lundi 27 décembre 2021

Fake News

Laurianne Geoffroy, Léa Surugue, Fake News. Santé, 269 p. avec, en fin de volume, un "petit glossaire non exhaustif du monde médical et scientifique", et une bibliographie de 20 pages établie par des chercheurs de l'INSERM

L'Inserm part en guerre contre les fausses informations touchant la santé avec ce livre de vulgarisation pour tous. En décortiquant 80 fausses informations, plus ou moins courantes, et rétablissant les vérités premières. Du soutien-gorge inventé en 1889 (par Herminie Cadolle, une amie de Louise Michel) à la pratique régulière d'un sport, les bénéfices du chocolat, et le gluten, et la vitamine C... Faut-il manger cru ou cuit, peut-on boire beaucoup de café, et la cure de détox qui ne servirait à rien. Et le sucre, et l'alcool, et la graisse, pas formidables voire même parfaitement nuisibles. En revanche, le lait est plutôt bon, source de calcium. Toute notre alimentation est passée en revue.

Le chapitre 9 est entièrement consacré au COVID-19 et à la pandémie. Le virus est transmis par aérosols aussi le masque, bien porté, réduit sa transmission. Et le vaccin ? Efficace pour les adolescents, il l'est aussi pour les femmes enceintes.

 Le livre est bien fait, clair et compréhensible, prudent mais positif. On en finit avec toutes sortes d'histoires colportées de-ci de-là et l'on peut choisir d'avoir un comportement rationnel à propos de sa santé. En fin d'ouvrage, une longue bibliographie établie par des chercheurs est précédée d'un petit glossaire du vocabulaire médical et scientifique. L'ouvrage devrait trouver sa place dans les lectures des adolescents et de nombreux parents, dans les établissements scolaires, chez les enseignants d'abord. De tels ouvrages sont des outils de grande valeur : il importe de les mettre à jour régulièrement. Merci l'INSERM ! 


Héritocratie ? Peut-être. Si rien ne change...

Paul Pasquali,  Héritocratie. Les élites, les grandes écoles et les mésaventures du mérite (1870-2020),  Editions La Découverte, 2021, 308 p.

Alors, quoi de neuf depuis Les Héritiers de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (1964) ? Qu'est-ce qu'un demi-siècle a changé dans le rôle des grandes écoles en France ? C'est un livre d'histoire(s) que propose Paul Pasquali, l'histoire d'écoles, plus ou moins grandes, qui réagissent à des réformes, des ambitions politiques, qui sont défendues et parfois attaquées par leurs anciens élèves.

Ce livre s'en prend à la méritocratie et lui donne un nouveau nom : l'héritocratie ; l'ascenseur social est donc toujours en panne. Les pannes sont multiples et changent mais elles semblent faire en sorte que l'ensemble fonctionne plutôt bien. Les pannes et leur dénonciation font donc partie du système. D'ailleurs l'auteur lui même, en conclusion, ne sait trop que faire pour remplacer ou réparer le système actuel et se contente finalement de "proposer une alternative réaliste à l'héritocratie" dont il a suivi minutieusement les étapes de la domination en France durant un siècle et demi. 

De la Troisième à la Cinquième République, on voit ainsi se multiplier et se succéder les réformes : le plan Langevin-Wallon achevé en 1947, La Réussite sociale en France (Alain Girard, de l'INED) publiée en 1961. Et les réformes se poursuivent et se succèdent : ,Jean Berthoin (en 1959), Jean Capelle en 1963, la Commission Boulloche (1959), la Réforme Fouchet (balayée par 1968). En 1964, Les Héritiers Les étudiants et la culture (1964), travail de normaliens (!), annoncent une bataille qui n'aura finalement pas lieu. Enfin, la loi Edgar Faure (1968), relativement consensuelle, ignora tout simplement les grandes écoles. Et l'histoire se poursuit et repart ainsi, avec Sciences Po (qui relève sérieusement ses exigences  scolaires) et diverses réformes plus ou moins réformatrices, y compris pour les grands lycées (Henri IV, Louis le Grand, etc.), l'ENA ou la première année de médecine (avis du Conseil d'Etat du 13 février 2019). Mais à Polytechnique, 92% des élèves sont issus des classes sociales supérieures. Donc, tout va toujours bien.

En conclusion, l'auteur estime que l'héritocratie française a les reins solides et qu'elle a même gagné du terrain depuis les années 1980. Dauphine et Sciences Po ont ainsi bénéficié du statut de grand établissement... tandis que l'on évoque couramment la réforme de l'ENA. Faut-il mettre à jour Les Héritiers et relancer le débat ? Sans doute : une analyse indiscutable serait bienvenue. En attendant, "la multitude n'hésite plus à vociférer", signale Paul Pasquali, qui rêve qu'elle soit entendue.


samedi 25 décembre 2021

La sociologie : plaidoyer brillant pour une remise en questions

 Jean-Louis Fabiani, La Sociologie. Histoire, idées et courants, 223 p., Lexique

Voici un excellent manuel de sociologie ; il a été produit par Jean-Louis Fabiani. C'est un manuel pour les débutants mais aussi pour les plus vieux, anciens débutants, qui peuvent y trouver de quoi remettre en chantier leurs outils de travail, les plus courants et les plus subtiles, et abandonner leurs idées un peu vieillies voire, pour certaines, complètement obsolètes.
Le plan de l'ouvrage est clair : d'abord l'histoire et déjà pointe le trio que l'on retrouvera à maintes occasions dans cet ouvrage avec Marx, Durkheim et Weber. Et, d'emblée aussi se trouve posée la question de la cumulativité des savoirs sociologiques : Jean-Claude Passeron refuse cette idée (c'est comme l'agriculture sur brûlis, dira-t-il) que l'auteur défend avec Randall Collins qui préfère la métaphore du "conservatoire botanique où l'on s'attache à maintenir en vie de très anciennes espèces tout en en créant, pas très souvent, de nouvelles".
Le chapitre 7 évoque la vigueur de la révolution numérique accélérée par la téléphonie, témoignage de l'incroyable résilience du capitalisme (la destruction créatrice de Joseph Schumpeter !).
Jean-Louis Fabiani accorde par ailleurs une grande importance aux "studies" de toutes sortes, provocantes, qui ont marqué l'histoire récente de la sociologie, la rectifiant même parfois ; et de citer, par exemple, Dipesh Chakrabarty qui souligne l'erreur de "l'évolutionnisme qui veut que toutes les sociétés passent par les mêmes étapes d'un itinéraire identique" : en fait, études noires (Black Studies), études du genre (le rôle de Margaret Mead et de Simone de Beauvoir) réveillent la sociologie de son sommeil dogmatique. Et Jean-Louis Fabiani rappelle modestement qu'"Il existe dans notre travail une bonne part de bricolage qu'on ne pourra jamais éliminer parce que nos objets sont immergés dans un flux temporel qui nous laisse rarement le temps de les construire avec la rigueur épistémologique qui s'imposerait". D'où la proximité avec le journalisme, ses succès et ses erreurs.

Le chapitre 10 ferme le livre avec l'enquête et "les outils pour analyser et comprendre". D'abord, il peut sembler qu'il n'y ait pas d'outils sociologiques a priori, que tout peut le devenir. Ensuite, l'enquête et les différents outils traditionnels de la sociologie sont évoqués, mettant en évidence leur rendement mais aussi leur progressive obsolescence, trop souvent oubliée. Cette partie est le plus riche mais aussi la plus désespérante pour la sociologie car les méthodes ont mal vieilli. Sans doute peut-on attendre des outils et méthodologies numériques, entre autres, des renouvellements radicaux.

Le livre est on ne peut plus sérieux, richement documenté, les références récentes complétant les développements plus classiques. Et, l'auteur ne manque pas d'humour dont il pigmente ses propos, discrètement. Ainsi parle-t-il de simple garniture idéologique pour distinguer les thèses de Pierre Bourdieu et de Talcott  Parsons (p. 41) et pour souligner leur "évidente parenté". Et de l'ouvrage de Bruno Latour (Changer de société, refaire de la sociologie) son commentaire est sec : " refaire de la sociologie n'est pas vraiment son objectif ; il s'agit plutôt d'en faire, enfin, pour la première fois".... Et l'auteur se moque aussi de ceux qui criaient "CRS! SS!" en 1968, si peu historiens, si piètres sociologues, mais tellement à la mode.

