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lundi 6 janvier 2025

Homère, encore et toujours parmi nous

Barbarin Cassin, L'Odyssée au Louvre. Un roman graphique, Paris, Flammarion / La Chaire du Louvre, Glossaire, Table des illustrations, 264 p., 34,9 €

C'est un très beau livre, où, bien sûr, l'on croira percevoir une livraison calculée pour la nouvelle année ; en fait, l'occasion, s'il y a, c'est la réouverture au Louvre de la galerie Campana qui présente des vases grecs. Mais Barbara Cassin, helléniste et philosophe, propose de lire Homère, comme elle, en philosophe et en helléniste. Avec trois points de départ, trois affirmations : d'abord, Homère n'a jamais existé, ensuite l'Odyssée est une tradition orale dont une version écrite n'a été arrêtée qu'à Alexandrie plusieurs siècles plus tard (Barbara Cassin se référera souvent à l'édition et à la traduction en français de Victor Bérard, normalien,1864-1931, publiée par Les Belles Lettres), et enfin, affirmation linguistique, l'auteure rappelle que "personne, jamais, n'a parlé la langue d'Homère" (langue "très singulière", "une langue faite pour graver l'oral dans la mémoire").

Tout en racontant l'Odyssée à ses lectrices/lecteurs, Barbara Cassin leur donne quelques cours de grec ; d'abord, chaque chapitre commence par des citations, en grec, avec la traduction en français sur la page de droite. Et ensuite, c'est parfois du mot à mot, presque du "petit grec" : la professeure fait cours... Sur la nostalgie, sur kharis (la grâce), aiôn (fluide vital), empedon (planté, comme le lit conjugal p.161 ou encore attaché au mât du navire pp. 97-98) ou phôs (φῶς), la lumière, mot lié à φημί (parler) ou encore les étymologies des noms d'Ulysse (Ulysse le fâché, "enfant de la haine"), de Polyphème (le cyclope, "au singulier phêmê indique ce qui se dit, ce dont on parle"), ou sur les négations "Outis et mêtis" (deux manières de dire "personne", p.78). On retrouvera l'essentiel de ce vocabulaire dans le bref glossaire (p. 254-257). Ainsi va le texte, expliquant, citant, récitant, décomposant, analysant, recomposant. Et l'on passe par Kafka (Le Silence des Sirènes), à Schleiermacher, à Heidegger (hélas ! devenu tellement inutile), à Parménide, à Jacques Lacan, Aristote, Platon, James Joyce, John L. Austin, Günther Anders, Theodor W. Adorno, etc. Beaucoup d'auteurs que fréquente habituellement Barbara Cassin et qui ajoutent à sa compréhension. Au bout du compte, on comprendra un peu mieux Homère grâce à ce livre et, surtout, on sera mieux armé pour suivre et apprécier les aventures de l'Odyssée.

Le fil directeur de l'approche de Barbara Cassin est sans doute le travail de Friedrich Nietzsche sans cesse cité, "toujours lui" : "Platon contre Homère" (Généalogie de la morale) et qui disait (Le Gai Savoir) : "Ces Grecs étaient superficiels par profondeur" ou encore "Faire d'Homère l'auteur de l'Iliade et de l'Odyssée relève du jugement esthétique" (Homère et la philologie classique). Nietzsche est manifestement, pour Barbara Cassin, l'un des grands, sinon le plus grand, lecteurs d'Homère.

De la page 190 à la page 252, sont présentées des illustrations de l'Odyssée tirées du musée du Louvre, collection de la galerie Campana à l'ouverture de laquelle on doit cette conférence et cet ouvrage.

"On est libre quand on lit Homère" (p.22), conclut en introduction Barbara Cassin qui souligne encore : "Car la culture grecque est un palimpseste, un texte de textes, et sous tous les textes, il y a :"Homère".). Alors lisons ! Et relisons...

dimanche 2 juillet 2023

O mathématiques sévères !

 Nathalie Chouchan, Les mathématiques. Textes choisis et présentés par Nathalie Chouchan, GF, 2018, 249 p., Bibliogr.

Bien sûr, on les a oubliées, un peu, ces "savantes leçons" qu'évoque Lautréamont. Alors ce livre nous les raconte à nouveau, plus sérieusement, en partant de ce qu'en disaient les "philosophes" d'époques anciennes : Descartes, Leibniz, Platon, D'Alembert, Pascal, Husserl...

