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mardi 6 avril 2021

Penser la Chine, toujours nécessaire et essentiel

Anne Cheng, Penser en Chine, Paris, Gallimard, 2021, 558 p. Index                    

En noir, le poison ;
en rouge, la longévité :
la vie se prolonge malgré le
poison ou bien le poison 
compromet une longue vie ?
Pour Anne Cheng, normalienne et Professeure au Collège de France (chaire Histoire intellectuelle de la Chine), qui a dirigé ce volume collectif, il faut penser la Chine d'aujourd'hui, exactement : la mise au pas de Hong-Kong, le contrôle de la population ouïgoure du Xinjiang, la pandémie de Covid-19 et les informations et désinformations qu'elle provoque, tous ces événements sont des symptômes ; ils imposent à l'Occident de repenser la Chine et donc d'écouter ceux et celles qui, en Chine, décrivent la situation. Mais qui peut, en Chine justement, penser ces événements et faire part de ses pensées sans risque ? Notons que Anne Cheng, chinoise et française, ne pense pas "en Chine", mais à Paris, de même que la plupart de ceux qui ont contribué à cet ouvrage pensent de l'étranger, hors de la Chine, si l'on exclut sur 17 contributions, les 3 de Chu Xiaoquan (université Fudan, Shanghaï), Ge Zhaoguang (université Fudan, Shanghaï) et Qin Hui (université Tsinghua, Beijing). Beaucoup des contributions de cet ouvrage mériteraient une approche plus discutée ; ainsi celle de Sebastian Veg (EHESS) sur "la marginalisation des intellectuels d'élite et l'essor d'intellectuels non institutionnels depuis 1989" qui compare trois régimes de production des savoirs ou celle de Ji Zhe (INALCO) sur les relations de négociation entre le boudhisme et l'Etat. Nathan Sperber analyse le "capitalisme d'Etat en Chine" reprenant des travaux de sa thèse, et Anne Kerlan traite de "l'invention du cinéma chinois", etc.

Cet ouvrage fait suite, dix ans après, à La pensée en Chine aujourd'hui (Gallimard, 2007, 478 p., Index). Il est précédé d'une présentation de Anne Cheng. C'est d'abord, l'usage de la notion antique de tianxia ("tout sous le ciel", 天下) que remet en question Ge Zhaoguang, notion utilisée selon lui aujourd'hui pour célébrer " la civilisation plurimillénaire de la Chine" et les fantasmes de "l'Empire-Monde". Et l'on en vient à la dénonciation des Instituts Confucius, dont un anthropologue américain, Marshall Sahlins (université de Chicago), dresse le procès : il y voit un "academic malware", une maladie académique, qui s'ajoute aux armes idéologiques traditionnelles. Qin Hui, lui, plaide contre un pseudo exceptionnalisme chinois. Le Mai 68 français est curieusement mal compris en Chine et n'a aucun rapport avec les événements chinois de la même époque. Avec l'évocation des événements historiques, comme la crise de la COVID-19 ou le Xinjiang (nouvelle frontière de l'empire mandchou) ou encore les événements récents de Hong Kong, on a du mal à s'y retrouver. Anne Cheng conclut, sans trop y croire : "Quand donc la Chine comprendra-t-elle qu'elle ferait mieux de se remettre à penser au lieu de continuer à dépenser ?" Le jeu de mots ne permet pas de rendre compte de ce que pensent les Chinois et Anne Cheng, pour le moins perplexe, de citer finalement Laozi (61) : "Un grand pays se tient au plus bas // Là où coulent les rivières // Là où le monde se rencontre // Là où se trouve le Féminin ". 

Notons que Anne Cheng, a, par ailleurs, publié il y a longtemps déjà, sa propre traduction des Entretiens de Confucius (cf. aux Editions du Seuil, 1981, + le texte chinois, 153 p +10 p) et qu'elle dirige aussi depuis une dizaine d'années, aux éditions des Belles Lettres, la Bibliothèque chinoise, qui compte une trentaine d'ouvrages en édition bilingue (nous avons rendu compte de plusieurs de ces ouvrages dans nos blogs). Cette Bibliothèque chinoise vise tout ce qui a été publié en chinois classique, que les auteurs soient japonais ou coréens.

dimanche 16 août 2015

Le Crieur, revue critique


Une nouvelle revue, c'est toujours une très bonne nouvelle pour la vie intellectuelle et les libertés. Réjouissons-nous. Celle-ci est belle et revigorante. Le titre est bien choisi : le crieur est un mécontent qui manifeste, c'est aussi quelqu'un qui publie, mène les enchères (bourse, criée), annonce les nouvelles et vend les journaux dans les rues... (voir le travail de Nicolas Offenstadt, "un crieur dans la ville au Moyen-Âge"). Penser aussi à Arthur Rimbaud et "Les poètes de sept ans" :

"Il n'aimait pas Dieu, mais les hommes, qu'au soir fauve,
Noirs, en blouse, il voyait rentrer dans le faubourg,
0ù les crieurs, en trois roulements de tambours,
Font autour des édits rire et gronder les foules."