Le chapitre, en annexe, intitulé "Quelques mots de la sociologie" pourrait bien évidemment être beaucoup plus développé ; des concepts manquent mais l'essentiel est présent, et qui aidera bien des lecteurs à remettre leurs idées en place. Jean-Louis Fabiani fait le ménage et revient, en actes, sur la conclusion de son ouvrage. J'en retiens "l'impératif de description" (p. 211) qui remet en questions tous les grands concepts de la sociologie et de "ce que nous appelons, plutôt vaguement, le monde social" ; encore une fois l'ironie de Jean-Louis Fabiani qui revendique finalement "de contribuer à l'expansion dans la société d'une sorte de distance critique à l'égard des affirmations les plus péremptoires qui y circulent, et de ne jamais renoncer à chercher à comprendre". Heureux projet. Les théories, les notions de la sociologie, oui, mais jamais sans l'ironie qui en est une hygiène constante.

vendredi 12 novembre 2021

Squid games : ne pas en rire ?

 "Squid Games", Netflix, série de dix épisodes

C'est, dit-on, le succès de l'année. Et, si c'est le cas, y a-t-il une raison de s'en réjouir ? On peut en discuter : la bataille qui se déroule à l'écran entre les candidats du jeu est sans pitié.

La série, "série-phénomène" selon des journalistes français, produite en Corée du Sud, aura rapporté un peu moins de 900 millions de dollars ; la production n'en a coûté que 21,4 millions, ce qui est très inférieur aux prix courants pour de telles séries. La qualité de la production est moyenne. 

Bonne opération économique donc, mais que penser des contenus ? La brutalité de la série où les vaincus de chaque épisode, éliminatoire, finissent dans un four crématoire est étonnante... Toute la misère du monde s'affiche, et disparaît, progressivement, au cours de l'émission ; au fur et à mesure des éliminations, les condamnés sont mis dans un cercueil en forme de paquet cadeau et brûlés.


Dans l'image ci-dessus : en rouge, visages masqués, armes à la main, les gardiens du camp de prisonniers ; en bleu, les prisonniers concurrents. Nous sommes au début de la partie : ils sont encore nombreux. Chacun des prisonniers porte un numéro qui les identifie. Ils sont plutôt dociles.

Que penser d'une telle série ? Ce n'est qu'un jeu ?

dimanche 31 octobre 2021

Archéologie du judaïsme en France, une histoire encore bien maltraitée

Paul Salmona, Archéologie du judaïsme en France, INRAP, Editions La Découverte, 2021, Bibliogr., Index, 176 p., 23 €

C'est, en fait, le livre d'un historien, Paul Salmona, qui dirige le musée d'art et d'histoire du judaïsme à Paris. L'archéologie du judaïsme en France remonte jusqu'à la Gaule romanisée. Son essor est dû aujourd'hui à "l'archéologie préventive" désormais menée en amont des travaux d'aménagement du territoire, soit environ 500 fouilles "préventives" chaque année. 
Qu'est-ce qui constitue le corpus étudié, accessible actuellement ? Car, d'abord, n'oublions pas : l'archéologie s'empare de ce qui reste d'une culture, d'une société mais elle oublie, omet forcément ce qui en a disparu, peut-être définitivement, mais peut-être pas... Qu'est-ce qui est fouillé en ce moment ? Des cimetières, des dépotoirs, des latrines, des bains rituels, des habitations, des synagogues...
 
Les juifs étaient répandus en Gaule romaine et le livre dresse un bilan de ce que l'on trouve et qui renvoie à la présence juive durant l'Antiquité et le Moyen Âge, notamment dans le sud  (Provence, Languedoc et Aquitaine). On trouve donc des éléments de culture juive à Lyon (Lugdunum), Narbonne, Arles, Auch. Les quartiers réservés à la population de religion juive sont présents en Alsace (Judengasse), à Perpignan, à Paris (synagogue), à Angoulême, à Rouen, à Lagny-sur-Marne, à Orléans, à Rouen (sous la cour du palais de justice), à Strasbourg ; on les trouve aussi à Montpellier (tout un quartier), à Mâcon, à Provins, à Châteauroux (cimetière), à Châlons-en Champagne, à Ennezat (Puy-de-Dôme)...
Comment expliquer que le judaïsme soit encore si peu abordé par l'institution scolaire ? L'auteur fait une comparaison avec le protestantisme et la révocation de l'édit de Nantes (1685), présente partout. Le constat est clair : l'enseignement est "bancal".  Le judaïsme est oublié par les grandes synthèses de Jules Michelet, Jacques Le Goff ou Marc Bloch (pourtant juif) ; le patrimoine juif est ignoré ou mal traité, les expositions rares : mais s'agit-il seulement d'une "forme de cécité" ?

Ce petit livre dresse le bilan d'un manque, d'un trou, dans l'histoire de la France. Ce déficit est à combler, assurément. Il y a du travail à effectuer, certes mais d'abord une révolution dans la pensée à effectuer.

dimanche 10 octobre 2021

Le papyrus, un média, de Cléopâtre à Clovis

Statuette de Cléopâtre lisant un papyrus
Le papyrus dans tous ses états de Cléopâtre à Clovis, Collège de France, Jean-Luc Fournet, 2021, 190 p.

 L'exposition au Collège de France, "Le papyrus dans tous ses Etats" est accompagnée de la publication d'un ouvrage de commentaires et d'explications par les meilleurs spécialistes, le tout est dirigé par un Professeur au Collège de France, Jean-Luc Fournet.De notre point de vue, l'exposition s'intéresse surtout au média, au support de la communication fabriqué à partir d'une plante que l'on trouvait dans les marécages, près du Nil, en Egypte, puis cultivée ailleurs, en Sicile, par exemple. C'est donc d'abord l'histoire d'un média, méditerranéen surtout, né dans l'antiquité et qui disparaît au Moyen-Age, remplacé                                                                                         par le parchemin, le papier et l'imprimerie.

Affiche de l'exposition
au Collège de France

 

Le livre commence par la plante, que l'on mange pour partie, dont on se sert encore pour construire des barques et qui va enfin servir surtout à la fabrication d'un papier à partir lamelles assemblées puis pressées et collées pour donner un rouleau (en grec : biblos, βύβλος). 

Avec les pharaons se développera une caste de scribes, surtout à partir de l'arrivée des Grecs et Romains, et à l'époque lagide ; la vie administrative se traduit par un grand nombre de documents écrits correspondant à des archives juridiques (optimisation des rentrées fiscales, entre autres). 

La multiplication des livres se traduit, notamment, par la création de la bibliothèque d'Alexandrie (qui comptait sans doute près de 500 000 livres). 

Et le catalogue se poursuit, passant à l'orient hellénistique et romano-byzantin, puis à la Grèce et l'Asie Mineure, à l'Italie et la France, au monde musulman enfin.

Pour terminer, le catalogue aborde la question des papyrus à l'époque moderne et celle de l'essor de la papyrologie puisque ce n'est qu'au XXème siècle que fut réinventée la manière de produire des papyrus de la qualité de ceux trouvés en Egypte.

Voici une excellente exposition et son catalogue. Peut-être, si l'on n'est pas soi-même égyptologue ou spécialiste de papyrologie, faut-il d'abord lire le catalogue puis aller ensuite voir l'exposition. Le bénéfice à retirer est important pour penser le rôle des médias à une époque donnée.

samedi 9 octobre 2021

epsiloon et l'actualité scientifique

epsiloon. Nouveau magazine d'actualité scientifique, 100 p., 4,9€

Voici un nouveau magazine de vulgarisation scientifique. Il nous met au courant de l'actualité scientifique. La rédactrice en chef déclare son fil directeur : "vous faire part de ce qu'en dit la science. En tout indépendance". Belle promesse, et qui ne sera pas facile à tenir. Ainsi dans ce numéro "une chercheuse en science politique" d'une université new-yorkaise (NYU) qui disserte vaguement sur Facebook (et il y aurait pourtant à dire sur un tel sujet)! Le magazine a fait l'objet d'un appel au  financement sur Ulule (crowdfunding) ; le groupe comporte également, entre autres, Disney Magazines, Fleurus, les catalogues Panini...