Nathalie Chouchan, normalienne et professeur de philosophie en classe préparatoire, propose un bilan de l'histoire des mathématiques, enfin, d'"une" histoire. Les textes qu'elle a choisis donnent à voir cette histoire, et  l'illustrent. Pour cela elle a réparti le choix des textes en six parties : l'objet des mathématiques, le raisonnement mathématique, les principes et fondements, un problème mathématique (infinité et continuité), mathématiques et physique et s'achève avec "les limites de la science mathématique" et un texte de Wittgenstein.
A cela s'ajoute un vade-mecum qui décrit les principaux concepts et, enfin, une bibliographie. 

On aurait pu choisir d'autres textes, pour une autre histoire, bien sûr. Mais Nathalie Chouchan est professeur et elle enseigne. C'est son premier métier et, ici, elle le fait bien. 
On peut regretter des absences, bien sûr : Jean-Toussaint Desanti et Les idéalités mathématiques, par exemple ou encore Benoît Mandelbrot ou Alexandre Grothendieck. Mais le livre est bien conduit et les élèves de notre professeur s'y retrouveront, et les autres élèves aussi. A chacun, chacune d'ajouter une référence à celles qui sont données dans ce livre d'apparente vulgarisation. Apparente seulement ! Qui appelle un enrichissement continu...


dimanche 18 décembre 2022

Les pouvoirs discutés de la lecture

 Peter Szendy, Pouvoirs de la lecture. De Platon au livre électronique, Paris, La Découvrte, 197 p.

Partant de Platon pour arriver au livre électronique, Peter Szendy effectue un long voyage dans la culture livresque occidentale (mais rien sur la culture chinoise, arabe, japonaise ou indienne, entre autres) ; une bonne douzaine d'auteurs sont évoqués, plus ou moins longuement. Ce dont il est question n'est pas seulement le contenu des livres mais la manière dont on les lit, dont ils sont lus.

La lecture est une activité polyphonique, selon Peter Szendy, qui, pour que l'on s'y retrouve, fait appel à de nombreux auteurs afin de dresser un inventaire varié et convaincant. Il y a d'abord les classiques : Sénèque, Cicéron, mais surtout Platon. De Platon, ce sont deux dialogues de la maturité, le Phèdre et le Théétète, qui font l'objet d'une analyse détaillée mobilisant les termes grecs, en grec. L'anagnoste (ἀναγνώστης), esclave lecteur qui lisait pendant les repas, est "présent-absent" dans le dialogue. 
Ensuite, Peter Szendy passe au marquis de Sade, et à La Philosophie dans le boudoir dont il retient deux scènes de lecture. On le lit en suivant Lacan qui lit Sade.

Et puis, l'auteur passe à la scène du procès du roman de Gustave Flaubert, Madame Bovary, qui se déroule au tribunal correctionnel de Paris, le 29 janvier 1857. On entend, ou l'on lit, le réquisitoire de l'avocat impérial (il raconte le roman avant de le citer) et la plaidoirie de l'avocat de Flaubert. 

On en vient ensuite au Léviathan de Thomas Hobbes, traité comme "machine à faire lire qui s'organise de façon strictement parallèle à la machine à gouverner" ce qui, conclut Peter Szendy, fait du Leviathan "un grand appareil à gouverner-lire". Le traité de Thomas Hobbes s'avère une "machine à (faire) lire". A voir, il faudrait le lire ou le relire pour être convaincu...

Et puis, il y a Paul Valéry et Mon Faust. Paul Valéry dénonce : "L'évolution de la littérature moderne n'est que l'évolution de la lecture qui tend à devenir une sorte de divination d'effets au moyen de quelques mots vus presque simultanément et au détriment du dessin des phrases. C'est le télégraphisme et l'impressionnisme grossier dû aux affiches et aux journaux. L'homme voit et ne lit plus." Et Paul Valéry de conclure : "C'est fini, les papiers et les signatures. Les écrits d'aujourd'hui volent plus vite que les paroles, lesquelles volent sur la lumière". On dirait du Vladimir Maïakovski ou du Marshall McLuhan ! 

