n'est même pas citée par les détenteurs d'un prix Nobel alors qu'elle est à l'origine de découvertes fondamentales sur la structure des DNA, RNA, etc.
Enfin, on apprend tout sur toute l'histoire de la médecine, celle des infirmières, du climat et de l'environnement, des sages-femmes et de l'obstétrique, de l'allergie, de l'ophtalmologie, de la sexualité...

Un beau livre, bien fait. Et qui fera penser, aux étudiants, nouveaux et anciens, l'épistémologie de la science médicale, toujours coincée entre le soin des malades et l'expérimentation, entre la vie et la mort. Un beau cadeau donc.

lundi 17 octobre 2022

L'actualité, actuelle ou inactuelle : qu'est-ce que c'est ?

 Luc Boltanski, Arnaud Esquerre, Qu'est-ce que l'actualité politique ? Evénements et opinions au XXIe siècle, Paris, Gallimard, 341 p., Lexique conceptuel, Bibliogr., Index des noms

Vaste programme, assurément, que de vouloir définir l'actualité politique ! Qu'est-ce qui n'en est pas ? Ne dit-on pas, parfois, voire même souvent, que tout est politique ou politisable? Quant à l'actualité ! Enfin, ici, il ne s'agit que du XXIème siècle dont nous ne connaissons encore qu'une vingtaine d'années.
"Ce livre a pour objet les relations entre deux ensembles de processus constitutifs de l'espace public" : les processus de "mise en actualité" et les processus de politisation. Soit. L'actualité est dite "de part en part temporelle. Consacrée à la mise en scène de ce qui se passe maintenant, elle s'adosse à l'Histoire dont elle se veut un moment, et se prolonge aussi du côté de la prédiction voire de la prophétie." Soit.
Le corpus analysé est principalement constitué de 116 523 "commentaires" adressés en deux mois au quotidien Le Monde, par des abonnés numériques, de septembre à octobre 2019. Autrement dit, il s'agit que de l'actualité telle que la conçoivent ou l'imaginent des lecteurs, particulièrement engagés, du Monde. Donc d'un échantillon très limité et très spécifique, de la population des lecteurs du Monde, et notamment de ceux qui écrivent régulièrement au quotidien (qu'ils soient ou non sélectionnés par la rédaction pour être publiés). A quoi s'ajoutent, à fin de comparaisons, les quelques 8000 commentaires postés sur le site de deux chaînes de l'INA en janvier 2021.
L'analyse des auteurs évoqués passe, entre autres, par Georges Orwell (Nineteen Eighty-Four), Martin Heidegger (le Dasein et le bavardage), Jean-Paul Sartre (L'être et le néant) puis Walter Lippmann et John Dewey... et encore Paul Ricoeur, Hannah Arendt, Jean-Claude Milner, Pierre Bourdieu, pour ne citer que les plus célèbres, et dont on peut parfois se demander ce que certains font là. Enfin, on est davantage dans la philosophie générale que dans l'analyse quantifiante, que dans les mathématiques et les statistiques. On montre, mais on ne démontre pas.

En conclusion ? Je ne crois pas que les auteurs aient réussi à répondre à la question qui donne son titre à l'ouvrage. Tout d'abord, ils ne m'ont pas convaincu malgré la qualité des discours tenus. La question était-elle trop ambitieuse, trop vague, trop générale ? Ensuite, il ne s'agit que du Monde et de ceux, parmi les lecteurs du quotidien du soir, qui lui écrivent, donc d'une minorité bien particulière (ceci va de soit). Enfin, la période de référence est peut-être trop restreinte pour toucher l'histoire.
L'ouvrage mobilise une très large palette des sciences politiques et sociales pour définir le "dicible" à un moment donné, sur un sujet donné. Mais la démonstration n'est pas vraiment convaincante. La question est désormais à reprendre en tenant compte des apports de cette approche. Quel échantillon de population faudrait-il interroger, observer pour comprendre davantage, la formation des opinions, surtout quand elle n'est pas véhiculée par la langue ? Les auteurs, et notamment Luc Boltanski, sont des pros, ils peuvent revenir sur le discours tenu, sur les conversations qui "agissent sur nous", à distance, sur le ouï-dire, ce mode de connaissance (Spinoza). Et la relation à l'histoire est bien sûr fondamentale. Voir les commentaires sur le structuralisme de Luc Boltanski sur Politika. On attend une suite, et de très sérieux approfondissements !

Le côté juif de Proust

 Antoine Compagnon, Proust du côté juif, Paris, Gallimard, 2022, 425 p., Bibliogr;, Index, Table des illustrations

Proust était juif, puisque sa mère l'était, et l'est restée jusqu'à sa mort. Mais comment Marcel Proust vivait-il avec sa religion ?
Antoine Compagnon a mis à profit la période du confinement pour mener une enquête, publiée chaque semaine sur le site du Collège de France, dans les détails, concernant la réception de l'oeuvre de Marcel Proust, à partir de sa mort en novembre 1922.
Sont passés en revue tous ceux qui ont pu connaître Marcel Proust et en parlent, écrivent sur lui, en bien et en mal.
Nous noterons que Montaigne, dont la mère serait juive également, est souvent évoqué : Antoinette de Louppes aurait été marrane. 
De son côté, Albert Cohen notera les coïncidences entre la phrase proustienne et la phrase talmudique tandis que d'autres voudront n'y voir qu'un héritage paternel : le diagnostic des passions et le diagnostic médical. L'auteur de Belle du seigneur soulignera, lui, de son côté "l'apport juif" de l'oeuvre de Marcel Proust à la philosophie française.

Le livre suit les revues qui successivement, après sa mort, accueillent des textes concernant Proust et le judaïsme. En fait, c'est toute l'ambiance intellectuelle de l'époque que dépeint et reconstitue ce livre. Le livre se termine mais l'enquête, elle, n'est pas terminée, il reste des questions, des doutes, des découvertes à faire, note l'auteur. 

Ce livre est d'une grande qualité, matérielle d'abord : les illustrations très nombreuses et toujours pertinentes qui s'ajoutent au texte, la qualité des informations méticuleusement rapportées par l'auteur, donnent à cet ouvrage une dimension rare où la qualité des démonstrations, modestes mais bien conduites, s'ajoute à la perfection matérielle d'un texte facile à consulter, à parcourir. Voici un livre qui retiendra l'intérêt des chercheurs, spécialistes de l'histoire sociale, mais aussi des amateurs curieux de l'oeuvre de Proust et de sa réception. Superbe travail.