Ce numéro, le troisième, commence après des nouvelles étonnantes, par le paludisme. Quels pays l'ont récemment vaincu (la Chine, l'Algérie déclarés "malaria free"), quels pays restent vulnérables (l'Afrique, l'Amérique latine). On espère des vaccins...  Une page sur la "suprématie quantique", c'est bien peu. Un dossier sur la conquête de l'espace et son absence d'encadrement juridique... Et un dossier plus compliqué sur le chou et les fractales. On est dans Mandelbrot mais on en est bien loin avec la cryomicroscopie. 

Un article sympathique appelle à la protection des loups, des corbeaux et corneilles, des renards, des chacals et autres putois, tous ces animaux que l'on dit "nuisibles" ont une fonction écologique et s'avèrent plutôt utiles. Et un article sur le démon de Maxwell aussi, etc.

En fermant le magazine, on est un peu moins ignorant, mais il reste du travail. Peut-être en rendant les articles un peu plus denses, un peu plus longs aussi. Mais il y a déjà des progrès : par exemple, les deux pages de critiques par des lectrices / lecteurs, ou encore les quatre pages du "fil d'actus",  au début du magazine, ou encore la liste des 77 scientifiques interrogés par les journalistes pour ce numéro du magazine. Peu de publicité : le planétarium, l'université de Lorraine, mais deux pages pour le magazine et une pour un magazine du groupe. On peut mieux faire !

Voici en tout cas de beaux débuts pour un bon magazine d'actualités scientifiques.


dimanche 19 septembre 2021

Bebel, de Godard à Claude Lelouch, d'Alain Resnais à Cyrano



 Le Point, Jean-Paul Belmondo, 1933-2021 "Le panache, la vie, l'amour, la France", 100 p.

Le numéro que Le Point consacre à la mort de Belmondo est plutôt bien. Il est assez complet, évoquant les principales étapes de sa carrière de son héro. De ses années de conservatoire à ses grands succès au cinéma mais aussi au théâtre. Bien sûr, le magazine avait sans doute déjà dans ses carton des dizaines, des centaines d'articles d'avance, la mort de Bébel approchant. Dans l'ensemble, avec Belmondo, la presse est partagée, la grande presse est plutôt favorable mais la petite presse, celle qui a des prétentions intellectuelles, n'aime pas Belmondo : pensez ! 58 films et des millions de spectateurs, cela n'est pas raisonnable ! 

Jean-Paul Belmondo, c'est une image de la France, ou plutôt des images de la France. Avec Gabin et Delon, avec Godard aussi. Avec Jean-Luc Godard, voici Belmondo dans "A bout de souffle" (1960) avec Jean Seberg, américaine et vendeuse de journaux. On nous montrera aussi Belmondo se faire peindre en bleu par Jean-Luc Godard pour "Pierrot le fou" (1965), et l'on pense avec lui à Rimbaud et aussi à Céline que finalement il ne tournera pas. On le voit avec Gabin, dans "Un singe en hiver", sous la direction d'Henri Verneuil, il est imposé par  Audiard : il s'agit d'une nuit d'ivresse formidable, adaptée d'un roman d'Antoine Blondin.

Jean-Paul Belmondo est le fils d'un sculpteur et sera un enfant heureux dans une famille sympathique. L'as des as a pourtant des ennemis dans la presse : "Ainsi "L'As des as", que j'ai coproduit et interprété en y laissant intégralement mon cachet parce que j'avais le désir de stigmatiser, sous le ton léger de la comédie, l'antisémitisme et l'intolérance, n'est pas toléré par ceux qui font profession de tolérance". La réponse est claire. C'était en 1982.

Avec Claude Lelouch, il tournera "Itinéraire d'un enfant gâté", et on le verra avec un vrai lion. En 1974, il joue le rôle du"beau Sacha" dans "Stavisky", sous la direction d'Alain Resnais. Au théâtre, on voit Belmondo dans des pièces de Feydeau, dans le rôle de Kean et dans celui de Cyrano (278 fois !). Et l'on en oublie tant : "Moderato Cantabile" (1960) avec Jeanne Moreau, "Les Mariés de l'An II" (1971) avec Laura Antonelli... Belmondo c'était bien.





















dimanche 12 septembre 2021

Vivre l'Allemagne nazie au jour le jour

 Anna Haag, Denken ist heute überhaupt nicht mehr Mode. Tagebuch 1940-1945, Reclam, Stuttgart, 2021, 448 Seiten. ("Penser n'est plus aujourd'hui particulièrement à la mode")

La Frankfurter Allgemeine Zeitung compare cette oeuvre à celle de Victor Klemperer. Anna Haag, journaliste, socialiste, féministe a donc tenu son journal durant la guerre, commentant les événements dont elle entendait parler autour d'elle, à la radio allemande (mais aussi à la radio anglaise), dans la rue, chez les commerçants, à la pharmacie, à la gare. Depuis mai 1940 jusqu'au 22 avril 1945, elle raconte sa vie quotidienne ; elle évoque la presse allemande de l'époque, se moquant des expressions nazies mais les citant sans cesse. Elle dissimule son journal dans la cave à charbon...

Son interlocuteur favori est le pharmacien du coin, "unser Nachbar Apotheker", "der Herr Stratege", qui commente, jusqu'au bout, l'actualité internationale, et la victoire à venir de l'Allemagne nazie, inévitable, sur les Anglais, puis sur les Russes aussi, bien sûr, et, bientôt, sur les Américains. Et le livre fourmille de remarques ironiques mais réalistes sur l'état d'esprit de la  population, remarques qui font suite aux observations de l'auteur dans le tramway, dans les boutiques, dans les rues, sur la fureur de la propagande nazie... Propagande qui ne cesse qu'à l'extrême fin et qui touche toute la population ; d'ailleurs, cette population sait tout, tout de la situation faite aux Juifs dans les camps de concentration, camps de la mort, et cela ne la dérange en rien...

Après guerre, Anna Haas reprendra ses activités militantes au parti socialiste allemand (SPD) en faveur des femmes notamment. Le livre se lit agréablement, en allemand, du moins car pour l'instant je ne lui connais pas de traduction en français ou en anglais. Il mériterait pourtant une traduction tant son compte rendu de l'époque est original et montre qu'une opposition, muette et discrète certes, existait quand même un peu au régime nazi. 


lundi 30 août 2021

Histoire des regards d'André Malraux

 Jean-Yves Tadié, André Malraux. Histoire d'un regard, Paris, Gallimard, 2020, 229 p. suivi de "Repères chronologiques" (1919 -1977).

On connaît Jean-Yves Tadié par Marcel Proust dont il a édité la nouvelle collection des Pléiades. Mais, c'est par les oeuvres d'André Malraux qu'il a d'abord commencé, par La Condition humaine, lue en classe de troisième. Et Jean-Yves Tadié, qui retrouve ses goûts d'adolescent, a réuni dans un volume plusieurs de ses contributions. Malraux, qui commence et construit La Condition humaine comme un homme de cinéma, mais termine son livre sur la souffrance et la mort. "Tout art est un moyen de possession du destin", déclare Malraux dans un discours sur "L'héritage culturel" (1936). "Il voulait assembler, former un cortège, fondre le tout dans la grandeur de la France éternelle", note l'un de ses collaborateurs. Tout le travail de Jean-Yves Tadié consiste à essayer de caser l'oeuvre d'André Malraux tout en montrant qu'il s'agit là d'une tâche impossible. Malraux n'est pas romancier, il n'est pas historien, il n'est pas politicien non plus mais on comprend qu'il veut faire l'histoire, celle des maison de la culture, celle des missions dans l'étranger lointain, celle de la littérature, celle de la Résistance, celle de la vie politique, celle de son époque, celle de De Gaulle aussi... Car André Malraux nous obligera à relire De Gaulle.