Publiée par Mediapart et les Editions La Découverte. 162 pages. Sans publicité : les lecteurs paient, gage d'indépendance souhaitable pour une revue critique.
Premier numéro, juin 2015. 15 €.
La Revue du crieur est publiée trois fois par an, 39 € l'abonnement.

Le positionnement de la revue semble encore hésiter ; le ton évoque parfois la sociologie de la culture à la manière d'Actes de la recherche en sciences sociales (Pierre Bourdieu), parfois Esprit ou Les Temps Modernes, voire même Le Canard Enchaîné (faire "rire et gronder les foules", ce serait bien aussi !). Laissons Le Crieur chercher sa voix.
Les articles gagneraient souvent à recourir à des illustrations graphiques ou photo-graphiques pour expliquer les raisonnements. Ainsi, quand, par exemple, Ludivine Bantigny et Julien-Théry Astruc évoquent "la puissance des réseaux" de Marcel Gauchet, une représentation graphique de ces réseaux aiderait les lecteurs à en percevoir la puissance, la multi-positionalité, l'organisation et la logique. Même suggestion à propos de l'art, des musées et des industriels du luxe, ou encore, des relations de Google avec la presse.

Le contenu de la revue est alléchant pour qui s'intéresse aux médias : un article sur Google et la presse (Dan Israel) aborde un sujet délicat puisque Google contribue au financement de certains titres de la presse française. Article fouillé, à lire pour comprendre les médias français et leur développement numérique.
Un sujet sur YouTube, facteur de conformisme, et le marché télévisuel, et donc sur Google encore, décidément, par Olivier Alexandre : "L'imaginaire sous contrôle : voyage dans les images formatées et monétisées des Youtubers".
Pour les spécialistes des médias, signalons encore l'article de Marc Saint-Upery sur la pop coréenne et sa déferlante internationale. Phénomène à suivre et approfondir.

Que se passe-t-il en Chine ? Les médias devraient se poser la question tous les matins. Un article de Thomas Brisson examine les traces du retour de Confucius (孔子) dans la "pensée chinoise", suite au succès en 2007 d'une émission de télévision de CCTV et d'un livre de Yu Dan (于丹). Articulation intéressante de deux médias pour provoquer un événement.
Mais Confucius, dénoncé par les dirigeants du moment, avait-il vraiment disparu pendant la période dite maoïste ? N'y a-t-il pas beaucoup de confucianisme dans les raisonnements et les formulations de Mao ? Décrit aujourd'hui comme un "VRP de la Chine capitaliste", Confucius a été dénoncé comme un penseur réactionnaire, notamment à propos du statut social accordé aux femmes et au respect indiscuté dû aux anciennes générations. Certains aspects de sa morale toutefois, sous la forme de la "règle d'or", ne semblent pas éloignés de la morale kantienne. L'auteur pointe les signes visibles d'un renouveau confucéen : création d'un lieu de mémoire à Qufu, lieu de naissance de Confucius (曲阜), érections de statues, enseignement. Quelle signification donner à cette apparente reconfucianisation de la Chine ? Qu'en diraient nos sinologues, Anne Cheng, François Jullien, Jean-François Billeter ? N.B. Professeur de média à l'université de Beijing et vulgarisatrice à succès, Yu Dan publie en français, chez Belfond, des livres sur les philosophes chinois : "Le bonheur selon Confucius. Petit manuel de sagesse universelle", "Le bonheur selon Tchouang-Tseu"...

Marion Rousset consacre un travail stimulant au marché de l'art sous pression de l'industrie florissante du luxe : "Ce que l'argent fait à l'art. L'art contemporain dévoré par l'industrie du luxe" ; quelle collaboration des institutions publiques. L'art est-il un luxe ? Comment va, à quoi sert "l'amour de l'art" ?
Retenons aussi les études de quelques spécialités intellectuelles nationales (Marcel Gauchet, Michel Onfray), études qui rompent avec les célébrations à la mode. Nouveaux "chiens de garde" ? Mentionnons encore un article sur "Le pseudo complot Iluminati" (Yves Pagès), un article documenté et iconoclaste d'Eric Chamaillou sur la NSA et le renseignement...

