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dimanche 18 décembre 2022

Les pouvoirs discutés de la lecture

 Peter Szendy, Pouvoirs de la lecture. De Platon au livre électronique, Paris, La Découvrte, 197 p.

Partant de Platon pour arriver au livre électronique, Peter Szendy effectue un long voyage dans la culture livresque occidentale (mais rien sur la culture chinoise, arabe, japonaise ou indienne, entre autres) ; une bonne douzaine d'auteurs sont évoqués, plus ou moins longuement. Ce dont il est question n'est pas seulement le contenu des livres mais la manière dont on les lit, dont ils sont lus.

La lecture est une activité polyphonique, selon Peter Szendy, qui, pour que l'on s'y retrouve, fait appel à de nombreux auteurs afin de dresser un inventaire varié et convaincant. Il y a d'abord les classiques : Sénèque, Cicéron, mais surtout Platon. De Platon, ce sont deux dialogues de la maturité, le Phèdre et le Théétète, qui font l'objet d'une analyse détaillée mobilisant les termes grecs, en grec. L'anagnoste (ἀναγνώστης), esclave lecteur qui lisait pendant les repas, est "présent-absent" dans le dialogue. 
Ensuite, Peter Szendy passe au marquis de Sade, et à La Philosophie dans le boudoir dont il retient deux scènes de lecture. On le lit en suivant Lacan qui lit Sade.

Et puis, l'auteur passe à la scène du procès du roman de Gustave Flaubert, Madame Bovary, qui se déroule au tribunal correctionnel de Paris, le 29 janvier 1857. On entend, ou l'on lit, le réquisitoire de l'avocat impérial (il raconte le roman avant de le citer) et la plaidoirie de l'avocat de Flaubert. 

On en vient ensuite au Léviathan de Thomas Hobbes, traité comme "machine à faire lire qui s'organise de façon strictement parallèle à la machine à gouverner" ce qui, conclut Peter Szendy, fait du Leviathan "un grand appareil à gouverner-lire". Le traité de Thomas Hobbes s'avère une "machine à (faire) lire". A voir, il faudrait le lire ou le relire pour être convaincu...

Et puis, il y a Paul Valéry et Mon Faust. Paul Valéry dénonce : "L'évolution de la littérature moderne n'est que l'évolution de la lecture qui tend à devenir une sorte de divination d'effets au moyen de quelques mots vus presque simultanément et au détriment du dessin des phrases. C'est le télégraphisme et l'impressionnisme grossier dû aux affiches et aux journaux. L'homme voit et ne lit plus." Et Paul Valéry de conclure : "C'est fini, les papiers et les signatures. Les écrits d'aujourd'hui volent plus vite que les paroles, lesquelles volent sur la lumière". On dirait du Vladimir Maïakovski ou du Marshall McLuhan ! 

L'inventaire de Peter Szendy se termine avec Walter Benjamin qui "déballe sa bibliothèque" et semble s'intéresser au mouvement de la collecte plus qu'à l'accumulation pétrifiée, plus à "l'acte de collectionner" qu'à une collection.

Et j'en passe. Certaines démonstrations sont convaincantes telles celle de Platon, du Léviathan ou de Mon Faust, d'autres, à mon avis, le sont moins. Il y a des rabachages inutiles et "modernes" (toujours les mêmes Heidegger, Blanchot, Certeau, etc. ). L'intérêt du livre est de faire lire en s'interrogeant sur la lecture : l'auteur y parvient... et nous lisons ! 


samedi 11 juillet 2020

Beau, bon et utile pour cuisiner l'été



Saveurs Green. Le magazine naturellement responsable, bimestriel, juillet-août 2020, 124 p.

Voici nouveau un magazine qui tient ses promesses : il est bourré de recettes "végétariennes et équilibrées", accompagnées de conseils (l'"avis de la nutritionniste"). Il y en a pour tous les goûts, pour les grands et pour les enfants, pour ceux qui veulent "se dépolluer" (les "assiettes détox"), pour les sportives, et de nombreux plats plus sérieux aussi... et enfin des desserts glaces et des sorbets.
Dos carré, excellentes photos, le magazine est beau et facile à feuilleter. Et il y a des menus rapides - "à table dans 20 minutes"- et des plats plus lents qui demandent une préparation plus sophistiquée. Mais pourtant tout à l'air facile, à portée de la main !
Enfin le magazine donne envie de partir, mais pas nécessairement loin, à Troyes "en Champagne", par exemple. Carnet d'adresses en fin de magazine, sommaire des recettes. Et il y a des trucs pour nettoyer sa cuisine, un régime pour démarrer des moments de running, des idées sur le sucre, pour y démêler le vrai du faux. Bien sûr, il y a de la publicité, mais si bien placée qu'elle passe presque inaperçue d'autant qu'elle retient l'attention des lecteurs et lectrices (beau contrat de lecture). En début de magazine, il y a des "actus green", des idées pour l'apéro... Bon, vous avez compris, il y a tout ce dont on peut rêver pour cuisiner l'été. Et le magazine est fait pour être lu et gardé, collectionné même.

