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samedi 25 décembre 2021

La sociologie : plaidoyer brillant pour une remise en questions

 Jean-Louis Fabiani, La Sociologie. Histoire, idées et courants, 223 p., Lexique

Voici un excellent manuel de sociologie ; il a été produit par Jean-Louis Fabiani. C'est un manuel pour les débutants mais aussi pour les plus vieux, anciens débutants, qui peuvent y trouver de quoi remettre en chantier leurs outils de travail, les plus courants et les plus subtiles, et abandonner leurs idées un peu vieillies voire, pour certaines, complètement obsolètes.
Le plan de l'ouvrage est clair : d'abord l'histoire et déjà pointe le trio que l'on retrouvera à maintes occasions dans cet ouvrage avec Marx, Durkheim et Weber. Et, d'emblée aussi se trouve posée la question de la cumulativité des savoirs sociologiques : Jean-Claude Passeron refuse cette idée (c'est comme l'agriculture sur brûlis, dira-t-il) que l'auteur défend avec Randall Collins qui préfère la métaphore du "conservatoire botanique où l'on s'attache à maintenir en vie de très anciennes espèces tout en en créant, pas très souvent, de nouvelles".
Le chapitre 7 évoque la vigueur de la révolution numérique accélérée par la téléphonie, témoignage de l'incroyable résilience du capitalisme (la destruction créatrice de Joseph Schumpeter !).
Jean-Louis Fabiani accorde par ailleurs une grande importance aux "studies" de toutes sortes, provocantes, qui ont marqué l'histoire récente de la sociologie, la rectifiant même parfois ; et de citer, par exemple, Dipesh Chakrabarty qui souligne l'erreur de "l'évolutionnisme qui veut que toutes les sociétés passent par les mêmes étapes d'un itinéraire identique" : en fait, études noires (Black Studies), études du genre (le rôle de Margaret Mead et de Simone de Beauvoir) réveillent la sociologie de son sommeil dogmatique. Et Jean-Louis Fabiani rappelle modestement qu'"Il existe dans notre travail une bonne part de bricolage qu'on ne pourra jamais éliminer parce que nos objets sont immergés dans un flux temporel qui nous laisse rarement le temps de les construire avec la rigueur épistémologique qui s'imposerait". D'où la proximité avec le journalisme, ses succès et ses erreurs.

Le chapitre 10 ferme le livre avec l'enquête et "les outils pour analyser et comprendre". D'abord, il peut sembler qu'il n'y ait pas d'outils sociologiques a priori, que tout peut le devenir. Ensuite, l'enquête et les différents outils traditionnels de la sociologie sont évoqués, mettant en évidence leur rendement mais aussi leur progressive obsolescence, trop souvent oubliée. Cette partie est le plus riche mais aussi la plus désespérante pour la sociologie car les méthodes ont mal vieilli. Sans doute peut-on attendre des outils et méthodologies numériques, entre autres, des renouvellements radicaux.

Le livre est on ne peut plus sérieux, richement documenté, les références récentes complétant les développements plus classiques. Et, l'auteur ne manque pas d'humour dont il pigmente ses propos, discrètement. Ainsi parle-t-il de simple garniture idéologique pour distinguer les thèses de Pierre Bourdieu et de Talcott  Parsons (p. 41) et pour souligner leur "évidente parenté". Et de l'ouvrage de Bruno Latour (Changer de société, refaire de la sociologie) son commentaire est sec : " refaire de la sociologie n'est pas vraiment son objectif ; il s'agit plutôt d'en faire, enfin, pour la première fois".... Et l'auteur se moque aussi de ceux qui criaient "CRS! SS!" en 1968, si peu historiens, si piètres sociologues, mais tellement à la mode.

Le chapitre, en annexe, intitulé "Quelques mots de la sociologie" pourrait bien évidemment être beaucoup plus développé ; des concepts manquent mais l'essentiel est présent, et qui aidera bien des lecteurs à remettre leurs idées en place. Jean-Louis Fabiani fait le ménage et revient, en actes, sur la conclusion de son ouvrage. J'en retiens "l'impératif de description" (p. 211) qui remet en questions tous les grands concepts de la sociologie et de "ce que nous appelons, plutôt vaguement, le monde social" ; encore une fois l'ironie de Jean-Louis Fabiani qui revendique finalement "de contribuer à l'expansion dans la société d'une sorte de distance critique à l'égard des affirmations les plus péremptoires qui y circulent, et de ne jamais renoncer à chercher à comprendre". Heureux projet. Les théories, les notions de la sociologie, oui, mais jamais sans l'ironie qui en est une hygiène constante.

lundi 29 avril 2019

Apologie du bon débarras. Sérié télé américaine


Tidying up with Marie Kondo (Ranger avec Marie Kondo), série, première saison, 8 épisodes d'une demi-heure à trois quarts d'heure chacun. Janvier 2019.

Voici une étonnante émission de la télévision américaine, diffusée par Netflix. Le principe en est le suivant : un foyer a accumulé tellement d'objets devenus inutiles, l'habitation est tellement encombrée qu'il lui devient inconfortable d'y vivre, pénible même. L'espace domestique est rongé par d'incessantes accumulations : la société de consommation est une société de gaspillage et de dons où acheter (shopping) est un passe-temps, une activité en soi dont il est bon de se plaindre (cf. la corvée des cadeaux de fin d'année, le rituel des achats pour la rentrée scolaire). En revanche, il y a des moments de la vie qui appellent le débarras : le départ des enfants ("empty nest", épisode 2) ou le veuvage (épisode 4), l'arrivée d'un enfant (épisode 7) ou un mariage ("When two (messes) become one" - dernier épisode).
Tout le monde a beaucoup de mal à jeter, à se débarrasser de tant d'objets habituels et pourtant inutiles, dénués de valeur : jouets, vêtements, collections, chaussures, gadgets divers, cartes postales, courrier. D'autant qu'à chacun de ces objets relégués reste associé à un souvenir.
Alors il faut faire appel à une spécialiste du rangement : c'est Marie Kondo. Elle est japonaise ; dans l'émission, elle parle un peu anglais, surtout japonais et fait appel au truchement de son interprète. Paradoxalement, cette distance linguistique facilite la communication et les exigences du rangement s'en trouvent moins brutales, amorties par le délai de traduction et la bonne humeur tenace de Marie Kondo. Les mots sont moins offensants, plus cordiaux, acceptables.
Mari Kondo a publié plusieurs livres vantant sa méthode (de-cluttering) ; la série s'en inspire largement. Le livre sur l'art japonais du rangement se veut un "manifeste mystique" (sic !) ; il y a aussi une version manga ; le rangement selon Mari Kondo, inspiré du shintoïsme, prend volontiers une dimension métaphysique. Marketing oblige.

