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vendredi 18 septembre 2015

"Humans" trop humains : des Synth en séries


Dans ce monde étrange, qui ressemble pourtant au nôtre, on peut s'acheter un Synth, créature artificielle à forme humaine, un robot qui obéit au doigt et à l'œil, un esclave presque. Science fiction. A l'origine, il s'agit d'une série suédoise ("Real Humans", 2012-2014, diffusée par ARTE) ; elle a été reprise et adaptée pour être diffusée aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne (remake). Huit épisodes, diffusés aux Etats-Unis de juin à août 2015 sur AMC, à qui l'on doit "Mad Men" et "The Walking Dead" ; en Grande-Bretagne, la série est diffusée par Channel Four. Huit nouveaux épisodes sont prévus pour 2016

Le lancement fit appel à un site Web et à une campagne sur eBay : les visiteurs pouvaient simuler l'achat d'un Synth, robot androïde produit en séries industrielles par la marque Persona Synthetics. Devant des vitrines de Regent Street à Londres, les passants pouvaient interagir avec des Synths grâce à une Kinect (Microsoft).

"Humans" raconte l'histoire d'une famille de trois enfants, aisée, qui achète un Synth pour effectuer les tâches domestiques. La coexistence quotidienne d'un robot et d'une famille est au cœur de l'intrigue. Où l'on retrouve les réflexions habituellement associées à l'intelligence artificielle, à l'esclavage (Aristote, Politique : "si les navettes tissaient d'elles-mêmes..."), aux hommes-machines... 
Des humains se révoltent contre les robots : "We are people", nous, s'indignent-ils, d'autres en tombent amoureux... On pense au film Ex_Machina


Dans la série, l'intelligence artificielle s'est rapprochée de ce point ultime où l'on ne peut plus guère distinguer l'intelligence artificielle de l'intelligence naturelle, humaine. On ne serait donc pas loin d'avoir passé le test de Turing et d'atteindre le stade de la "singularity" qu'envisage Ray Kurzweil. Reste la conscience, mais certains Synth en sont dotés, de sentiments aussi, de sens de la famille (comme dans Mr. Robot, le rapport au père, "père-sévère" / "non-duppes errent", est compliqué). Cela promet des développements romantiques !

Le développement de l'intelligence artificielle imaginé par "Humans" semble inégal : dans ce monde de robots intelligents, les objets ne semblent pas encore connectés ; il n'y a pas encore d'Internet des choses domestiques, d'où le besoin de robots ? La question de la concurrence entre humains et robots sur le marché de l'emploi n'est jamais loin mais elle n'est pas encore évoquée explicitement.

mercredi 22 avril 2015

Ex _Machina. Le cinéma passe le test de Turing


Affiche du film dans un multiplexe Regal
à Cambrige (MA)

Le thème central de ce film britannique de science fiction est le test de Turing et la singularité, ce moment où, selon l'expression qui donne son titre au livre de Ray Kurzweil, l'intelligence naturelle, humaine est dépassée et décuplée par l'intelligence artificielle (Singularity is Near. When Humans Transcend Biology, 2005). N.B. Ray Kurzweil dirige actuellement la recherche chez Google (director of engineering).
Quant au titre du film, ex machina, il renvoie à l'expression grecque plus connue par sa traduction latine, "Deus ex machina", c'est à dire "dieu sorti de la machine" ("ἀπὸ μηχανῆς θεός"). Le film d'Alex Garland, dans les salles aux Etats-Unis dès avril 2015, sera dans les salles françaises en juin.

Science-fiction : dans le film, une machine passe finalement le test de Turing. L'intelligence de l'automate a été alimentée massivement en données, entre autres, par toutes les conversations téléphoniques enregistrées sur les téléphones mobiles du monde entier. Grâce aux caméras des téléphones portables qui sont allumées en permanence (machine vision), l'androide est ainsi capable de mimer des émotions et de détecter des micro-expressions, de percevoir des sacasmes. Forte de ce capital communicationnel et langagier mis à sa disposition, l'intelligence artificielle s'accroît de manière autonome grâce au machine-learning.
L'automate prend corps de femme et là se noue l'intrigue. "ex_machina" allude sans doute au roman de science-fiction de Villiers de l'Isle-Adam, L'Eve Future, publié en 1886, où se trouve l'une des premières occurences du terme androide (l'héroïne du film s'appelle Ava).

Bien sûr, le film n'entre pas dans les détails techniques de l'intelligence artificielle ou de la robotique, mais les allusions sont nombreuses, clins d'œil complices aux spectateurs initiés. Restent des questions éludées, par construction narrative : comment l'androide fait-elle pour parler (processus stochastique et chaînes de Markov sont évoqués dans les dialogues), comment fait-elle pour se déplacer (il faut imaginer une robotique extrêmement avancée !) ?

La fiction l'emporte sur la science. Normal. Et dans cette fiction, le futur reste prisonnier du présent et de nombre de ses représentations, sexistes entre autres mais n'oublions pas qu'une déesse sort de la machine ! Tous les ingrédients de la réflexion actuelle sur le monde numérique et ses clichés sont présents dans le film : invasion constante de la vie privée, le codeur génial, naïf et modeste de la grande entreprise Web mal à l'aise dans le monde réel, la sécurité et l'Internet des choses, etc. Mais surtout, en filigrane, la peur d'un développement incontrôlé de l'intelligence artificielle qui menacerait l'avenir de l'humanité hante le film. Apprentis sorciers ?