 Le livre réunit plusieurs parties : les "Ecrits farfelus", son "Carnet d'U.R.S.S." (1934) et son "Carnet du Front populaire" (1935-1936). Puis, vient le plus gros morceau, les "Ecrits sur l'art" et l'ensemble se termine par les "essais littéraires". "Malraux pense l'ensemble, le tout, avant toute monographie. La planète, non un pays ; toute l'histoire, non une période : contre l'histoire, il veut faire sortir ce qui lui est étranger". "Mes maîtres sont Valéry ou Nietzsche ou Baudelaire ou même Diderot", déclare Malraux. On perçoit une continuité toutefois : " la lutte contre la médiocrité, la soumission ou l'effacement est une leçon toujours vivante". Alors Malraux autodidacte ? Oui, certes, mais, souligne Jean-Yves Tadié, "il vaut mieux savoir avec Malraux qu'ignorer avec tant de diplômés". Parole de Professeur !

Malraux fut aussi ministre, pas celui du rayonnement comme il l'aurait souhaité mais minsitre de la culture. Pour lui, qu'est-ce qui doit l'emporter ? "Non pas apprendre à connaître, mais apprendre à aimer", devise qui résume l'ambition des maisons de la culture. Et les expositions ? " La France n'a jamais été aussi grande que lorsqu'elle a été la France pour les autres". Alors ? "On admire comme chez Péguy, Bernanos, Mauriac, cette synthèse de la  culture, du lyrisme et du pamphlet". 
Voici un bel ouvrage, engagé, pour l'amour de l'oeuvre d'André Malraux, plutôt mal aimé mais tellement de son temps ou, peut-être, du nôtre.

mercredi 11 août 2021

Par les champs, les grèves, les chateaux et les phares : la Bretagne

 Le Figaro, hors-série. "Par les champs et les grèves. Bretagne éternelle", 164 p., 12,9 €

Voici un très beau hors-série du Figaro consacré à la Bretagne, et notamment à ces traces historiques. Tout d'abord, le magazine s'ouvre par un éditorial plutôt discrètement politique consacré à Mona Ozouf, bretonne et normalienne, républicaine, et qui réfléchit, toujours !  Puis des photos de phares, beaucoup de phares : le phare des Poulains (Belle-Ile-en-Mer), celui de Ploumanac'h (Mean Ruz), le phare de Nividic, le phare du Créac'h (île d'Ouessant) le phare du Portzic, le phare de la Vieille (Pointe du Raz), celui de Port-Navalo (golfe du Morbihan) : ces photos ponctuent le magazine. Et puis les personnages : parmi eux, d'abord, Anne de Bretagne, "reine en sabots" mais Reine de France et Robert Surcouf, marin terrible, Sébastien Le Balp et le marquis de Poncallec, Cadoudal : la plupart des héros de la Bretagne sont là. En 1902, une circulaire d'Emile Combes impose la langue française à l'église, pour "le catéchisme et la prédication". Alors, le breton ? Drôle de bataille, vue d'aujourd'hui ! Et qui mériterait davantage que quelques lignes.

Enfin, on trouve Saint-Malo, ville détruite en 1944 et reconstruite. Et puis une historienne, normalienne aussi, Claire l'Hoër, raconte la vie d'Anne de Bretagne. Bertrand Du Gesclin ausi est traité longuement. Et puis les châteaux ("la dentelle du rempart"), et le Mont-Saint-Michel qui précède Chateaubriand et son petit château de Combourg où il fut enfant. Et bien sûr, il y a  les peintres de Pont-Aven avec Paul Gauguin et Paul Sérusier. Enfin, des pages sur la musique bretonne et sur la forêt où l'on célèbre Brocéliande.

Le magazine s'achève par les "pauses gourmandes" et par des suggestions de lecture parmi lesquelles Le cheval d'orgueil de Pierre-Jacquez Hélias qui méritait mieux dans cette promenade bretonne, lui qui savait si bien le latin et le breton. Quant à la carte de géographie qui clôt le magazine, elle est bienvenue mais par trop réduite (on aurait volontiers remplacé les pages consacrées à quelques patrons bretons par des pages de géographie). Dans l'ensemble, voici un bon magazine, pour les vacances d'été ou d'hiver, pour savoir où aller et pour rêver la Bretagne.

dimanche 25 juillet 2021

Les grandes idées et la vie brève de Milman Parry, helléniste américain

 Robert Kanigel, Hearing Homer's Song. The brief life and big idea of Milman Parry, Alfred A. Knopf , New York, 2021, 323 p, Index, Illustrations

On l'a appelé le "Darwin of Homeric studies". Son travail, au début des années 1930, a été considéré comme une étape décisive des travaux consacrés à Homère. Et sa mort, dans un hotel de Los Angeles, mort que l'on considère toujours comme mystérieuse, surprend encore : est-ce un accident ou un crime de son épouse ? La police américaine a tranché : c'est un accident. Le livre se termine sur cet accident qui raconte la vie de Milman Parry et de son épouse Marian ; ils ne se sont pratiquement pas quittés depuis Berkeley, l'université, jusqu'au moment de sa mort. Le livre évoque aussi la vie de son élève, Albert Lord, qui poursuivra son travail à Harvard.
Milman Parry avait commencé ses études à l'université de California à Berkeley ; bientôt, sa "majeure" fut le grec ancien (quatre semestres). Et il rencontre Marian qu'il épouse en mai 1923, à San Francisco. Les jeunes parents de deux enfants partent pour Paris en 1924. Après un passage par Dieppe, ils s'installent à Clamart, en banlieue parisienne, d'où ils peuvent rejoindre aisément la gare Montparnasse.

Alors Milman se met à sa thèse, malgré le désintérêt manifesté par Victor Bérard, à l'époque le spécialiste français de Homère. Le sujet de Milman Parry est "l'épithète traditionnel dans Homère", épithète devenu ornemental. Toute l'analyse de Parry culmine dans une sobriété qui, notera Pierre Chanteraine, lui donne sa force. Force que soulignera son approche statistique, seul moyen, expliquera Milman Parry, de vérifier ses affirmations, et de dépasser le stade de la "vague impression" : la force des épithètes vient de leur répétition, vingt ou trente fois. La thèse, soutenue le 31 mai, sera publiée en 1928 en français par Les Belles Lettres à Paris et, en 1971, seulement, en anglais. Au jury, salle Louis Liard, se trouve Antoine Meillet, qui préside le jury, jury qui donnera à la thèse présentée et défendue la meilleure mention : "très honorable". 

Le livre suit ensuite Milman Parry à Harvard où il aura la réputation d'un médiocre enseignant mais d'un excellent chercheur ("scholar"). Harvard avec sa réputation d'antisémitisme ("sheer toxic anti-Semitism") a dû gêner Milman Parry dont l'épouse était juive. Ensuite, commencent les voyages de Milman Parry et de sa famille en Yougoslavie à la recherche de preuves pour l'oralité de la poésie. Robert Kanigel nous le montre à l'aise techniquement avec la version du magnétophone d'alors, plutôt expérimentale ; il est aidé par Albert Lord, son élève, qui écrira The Singer of Tales, et qui poursuivra le travail de son maître, mort d'un étrange coup de révolver. Mauvaise manoeuvre du révolver, assassinat ou suicide ? Le rapport de police californien s'en tient finalement au suicide accidentel.


Bibliogr :  oeuvres éditées par son fils, Adam Parry, The Making of Homeric Verse: The Collected Papers of Milman Parry,  New York & Oxford : Oxford University Press, 1987.

dimanche 13 juin 2021

Le marché publicitaire français en 2020, selon l'IREP

IREP, Le marché publicitaire français en 2020, Paris, 2021, 115 p.

Comme chaque année, depuis plus de cinquante ans, l'IREP publie sa vision de l'état du marché publicitaire français. Le bilan prend en compte cette année les médias suivants : la télévision, le cinéma (les salles), la radio, la presse quotidienne nationale et régionale, la presse hebdomadaire régionale, la presse magazine, la presse spécialisée, la presse gratuite d'information, locale et thématique, la publicité extérieure, Internet (search, social,  display et autres - affiliation, courrier, comparateurs), les annuaires, le courrier publicitaire et les imprimés sans adresse. 

Le résultat total montre, pour la durée annuelle, une chute globale de 11,6% des recettes publicitaires. C'est la presse qui souffre le plus avec une chute de plus de 30% (publicité commerciale) ; la publicité extérieure perd beaucoup également (-33%). 

Et c'est Internet, seul, qui présente un résultat fortement positif.