L'inventaire de Peter Szendy se termine avec Walter Benjamin qui "déballe sa bibliothèque" et semble s'intéresser au mouvement de la collecte plus qu'à l'accumulation pétrifiée, plus à "l'acte de collectionner" qu'à une collection.

Et j'en passe. Certaines démonstrations sont convaincantes telles celle de Platon, du Léviathan ou de Mon Faust, d'autres, à mon avis, le sont moins. Il y a des rabachages inutiles et "modernes" (toujours les mêmes Heidegger, Blanchot, Certeau, etc. ). L'intérêt du livre est de faire lire en s'interrogeant sur la lecture : l'auteur y parvient... et nous lisons ! 


dimanche 11 décembre 2022

Un magazine qui se veut beau : manifestement optimiste !

 BEAU demain. Magazine manifestement optimiste, trimestriel, automne 2022, 16 €, 196 p. distribution MLP.

C'est un magazine que l'on nous promet trimestriel. Il est beau comme un livre. Bien sûr, le beau est difficile à définir et le magazine "écoute la richesse de ce temps fragile mais créatif, curieux, généreux et militant". Ainsi il "Renoue avec le beau. Et permet de l'éprouver". Voilà le programme qu'annonce la rédactrice en chef, Charlotte Roudaut (p. 12), face à une bouteille de Champagne, Blanc de Blancs, de Ruinart. Donc pas de définition mais des exemples, et la publicité en fait partie, celle de Chanel qui se vante d'un "temps d'avance sur la beauté", celle du rouge d'Hermès pour qui "la beauté est un geste", celle du livre de Michel Pastoureau qui raconte "l'histoire d'une couleur, le blanc", ou d'Agata Toromanoff, "Sculpter la lumière", "Panorama en 500 lampes", et enfin, celle pour la Suisse ("J'ai besoin de nature, J'ai besoin de Suisse"). 

En fait, il y a de tout dans Beau : un article sur Patti Smith qui évoque l'environnement, un article sur des librairies de Tokyo, ou encore sur Ali Akbar piéton de Paris, vendeur de journaux à Saint-Germain des Prés.  Il y a un article sur le lavomatic à New York qui invite à refuser la machine à laver domestique, celle que chacun a chez soi. Et puis, il ya la moisson par Triticum (à Rouen), de la cuisine avec une tarte "citrouille, épices et chantilly de coco", il y a aussi la nouvelle vague du design au Portugal. On rencontre encore le prix Nobel d'architecture, Diébédo Francis Kéré, qui invente des bâtiments au Burkina Faso. On rencontre aussi Jean-Guillaume Mathiaut, sculpteur sur bois et architecte. Car il faut de tout pour faire un magazine, et il y a de tout dans Beau

Comment ne pas penser à Platon et à l'Hippias Majeur ? "Récemment, en effet, dans une discussion où je blâmais la laideur et vantais la beauté de certaines choses, je me suis trouvé embarrassé par mon interlocuteur. Il me demandait, non sans ironie : " Comment fais-tu, Socrate, pour savoir ce qui est beau et ce qui est laid ? Voyons, peux-tu me dire ce qu'est la beauté ?" Et moi, faute d'esprit, je restai court sans pouvoir lui donner une réponse satisfaisante." (Platon, Hippias Majeur, 286 d, 1921 - 1965, Paris, Les Belles Lettres, texte établi et traduit par Alfred Croiset). Beau reprend ainsi le dialogue de Platon, "Sur le beau, genre anatreptique". Qu'est-ce qui est beau ? Par exemple, dit le dialogue, une belle jeune fille, une belle jument, une belle lyre, une belle marmite, l'or, l'ivoire, la cuiller en bois de figuier ou encore le plaisir causé par la vue ou l'ouïe... On n'aboutit à rien ou à tout, au bout de cet inventaire, et Socrate de conclure que "le beau est difficile" (304 e). Dialogue infructueux donc, mais réaliste ! C'est le sens d'anatreptique, Socrate a tout mélangé et l'on aboutit à rien, à une aporie (ἀπορία). Pas de définition, seulement des objets, plus ou moins beaux.

Beau, le magazine nous fait penser à ce dialogue platonicien : il y a du beau partout et le beau est difficile à définir. On l'invente, on le trouve, au hasard des rencontres. Bonnes lectures, bonnes idées... car le magazine a une longue espérance de vie ; il sera lu et relu, au cours d'une vie qui dépassera les trois mois de sa périodicité annoncée. Et l'on attend les prochains numéros : quels contenus ? Pour les réponses, relisez l'Hippias majeur car "le beau est difficile" mais le magazine est optimiste !

jeudi 29 novembre 2018

The Year of the mis(s)!