Fée des logis, Mari Kondo, docteur ès-rangement, établit bientôt un diagnostic au cours de la visite de l'habitation tandis que les téléspectateurs font connaissance de ses habitants, qui confessent leur impuissance. Cela tient de la thérapie et du coaching. Voyeurisme. La caméra s'introduit dans l'intimité de la vie d'un couple : vivre ensemble, n'est-ce pas d'abord s'accorder avec son partenaire, sur le rangement des choses de la vie ?
La réalisation fait d'abord prendre conscience des monceaux d'objets sans intérêt, des placards qui débordent et prennent la place de l'essentiel. Spectaculaire ! Au vu du diagnostic, les habitants s'engagent à se débarrasser de tout cet encombrement et le déblaiement planifié peut commencer, pièce par pièce. Le tri ne conserve que ce qui amène la joie ("what sparks joy") et qu'il faut mettre en valeur.
Marie et l'équipe de tournage reviennent chaque semaine visiter l'habitation, pour juger de l'avancement des travaux des Hercules domestiques. Marie Kondo leur montre des trucs : comment plier les vêtements (impressionnant !), placer des objets dans des boîtes de différentes tailles... Mettant en scène une situation courante dans laquelle tout téléspectateur peut se reconnaître, la série exerce une fonction cathartique. Les téléspectateurs, qui sont eux aussi plus ou moins débordés par des années de vie quotidienne, par la crue des possessions, et la cruauté des dépossessions, déclarent s'être mis à ranger, à mettre de l'ordre chez eux et, par voie de conséquence, à effectuer des donations charitables, des ventes de voisinage (garage sales)... Tous admettent retirer un bénéfice psychologique de la clarté et de l'organisation nouvellement conquises, du bonheur de prendre le temps de retrouver de l'espace. Esthétique cartésienne du sobre, du clair et distinct. C'est un créneau que la presse de la maison et de la décoration occupe depuis longtemps.
La méthode Marie Kondo peut s'appliquer plus généralement à toute gestion : celle du budget domestique et des achats, à la gestion du temps... Discours de la méthode domestique, règles pour la direction de l'esprit. Toujours hiérarchiser pour ne garder que l'essentiel, se débarrasser du reste. Voilà qui vaut sans doute pour le fatras de connaissances que l'on accumule sur les réseaux sociaux, pour les entreprises aussi. Gérer, c'est ranger, et arranger.


lundi 11 juin 2018

Social media at the French newsstand: hybridization of influencers?



The press has always taken advantage of other media to create new magazines, even if it was thereby helping its competitors on the advertising market: radio, cinema, television and video games. It is therefore not too surprising to see the digital media give birth to magazines. At the beginning, television networks brought new blood to the press (TV Guide), now social media are injecting their dynamics into the legacy media. We should also remember that the press itself is still a hybrid medium, paper and digital. This hybridization is welcome as well as favorable to an association with digital media and their influencers.

Recently, two major European publishers, Hachette and Mondadori, each launched a French magazine (paper first) to cover young digital stars. YouTube brings an audience of modern youth that the press so badly needs. In exchange, the magazines offer YouTube stars legitimacy and add to their visibility (reach): France boasts more than 20,000 points of purchase for the press. Moreover, these magazines also generate their own online presence, website, and app, re-enforcing awareness and the reputation of Youtube stars and their channels where, as influencers, they advertise and sell products.
YouTube is the new television for the new generation (in addition to Netflix); according to Pew Research Center, it is the most favorite popular platform among American teens (13-17 years). They use it more than Snapchat, Facebook, Instagram or Twitter.
Will these magazines become a new kind of TV guide for these digital times?

L'atelier de Roxane (Roxane's workshop)
Roxane is a so-called influencer, a "socialtubeuse". She boasts 2 million followers/subscribers on social media. Reminiscent of a woman's magazine, Mondadori publishes L'atelier de Roxane fortnightly for a price of 5.90 Euros (7 USD). Published as a special issue of Closer Teen, it is distributed via newsstands throughout France. The magazine has 68 pages and targets kids, young teenagers and their mothers. No brand advertising in the first issue but every item, cooking tool or fashion, is for sale on an online store (promotion): we count 77 items for sale in the magazine, ranging from 1.59€ (for a dog treat) to 455€ (for a mixer). 77 micro-influences and recommendations, and so well done: no impression of clutter! You want to trust Roxane's bits of advice! Micro-influencers show a new advertising business model for the media.
A digital version can be read on the publisher's website for 4.50€ (4 USD) and on YouTube, of course. Cooking is the major subject (cake design): baking made simple (easy)for everyone ("la pâtisserie accessible à tous"), mostly with recipes for sweets, pastry, and candy. Roxane covers fashion as well: "Mon look of the day".
In "My Life": Roxane introduces her family, her husband and their two kids (11 and 7 years old), and their dog. "Nos abonnés font partie de notre vie, de notre famille" ("Our subscribers are part of our life, a part of the family"). Roxane is 28 years old and trained as a child care worker. She presents herself as a friend and sounds like a fun mom, her tone is somehow demagogue, she seems too old to speak that way. Nevertheless, the magazine is cleverly positioned, both as a parenting magazine (DIY, cooking) and a kids magazine.

WEBUZZ. Le magazine n°1 des stars du web (Number one magazine for web stars)
Launched in February by Hachette Presse, the monthly is almost exclusively dedicated to YouTube and its numerous influencers (although there is also an article about Snapchat, one about Instagram, one about Facebook). 3.95 €, 100 pages.
On the cover, Norman, 31 years old (not a teenager!) is a French star on YouTube who boasts 10 million followers. Most of the magazine content covers YouTube culture with articles such as "YouTube is my only friend" ("YouTube est mon seul ami") or another covering a visit of the YouTube building in Paris. Webuzz presents many portraits or interviews of YouTube stars, mentioning the number of followers.
Who are the advertisers? Fashion, Galeries Lafayette (department store), a hip-hop FM radio station, comic books, a novel (by Zoella). Among the articles: a clever one discussing the communication gap, comparing the younger generation's lifestyle to that of their parents ("Retrobuzz"), articles about video games, a "shopping" page (about fashion, between 7.90€ and 69€), a cooking article (cake with lots of M&Ms, a recipe from Roxane). Conclusion: "Everyone can become a star, send your video" ("à toi la gloire"). With YouTube, every teenager can hope for their 10 minutes of fame.

Both magazines share a style, a vocabulary, teenager slang, allusions, Frenglish, gestures, body language, facial expressions ("techniques of the body", Marcel Mauss), tastes, grimaces. These patterns of a new culture (probably short-lived) call for a new ethnography. Again the social networks are full of "intimate strangers", too intimate to be true ("family", "my only friend"!).