Dans le bilan global, c'est donc Internet qui domine le marché français (42,4% - Tableau 5, p. 13). Si l'on compare avec le marché américain (cf. p. 75), on voit que la part de marché d'Internet en France est inférieure à ce que l'on observe aux Etats-Unis (où elle atteint près de 61%, comme en Russie) ; cette part de marché dépasse d'ailleurs 70% en Chine, et 71,5% en Grande-Bretagne. Pourquoi ces écarts, et notamment pourquoi un écart de près de 30% avec la Grande-Bretagne ? Beaux sujets de réflexion...

Comme on le voit, il y a du grain à moudre dans ce bilan annuel et il faut saluer le travail de Christine Robert qui dirige l'IREP et a permis l'établissement de ce bilan. Bien sûr, comme dans tout travail de ce type, il y a des a priori choisis pour ces calculs, a priori que l'on peut discuter et disputer, mais qui sont inévitables. C'est sans doute sur ces choix mis en oeuvre lors des calculs qu'il faut s'interroger maintenant, pour les améliorer, si possible. 

"L'essentiel par pays" est bienvenu même s'il comporte quelques "oublis" que l'IREP aura tout intérêt à combler : l'Espagne, la Pologne, la Suisse, l'Autriche, les pays scandinaves et le Portugal pour donner tout le marché européen ; au plan mondial, la Corée est absente.

L'ensemble constitue un outil de référence interprofessionnel pour les acteurs du marché publicitaire.

Le marché publicitaire des médias américains (estimation WARC, mars 2021)

mardi 11 mai 2021

L'imprimerie, quelle histoire !

Yann Sordet, Histoire du livre et de l'édition. Production & circulation, formes & mutations, Editions Albin Michel, 798 p. Bibliogr., Index. Postface de Robert Darnton

Voici un très gros ouvrage qui dresse le bilan de quelques siècles d'écriture et d'édition. L'auteur qui dirige actuellement la bibliothèque mazarine aurait peut-être dû rédiger deux ou trois tomes, ce qui aurait facilité l'accès à son travail. Pour une nouvelle édition peut-être ? Parce que, bien sûr, à lire cet ouvrage de près, on ne manque pas de regretter l'absence de tel ou tel développement, sur la Chine par exemple, ou sur l'hébreu, entre autres. 

D'abord, le papyrus (papier) et le volumen bien sûr, qui mènent au parchemin, au papier et aux livres imprimés. En Europe et en Chine surtout, mais la Chine de Mateo Ricci est traitée bien rapidement, trop rapidement. Tout comme l'Islam et l'hébreu. Les pugillares (tablettes enduites de cire) pour les usages scolaires et comptables aussi, de même que les feuillets de bois (aulne, bouleau ou tilleul) sont évoqués de même que les rouleaux qui persistent sous la forme de rotulus (le rôle des administrations).

C'est surtout avec le papier que commence le livre ; on passe rapidement sur la Chine pour atteindre la renaissance carolingienne et le rôle fondamental de l'Eglise avec Augustin et Grégoire le Grand. C'est l'époque des scriptoria dans les abbayes et surtout l'époque de Charlemagne. De là, on passe aux librarii. Rachi est évoqué, trop rapidement, à propos du livre hébreu. Evoquées en passant, aussi, l'édition musicale et l'écriture neumatique (du grec pneumaπνεῦμα, souffle) qui anticipent l'écriture avec les lignes de portée ouvrant la voie à la musique polyphonique. Avant Gutenberg, l'impression xylographique se développe en Chine puis en Europe mais c'est l'imprimerie qui assurera signera sa fin. 
La technique typographique est analysée en détails : cela commence avec la B42 (Bible à 42 lignes) en 1455 qui succède au Donat (une petite grammaire latine). Mais surtout l'imprimé se traduit par un changement d'échelle : en un demi-siècle, on a produit deux fois plus de livres que pendant les dix siècles du Moyen-âge. De 1450 à 1600, Paris domine la production éditoriale (47 620 éditions contre 31 235 pour Venise et 23 186 pour Lyon). 
Après la période de création de l'imprimerie, l'ouvrage de Yann Sordet fait succéder "l'invention" des médias avec la presse vendue d'abord par abonnement et colportage. La Gazette de Théophraste Renaudot est le premier titre français, hebdomadaire, né en 1631 et déjà lié au pouvoir (Richelieu puis Mazarin, et puis, bien sûr, Louis XIV). Avec le XIXème siècle, commence "la mutation du monde typographique" et "l'innovation cumulative" propre à la révolution industrielle que connaît l'Europe (disponibilité de capitaux, les nouvelles sources d'énergie, la rapidité des moyens de transport) qui enclenche toute une "dynamique des inventions" (p. 508) : la photocomposition au XXème siècle, le "règne de l'image" puis de la photographie qui va permettre le photoreportage. L'auteur traite de la presse de masse, du feuilleton, l'imprimerie comme "moteur de l'instruction publique" avec "Le Tour de la France par deux enfants" (Augustine Fouillée), avec la guerre des manuels qui opposera la Ligue de l'Enseignement, "rationaliste et laÏque", à l'Association des pères de famille "créée par les évêques les plus anti-républicains de France".  
La septième partie traite de la progressive dématérialisation et de l'arrivée des géants que sont surtout les GAFAM, avec Amazon (avec ses kindle). La fin s'exténue en évoquant des regroupements avec le jeu vidéo, la chute des dictionnaires, etc.
L'ouvrage se lit agréablement, même s'il est bien lourd à porter , et incomplet !

lundi 19 avril 2021

Pour en finir avec les villes délirantes, la campagne ?

 NEORURO. Une nouvelle vie à la campagne, avril 2021,trimestriel, 100 p. 5,9 € (abonnement : 23,6 € par an). Reworld Media. Mise en place : 60 000 exemplaires.

Voici un magazine nouveau qui propose à ses lectrices et lecteurs des moyens raisonnables de vivre autrement."Vivre et travailler à la campagne": facile à dire, mais difficile à faire ? On avait déjà pensé à construire les villes à la campagne, dès 1860, mais le nouveau magazine de la néo-ruralité ne veut pas faire penser à l'humoriste (Alphonse Allais) :  il est plein d'idées sérieuses et réalistes.

Tout d'abord, vivre à la campagne, c'est possible puisque nombre de candidats ont déjà  franchi le pont pour s'installer à la campagne. Et la dernière page du magazine vous donne des idées fondamentales et utiles ; elle vous conseille d'aller trouver le notaire de la région ou du village où vous cherchez un terrain (mais aussi, consultez les mairies), de vous renseigner sur la SAFER (Société d'Aménagement Foncier et d'Etablissement Rural) qui libérera, ou pas, des préemptions en matière de vocation du bien considéré. On vous y indique aussi les premiers et indispensables travaux à considérer : l'électricité, la mise aux normes de la fosse sceptique, les isolations (qui allégeront les factures d'énergie), le réseau 4G (Internet est plus que jamais vital, tant pour le travail que pour la vie quotidienne de toute la famille), et, enfin, les servitudes diverses (droits de passage, etc.). 

Pour tous ces éléments primordiaux, le recours au notaire local est d'ailleurs fortement conseillé. On pourrait ajouter à cette liste : les inscriptions et les transports scolaires, pour aujourd'hui et pour demain (école élémentaire, lycée, internat, université), et, bien entendu, la connaissance précise de l'environnement médical. Tous ces points sont fondamentaux lorsque, parents, on a la responsabilité d'une famille. Cette page d'information première est complétée par des notes ponctuelles dispersées dans chacun des articles et qui traitent de budget, de la phase préparatoire, etc. Notons que, à la page "humeur", qui se trouve comme un avertissement au début du magazine, on apprendra qu'il faut se méfier du poulailler géant, de la ferme de 1000 vaches, de l'implantation d'éoliennes, de l'épandage de produits phytosanitaires, et de tant d'autres mésaventures industrielles imposées par les villes voisines et qui peuvent compromettre une installation à la campagne (cf. "Qui veut la peau du coq Maurice ?").