Dans l'ensemble, du beau travail. Beaucoup d'opinions qui contestent les opinions les plus courantes. Salutaire. Mais on attend plus que des opinions. A propos, comment sont choisis les auteurs, à quel(s) réseau(x) appartiennent-ils ? La revue manque d'humour ; pourtant les sujets et les personnages évoqués s'y prêteraient, le ridicule leur irait bien. Peut-on marier pamphlet et démonstration ? Sans doute, certains articles, certains auteurs, certains engagements déplairont. C'est bon signe, la presse n'a pas pour mission de plaire.

dimanche 30 novembre 2008

La tentation du papier


La pente de la presse, récemment, c'est de passer au numérique, corps et biens. Sans trop savoir : oeuvre de Panurge ? Suivre sa pente, pourvu que ce soit en la remontant, recommandait un héros de Gide. Nonfiction.fr suit cette maxime ; c'est un site consacré aux ouvrages récemment publiés : sciences sociales ou humaines, art, philosophie. Tout sauf la fiction ? Presque, car le site ne couvre ni le jardinage, ni le bricolage, ni la cuisine, ni la santé, ni les loisirs créatifs ou numériques. Qui comptent pour une part importante du chiffre d'affaires de l'édition.

Ce titre en ligne, pour son premier anniversaire, s'offre une version papier dans les points de vente (20 000 exemplaires, selon les MLP qui le distribuent. N.B. : sans loi Bichet, il serait mort né). Cet éditeur fait à rebours le chemin de ses concurrents qui commencèrent leur vie dans le papier, pour passer, non sans mal, sur Internet. Rythme trimestriel ; en ligne, il est quotidien, 4,9 € le numéro. Quadri, bon grammage, 100 pages, agréable à feuilleter et à lire. Belle maquette.
Le contenu ? L'objectif de donner envie de lire, d'éveiller la curiosité, d'informer de la parution de nouveaux ouvrages est partiellement atteint. A mon avis, trop de politique politicienne (on a déjà tout entendu, jusqu'à la nausée), impression parfois de communiqués de presse des "piètres penseurs", toujours les mêmes... On attend d'un tel magazine un positionnement plus rare, moins "microcosme", pas news du tout, différenciant... Exemple, la place exceptionnellement raisonnable accordée à la Chine (3 articles), à François Jullien et Anne Cheng (mais on aimerait aller plus loin). 

Peu d'annonceurs pour ce premier numéro : Allocine en quatre de couv, Radio France en 3 (pour les émissions sur les livres), les Editions du Félin en 2 ; à l'intérieur, quelques publicités pour une librairie (Mollat, Bordeaux, le magazine L'Histoire, evene.fr, un site sur l'art, Philosophie Magazine, donc des annonceurs captifs, principalement. Médiaplanning tautologique, conservateur par défaut. Quand même, ni Amazon, ni Gallimard, ni Hachette, ni chapitre.com ... Espace mal vendu ou mal acheté ? Pourtant, c'est dans une revue comme celle-ci que la publicité devrait évoquer les automobiles, les parfums, les montres, les vacances, les ordinateurs ... Evidemment, si l'on ne conçoit les plans médias qu'à partir des données en "bécanes" (AEPM ou OJD) dans les agences média, aucune chance. Car un titre nouveau n'y est pas, restant invisible aux repèrages du marché, aux médiaplanners... En revanche, on apprendrait du site Internet et de ses analytiques (mais je doute que Google Analytics y suffise) ... Associer la régie du papier à celle du site ? Pourquoi pas, même combat de l'affinité, de la long tail ? Transferts d'outils. A étudier ...

600 "rédacteurs", annonce le magazine pour le site. Quel est leur statut ? Journalistes ? "Jeunes chercheurs, journalistes, militants politiques, syndicaux et associatifs et créateurs de sites Internet" dit la présentation au-dessus de l'ours. On n'est pas loin d'une sorte de crowd sourcing restreint... Intéressant.

Alors que les grands prédicants déclarent la presse papier condamnée, le mouvement à rebours de NonFiction.fr suscite l'intérêt. Tentation du modèle mixte ? Oracom prend des riques : pourquoi pas ? Spécialisé dans la presse des télécoms et du numérique (plus d'une douzaine de titres), l'éditeur a l'habitude des esssais et erreurs ... Voici une contribution en acte aux Etats généraux de la presse écrite !

Même si l'on redoute une diminution des ventes de livres et le basculement éventuel des lectures sur suppports électroniques, le modèle économique mixte attire les magazines consacrés aux livres, chacun visant son segment particulier : la non-fiction"l'actualité par les livres du monde" (Books Mag), les romans (Service Littéraire, "le magazine des écrivains fait par les écrivains" consacré aux romans et qui se veut un "Canard Enchaîné culturel") ... pour ne citer que les très récents. 

En suivant ces innovations hardies, à contre-courant, on pense à cette remarque de Stendhal dans Le Rouge et le Noir (II, XI), digne de Mandelbrot : "Quelle est la grande action qui ne soit pas un extrême au moment où on l'entreprend ? C'est quand elle est accomplie qu'elle semble possible aux êtres du commun." En gestion, seul le réalisé prouve le possible ; le non réalisé ne prouve rien, et surout pas l'impossible. Donc, suivons l'avenir de cette initiative.