Excellent magazine. Bien équilibré, bien conduit. Du travail de professionnel-le-s. On a tellement envie de goûter tant de plats, que l'on va finir par s'abonner.

dimanche 16 octobre 2016

Loisirs créatifs à vendre : Amazon et NBC s'y mettent aussi


Amazon fait incursion dans les loisirs créatifs et les produits artisanaux, fait main, avec sa boutique Handmade.
Amazon étend son empire pour concurrencer Etsy, place de marché américaine créée en 2005 et spécialisée dans le domaine (craftmanship) ; Google permet aux vendeurs d'Etsy de lancer des campagnes publicitaires pour leurs productions avec Google Shopping. Professionnalisation des amateurs (Pro-Ams).

Depuis longtemps, la presse magazine française témoigne de l'importance de ce centre d'intérêt, proche du bricolage, de la maison et de la décoration. Activités à l'origine plutôt féminine, liées traditionnellement aux travaux d'aiguille (tricot, broderie, crochet, etc.) : "les femmes ont du talent" souligne Modes & Travauxmagazine créé en 1919, qui dispose d'une boutique à Paris. Les magasins vendant du matériel pour réaliser de tels produits sont nombreuses (merceries, papéteries, etc.). Le do it yourself a aussi son propre salon, complétant l'écosystème des loisirs créatifs (ou son champ).

"Près de 3 Français sur 4 pratiquent une activité créative dans le cadre de leurs loisirs, selon Ipsos, plaçant cette activité devant la lecture, le sport et le cinéma (novembre 2015, enquête en ligne auprès d’un échantillon de 1 003 personnes représentatif de la population française âgée de 16 à 75 ans du 23 au 29 octobre 2015). L'enquête confirme l'aspect social et familial de cette pratique : les créatrices montrent et offrent leurs réalisations à leurs amies, à la famille.
La télévision aussi s'est emparée du thème : M6 propose l'émission"Cousu main" adaptée de "The Great British Sewing Bee" (BBCtwo, 2013) où s'affrontent des amateurs. Surtout, beaucoup de vidéos de type "How To" sont disponibles sur YouTube pour aider à créer, réparer, économiser...

En France, A Little Market en France (2008, cf. infra) occupe ce créneau où Facebook a lancé Marketplace en octobre 2016 : on y peut acheter et vendre. On n'est jamais loin du style du Bon Coin. Le commerce le plus moderne rejoint ainsi le commerce le plus ancien et l'économie informelle : le marché est un bien public, rappelle l'historienne Laurence Fontaine.

Mise à jour (19 janvier 2017) La presse suit également cette tendance : Mollie Makes, se déclarant "le magazine qui révolutionne le DIY", publie en janvier 2017 un hors série "Création avec le Web & les réseau sociaux" qui comporte un article intitulé "vendre ses création" (cf. supra).

Mise à (jour 11 mai 2017) Aux Etats-Unis, le network NBC Universal rachète le site Web Craftsy consacré aux loisirs créatifs (crafting : jardinage, quilt, cuisine, couture, broderie, etc.). Craftsy a mis en place des modules vidéo de formation.

Mise à (jour 23 mai 2017). Amazon attaque aussi le marché des objets artisanaux associés au mariage (Handmade Wedding shop).

Mise à (jour 7 juillet 2017). Etsy, en difficulté aux Etats-Unis, licencie et ferme deux filiales françaises : alittleMarket et alittleMercerie (cf. l'article de L'Usine Digitale). Pour l'instant le diagnostic n'est pas clair.



dimanche 3 février 2013

I want my Netflix


Netflix compte 27,2 millions d'abonnés aux Etats-Unis (T4, 2012), plus que SiriusXMRadio, plus que DirecTV, que Time Warner Cable ou que Dish network : la télévision en streaming (OTT) est lancée. Seul parmi les distributeurs américains, Comcast compte davantage d'abonnés.

Désormais, Netflix doit franchir un cap décisif, celui de la production originale, production qui assure la réputation, l'indépendance et l'image de marque (tel HBO). Dans cette optique, commençait vendredi 1er février la diffusion de "House of Cards" (reprise d'un polard politique de la BBC, 1990, 4 épisodes de 50 mn, mini-series inspirée du roman de fiction politique de Michael Dobbs, 1998). Budget : 100 millions de $). Ce n'était pas la première production de Netflix, Lilyhammer (2012) l'avait précédé. A son service, Netflix dispose de données de consommation pour ses 27 millions d'abonnés (téléchargements par acteur, émission, genre de programmes, réalisateur, etc.) : Big Data !