Le magazine fait rêver. Première étape d'une réorientation de la vie : il faut rêver ! "Enfin libre !" déclare le rédacteur en chef, Denis Pilato. "Enfin libreS", au pluriel, faudrait-il dire, plutôt. Car dans cette aventure, on ne s'embarquera pas seul-e, et les adolescents ne seront pas les plus faciles à embarquer. Toutefois, des articles multiplient les expériences de nouveaux départs, ainsi celle de ce couple parisien qui s'installe dans une ferme en Charente, ou encore cet autre qui s'implante avec ses deux enfants dans les Côtes d'Armor et y vit sans voiture. Et bien d'autres, qu'il faut lire, attentivement. Ira-t-on jusque dans la "cabane fertile" pour vivre une "désobéissance fertile" complète ? Ne délirons pas ! Moins idéaliste, un  gros plan sur un département ("La Sarthe. Terre d'accueil de Parisiens ?") est bienvenu pour un nouveau départ, pour les néo-ruraux (qu'il ne faut pas confondre avec les rurbains) et on y voit l'intérêt des villes moyennes que l'on se représente comme des villes exceptionnelles où l'on pourrait concilier la nature et les fonctionnalités de la cité. A la fin du magazine, on trouvera des articles sur de nouveaux métiers d'artisans : coutellerie, savonnerie, céramique, jardinage... De bonnes idées mais on attend aussi et surtout les métiers réalistes : la poste, l'enseignement, les transports publics, les vélos, les livraisons et bien d'autres.

Le magazine regorge d'optimisme, mais prudemment, car le constat indique que tout est à inventer pour vivre mieux la ruralité ."Il est difficile aujourd'hui de vivre à la campagne et d'être écolo", déclare Bernard Farinelli, un spécialiste du local, qui souligne, réaliste, la question de l'emploi : "Les campagnes peuvent être un vrai laboratoire. C'est enthousiasmant car tout est à réinventer." Et il y a la question de la mobilité aussi : "Il est difficile aujourd'hui de vivre à la campagne et d'être écolo", souligne-t-il. Ensuite, le magazine promet un salon 2021-2022 pour une nouvelle vie à la campagne : le salon se tiendra à Paris, à la Grande Halle de La Villette. Enfin, la 4 de couv, c'est de la publicité : pour la SNCF et son TGV inOUI à "grande vitesse, bas carbone". 

Ce magazine nous a fait rêver, c'est bien. Quelle sera la suite ? Passée la  philosophie et les rêveries, le magazine ne pourra pas échapper aux rubriques de conseil précis, utile, aux explications. Les métiers, la santé, l'avenir des enfants.... Et c'est là que le lectorat jugera, car une nouvelle vie au vert, ce n'est pas que des vacances.

mardi 6 avril 2021

Penser la Chine, toujours nécessaire et essentiel

Anne Cheng, Penser en Chine, Paris, Gallimard, 2021, 558 p. Index                    

En noir, le poison ;
en rouge, la longévité :
la vie se prolonge malgré le
poison ou bien le poison 
compromet une longue vie ?
Pour Anne Cheng, normalienne et Professeure au Collège de France (chaire Histoire intellectuelle de la Chine), qui a dirigé ce volume collectif, il faut penser la Chine d'aujourd'hui, exactement : la mise au pas de Hong-Kong, le contrôle de la population ouïgoure du Xinjiang, la pandémie de Covid-19 et les informations et désinformations qu'elle provoque, tous ces événements sont des symptômes ; ils imposent à l'Occident de repenser la Chine et donc d'écouter ceux et celles qui, en Chine, décrivent la situation. Mais qui peut, en Chine justement, penser ces événements et faire part de ses pensées sans risque ? Notons que Anne Cheng, chinoise et française, ne pense pas "en Chine", mais à Paris, de même que la plupart de ceux qui ont contribué à cet ouvrage pensent de l'étranger, hors de la Chine, si l'on exclut sur 17 contributions, les 3 de Chu Xiaoquan (université Fudan, Shanghaï), Ge Zhaoguang (université Fudan, Shanghaï) et Qin Hui (université Tsinghua, Beijing). Beaucoup des contributions de cet ouvrage mériteraient une approche plus discutée ; ainsi celle de Sebastian Veg (EHESS) sur "la marginalisation des intellectuels d'élite et l'essor d'intellectuels non institutionnels depuis 1989" qui compare trois régimes de production des savoirs ou celle de Ji Zhe (INALCO) sur les relations de négociation entre le boudhisme et l'Etat. Nathan Sperber analyse le "capitalisme d'Etat en Chine" reprenant des travaux de sa thèse, et Anne Kerlan traite de "l'invention du cinéma chinois", etc.

Cet ouvrage fait suite, dix ans après, à La pensée en Chine aujourd'hui (Gallimard, 2007, 478 p., Index). Il est précédé d'une présentation de Anne Cheng. C'est d'abord, l'usage de la notion antique de tianxia ("tout sous le ciel", 天下) que remet en question Ge Zhaoguang, notion utilisée selon lui aujourd'hui pour célébrer " la civilisation plurimillénaire de la Chine" et les fantasmes de "l'Empire-Monde". Et l'on en vient à la dénonciation des Instituts Confucius, dont un anthropologue américain, Marshall Sahlins (université de Chicago), dresse le procès : il y voit un "academic malware", une maladie académique, qui s'ajoute aux armes idéologiques traditionnelles. Qin Hui, lui, plaide contre un pseudo exceptionnalisme chinois. Le Mai 68 français est curieusement mal compris en Chine et n'a aucun rapport avec les événements chinois de la même époque. Avec l'évocation des événements historiques, comme la crise de la COVID-19 ou le Xinjiang (nouvelle frontière de l'empire mandchou) ou encore les événements récents de Hong Kong, on a du mal à s'y retrouver. Anne Cheng conclut, sans trop y croire : "Quand donc la Chine comprendra-t-elle qu'elle ferait mieux de se remettre à penser au lieu de continuer à dépenser ?" Le jeu de mots ne permet pas de rendre compte de ce que pensent les Chinois et Anne Cheng, pour le moins perplexe, de citer finalement Laozi (61) : "Un grand pays se tient au plus bas // Là où coulent les rivières // Là où le monde se rencontre // Là où se trouve le Féminin ". 

Notons que Anne Cheng, a, par ailleurs, publié il y a longtemps déjà, sa propre traduction des Entretiens de Confucius (cf. aux Editions du Seuil, 1981, + le texte chinois, 153 p +10 p) et qu'elle dirige aussi depuis une dizaine d'années, aux éditions des Belles Lettres, la Bibliothèque chinoise, qui compte une trentaine d'ouvrages en édition bilingue (nous avons rendu compte de plusieurs de ces ouvrages dans nos blogs). Cette Bibliothèque chinoise vise tout ce qui a été publié en chinois classique, que les auteurs soient japonais ou coréens.

samedi 20 mars 2021

La Commune a 150 ans

 "Louise Michel. L'égérie de la Commune", le un, Hors série XL, Printemps 2021, 6,9 €

Le un rend hommage à Louise Michel et à la Commune. Avec une affiche grand format, et des articles qui racontent la vie de l'héroïne. De la révolution de 1871, à laquelle elle s'est donnée, jusqu'à son séjour en Nouvelle-Calédonie - c'est là que l'on se débarrassait des personnages pénibles, criminels quelconques, révolutionnaires français ou kabyles : Louise Michel y fut institutrice au bagne pour les Canaques. Libérée en 1880 (loi d'amnistie du 12 juillet 1880), elle revient en France, à Dieppe, et poursuit ses activités militantes, plutôt anarchistes. Née à Vroncourt-la-Côte en 1830, dans un village près de Chaumont (Haute-Marne), elle décède à 75 ans, à Marseille. 

"L'égérie" n'est peut-être pas le terme le plus juste pour qualifier celle qui finira avec le drapeau noir de l'anarchie plutôt que le rouge. Ses principes pédagogiques sont simples et valent toujours : l’école doit être pour tous, elle ne fait pas de différence entre les sexes, l'éducation à la sexualité est nécessaire, et l’enseignant doit accroître son savoir sans cesse pour le transmettre.

Quelles sont les intentions de l'éditeur en vendant cette affiche ? Qui s'en servira pour décorer une pièce de son habitation, ou de son école ? Louise Michel est non seulement une femme, une éducatrice (de nombreuses écoles portent son nom), une écrivaine féministe et une femme soldat et révolutionnaire. C'est beaucoup.