References
  • Richard Schickel, Intimate Strangers. The culture of Celebrity in America, 2000, 334 p.
  • Ruth Benedict, Patterns of culture, 1934, 291p.
  • MediaMediorum, "Les médias sociaux des enfants passent au papier", August 2018

jeudi 1 décembre 2016

Midnight Diner: une série de petites histoires japonaises sur Netflix

Couverture du manga
(Anime News Network)

Le générique lance de belles images nocturnes de Tokyo, de Shibuya, centre de Tokyo où tout le monde se croise. Carrefour de néons, de couleur et de précipitation. Sous-titres en anglais.
C'est l'histoire d'un restaurant de nuit, ouvert de minuit à 7 heures du matin. La série réalisée par Joji ­Matsuoka est basée sur un manga de Yaro Abe, manga primé qui a connu un succès considérable au Japon.
Ce restaurant cuisine des plats de cuisine familiale presque triviale, on y sert aux noctambules du saké et de la bière. Chacun y écoute l'histoire de son voisin, de sa voisine, dans la vie urbaine, sous l'œil bienveillant du chef ("master").

Choix remarquable de Netflix qui sert cette série de 10 épisodes de moins d'une trentaine de minutes (depuis le 21 octobre 2016). Choix sans grand risque puisque cette série exploite un filon de notoriété avéré : en plus du manga, elle a été précédée de deux ensembles d'épisodes et d'un film. Succès d'audience à chaque fois.

Les habitués qui se rencontrent dans le restaurant, fatigués de la journée, sont en général de modestes héros, humbles, parfois un peu ridicules mais beaucoup de générosité et de tendresse les habitent. Des histoires d'amour improbables se dénouent, des complicités se créent : une femme tricote pour déclarer sa flamme, une chauffeure de taxi, aux amours contrariées, dit la fièreté de son métier, une Coréenne émigrée travaille pour payer les dettes de ses parents, un acteur que le public boude, un joueur de mahjong et son jeune fils...

La série décentre, elle bouscule l'ethnocentrisme du téléspectateur occidental que la culture télévisuelle japonaise désoriente : la langue d'abord, la bande-son, la politesse méticuleuse (les techniques du corps), les calligraphies, les plats et les manières de cuisiner. Le titre de chaque épisode renvoie au met cuisiné ce jour là (l'omelette au riz, etc.). On notera l'art subtile de filmer le travail du cuisinier qui montre la place des couleurs dans la cuisine japonaise, l'élégance des baguettes, le bruit des cuissons... Claude Lévi-Strauss, qui fut un amoureux fervent du Japon, recommandait aux occidentaux d'en "apprivoiser l'étrangeté" (L'autre face de la Lune. Ecrits sur le Japon, Paris, Seuil, 2011). "Midnight Diner" y contribue...

"Midnight Diner", montre l'ambiance tendre d'un lieu public étroit et réconfortant, un bistrot de quartier (Shinjuku) ; on peut penser au diner de Edward Hopper, mais sans le sentiment de solitude ("Nighthawks", 1942). Synthèse d'exotisme du quotidien (pour les télépectateurs occidentaux), de vignettes, de portraits rapidement brossés. L'ambiance, le bistro comme point de concours du social, la structure narrative tout cela fait penser aux textes de Henri Calet, Joris-Karl Huysmans et parfois à "How I met your mother" (CBS).


lundi 4 mai 2015

Magazine féminin ? As You Like... devient Oh! my mag


Oh !my mag : résultat de la fusionne du magazine papier As you like avec le site ohmymag en septembre 2017. Mensuel, 3 €.

As you like par Prisma (Gruner + Jahr), 152 p.
Lancement : 135 000 exemplaires. Trimestriel, 3€. "le meilleur des blogs en version papier". Site web.

ohmymag s'adressait à une cible féminine avec les ingédients habituels : style de vie, tendance, mode, beauté, luxe, cuisine. On dit plutôt lifestyle et food ! Et l'on déclare viser les millenials.

As you like devient Oh ! my mag. Le magazine de Prisma, portait un titre presque shakespearien ! Il avait failli s'appeler Follow, titre abandonné pour des raisons légales. Certes ce titre aurait bien collé à son positionnement éditorial : repérer des influenceurs et les tendances à suivre. Mais avec "comme il vous plaira" (traduction classique du titre de la pièce), le titre regagne des degrés de liberté et un ton est annoncé : légéreté, caprices, espièglerie. Plaisir des consommations et des comportements d'abord...
La couverture le dit en photo : il s'agit d'un magazine féminin et c'est bientôt l'été.

Qu'est-ce qu'un magazine féminin ? 
L'évolution de notre société aligne progressivement le statut des femmes sur celui des hommes et réciproquement, aussi n'est-il plus guère de territoires de consommation strictement féminins ou strictement masculins, hors des "techniques du corps". Reprenons la terminologie classique de Marcel Mauss, anthropologue (1934) : les techniques du corps incluent les soins du corps, le maquillage, les régimes alimentaires, la forme, la santé, les vêtements, la sexualité, la naissance, l'enfance. C'est dans les techniques du corps que presse féminine ou presse masculine trouvent leurs terrains de prédilection respectifs, leur spécialité marketing (Unique Selling Proposition).

Dans un magazine, tout autant peut-être que l'éditorial, la publicité commercialisée énonce et construit a posteriori la cible escomptée. Un magazine qui publie des messages publicitaires pour célébrer et vendre des produits féminins sera dit féminin.
Quels produits trouve-t-on dans As you like, qu'il s'agisse de la publicité ou des rubriques shopping (guide d'achat) ?
Inventaire : joaillerie, soins (épilation, bronzage, coiffure, minceur, régime), maquilllage, vêtements, décoration, accessoires. Voilà pour le cadrage féminin ; ne sont absentes, parmi les techniques du corps, que la naissance et l'enfance qui font généralement l'objet de sous-ensembles spécifiques de magazines féminins. Hors techniques du corps, on trouve dans le magazine de la publicité pour la cuisine, l'automobile et le voyage, qui sont des produits mixtes.

