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jeudi 3 janvier 2019

Télévision américaine : la concentration n'en finit pas


2019 commence avec une fusion dans la télévision américaine. Gray Television a acquis Raycom Media pour 3,6 milliards de dollars. L'une et l'autre entreprise sont des groupes de stations de télévision locale. La FCC et le ministère de la justice (DoJ, Department of Justice) ont approuvé la fusion qui donne naissance à un groupe touchant 24% des foyers TV américains (17% avec UHF discount) soit 142 stations (full power). Après négociation avec la Division antitrust du DoJ, la fusion s'accompagnera d'une revente de stations dans certains DMA pour éviter de créer des monopoles pour la vente de publicité locale (conclusion des études d'impact : competitive impact).
Sont concernées par cette revente (divesting) les stations affiliées suivantes (entre parenthèses le network auquel elles sont affiliées) : WGPX Panama City, WDFX Dothan, WFXG Augusta, WTNZ Knoxville (Fox), WTOL Toledo, WSWG Albany (CBS), KXXV Waco, WTXL Tallahassee (ABC), KWES Odessa (NBC). L'ensemble demeure toutefois un groupe de taille modeste en comparaison de Nexstar et de ses 216 stations.

Cette réglementation de la télévision terrestre (broadcasting), que l'on peut qualifier de tatillonne, est à mettre en regard avec l'étonnant laisser-aller législatif qui permet aux grands groupes de s'attaquer sans vergogne au marché de la publicité locale américaine, Facebook et Google notamment (en attendant Amazon et Microsoft avec LinkedIn). La puissance de la concurrence provenant des plateformes vidéo Netflix et Amazon Prime Video est également à prendre en compte.
Les groupes de télévision locales et la réglementation de la concentration qui les concerne sont le produit des débuts de l'histoire de la télévision et de la radio américaine (legacy) ; les networks, ne l'oublions pas, ne sont que des groupes de stations locales. Sans accroissement de la concentration, ces groupes ne peuvent affronter à armes égales les nouveaux groupes publicitaires issus du numérique.

L'objectif déclaré de la FCC est de préserver le localisme des médias tout en assurant la diversité des points de vue qu'ils diffusent. Mais qu'en est-il du contrôle de la diversité des points de vue émis sur Facebook ou sur YouTube ? Le maintien du localisme et de la diversité dépend de la compétitivité économique et technologique des médias locaux, donc des possibilités de scaling : le président de la FCC ne cesse d'ailleurs de souligner que la réglementation doit s'adapter à la réalité nouvelle du marché ("Our rules must keep pace with the modern media marketplace”).
Comme tous les quatre ans, à la demande du Congrès, la FFC doit passer en revue l'état du marché des médias américains et apprécier l'efficacité des règles de concentration en vigueur ; la FCC peut être amenée à remettre en question certaines des règles qui brident le développement des networks commerciaux nationaux (ownership rules), y compris, notamment, la règle dite "dual TV network ownership",  qui vise les quatre networks historiques (ABC, CBS, Fox, NBC) et interdit toute fusion de deux d'entre eux.

mardi 6 novembre 2018

And now, it's HBO that goes dark!


A dispute is going on between an MVPD, Dish Network, and WarnerMedia (now part of AT&T). There is a disagreement over the pricing policy for HBO and its sister channel, Cinemax, both pay TV channels. Consequently, the 1st of November, HBO and Cinemax went dark for the first time in 46 years. Therefore, the 2.5 million households also subscribing to HBO, from among the 13 million Dish Network subscribers, no longer receive their channel. For how long? Who knows? For the time being, no negotiation is in sight.

This situation could be - and has been - interpreted as an indirect consequence of the recent acquisition of Time Warner by AT&T. AT&T owns DirecTV, which is in head-on-competition with the satellite operator Dish Network.
The Department of Justice (DoJ) has always questioned AT&T's acquisition, which could give ATT too much power over TV consumers. Does this situation mean the DoJ is right? Dish Network has testified against the acquisition and could take advantage of this blockage: according to Dish Network, AT&T tries to prevent Dish from distributing WarnerMedia channels (HBO being the most prestigious of them). Every concentration has side effects.

The fight is just beginning. Next episode, the belligerents will meet in the Court of Appeals. HBO subscribers patiently (or not) wait until the end of the blackout... or subscribe to Netflix or Amazon Prime Video. These last two may well end up being the real winners of this battle.