L'affiche dépliée sur le parquet, chez moi

Tableau de Jules Girardet
"L'arrestation de Louise Michel" par Jules Girardet (1871)

Émile Derré : Louise Michel, 1906, bronze, Levallois-Perret
On notera la présence affectueuse d'un chat...

samedi 13 mars 2021

Une Reine, ses échecs et ses succès

The Queen's Gambit, série de Netflix, diffusée à partir du 23 octobre 2020

La série (7 épisodes) s'inspire d'un ouvrage du romancier américain Walter Tevis, publié en 1983. L'héroïne en est une orpheline qui, bientôt, très jeune, joue aux échecs, dans la pension où elle est interne d'abord, puis en dehors bientôt. Très vite, elle joue merveilleusement. Bientôt, elle participe à des tournois, de plus en plus difficiles, de plus en plus célèbres. Et nous la suivons dans cette aventure et les drames psychologiques qui l'accompagnent. La série raconte sa vie de joueuse d'échecs, ses amitiés et sa fameuse ouverture... La série s'achève par sa victoire dans un tournoi international, à Moscou.

Dans cette courte série, il y a la psychologie du joueur d'échec, telle que Stefan Zweig l'a évoquée dans son roman (Die Schachnovelle, 1942), roman traduit en anglais par The Royal Games qui dit mieux l'exigence et le talent que "la nouvelle des échecs", mot à mot, en français, Le Joueur d'échecs). L'histoire est bien conduite, les parties sont crédibles et Garry Kasparov, le champion russe, y jouera même un rôle après avoir conseillé le réalisateur. Les acteurs ont mémorisé les parties et les ont jouées. On a pu quelquefois comparer le style de jeu de l'héroïne à celui de Bobby Fischer, ancien champion et virtuose américain. L'actrice, on l'a déjà vue à la télévision notamment dans "Peaky Blinders", sur Netflix. La série a donné aux téléspectateurs envie de jouer aussi et l'on assiste, suite à la diffusion de The Queen's Gambit, à un surcroît de curiosité, voire davantage, pour les échecs. 

Pourtant, le travail de la joueuse d'échec est assez peu rendu, la caméra ne faisant pas voir les coups, ou alors trop rapidement. On les comprend mal, et le téléspectateur même s'il est joueur, n'imagine pas le travail, toute la ruse qu'il faut à la joueuse pour les imaginer. C'est le problème de la télévision, comme du cinéma, ils font voir, et comprendre, peut-être, mais pas assez ressentir, éprouver. En tout cas, ce gambit de la reine est un succès important pour Netflix.

Références : "Queens Gambit", https://www.thechesswebsite.com/queens-gambit/

Nicolas Giffard, Alain Biénabe, Le Guide des échecs. Traité complet,  Editions Robert Laffont, 1993, 1592 p.,  bibliogr. (Merci Daniel !)


lundi 8 mars 2021

Les séries d'hier et d'aujourd'hui avec Netflix, surtout

 Série Mag'. Le guide des séries télé d'aujourd'hui ! trimestriel, France quotidien, Distribution MLP, 84 p. 

Un magazine sur les séries est à coup sûr une bonne idée. Mais pourquoi un rythme trimestriel seulement ? Bien sûr, comme l'affirme l'édito "les séries font partie de notre quotidien", alors pourquoi trimestriel ? Le mode de consommation des séries a changé depuis Netflix et le streaming pratiqué en tout temps.

Comment choisir sa plateforme de streaming pour les séries ? Deux pages pour le titre c'est beaucoup, et inutile. Disney est raconté comme Netflix, tout comme Canal + Séries. En  conclusion, le journaliste qui déclare avoir testé les offres une semaine durant : "s'il ne fallait choisir qu'un seul service, Netflix serait incontestablement le plus complet".

"Le jeu de la Dame" ("The Queen' Gambit") qui traite de l'amour des échecs d'une joueuse, la série est commentée par une une championne, Marie Sebag. C'est sympa de l'entendre rappeler le coup du berger, un coup pour débutant-e et de souligner que, même quand on est une championne, on continue à perdre.

Ensuite, le magazine évoque des séries "peu connues" : "Away" (sur une astronaute qui part pour Mars), "Love 101", une série turque, "Spinning out" (sur le patinage), puis, plus connue,  "La chronique des Bridgerton !"...

Ensuite le magazine traite de personnages de séries (souvent anciens comme Monk, Gregory House, Patrick Jane ou Daenerys Targayryen (la mère des dragons dans la série "Game of Thrones" !). On trouve des tests pour les lecteurs aussi. Un grand article sur la série "Lupin", un autre sur Chernobyl. Et, enfin, un article sur les séries à venir avant la rubrique d'astrologie et deux pages de publicité.

Le magazine est bien fait mais on peut vouloir des articles plus longs et plus fouillés, un inventaire (quelle série est diffusée par quel service, avec quelle note...). Attendons le numéro suivant pour voir si l'éditeur et ses journalistes trouvent le moyen d'intéresser un lectorat.


mardi 16 février 2021

Not in the internet business. but in the customer-service business


 Jeff Bezos, Invent & Wander. Collected Writings. Introduction by Walter Isaacson, Harvard Business Review Press, 274 p., $10.92

Voici les oeuvres complètes, jusqu'à présent, du patron et créateur de Amazon. Elles sont introduites par Walter Isaacson qui trouve en Jeff Bezos des ressemblances avec Léonard de Vinci, avec Einstein, avec Steve Jobs, avec Ben Franklin... Jeff Bezos, souligne-t-il n'a jamais cessé de penser comme un enfant ("He has never outgrown his wonder years"). Et de citer la création de Amazon Web Services, ou encore l'achat de Whole Foods Market, la chaîne de magasins d'alimentation ou du quotidien The Washington Post. Enfant, Jeff Bezos fut un  infatigable lecteur et un fan de "Star Trek". 

Etudiant à Princetown, Jeff Bezos découvrit qu'il ne serait jamais un grand théoricien de la physique et se spécialisa dans le génie électrique et l'informatique. Devenu ingénieur dans un "hedge fund", il mit en oeuvre son "regret minimization framework" et alors, commença Amazon, avec sa femme. Et bientôt, ce fut le début de la "everything store" dont l'idée pourrait être résumée par le patron de Time Inc. : "Jeff Bezos n'est pas dans le métier d'Internet. Il est dans le "customer-service business". Et l'on assiste à la création de Amazon Prime, et de Amazon Web Services, une entreprise qui change le commerce du calcul ("We completely reinvented the way that companies buy computation"). Et ainsi vont la vie de Jeff Bezos et celle d'Amazon. Ensuite commence celle de Blue Origin, des fusées et celle du Washington Post...

A la fin de sa Préface, Walter Isaacson résume les leçons d'Amazon en cinq points essentiels :

1. Penser surtout au long terme ("It's All About the Long Term"). 

2. Mettre l'accent sur les clients, avoir l'obsession des consommateurs ("Obsess over Customers"). 

3.  Eviter les présentations PowerPoint (opinion que partageait également Steve Jobs). 

4. Les grandes décisions d'abord ("You get paid to make a small number of high-quality decisions"). 

5. Recruter les bonnes personnes, celles qui ont du talent. ("You don't want mercenaries at your company. You want missionaries").

Ensuite, après cette longue et passionnante introduction, le livre présente les oeuvres de Jeff Bezos, et quelques textes illustrant ces idées. Tout d'abord, ses lettres annuelles aux actionnaires et puis quelques articles, mais l'essentiel a été dit : "It remains Day 1". Le livre est clair, net, et l'ambition reste.

dimanche 7 février 2021

Latin et grec pour apprendre à tout âge

 Latin et grec. Le guide pour apprendre, à tout âge, Le Point, Hors-série, 100 p. 8,9 €


Ceux qui sont "nourris de grec et de latin" ne meurent plus de faim, comme dans le roman de Jules Vallès. Mais ils sont de moins en moins nombreux... Tout se passe comme si le statut du latin et du grec ancien étaient en train de changer et que ces langues mortes étaient désormais renaissantes :  "L'antique, c'est chic !", s'exclame un prof de langues anciennes. Et le premier ministre anglais, Boris Johnson, ancien maire de Londres mais surtout ancien étudiant d'Oxford, de réciter les 36 premiers vers de l'Iliade. Discours politique !