N.B. Penser aux déclarations de Hiroshi Ishiguro, professeur de robotique à l'université de Osaka, qui prévoit que des androides joueront des rôles d'acteurs, de chanteurs, de modèles. La question clé de l'intelligence artificielle reste selon lui celle de l'implémentation de désirs et d'intentions. cf. Anthony Cuthberston, "Hiroshi Ishiguro: Robots like mine will replace pop stars and Hollywood actor", International Business Times, April 21, 2015.

Affectiva, société spécialisée dans la reconnaissance des émotions a levé 14 millions de dollars pour donner des émotions à des robots (mai 2016).

dimanche 30 novembre 2014

Technologies, opium du peuple ?


Humanoïde : le magazine trimestriel coûte 5 € (abonnement 16,9 €), 100 p., diffusion Presstalis. Editeur Presse Non Stop. 

"A contresens sur l'autoroute de l'information", promettait le n°1, plutôt "méfiant" envers les technologies (juillet 2014) ; "La technologie est l'opium du peuple", assène le n°2 (octobre 2014), plus conciliant mais avec humour. Le titre cherche sa voix et son positionnement, son lectorat.

"Humanoïde" désigne ce qui a les apparences humaines. Allusion aux robots et automates (cf. "Googlenator ou Inspecteur Google"), à l'intelligence artificielle (cf. "Siri, Google Now et Cortana, la voix cassée des intelligences artificielles", dans le n°1) ? Voilà pour le contenu.
Pour la ligne éditoriale, une proposition provocatrice l'éclaire : en quoi la technologie est-elle l'opium du peuple, comme l'affirme le n°2 en sous-titre ? Voici une hypothèse féconde et unificatrice pour traiter du numérique en ses multiples manifestations. Pour Marx, "l'opium du peuple" était la religion, "soupir de la créature opprimée", "protestation contre la misère réelle" (Introduction à la critique de la philosophie hegelienne du droit, 1844). La technologie numérique peut retrouver nombre de ces sympômes dans un tel tableau clinique. Déjà Calvin and Hobbes, la BD, avait signalé que la TV, mieux encore que la religion, était l'opium du peuple (cf.infra. Merci ZeM pour cette référence).

A voir l'utilisation constante des smartphones, en toute circonstance, par tout un chacun, on peut s'interroger : quels besoins remplit cette sempiternelle connexion, quel rôle satisfait cette communication rituelle. Je connecte donc je suis : cogito numérique. Comportements religieux ? Soupirs des créatures opprimées ? Le mobile comme époux/se numérique tout comme l'automobile fut l'époux/se mécanique ? Folklore de notre monde (cf. Marshall McLuhan, Mechanical Bride: Folklore of Industrial Man, 1952) ?
Au plan politique circule l'idée, mais on n'y croit guère, que la technologie résoudrait tous les problèmes : transport, éducation, sécurité, économie, santé, emploi... Les paradis d'intelligence artificielle seraient proches. Is the singularity that near? Tel héros, tel people de l'économie numérique, tout auréolé à la une, "va-t-il sauver l'humanité ?" (n°2) demande le magazine, ironique à juste titre : avec le numérique, la tentation du prophétisme n'est jamais loin. Après l'article sur Elon Musk (n°2), excellent mais qui pourrait prendre plus de distance avec le journalisme people et sa réduction psychologiste des entreprises, on attend au tournant un article sur Uber...

Comme toujours le papier accompagne le numérique, comme un contrepoint. Déjà les anciennes techologies, radio, cinéma, TV, jeux vidéo avaient donné naissance à des dizaines de magazines papier grand public. Le magazine papier depuis longtemps est un média d'accompagnement des médias.
"Pas seulement le magazine papier de la société numérique, mais un magazine de société sur les nouvelles technologies" (édito du n°1), ceci positionne résolument le magazine comme un miroir où l'époque se regarde et se mire. Voici l'engagement de la rédaction ; allez savoir ce qu'est un "magazine de société" (en est-il d'autres ?). Comprenons généraliste, pas spécialiste ; nécessité pratique d'obéir aux classification marketing, de situer le titre sur les linéaires encombrés... Référencement.

La structure rédactionnelle ne varie pas d'un numéro à l'autres. Cinq parties : actualité, "décryptage" (sic), technobsession, hygiène numérique, objetisation. Une couleur à la une, un portrait aussi. Un photographe pour chaque numéro, belle idée.
Humanoïde est également disponible en version numérique, en ligne, sans appli.
Le magazine est agréable à lire, à feuilleter. Sa manière de prendre les problèmes demande de prendre son temps, douter, dérouiller les clichés du moment, langagiers ou visuels, pièges de l'actualité, qui freinent et énervent la réflexion. Sortir du credo intéressé des spécialistes pour faire voir la "grande image" où les technologies numériques prennent leur sens.