lundi 19 avril 2021

Pour en finir avec les villes délirantes, la campagne ?

 NEORURO. Une nouvelle vie à la campagne, avril 2021,trimestriel, 100 p. 5,9 € (abonnement : 23,6 € par an). Reworld Media. Mise en place : 60 000 exemplaires.

Voici un magazine nouveau qui propose à ses lectrices et lecteurs des moyens raisonnables de vivre autrement."Vivre et travailler à la campagne": facile à dire, mais difficile à faire ? On avait déjà pensé à construire les villes à la campagne, dès 1860, mais le nouveau magazine de la néo-ruralité ne veut pas faire penser à l'humoriste (Alphonse Allais) :  il est plein d'idées sérieuses et réalistes.

Tout d'abord, vivre à la campagne, c'est possible puisque nombre de candidats ont déjà  franchi le pont pour s'installer à la campagne. Et la dernière page du magazine vous donne des idées fondamentales et utiles ; elle vous conseille d'aller trouver le notaire de la région ou du village où vous cherchez un terrain (mais aussi, consultez les mairies), de vous renseigner sur la SAFER (Société d'Aménagement Foncier et d'Etablissement Rural) qui libérera, ou pas, des préemptions en matière de vocation du bien considéré. On vous y indique aussi les premiers et indispensables travaux à considérer : l'électricité, la mise aux normes de la fosse sceptique, les isolations (qui allégeront les factures d'énergie), le réseau 4G (Internet est plus que jamais vital, tant pour le travail que pour la vie quotidienne de toute la famille), et, enfin, les servitudes diverses (droits de passage, etc.). 

Pour tous ces éléments primordiaux, le recours au notaire local est d'ailleurs fortement conseillé. On pourrait ajouter à cette liste : les inscriptions et les transports scolaires, pour aujourd'hui et pour demain (école élémentaire, lycée, internat, université), et, bien entendu, la connaissance précise de l'environnement médical. Tous ces points sont fondamentaux lorsque, parents, on a la responsabilité d'une famille. Cette page d'information première est complétée par des notes ponctuelles dispersées dans chacun des articles et qui traitent de budget, de la phase préparatoire, etc. Notons que, à la page "humeur", qui se trouve comme un avertissement au début du magazine, on apprendra qu'il faut se méfier du poulailler géant, de la ferme de 1000 vaches, de l'implantation d'éoliennes, de l'épandage de produits phytosanitaires, et de tant d'autres mésaventures industrielles imposées par les villes voisines et qui peuvent compromettre une installation à la campagne (cf. "Qui veut la peau du coq Maurice ?").

Le magazine fait rêver. Première étape d'une réorientation de la vie : il faut rêver ! "Enfin libre !" déclare le rédacteur en chef, Denis Pilato. "Enfin libreS", au pluriel, faudrait-il dire, plutôt. Car dans cette aventure, on ne s'embarquera pas seul-e, et les adolescents ne seront pas les plus faciles à embarquer. Toutefois, des articles multiplient les expériences de nouveaux départs, ainsi celle de ce couple parisien qui s'installe dans une ferme en Charente, ou encore cet autre qui s'implante avec ses deux enfants dans les Côtes d'Armor et y vit sans voiture. Et bien d'autres, qu'il faut lire, attentivement. Ira-t-on jusque dans la "cabane fertile" pour vivre une "désobéissance fertile" complète ? Ne délirons pas ! Moins idéaliste, un  gros plan sur un département ("La Sarthe. Terre d'accueil de Parisiens ?") est bienvenu pour un nouveau départ, pour les néo-ruraux (qu'il ne faut pas confondre avec les rurbains) et on y voit l'intérêt des villes moyennes que l'on se représente comme des villes exceptionnelles où l'on pourrait concilier la nature et les fonctionnalités de la cité. A la fin du magazine, on trouvera des articles sur de nouveaux métiers d'artisans : coutellerie, savonnerie, céramique, jardinage... De bonnes idées mais on attend aussi et surtout les métiers réalistes : la poste, l'enseignement, les transports publics, les vélos, les livraisons et bien d'autres.

Le magazine regorge d'optimisme, mais prudemment, car le constat indique que tout est à inventer pour vivre mieux la ruralité ."Il est difficile aujourd'hui de vivre à la campagne et d'être écolo", déclare Bernard Farinelli, un spécialiste du local, qui souligne, réaliste, la question de l'emploi : "Les campagnes peuvent être un vrai laboratoire. C'est enthousiasmant car tout est à réinventer." Et il y a la question de la mobilité aussi : "Il est difficile aujourd'hui de vivre à la campagne et d'être écolo", souligne-t-il. Ensuite, le magazine promet un salon 2021-2022 pour une nouvelle vie à la campagne : le salon se tiendra à Paris, à la Grande Halle de La Villette. Enfin, la 4 de couv, c'est de la publicité : pour la SNCF et son TGV inOUI à "grande vitesse, bas carbone". 