Journaliste ou blogueuse ?
L'innovation éditoriale essentielle du magazine consiste dans le principe d'une collaboration journalisme + blogs et réseaux sociaux (Instagram, Pinterest). Modèle économique popularisé par The Huffington Post. La blogueuse a-t-elle statut de journaliste (formation professionnelle, carte professionnelleetc.) ? Oui, dit le droit français, si la majorité de ses revenus provient du journalisme (cf. article L.7111-3 du Code du travail), oui, par conséquent, si la rédaction d'un blog est reconnu comme journalisme... On tourne en rond.
L'originalité éditoriale de As You Like vient des Blogs Hellocoton (plateforme de blogs achetée par l'éditeur en 2012) : les femmes sont auteurs. Ensuite, vient une sélection trimestrielle de contenus publiés sur les blogs, les réseaux sociaux. Two step flow of communication !
"Le magazine connecté qui explore le web et déniche les talents d'aujourd'hui et de demain", ainsi se définit le magazine. Elargie, la presse devient à son tour média de médias : le numérique a copié et dévalisé le papier ; en retour, le papier s'inspire des seules innovations éditoriales du numérique, les réseaux sociaux. "Stratégie rupturiste", annonce le communiqué de presse de lancement. "Ce magazine va dans le sens de la transformation que vit la presse féminine aujourd'hui, en se servant de son déploiement digital pour se réinventer", explique Pascale Socquet, Editrice du pôle Femmes de Prisma Media. Une volonté de repenser la presse féminine est déclarée, une expérience est lancée ; plutôt que de juxtaposer papier et support numérique, ce magazine organise et orchestre une synergie féconde entre eux. Saluons cette innovation qui se propage (cf. le hors série du magazine Saveurs consacrés aux "Blogs culinaires", 16 octobre 2015 : "nos 50 blogueuses coup de cœur" et leurs recettes).

Des blogueuses comme tastemakers, influençeuses influencées ; "blogger outreach" : les marques suggèrent des tests aux blogs, qui recommandent (ou pas) leurs produits ; ensuite, le magazine suit les blogs, leur emprunte des idées (blogger outreach campaigns). Ainsi, le prescripteur n'est directement ni le journaliste ni la marque.
Innovation éditoriale ? "Le meilleur de la toile", "être au fait des nouvelles tendances en matière de mode, déco, beauté, cuisine, et tourisme au travers de reportages sur des personnalités tendances". Des "personnalités" sont déclarées "tendance", elles sont repérées comme telles par des blogueuses spécialisées dans les tendances : à leur tour, ces blogueuses transmettent les tendances aux lectrices qui les suivent et deviennent tendance, accentuant ainsi la tendance, accélérant sa diffusion : self-fulfilling prophecy ? Magazine people, au second degré ? Prédictif ? Tout cela, sans doute.

Avec As you like, les blogueuses étaient autant actrices - au double sens du terme - que journalistes. Comment, dès lors, ne pas penser aux propos de Jacques dans la pièce de Shakespeare (As you like it, Acte II, scène VII) :

"All the world's a stage, 
And all the men and women merely players;
They have their exits and their entrances, 
And one man in his time plays many parts ..."

Oh ! my mag reprend et mêle des éléments du site Ohmymag (avec appli et vidéo) et du papier As you like. Synthèse logique, qui a sans doute des raisons économiques. La presse se cherche et cherche et semble revenir sans cesse à son point de départ, en le modernisant. La modernisation est dans l'articulation papier / numérique et dans l'articulation périodique / hors-série.

mercredi 10 avril 2013

Data: the price of our opinion


Let's start with three propositions:
  • There is an abundant supply of opinions : everyone can produce an opinion about anything, on any topic, at any time (change opinions). An opinion is the product of interrogation; it can also be expressed and observed through behavior:  a program watched (TV meters), consumer paths in a store, the location of a smartphone user, social graph, etc.
  • There is a growing demand for opinions from marketing research institutes and polling companies (advertisers).
  • There is therefore a marketplace for opinions.
Here is a look at the evolution in the various business models.

Business model 1 (M1)
At the beginning, people were willing to give their opinion for free. It was fun; there was a flattering illusion of importance. The business model was simple: a company collected opinions (polling, etc.), processed the data and sold the results as "public opinion". They did not buy opinions: people gave their opinions and were happy - if not proud-  to do so. Free labor was there for the taking. A bit like crowd sourcing.
To motivate and encourage people, esp. those taking part in a long time panel, the companies compensated (incentivised) panelists for their participation with a small a gift, a little money. Something symbolic.
But people are now less and less likely to give their opinion for free. There are too many phone surveys. They do not want to waste their time. Some do not even answer a land line anymore. They do not want to answer surveys on a mobile phone. They do not agree to answer long surveys (some might require more than 7 hours)... Consequently, marketers have to pay more, give better gifts: the average price of an opinion is increasing. Unless surveys are very quick and not intrusive at all.

Business model 2 (M2)
It is bartering, but stealth bartering; a service is first offered : the exchange starts once the service is used. The exchange is rarely explicit, so most people have the impression of using something for free whereas, in fact, data is taken without the user's knowledge.
Companies build services first (webmail, maps, apps for productivity, translation, directories, catalogs, games, weather, search engine, etc.). They offer these services in exchange for data. Do ut des. I give (you) so that you will give to me ("Gib, dann wird Dir gegeben"). This old maxim from Roman law could be the motto for the digital advertising economy. Data is collected smoothly while people use the service. Users pay for the service with their opinion. The research company builds knowledge with the collected data (raw material) and sells it once aggregated and processed.
Consumers become sensitive to privacy.
All the illustrations here are taken from e-mails received since December 2012 from Panel Institut.
Some even wonder now if it wouldn't be safer to pay cash for these services than to be "robbed" of their data / privacy. App.net, an ad-free social network, says: "We are selling our product, NOT our users".
Business model 3 (M3)
People sell their opinion. It is a clear and obvious transaction. This is the ultimate step.
See above and below a recent example from a French company. People are asked to turn their time - i.e. their opinion - into money ("Je convertis mon temps en argent").

"Votre opinion rémunérée" = "we pay for your opinion"
"Your opinion is worth money" ("votre opinion [est] rémunérée"). Answering surveys has become a job.
See also:
HitBliss: people watch commercials to collect points that allow them to rent movies
Panel App: collects location data and, in exchange, provides points redeemable for different incentives, including entry in a monthly sweepstakes.

This third business model is different from the free labor model as described by Pierre Collin and Nicolas Colin in their report on digital economy and taxes ("Mission d'expertise sur la fiscalité de l'économie numérique", January 2013, p. 2.).

