lundi 27 décembre 2021

Fake News

Laurianne Geoffroy, Léa Surugue, Fake News. Santé, 269 p. avec, en fin de volume, un "petit glossaire non exhaustif du monde médical et scientifique", et une bibliographie de 20 pages établie par des chercheurs de l'INSERM

L'Inserm part en guerre contre les fausses informations touchant la santé avec ce livre de vulgarisation pour tous. En décortiquant 80 fausses informations, plus ou moins courantes, et rétablissant les vérités premières. Du soutien-gorge inventé en 1889 (par Herminie Cadolle, une amie de Louise Michel) à la pratique régulière d'un sport, les bénéfices du chocolat, et le gluten, et la vitamine C... Faut-il manger cru ou cuit, peut-on boire beaucoup de café, et la cure de détox qui ne servirait à rien. Et le sucre, et l'alcool, et la graisse, pas formidables voire même parfaitement nuisibles. En revanche, le lait est plutôt bon, source de calcium. Toute notre alimentation est passée en revue.

Le chapitre 9 est entièrement consacré au COVID-19 et à la pandémie. Le virus est transmis par aérosols aussi le masque, bien porté, réduit sa transmission. Et le vaccin ? Efficace pour les adolescents, il l'est aussi pour les femmes enceintes.

 Le livre est bien fait, clair et compréhensible, prudent mais positif. On en finit avec toutes sortes d'histoires colportées de-ci de-là et l'on peut choisir d'avoir un comportement rationnel à propos de sa santé. En fin d'ouvrage, une longue bibliographie établie par des chercheurs est précédée d'un petit glossaire du vocabulaire médical et scientifique. L'ouvrage devrait trouver sa place dans les lectures des adolescents et de nombreux parents, dans les établissements scolaires, chez les enseignants d'abord. De tels ouvrages sont des outils de grande valeur : il importe de les mettre à jour régulièrement. Merci l'INSERM ! 


Héritocratie ? Peut-être. Si rien ne change...

Paul Pasquali,  Héritocratie. Les élites, les grandes écoles et les mésaventures du mérite (1870-2020),  Editions La Découverte, 2021, 308 p.

Alors, quoi de neuf depuis Les Héritiers de Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (1964) ? Qu'est-ce qu'un demi-siècle a changé dans le rôle des grandes écoles en France ? C'est un livre d'histoire(s) que propose Paul Pasquali, l'histoire d'écoles, plus ou moins grandes, qui réagissent à des réformes, des ambitions politiques, qui sont défendues et parfois attaquées par leurs anciens élèves.

Ce livre s'en prend à la méritocratie et lui donne un nouveau nom : l'héritocratie ; l'ascenseur social est donc toujours en panne. Les pannes sont multiples et changent mais elles semblent faire en sorte que l'ensemble fonctionne plutôt bien. Les pannes et leur dénonciation font donc partie du système. D'ailleurs l'auteur lui même, en conclusion, ne sait trop que faire pour remplacer ou réparer le système actuel et se contente finalement de "proposer une alternative réaliste à l'héritocratie" dont il a suivi minutieusement les étapes de la domination en France durant un siècle et demi. 

De la Troisième à la Cinquième République, on voit ainsi se multiplier et se succéder les réformes : le plan Langevin-Wallon achevé en 1947, La Réussite sociale en France (Alain Girard, de l'INED) publiée en 1961. Et les réformes se poursuivent et se succèdent : ,Jean Berthoin (en 1959), Jean Capelle en 1963, la Commission Boulloche (1959), la Réforme Fouchet (balayée par 1968). En 1964, Les Héritiers Les étudiants et la culture (1964), travail de normaliens (!), annoncent une bataille qui n'aura finalement pas lieu. Enfin, la loi Edgar Faure (1968), relativement consensuelle, ignora tout simplement les grandes écoles. Et l'histoire se poursuit et repart ainsi, avec Sciences Po (qui relève sérieusement ses exigences  scolaires) et diverses réformes plus ou moins réformatrices, y compris pour les grands lycées (Henri IV, Louis le Grand, etc.), l'ENA ou la première année de médecine (avis du Conseil d'Etat du 13 février 2019). Mais à Polytechnique, 92% des élèves sont issus des classes sociales supérieures. Donc, tout va toujours bien.