Le magazine mélange les points de vue de spécialistes divers ; Anne- Marie Ozanam, professeur en khâgne à Henri IV :"Je ne dis pas qu'il ne faut pas apprendre le latin. Il faut l'apprendre... si l'on veut. Cet apprentissage ne doit pas être obligatoire". Elle rappelle que le thème latin, pour être réussi, doit encore ressembler à Cicéron, Tite-Live ou César, ce qui est trop limité et elle demande aussi que, en matière de langues anciennes, on pense également à l'hébreu et à l'arabe, ces langues méditerranéennes anciennes certes mais qui sont aussi des langues modernes.
On trouve aussi un article du journaliste du Monde, Roger-Pol Droit, normalien et philosophe, qui espère des Grecs et des latins qu'ils nous aideront à "construire la raison sans frontière qui nous manque". Cédric Viliani, mathématicien et Médaille Fields, défend le latin comme complément des maths, comme le faisait Henri Poincaré. Son argumentation repose sur le rôle de la logique qui s'apprend avec le latin. Florence Dupont, normalienne et spécialiste des mondes grecs et romains, réclame de voir ces langues comme un "espace de questionnement et de rencontre pour les jeunes français dans leur diversité" : donc place à l'anthropologie dans la pédagogie !

On notera encore les deux pages consacrées aux Belles Lettres, les éditions Guillaume Budé, cent ans en 2019, éditions qui publient, bon an mal an, des textes grecs et latins, mais aussi, maintenant, chinois classiques.
Ensuite, viennent des extraits illustrés de l'Iliade et de l'Odyssée, des scènes mythiques. Et puis, il y a des jeux aussi, avec les déclinaisons, les histoires, de l'histoire aussi. Car on peut s'amuser encore avec un peu de latin et de grec
Voici un magazine amusant et enrichissant qui doit donner à ceux qui ne l'ont pas encore fait, enfants ou adultes, l'envie du latin et du grec, et à ceux qui en ont fait, éveiller de bons souvenirs.

jeudi 4 février 2021

Le smartphone à plein régime pour tout le monde

Mieux utiliser votre smartphone et votre tablette - Le guide pas à pas & conseils utiles, Pleine Vie, Hors série N° 58, 124 p.    

Il y a tout ou presque dans ce magazine, tout ce que vous voulez, tout ce que vous pouvez vouloir faire avec un smartphone ou une tablette, que vous soyez débutant-e, que vous changiez de marque d'appareil, que vous vouliez améliorer votre compétence et devenir un peu plus fort-e. A la une, une série d'expressions qui commencent par "Je" : tout y est des savoir-faire que l'on peut vouloir acquérir et maîtriser avec ces appareils, y compris l'application "Pleine Vie" (à télécharger).

La cible est celle du magazine (Reworld Media), donc cela vise plutôt les plus de cinquante ans, pour autant qu'une cible définie par l'âge ait encore du sens dans ce domaine. Car les plus de 50 ans constituent une cible de plus en plus confuse : elle mêle à quelques oisifs et retraités des gens qui travaillent, qui ont besoin d'une formation, qui changent encore de métier, qui doivent encore élever leurs enfants... Et puis, ce sont des lectrices et lecteurs qui doivent sans cesse apprendre à vivre.

Dans le magazine, les explications et le mode d'emploi sont simples. J'ai été parfois surpris par la présence des mentions Facebook et Cie (WhatsApp, etc.) comme allant de soi d'autant que leur sécurité est de plus en plus mise en question (cf. le débat avec Apple). Mais dans l'ensemble, les savoir-faire mentionnés, décrits, expliqués, témoignent que le smartphone, plus que la tablette, sont des outils courants ; tout le monde doit savoir s'en servir et le minimum se trouve dans ce magazine, pour tous les moments de la vie, ou presque, de la maternelle à l'arrière grand-mère (en 2021, on compterait désormais 76% des 11 ans et plus équipés d'un smartphone selon le Pôle numérique Arcep – CSA). Manque peut-être un index des noms, des fonctions... 

A mon avis, il est temps pour un tel magazine de faire évoluer sa cible, de l'élargir ou, du moins, de suivre l'évolution de la population : les "50 ans et plus" représentent désormais une bonne partie de la population, française, une bonne partie de celles et ceux qui prennent des loisirs, des vacances, qui travaillent, qui s'occupent d'enfants (les leurs ou / et ceux de leurs propres enfants). Ce ne sont pas des inactifs en fin de vie : la liste des savoir-faire à maîtriser, telle qu'elle est donnée à la une est parfaite. Il faut simplement la complexifier car l'informatique nécessaire est aussi devenue un exercice vital pour toutes et tous, une formation continue, indispensable.


mardi 26 janvier 2021

L'immigration, une question mondiale, vue de France

 La France face au défi de l'immigration, Le Figaro Enquêtes, hors série, printemps 2020, 178 p. 12,9 €

L'immigration est un thème épineux et délicat. Comment le prendre scientifiquement, objectivement, le débarrasser des préjugés qui l'encombrent en empêchent les solutions raisonnables ? Le Figaro enquête, et c'est bien de confronter des points de vue scientifiques (démographie, histoire, économie). Dans un numéro hors-série du printemps 2020, un bilan de l'immigration en France est tenté. Bilan qu'il faudra bientôt mettre à jour, régulièrement, le plus précisément possible : car le débat est loin d'être terminé...

"Sur les 66,9 millions d'habitants de la France en 2018, 14 millions de personnes - soit 20,9 % du total - sont directement issues de l'immigration." Telle est la première conclusion de l'étude historique de Pierre Vermeren (normalien et Professeur d'histoire). D'emblée, le ton est donné par l'opinion publique : "Pour une majorité de Français, nous n'avons plus les moyens d'accueillir et d'intégrer de nouveaux arrivants". 64% des Français estiment que "l'on en fait plus pour les immigrés que pour les Français" (parmi eux, les ouvriers et les chômeurs), les employés et les ouvriers se déclarant les plus hostiles à l'immigration. Les résultats du sondage IFOP montrent donc une France plutôt sceptique sur l'évolution de l'immigration. Les Français raisonnent plus sur le stock que sur les flux. Pour les plus jeunes et les plus diplômés, l'immigration serait plutôt une chance pour la France. Michèle Tribalat, démographe, une ancienne de l'INED où elle a mis en question les idées traditionnelles, critique les déclarations du chef de l'Etat mais surtout réclame une remise en cause du droit actuel : "La conception européenne extensive des droits de l'homme appliquée à la planète entière, laisse, de fait, l'Europe ouverte à tous les vents".

Au milieu du dossier, pp. 90-113, plus de 20 page donnent en photographies des images de l'immigration en France, au cours du siècle passé. Nous passons de celle des Italiens massacrés à Aigues-Mortes, en France, en 1893, à celle des soldats tonkinois et algériens engagés (1914-1918) dans le conflit mondial dans les rangs de l'armée française, de celles des réfugiés espagnols arrivant en France en 1936-37, chassés par le franquisme et mal reçus par le Front Populaire, aux images de ceux qui, immigrés célèbres, ont fait et font la culture française (Edith Piaf, Yves Montand, Charles Aznavour, Isabelle Adjani, Fabrice Luchini). Et puis, il y a aussi celle de trois footballeurs (Platini, Mbappé, Zidane, et il en manque, tant d'autres, Kopa, par exemple). Nous y trouvons aussi la communauté chinoise à Paris (XIIIème arrondissement), et la jungle de Calais...

La fin de cet important dossier est laissé à la discussion, parfois vive, à partir d'articles repris du Figaro. On y remet en question les positions des gouvernements européens, des religions aussi. On y dit ce qui ne se dit pas trop ailleurs. On y évoque un peu tous  les sujets de mécontentement: le traitement médical des immigrés, la "chasse aux passeurs",  les mineurs non accompagnés, les migrants Porte de la Chapelle, les viols de Cologne (en Allemagne)... 
Le document est bien réalisé. Bien sûr, beaucoup des auteurs viennent y faire de la publicité pour leur dernier ouvrage. Normal ! Mais les problèmes sont posés... En fermant le recueil de textes, on se dit que voilà une nouvelle vie pour les articles de presse : être repris et regroupés dans un ouvrage de synthèse, associés à des sondages et documents photographiques.