Remarks
  • Surveys in which people are asked to give their data for money could help determine the market price of any collected data.
  • Conscious of the market value (price) of their opinion, people might sell their own opinions, auction them and thereby "kill" the first business model. There could be opinion exchange platforms with RTB, etc. 
  • The competition in marketing research opposes two major categories of companies, i.e. two kinds of business models: the first with traditional marketing research firms (M1) and the second (M2) with Web companies (social networks, search, geography, mobile, etc.). The third category (M3 is only nascent)
  • The value of an opinion diminishes with time. Opinions change quickly and often. Who wants yesterday's opinion? What is the expiration date?
  • Who owns our opinion? It sounds like a Faustian question! Can we sell our soul? 

mardi 25 décembre 2012

Innovation média : ne pas abuser de la définition

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Nombre de réflexions sur les "innovations" médias commencent par un exercice de définition. L'étude de pratiques sociales nouvelles, celles des réseaux sociaux ou du mobile, entre autres, semble exiger une définition préalable de la pratique en question, au moins pour que les chercheurs s'accordent - comme l'on dit de musiciens qui vont jouer ensemble - sur le sujet de la discussion et l'objet de recherche à construire.
Mais la définition, formalité méthodologique, peut aussi construire un obstacle à la saisie de la nouveauté. Les pratiques numériques récentes connaissent des changements continus, d'ampleur imprévisibles ; elles sont loin d'être définitives, aussi, les définir d'emblée, c'est peut-être inhiber l'imagination sociologique "methodological inhibition" (C. Wright Mills).

Ne pas confondre les définitions de la définition.
  • Il y a la "définition préalable", qui, explique Marcel Mauss, "nous épargnera ces déplorables flottements et ces interminables débats entre auteurs qui, sur le même sujet, ne parlent pas des mêmes choses" ("La prière", 1909).
  • Il y a la définition provisoire, qui sera bricolée et rectifiée en marche. Exercice inévitablement "aporétique" que l'on démolit et reprend au fur et à mesure de l'avancement du chantier. 
  • Il a la définition aboutie, pour des phénomènes stabilisés, au sein d'un paradigme donné, ("science normale", dit Thomas Kuhn). 
Ainsi, définir actuellement un "réseau social" ou "Big data", alors que ces pratiques de l'économie numérique sont en chantier, doit s'effectuer "sans prévention ni précipitation". Les phénomènes étudiés changent vite sous l'effet des modèles d'affaires, des équipements, des comportements des consommateurs.
Les levées de fonds, les entrées en bourse forcent à un travail de définition intermédiaire, provisoire, pour attirer et convaincre analystes et actionnaires. Le document de Facebook pour son IPO est exemplaire d'un tel effort rhétorique de définition. La pratique, au contraire, s'accommode du flou, au détriment du "clair et distinct" ; ainsi de l'impossible définition de la télévision entre télévision traditionelle (broadcast), OTT, streaming, connectée, câble, etc. Impossibilité surdéterminée pour quelque temps par les enjeux économiques (qui peuvent, par exemple, prendre la forme euphémisante d'un débat sur le GRP).
La transformation, le changement de paradigme, l'émergence supposent de nouvelles manières d'exprimer cette nouveauté. Sans doute, le problème ne se pose-t-il si fortement que parce qu'on l'expose sans cesse (articles, cours, communications, pseudo-interviews) ; dans le courant quotidien de la pratique, il est charrié, délité. Les normes courantes d'expression et d'exposition digèrent la nouveauté (on ne se méfie jamais assez de Powerpoint et Keynotes). La nouveauté s'enlise alors dans les mots : on croit n'hériter que de mots et l'on hérite d'idées (Léon Brunschvicg), d'obstacles épistémologiques (Gaston Bachelard)...

La définition rompt "l'enchantement du virtuel" (Gilles Châtelet) indispensable à l'innovation féconde. La définition doit rester ouverte sur le virtuel ; elle ne peut aboutir que lorsque la mue (paradigmatique) s'achève. Paradoxalement, une pratique nouvelle ne peut être définie que quand elle n'est plus nouvelle et qu'elle se développe dans le cadre d'un paradigme installé (cf. Thomas Kuhn).
Avant, la définition finit par enfermer, comme la conclusion. Il est une rage de définir toute aussi stérile que la "rage de conclure" ("ineptie", répète Gustave Flaubert). Alors, mieux vaut ne pas définir trop tôt car ce serait risquer de finir ce qui ne fait que commencer (la préposition latine de renforce "finir") ? Ou définir un peu mais pas trop afin de demeurer aux "avant-postes de l'obscur" (selon l'expression de Gilles Châtelet).

N.B. On comprend l'inévitable conservatisme des études lors des périodes d'innovation, de changement de paradigme. Issues d'observations ou d'interrogations de panels recrutés et conçus à partir d'études de cadrage (establishment surveys) infréquentes, elles sont, par construction, en retard sur le rythme des changements. Mais le traitement continu de vastes bases de données non structurées (big data) changera certainement les termes du cadrage des études.

Notes
  • Victor Goldschmidt, Les dialogues de Platon, Paris, PUF, 1944 : dans les premiers dialogues, dits aporétiques, la définition aboutit à une impasse : la beauté, la piété, la vertu, l'amitié, etc. ne peuvent être définies par les interlocuteurs de Socrate.
  • Thomas, S. Kuhn, The Structure of Scientific Revolutions, 2000, University of Chicago Press, 1962.
  • Gilles Châtelet, L'enchantement du virtuel. Mathématique, physique, philosophie, Paris, Editions rue d'Ulm, 2010.
  • C. Wright Mills, The Sociological Imagination, N-Y, 1959, Oxford University Press.

dimanche 11 décembre 2011

Walmart, média total du jour le plus long

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Walmart, premier distributeur mondial, met en chantier son activité numérique aux Etats-Unis (cf. Walmart is going digital). Dans cette perspective, les réseaux sociaux jouent un rôle primordial tandis que les applis pour smartphones et iPad confirment une volonté de s'inventer une voie dans le numérique interactif et mobile. Pourtant, on ne comprend pas cette stratégie sans la replacer dans le cadre plus général de l'action commerciale sur le terrain local, dans les points de vente. Walmart n'est pas Amazon.