N.B. Dish Network lost 341,000 pay-TV subscribers (third quarter 2018), DirectTV lost 359,000.

mercredi 20 juin 2018

(AT&T + Time Warner) + Appnexus = la riposte des médias traditionnels américains s'organise


AT&T pourra fusionner ses activités avec celles de Time Warner moyennant 85 milliards de dollars et un endettement très élevé (180 milliards selon Moody). Le ministère américain de la justice (Department of Justice, Antitrust Division) avait marqué son opposition à cette fusion verticale annoncée par AT&T dès octobre 2016. Le Tribunal de Washington (U. S. Court District for the District of Columbia) l'a autorisée (Memorandum Opinion, June 12, 2018) réfutant un à un tous les arguments du gouvernement dans un document de 172 pages. Le juge s'étonne même qu'un débat ait dû avoir lieu : "small wonder it had to go to trial".
Copie du début de la décision du juge Richard J. Leon
Cette décision peut ouvrir la voie à d'autres fusions dont celle, retentissante, en cours de discussion, de 21st Century Fox, soit avec The Walt Disney Co. (71 milliards de $, cash and stock), soit avec Comcast (65 milliards de $, "all cash" son endettement atteignant alors 170 milliards) ; elle crée une sorte de jurisprudence qui pourrait éveiller l'intérêt, par exemple, de Lionsgate Entertainment, des chaînes Hallmark Channel ou AMC, voire même des groupes CBS et Viacom. Selon le juge, la fusion Time Warner / AT&T ne restreint pas la concurrence, contrairement à ce qu'estimait le gouvernement et elle n'affectera pas négativement les consommateurs.
Toutefois, le ministère de la justice (DoJ) peut encore faire appel de la décision du juge Richard J. Leon et, de son côté, la FCC peut ajouter des restrictions à la fusion. La fusion avait été acceptée par la Commission européenne en mars 2017.

L'ensemble AT&T / Time Warner est apparemment considérable mais il faut l'évaluer en comparaison avec la puissance des acteurs intervenant désormais sur les deux marchés pertinents :
  • le marché de la télévision et du cinéma avec la concurrence des SVOD de dimension internationale : Netflix, Amazon Prime, Google avec YouTube, Facebook avec Facebook Watch, et peut-être bientôt Apple. 
  • le marché de la publicité numérique : Amazon, Google, Facebook et Comcast.
La fusion associe deux métiers : connectivity business pour AT&T, entertainment business pour Time Warner ou, autrement dit, l'intégration de la distribution et de la production de contenus (programming). L'ensemble nouvellement constitué par cette fusion comprend :
  • des télécoms (AT&T est le premier opérateur mobile américain avec 151 millions d'abonnés)
  • un important MVPD (avec son bouquet de télévision payante, DirecTV et U-verse) et un MVPD virtuel, DirecTV Now 
  • des chaînes de télévision : HBO et toutes les chaînes de Turner Broadcasting (CNN, TBS, FilmStruck, TNT, etc.), des chaînes sportives régionales
  • des studios de production cinématographique et de télévision (Warner Bros.)
Grâce à AT&T, les chaînes de télévision de Turner Broadcasting pourront accéder à leurs propres données de consommation ce qui leur permettra un meilleur ciblage publicitaire. De plus, AT&T a annoncé le lancement prochaine d'une chaîne sportive OTT (AT&T Watch).

L'argumentation du juge repose sur le fait que la concentration verticale ne modifie pas immédiatement le niveau de concentration dans chacun des deux marchés concernés ; au contraire,  la concentration verticale présente plusieurs avantages : elle réduit les coûts de transaction (bargaining friction, elimination of double marginalization) ce qui peut se traduire par une réduction du prix de DirecTV pour ses abonnés ; enfin, elle facilite la distribution direct to consumers (OTT, SVOD).
Néanmoins, l'ensemble issu de cette fusion serait bien loin de rattraper les Facebook, Apple, Netflix, Amazon et Google : il resterait loin derrière, "chasing tail lights".

La première réaction de AT&T, dès l'acquisition de Time Warner (rebaptisé WarnerMedia), est une autre acquisition, celle de l'adexchange Appnexus (1,6 milliard), acquisition qui renforce les moyens de AT&T dans la publicité numérique (programmatic, etc.). 

Quelles leçons pour l'Europe ?
Une consolidation européenne dans les médias semble indispensable ; est-il même une autre voie ? Il faut reconsidérer les questions de taille des entreprises médias : les entreprises européennes semblent sous-dimensionnées. Pour contrer les effets induits par la puissance des GAFA et de Netflix, que le juge américain qualifie de "tectonic changes", l'Europe doit revoir l'approche des questions de concentration, en revoir les outils d'analyse (l'opinion du juge émet notamment des doutes sérieux sur la validité de certaines évaluations d'audience).
Les règles anciennes ne correspondent pas à la situation nouvelle crée par les GAFA qui révolutionnent la notion de marché pertinent. Tout semble indiquer, si l'on en croit l'analyse du juge américain, qu'il faille encourager les concentrations verticales qui associent distribution et production de contenus. D'autant que le développement prochain de la 5G ne manquera pas d'affecter fortement la distribution des contenus...