Misinformation is "the word of the year", according to dictionary.com. The dictionary gives its own definition of the word: "false information that is spread, regardless of whether there is intent to mislead".

Thanks to Facebook, of course but not only. Politicians contributed a lot too. Not to mention the historians (negationists of all kinds) and the propagators of "fake news", "alternative facts"...

But there is more:
Advertising brought its own "mis": misplacement. And, best of all: miscalculation. So many opportunities to miss the target. A wonderful prefix, so productive, so useful nowadays.
But do not misunderstand me, this is nothing new: Socrates, about 380 BCE, used to complain about the Sophists and rhetoric: "a tool of persuasion" and not a tool for justice or for truth. "Thus rhetoric, it seems, is an operator (demiourgos, "δημιουργός") of persuasion for belief, not for instruction in right and wrong", (Plato, Gorgias, 455a).
And worse, of course, there is misconduct in so many companies, sexual misconduct, financial misconduct...
Misbehaving? "The year of our discontent"? We won't miss it. "The Uneasyness in Civilization", wrote Freud (Das Unbehagen in der Kultur)... Uneasiness, yes... really. And morality?

samedi 16 juillet 2011

Naming : convention et acceptation

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Le nom du nouveau stade de Nanterre (nom de code actuel : Arena 92) est à vendre pour 10 millions d'euros par an, sur 15 ans. Comment évalue-t-on les retours sur investissement d'une telle opération tout au long de sa longue durée ? Comment apprécier la qualité du nom choisi, son adéquation, son efficacité ? Comment la pré-tester ?
La question est celle que pose toute création de marque, de titre, de site Web : une marque aussi est un nom créé pour longtemps, alors que l'efficacité des actions publicitaires est d'habitude évaluée dans le court terme.

Le naming redonne une nouvelle jeunesse à un texte classique, que lisent toujours les linguistes, le Cratyle. Platon évoque dans ce dialogue un "poseur des noms", véritable "législateur" (νομοθέτης) chargé de "la rectitude du nom" ou "juste dénomination" ("ὀρθότης ὀνόματος", 384d). "Le nom, déclare Socrate, est vraiment un instrument pour instruire" (Ὄνομα ἄρα διδασκαλικόν τί ἐστιν ὄργανον", 388c). De quoi instruit donc le naming ? De la marque qui l'achète. A quelle condition une dénomination est-elle "juste" ? La convention - un nom est posé sur une chose - doit être acceptée par la communauté. C'est donc la limite de la convention qu'il faut évaluer dans le naming : l'acceptation pratique du nom par la communauté, le transfert à la marque de propriétés valorisantes et l'apport de notoriété spontanée par l'object nommé.

Comment évaluer le choix d'un nom, son efficacité pour une marque, sur une aussi longue durée, sur tout son cycle de vie ? On peut bien sûr imaginer des études ponctuelles répétées (du genre déclaratif), un panel... Mieux vaut recourir à une méthodologie constante et à une mesure continue telles que l'observation régulière de la fréquence de la recherche du nom sur l'ensemble des moteurs de recherche (comme le propose, par exemple, LeLab de Weborama) ? Plus la fréquence des requêtes associant le nom du stade à une activité positive s'y déroulant sera élevée, plus le naming aura été et sera encore efficace. Ces naming analytics pourront alors prendre en compte la contribution des résultats des équipes, de leur popularité, de tel match, de tel concert à la fréquence observée pendant une durée donnée (régressions multiples), les corréler aux nombres de places occupées, aux places vendues, au chiffre d'affaires global, etc. Petit à petit, on saura ainsi ce qu'il y a vraiment dans le nom ("What's in a name?") et comment cela évolue...

Références
Sur papier : Platon, Cratyle. Sur la justesse des noms, traduction Louis Méridier, in Platon, Oeuvres complètes, Tome V, 2e partie, Paris, Les Belles Lettres, bilingue, 1961.
Sur la Web : Cratyle, traduction de Victor Cousin, bilingue, Oeuvres de Platon, 1846. http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/platon/cousin/cratyle.htm
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