La période qui va de Thanksgiving (dernier jeudi de novembre) à janvier, point culminant de l'année commerciale, constitue un point d'observation privilégié de la mise en oeuvre de la stratégie commerciale globale de Walmart. Les points de vente et les réseaux sociaux constituent la force de frappe commerciale primordiale de cette stratégie, servie par des actions publicitaires tactiques.
A l'entrée de cette période, le week-end allant du jeudi de Thanksgiving au dimanche suivant le Black Friday est depuis quelques années le jour le plus long, et le plus important, pour les achats de fin d'année, devançant désormais le samedi précédant Noël.
  • Les magasins Walmart ont été ouverts à 22 H le jour de Thanksgiving (deux heures avant les principaux concurrents, Target, Macy's, Best Buy). A l'ouverture, les promotions concernaient l'équipement de la maison, les jouets, les vêtements ; à minuit, toute la nuit, ce fut le tour de l'électronique, puis à à partir de 8 heures le matin jusqu'au week-end, les promotions touchèrent une sélection beaucoup plus large d'articles.
  • Sur les réseaux sociaux 
    • Walmart s'est assuré, durant cette période, une maîtrise absolue de la prise de parole : l'enseigne y a été mentionnée en moyenne 3,2 fois par seconde. Notons que Walmart compte plus de 10 millions de fans ("like") sur Facebook, soit 5 fois plus qu'Amazon (mais qu'est-ce que c'est, un "like" ?).  
    • Shopycat est une appli Facebook conçue pour choisir des cadeaux pour ses amis, recourant à un algo de recommandation qui exploite les données des "amis" accessibles sur Facebook.
  • Sur le web en général. La notoriété des opérations de Walmart, selon MacNaughton (Chief Merchandising Officer), aurait été assurée avec 279 millions d'impressions sur les pages d'accueil de Yahoo, MSN et AOL...
  • Walmart.com : en même temps que Walmart remplissait ses magasins, l'enseigne renforçait sa présence en ligne, Walmart.com offrant la livraison gratuite pour le Black Friday. Le site a connu semble-t-il de grandes difficultés. N.B. Après le week end de Thanksgiving, viennent le Cybermonday et la Cyberweek, consacrés exclusivement au commerce en ligne.
Pour cette stratégie, les réseaux sociaux ont manifestement été utilisés comme des médias de masse (couverture maximum X répétition élevée). Au point que, à terme, Facebook peut se révéler un concurrent publicitaire de la télévision, surtout si la vidéo est présente. Si l'on y ajoute la dimension locale que développe systématiquement Walmart avec Facebook, ce média publicitaire détiendra un pouvoir incomparable. Déjà, il semble que Facebook détrône les "portails" (Yahoo!, MSN, AOL) et les "grands" éditeurs de contenus comme ESPN ou CNN, tout ce qui a fait la base indiscutée de tant de plans média en display depuis des années.

Appli iPad localisée pour le Walmart de Marinette, petite ville du Midwest (Wisconsin) : 10 000 habitants
Les résultats de cette campagne pour Black Friday sont positifs : les ventes, la présence dans les points de vente le démontrent.  Observons encore que grâce à l'orchestration des actions on et off-line d'une part, locales et nationales, d'autre part, le distributeur produit une richesse considérable d'informations (data), uniques ("We've amassed an enormous amount of data. Like almost everybody, we're trying to figure out how to get all that data into the same place so we can see how these data interact with each other", reconnaît S. Quinn qui dirige le marketing de Walmart USA ("Walmart's Makeover").
La question de l'intégration opérationnelle et continue de toutes ces données est un défi marketing primordial (où l'on retrouve les écrans placés dans les linéaires et toute forme de PLV interactive) qui peut constituer un avantage compétitif dont ne peuvent pas disposer des distributeurs présents exclusivement en ligne comme Amazon (ce qui peut donner à comprendre la stratégie Apple d'implantation de magasins).

Dans cette perspective massive, les initiatives de Walmart pour exploiter des applis iPad et iPhones paraissent à court terme plus anecdotiques. En revanche, elles peuvent jouer bientôt un rôle déterminant, l'habitude en étant prise par les clients de Walmart. Les clients inventeront les usages : au commerçant d'en installer la possibilité puis de retenir les usages retenus par les clients (d'où l'importance de la synergie pratique de ces "données" ainsi construites avec celles produites dans les points de vente, off et on line).

Notes
  • Pendant le week-end de Thansgiving / Black Friday, 24%des acheteurs étaient connectés via mobile (source Rich Relevance, décembre 2011)
  • Dans le microcosme numérique, on n'a que Google ou amazon en tête. Le vrai monde est ailleurs. Lors de votre prochain voyage aux Etats-Unis, allez faire vos courses chez Walmart. Tant que l'on ne connaît pas Walmart, on ne connaît pas les Etats-Unis.
  • Tout cela va arriver en Europe, fatalement.
  • Le mot "donnée" est un faux ami : les données si mal nommées sont des informations conçues, construites, "faites" (comme tous les "faits" sociaux) et non de simples sous-produits de l'activité commerciale. Le marketing numérique ne relève pas de l'économie de cueillette.
  • Plus philosophiquement : nous assistons à une formidable laïcisation de la société et de son calendrier assurés par les événements commerciaux au détriment des événements symboliques traditionnels (religieux).



samedi 19 février 2011

Plus belle la vie (PBLV), média total

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Magazine lancé en janvier comme hors-série du guide de programmes TV Télé-Loisirs (Prisma / Bertelsmann). Prix facial : 4 €, pour 116 pages. La mise en place du premier numéro, déclarée par l'éditeur, est de 200 000 exemplaires. Distribution par Presstalis, placé en pile dans le linéaire "Télévision", à côté de Télé-Loisirs. Peu de promotion, juste un peu de PLV ; vendu comme "collector".

Le magazine est consacré à l'émission diffusée du lundi au vendredi sur FR3 où elle réunit en plein prime time (20H10), en face des journaux de Farnce 2 et TF1, plus de cinq millions de téléspectateurs qui regardent vivre les habitants du Mistral, quartier imaginaire de Marseille (où l'émission est tournée), avec sa prison, son commissariat, son bistro, son parc... L'émission co-produite par Telfrance et Rendez-vous Production, a été lancée en été 2004. Elle est diffusée aussi sur France 4 en access (17h05), en Belgique (ladeux), en Suisse (TSR 1) et en Tunisie (Nessma TV) ; l'émission est également accessible en VOD et en DVD. Au total, déjà plus de 1 800 épisodes.
L'émission est servie par de nombreux produits dérivés :
  • des livres (les romans du feuilleton, une BD, un livre de cuisine, un livre documentaire), 
  • un jeu de société, des jeux vidéo, des CD, une appli de jeux pour iPhone (0,79€) 
  • un mensuel (avec DVD) qui a cessé sa diffusion en décembre 2010 et que remplace ce nouveau magazine, 
  • un site officiel avec une boutique en ligne, et aussi un site "non officiel" de fans, un site pour les fans belges, une présence sur Facebook, sur Twitter, etc
  • des T-Shirts, des mugs, des casquettes, etc. et même un scooter aux couleurs de l'émission, MIO (Sym) ! 
Ce magazine est un exemple presque idéal-typique d'un média de médias. Le cinéma, la télévision sont grandes pourvoyeuses de contenus pour la presse, qui la reflète et dont elle profite, non sans hyprocrisie : sans télévision, pas de people ! Avec ce feuilleton, sorte de sitcom / soap opera (du genre "All in the Family"), les téléspectateurs regardent vivre des familles dans leur quotidien. On n'est jamais loin du roman-photo. Avec son audience régulière, ce format se prète bien à un prolongement magazine. Comme le site, le magazine fait voir le hors-champ sans trop céder à la tentation de la distanciation. Making-of, "stars des coulisses", etc.
La mise en page du magazine emprunte aux habitudes des réseaux sociaux (cf. "le mur Facebook du Mistral" où l'on s'exprime en termes de SMS). Un peu de déco, des pages cuisine, musique / cinéma, des tests prospectifs, mots flêchés et sudoku, horoscope. Rien ne manque, sauf la publicité. Ce premier numéro n'en comporte, et s'en tient à des promotions des titres du groupe Prisma.