"House of Cards" introduit une révolution d'une ampleur qui pourrait faire changer de base la culture télévisuelle. Les 13 épisodes (60 minutes) de la série sont disponibles en même temps : toute la "saison" est publiée d'un seul coup (pour le lancement, le premier épisode est gratuit pendant un mois). Abolie, l'idée de rendez-vous télévisuel (appointment TV), abolie la standardisation du rythme standard de consommation (hebdomadaire notamment, épisode par épisode) imposées par le distributeur et sa grille, finie la notion de "saison télévisuelle" avec son rendez-vous annuel et ses rituels (upfront market, etc.). Consommation groupée (binge viewing) ou étalée : à chacun(e) de voir. La consommation des émissions de télévision devient une affaire personnelle, se rapprochant de la lecture des livres. En mai de cette année, les 14 épisodes de "Arrested Development" seront aussi publiés le même jour, confirmant cette nouvelle pratique de distribution délinéarisée.
Ainsi, notre culture de consommation télévisuelle se désagrège et se réorganise. Ce n'est déjà plus de la télévision, c'est Netflix. Et déjà l'on entend murmurer, en Europe, "I want my Netflix"...

N.B.


  • Les livres connurent autrefois une même mutation ; d'abord, ils ont été publiés en feuilleton dans la presse, à dose hebdomadaire ou quotidienne, avant d'être reliés en un seul livre. Au XIXe siècle, le public attendait la publication de son feuilleton (suspense). La "livraison périodique" rendait la lecture plus accessible aux foyers pauvres (ainsi, par exemple, fut justifiée la publication de la traduction en français du Capital de Marx ! ).
  • Le mode de publication, qui généralise la personnalisation du rythme de consommation, rend difficile voire délicat le partage "social" des réactions ("social TV"). Mais ce type de partage n'est-il pas surtout l'effet de la diffusion en épisodes : on en parle en attendant ? Si l'on n'attend plus, on en parle moins.
  • La promotion de la série exploite évidemment les données évidemment exclusives dont dispose la base de données Netflix. Plus tard la production les exploitera également. Marketing de la création...
  • La série de Netflix a été lancée par une diffusion dans une salle de cinéma new yorkaise prestigieuse (Lincoln Center) ; le principe en a été repris et étendu pour le lancement de la série "Rectify" en avril 2013 par Sundance Channel.

  • vendredi 17 septembre 2010

    Lecture, nature et culture

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    Débat en cours sur les "livres électroniques".
    En réponse aux arguments du président d'amazon.com contre l'écran tactile, Sony (Sony Electronics' Vice President for Digital Reading) se réfère, pour justifier son choix d'un écran tactile, à la nature de la lecture, à l'expérience naturelle de la lecture : "A touchscreen is an important part of the digital reading experience; it mirrors the natural reading experience" (cité par USA Today). Quelques jours plus tard, on a pu voir sur Internet la publicité pour la nouvelle gamme de "e-readers" de Sony : "A natural reading experience like a real book". amazon a choisi un écran non tactile où il faut appuyer sur un onglet pour "tourner" la page (Kindle). L'iPad a choisi le feuilletage dont le geste est différent du geste effectué avec le papier, feuilletage limité, page après page (comme pour tous les "readers" utilisés sur les PC, par la presse notamment).
    Faux arguments en faveur de l'écran tactile qui n'en a d'ailleurs pas besoin pour être justifié.
    Il n'y a pas une expérience "naturelle"de la lecture mais des expériences cultivées par les usages : la lecture d'un livre d'aujourd'hui diffère de la lecture d'un rouleau de papyrus (volumen), de tablettes de cire (pugillares) ou de bambou (Chine ancienne) ou d'un journal ; lire du chinois n'est pas lire de l'allemand ou des hiéroglyphes, lire un manuscrit n'est pas lire un imprimé, lire une partition n'est pas lire une encyclopédie, lire un texte sans séparation entre les mots (scripta continua) n'est pas lire un texte où des blancs (ou des points) les séparent, etc. Lire un livre de poche n'est pas lire un "beau livre" (coffee table book)...
    Qu'est-ce qu'un habitus de lecteur de livre papier aujourd'hui ? Feuilleter, corner une page, souligner, annoter mais aussi aligner sur des rayonnages, classer, empiler... autrefois, couper les pages...
    Il n'y a aucune raison de rapporter la lecture d'un livre électronique à celle d'un livre de papier. Toute l'histoire de la lecture et de ses supports le démontre (que l'on se reporte aux travaux de Roger Chartier). La croyance en une nature universelle et éternelle de la lecture et du livre constitue un obstacle à l'innovation en matière de supports de lecture. Les supports nouveaux inventeront de nouveaux usages, de nouvelles manières de lire. "Feuilleter" est un geste appris, en famille, systématisé à l'école maternelle et renforcé par la pratique de la lecture de livres en papier ; c'est d'ailleurs un geste orienté par le sens de l'écriture (de droite à gauche ou de gauche à droite, selon les langues).
    Le livre électronique doit se libérer du culte du livre de papier.
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