Ce magazine nous a fait rêver, c'est bien. Quelle sera la suite ? Passée la  philosophie et les rêveries, le magazine ne pourra pas échapper aux rubriques de conseil précis, utile, aux explications. Les métiers, la santé, l'avenir des enfants.... Et c'est là que le lectorat jugera, car une nouvelle vie au vert, ce n'est pas que des vacances.

mardi 6 avril 2021

Penser la Chine, toujours nécessaire et essentiel

Anne Cheng, Penser en Chine, Paris, Gallimard, 2021, 558 p. Index                    

En noir, le poison ;
en rouge, la longévité :
la vie se prolonge malgré le
poison ou bien le poison 
compromet une longue vie ?
Pour Anne Cheng, normalienne et Professeure au Collège de France (chaire Histoire intellectuelle de la Chine), qui a dirigé ce volume collectif, il faut penser la Chine d'aujourd'hui, exactement : la mise au pas de Hong-Kong, le contrôle de la population ouïgoure du Xinjiang, la pandémie de Covid-19 et les informations et désinformations qu'elle provoque, tous ces événements sont des symptômes ; ils imposent à l'Occident de repenser la Chine et donc d'écouter ceux et celles qui, en Chine, décrivent la situation. Mais qui peut, en Chine justement, penser ces événements et faire part de ses pensées sans risque ? Notons que Anne Cheng, chinoise et française, ne pense pas "en Chine", mais à Paris, de même que la plupart de ceux qui ont contribué à cet ouvrage pensent de l'étranger, hors de la Chine, si l'on exclut sur 17 contributions, les 3 de Chu Xiaoquan (université Fudan, Shanghaï), Ge Zhaoguang (université Fudan, Shanghaï) et Qin Hui (université Tsinghua, Beijing). Beaucoup des contributions de cet ouvrage mériteraient une approche plus discutée ; ainsi celle de Sebastian Veg (EHESS) sur "la marginalisation des intellectuels d'élite et l'essor d'intellectuels non institutionnels depuis 1989" qui compare trois régimes de production des savoirs ou celle de Ji Zhe (INALCO) sur les relations de négociation entre le boudhisme et l'Etat. Nathan Sperber analyse le "capitalisme d'Etat en Chine" reprenant des travaux de sa thèse, et Anne Kerlan traite de "l'invention du cinéma chinois", etc.

Cet ouvrage fait suite, dix ans après, à La pensée en Chine aujourd'hui (Gallimard, 2007, 478 p., Index). Il est précédé d'une présentation de Anne Cheng. C'est d'abord, l'usage de la notion antique de tianxia ("tout sous le ciel", 天下) que remet en question Ge Zhaoguang, notion utilisée selon lui aujourd'hui pour célébrer " la civilisation plurimillénaire de la Chine" et les fantasmes de "l'Empire-Monde". Et l'on en vient à la dénonciation des Instituts Confucius, dont un anthropologue américain, Marshall Sahlins (université de Chicago), dresse le procès : il y voit un "academic malware", une maladie académique, qui s'ajoute aux armes idéologiques traditionnelles. Qin Hui, lui, plaide contre un pseudo exceptionnalisme chinois. Le Mai 68 français est curieusement mal compris en Chine et n'a aucun rapport avec les événements chinois de la même époque. Avec l'évocation des événements historiques, comme la crise de la COVID-19 ou le Xinjiang (nouvelle frontière de l'empire mandchou) ou encore les événements récents de Hong Kong, on a du mal à s'y retrouver. Anne Cheng conclut, sans trop y croire : "Quand donc la Chine comprendra-t-elle qu'elle ferait mieux de se remettre à penser au lieu de continuer à dépenser ?" Le jeu de mots ne permet pas de rendre compte de ce que pensent les Chinois et Anne Cheng, pour le moins perplexe, de citer finalement Laozi (61) : "Un grand pays se tient au plus bas // Là où coulent les rivières // Là où le monde se rencontre // Là où se trouve le Féminin ". 

Notons que Anne Cheng, a, par ailleurs, publié il y a longtemps déjà, sa propre traduction des Entretiens de Confucius (cf. aux Editions du Seuil, 1981, + le texte chinois, 153 p +10 p) et qu'elle dirige aussi depuis une dizaine d'années, aux éditions des Belles Lettres, la Bibliothèque chinoise, qui compte une trentaine d'ouvrages en édition bilingue (nous avons rendu compte de plusieurs de ces ouvrages dans nos blogs). Cette Bibliothèque chinoise vise tout ce qui a été publié en chinois classique, que les auteurs soient japonais ou coréens.