Cet ensemble médiatique invite à reconsidérer les classifications des médias. Au centre, il y a une émission qui imite la vie, quotidienne, et attire des millions de téléspectateurs. Autour de ce média, circulent des médias ancillaires, multiplicateurs d'images et instigateurs d'usages, prolongeant et amplifiant l'émission par tous les sens (lecture, vidéo, musique, objets) et enfin, s'entretissant, les outils numériques redoublent l'ensemble, invitent à l'action (fans, personnalisation, achats). "Plus belle la vie" peut être qualifié de média total, pluridimensionel, en détournant, mais pas tant que cela, la notion de "fait social total" (Marcel Mauss : fait "où s'expriment à la fois et d'un coup toutes les institutions"). On gagnerait à l'appréhender dans sa totalité, tant au plan de la production que de la consommation et de ses usages publicitaires (médiaplanning, mesure d'efficacité).
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dimanche 27 juin 2010

Journalisme de la richesse ?

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Vendu à News Corp., le Wall Street Journal perdra-t-il son indépendance ? Le quotidien de la finance et de l'économie américaines semble vouloir aller au people, et donner la parole aux puissances économiques en place (the powers that be!). Péché mortel du journalisme : fréquenter les pouvoirs au lieu d'établir des contre-pouvoirs.
Chaque vendredi matin, le site diffuse désormais la vidéo (VOD) d'une interview de patrons d'institutions, d'entreprises : "The Big Interview", allusion ironique - sans doute involontaire - au roman de John Dos Passos, The Big Money. Premiers interviewés : la Présidente du FDIC, puis le "White House Chief of staff"... Don et contre-don ? La presse comme contre-pouvoir ?

Pour les "small" interviews des familles endettées, le chômage, la maladie, pour le journalisme de la misère, il y le talk show d'Oprah (et bientôt sa chaîne). "All right we are two nations", reconnaissait déjà Dos Passos, en 1936, dans "The Big Money".

Notes
  • L'inflexion de la stratégie du Wall Street Journal pourrait être de s'ouvrir à des éléments rédactionnels moins spécialisés (sport, etc.) et d'attaquer le territoire du New York Times en fin de semaine avec une section "New York".
  • Se diversifier en affinité avec son lectorat : voyages (WSJ Travel), vins et spiritueux (Wine Merchants). 

vendredi 5 février 2010

SMS : a penny for your thoughts!

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Nielsen analyse l'usage du SMS par les adolescents et jeunes adultes américains (catégorie hétérogène regroupant des filles et des garçons de 13 ans et des adultes de 19, dits teenagers. Qu'y a-t-il de commun entre une jeune fille de 19 ans et un garçon de 13 ?). L'analyse est effectuée à partir des factures fournies par les abonnés. Selon cette analyse, les dits teenagers envoient plus de 3 000 textos par mois (soit près d'une dizaine par heure), 6 fois plus que la moyenne de l'ensemble des abonnés à la téléphonie portable. 
Le coût moyen du SMS est de 1 cent (one penny). La première variable à prendre en compte pour comprendre le succès des SMS est la politique des prix pratiquée par les opérateurs (forfaits illimités pour les SMS) : le tarif détermine la pratique, surtout pour ces âges qui ont en commun la dépendance budgétaire (parents). Le SMS est moins cher que la voix, et plus maîtrisable. L'engouement pour le SMS semble se propager aux plus jeunes qui suivent naturellement leur groupe de référence.
  • Champ-contrechamp muet, sans regard, le SMS se situe à un degré très bas de la communication, d'autant plus bas qu'il recourt aux clichés (formules), aux abréviations et aux symboles (smileys). Aux yeux des philosophes qui, au nom de la morale, ont réclamé le face à face et la dialectique des regards comme principes de la communication, c'est un désastre.
  • Cet usage peut freiner chez les jeunes texteurs le développement d'une compétence orale et surtout d'une compétence d'argumentation. Le texto ignore les verbes, conjugue rarement, n'argumente guère et ne nuance pas. 
  • Appauvrissement de la communication qui atteindrait même les discours amoureux (recours aux photos, dit  sexting) ! La déclaration d'amour romantique, timide et osée, a-t-elle un avenir ? Bientôt la Saint-Valentin, SMS ?
  • Interprétons ces analyses prudemment : si le SMS n'est qu'un élément de plus dans la panoplie de la communication interpersonnelle, il est enrichissement ; en revanche, là où il prend toute la place, rogne sur la voix et la rencontre face à face, on peut craindre l'appauvrissement. Polyculture ou monoculture de communication : la statistique des usages du SMS, dégagée du fait social communicationnel total où elle s'insère (cf. M. Mauss), ne dit pas grand chose.
En France, l'usage des SMS s'accroît (23% d'augmentation au trimestre passé) ; il atteint 110 SMS par mois par client actif selon l'ARCEP, en décembre 2009 (70 en décembre 2008).  Ce serait 5 fois moins qu'aux Etats-Unis ? Bizarre : il faudrait examiner et confronter les méthodologies de comptage.
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mercredi 25 novembre 2009

TV: tivo the program and then google its audience

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Google a voulu apporter aux médias traditionnels sa méthodologie de médiaplanning et de vente d'espace. Après quelques mois, Google mit fin à l'expérience en presse et en radio car la mesure des audiences de ces deux médias ne permettait ni une approche opérationnelle du retour sur investissement ni la vente d'espace publicitaire aux enchères (CPM impressions).
En revanche, Google est toujours présent en télévision. Google TV Ads lancé en 2007 mobilise des données de plusieurs sources :
  • du bouquet Dish Network (Echostar ; 13,8 millions d'abonnés) pour exploiter les données foyers de la set-top box et vendre de l'espace publicitaire local sur une centaine de chaînes nationales dont ESPN (sport) et Lifetime (féminin)
  • de petits câblo-opérateurs
  • de 96 chaînes thématiques diffusées sur le câble, le satellite et les télécoms : des chaînes du groupe NBCU (CNBC, Oxygen, SyFy, Sleuth, Chiller, CNBC), Ovation, Game show Network, CBS College Sports, Bloomberg, Hallmark pour vendre de l'espace publicitaire national
  • et, depuis le 23 novembre, de TiVo, l'enregistreur numérique (3,6 millions d'abonnés). 
Google a acheté début novembre les données PRIZM (Nielsen) de segmentation socio-géographique des foyers américains et les a intègrées dans son module de médiaplanning TV pour le ciblage. Notons, à ce propos que les données de TiVo sont également mobilisées par TRA depuis juin 2008 ; TRA les fusionne avec des données de consommation issues de 70 millions de cartes de fidélité. L'ensemble vise à constituer une source unique (single source) de type média marché. TRA a également un accord du même type avec l'opérateur du câble Charter Communications. L'ambition avortée du projet Apollo trouve ici sa renaissance selon un modèle économique raisonnable et réaliste.
La collaboration avec TiVo apporte à Google des données comportementales sur l'enregistrement d'émissions et leur consommation différée. Si l'accord devait, à terme, concerner aussi TRA, Google accéderait à des données de source unique décisives pour les annonceurs.

Avec ces différents types de plateformes, Google dispose d'une base de données provenant de plusieurs millions de téléviseurs, dont 4 de Dish et 1,6 de TiVo (parmi les abonnements directs seulement). Google Ads couvre 96 millions de foyers américains (sur 114,5). Les données seconde à seconde sont anonymisées et permettent d'évaluer l'audience des messages publicitaires, et pas seulement des écrans. Croisées avec des audiences Nielsen elles établissent des profiles socio-démographiques ; en effet, les données googlisées n'apportent au départ que des informations sur la consommation globale du foyer tandis que le people meter du panel Nielsen fournit des données individuelles (déclarées). Sur de telles quantités de données, le travail mathématique de modélisation devrait permettre le développement de catégories de ciblage plus pertinentes que les socio-démo. Chaque plateforme autorise des tests (split run), de plans, de créations... préludant à la mise en oeuvre d'un plan TV, national ou local. N.B. : ces données sont indépendantes de celles que produit TiVo sous le nom de Stop//Watch.
Pour l'instant, il semble que le succès de Google TV Ads soit encore modeste ; toutefois, Google aurait recruté nombre de nouveaux annonceurs, notamment des petits annonceurs qui n'avaient jamais encore acheté de télévision et faisaient surtout du hors-média (marketing direct, publi-postage).
  • TiVo et Google ont fait leur chemin dans la langue quotidienne des Américains au point de devenir des verbes : leur réunion est symbolique de l'attention que porte Google aux comportements culturels et commerciaux de la population. Au tableau, ajoutons Google Maps et la mobilité : l'ambition de Google apparaît totale, au sens où l'on parle de "fait social total" (Marcel Mauss).
  • Google apprend la télévision, lentement, prudemment, modestement. Transférant à la télévision numérique des techniques acquises et mûries sur Internet dans la mesure des audiences (Google AnalyticsYouTube Insight) et dans la vente d'espace et de liens (Google AdSense, DoubleClick), Google travaille à la connaissance et à la structuration de l'univers télévisuel unifié. Petit annonceur deviendra grand...

vendredi 22 mai 2009

Gran Torino makes our day


Il s'agit du film Gran Torino (sorti en décembre 2008 aux Etats-Unis, fin février 2009 en France), tourné à Detroit, au coeur de l'industrie automobile américaine (l'Etat de Michigan a mis en place des incitations fiscales pour les tournages).
Que voit l'Amérique d'aujourd'hui dans ce film qui parle de celle d'hier, de son Histoire. Que voient les spectateurs français ? Un film réduit à une histoire ? Un film n'est que ce l'on "reçoit". Tout ici invite l'étranger au contre-sens. La banlieue américaine n'est pas la "banlieue" française, etc. Ce film est tellement américain que la plupart des Français ont dû voir (et aimer) un autre film. Lequel ? Quel film ont-ils construit à partir de leur propre expérience, de leur propre Histoire ?
  • La fin d'un monde. Le personnage principal est un ouvrier, d'origine polonaise, ancien combattant de la guere de Corée, retraité de l'industrie automobile américaine (Ford). Américain du Midwest, de ceux qui ont "fait" les Etats-Unis (les guerres plus ou moins coloniales, les "belles américaines", etc.) et que l'Amérique a faits (patriotisme commercial -"Buy American Act" - christianisme, petite maison de banlieue avec pelouse, pick-up, etc.). Ses rituels mis en scène : la bière sur le porch, le cooler où l'on puise, la pelouse que tond son propriétaire, la rhétorique ritelle d'agression jouée, politiquement très incorrecte, forme euphémisée, acceptable, de l'acceptation du melting pot. Du sport à la télé. Lecture désabusée et sceptique du quotidien, partagée avec son chien. Téléphone qui sépare.
  • Tout métier fait un homme et ses vertus. L'usine et la société de services ne font pas les mêmes hommes. Habileté manuelle d'un côté, carnet d'adresses et téléphone de l'autre. Un fossé culturel sépare ces générations en conflit. Les nouvelles générations de la famille sont intéressées, sans intérêt pour lui, à la recherche d'un avantage pécuniaire. Le personnage négatif est une adolescente, téléphone portable greffé aux doigts, mâchonnante, toute à sa suffisance entretenue par les parents.
  • A la fin de sa vie, la grâce touche ce retraité sous la forme de voisins venus d'Asie. Cette famille traditionnelle "étrangère" vit selon les vertus américaines d'autrefois, neighborliness. Voisin à qui il peut fièrement transmettre ses outils et ses tours de main. Son héritage, son capital (humain). C'est à eux que reviendra l'automobile, la Gran Torino Sport (sortie en 1972), exposée et astiquée sur le driveway, chef d'oeuvre de sa carrière mécanique. La Ford Torino, muscle car, qui donne son titre au film a été beaucoup vue aux compétitions automobiles NASCAR mais aussi dans la série Starsky & Hutch. C'est un véhicule populaire, une légende américaine aussi. Inconnue en France.
  • Ce film monte et montre en 116 minutes les éléments d'une ethnographie du changement social. Film du déclin de l'industrie automobile américaine, de la fin de la culture ouvrière. Suite de clichés, révélateurs d'un environnement culturel qui se défait (Cf. M. McLuhan, From Cliché to Archetype). Le film montre aussi, de manière juste, le réseau des interactions entre voisins et le réglage progressif de l'économie non marchande qui s'institue entre eux (don, contre-don).
  • Pour se convaincre de l'irréductible américanité de ces images, essayez de traduire en français : "Sitting on his porch, he pulls a beer out of the cooler".