En conclusion, l'auteur estime que l'héritocratie française a les reins solides et qu'elle a même gagné du terrain depuis les années 1980. Dauphine et Sciences Po ont ainsi bénéficié du statut de grand établissement... tandis que l'on évoque couramment la réforme de l'ENA. Faut-il mettre à jour Les Héritiers et relancer le débat ? Sans doute : une analyse indiscutable serait bienvenue. En attendant, "la multitude n'hésite plus à vociférer", signale Paul Pasquali, qui rêve qu'elle soit entendue.


samedi 25 décembre 2021

La sociologie : plaidoyer brillant pour une remise en questions

 Jean-Louis Fabiani, La Sociologie. Histoire, idées et courants, 223 p., Lexique

Voici un excellent manuel de sociologie ; il a été produit par Jean-Louis Fabiani. C'est un manuel pour les débutants mais aussi pour les plus vieux, anciens débutants, qui peuvent y trouver de quoi remettre en chantier leurs outils de travail, les plus courants et les plus subtiles, et abandonner leurs idées un peu vieillies voire, pour certaines, complètement obsolètes.
Le plan de l'ouvrage est clair : d'abord l'histoire et déjà pointe le trio que l'on retrouvera à maintes occasions dans cet ouvrage avec Marx, Durkheim et Weber. Et, d'emblée aussi se trouve posée la question de la cumulativité des savoirs sociologiques : Jean-Claude Passeron refuse cette idée (c'est comme l'agriculture sur brûlis, dira-t-il) que l'auteur défend avec Randall Collins qui préfère la métaphore du "conservatoire botanique où l'on s'attache à maintenir en vie de très anciennes espèces tout en en créant, pas très souvent, de nouvelles".
Le chapitre 7 évoque la vigueur de la révolution numérique accélérée par la téléphonie, témoignage de l'incroyable résilience du capitalisme (la destruction créatrice de Joseph Schumpeter !).
Jean-Louis Fabiani accorde par ailleurs une grande importance aux "studies" de toutes sortes, provocantes, qui ont marqué l'histoire récente de la sociologie, la rectifiant même parfois ; et de citer, par exemple, Dipesh Chakrabarty qui souligne l'erreur de "l'évolutionnisme qui veut que toutes les sociétés passent par les mêmes étapes d'un itinéraire identique" : en fait, études noires (Black Studies), études du genre (le rôle de Margaret Mead et de Simone de Beauvoir) réveillent la sociologie de son sommeil dogmatique. Et Jean-Louis Fabiani rappelle modestement qu'"Il existe dans notre travail une bonne part de bricolage qu'on ne pourra jamais éliminer parce que nos objets sont immergés dans un flux temporel qui nous laisse rarement le temps de les construire avec la rigueur épistémologique qui s'imposerait". D'où la proximité avec le journalisme, ses succès et ses erreurs.

Le chapitre 10 ferme le livre avec l'enquête et "les outils pour analyser et comprendre". D'abord, il peut sembler qu'il n'y ait pas d'outils sociologiques a priori, que tout peut le devenir. Ensuite, l'enquête et les différents outils traditionnels de la sociologie sont évoqués, mettant en évidence leur rendement mais aussi leur progressive obsolescence, trop souvent oubliée. Cette partie est le plus riche mais aussi la plus désespérante pour la sociologie car les méthodes ont mal vieilli. Sans doute peut-on attendre des outils et méthodologies numériques, entre autres, des renouvellements radicaux.

Le livre est on ne peut plus sérieux, richement documenté, les références récentes complétant les développements plus classiques. Et, l'auteur ne manque pas d'humour dont il pigmente ses propos, discrètement. Ainsi parle-t-il de simple garniture idéologique pour distinguer les thèses de Pierre Bourdieu et de Talcott  Parsons (p. 41) et pour souligner leur "évidente parenté". Et de l'ouvrage de Bruno Latour (Changer de société, refaire de la sociologie) son commentaire est sec : " refaire de la sociologie n'est pas vraiment son objectif ; il s'agit plutôt d'en faire, enfin, pour la première fois".... Et l'auteur se moque aussi de ceux qui criaient "CRS! SS!" en 1968, si peu historiens, si piètres sociologues, mais tellement à la mode.

Le chapitre, en annexe, intitulé "Quelques mots de la sociologie" pourrait bien évidemment être beaucoup plus développé ; des concepts manquent mais l'essentiel est présent, et qui aidera bien des lecteurs à remettre leurs idées en place. Jean-Louis Fabiani fait le ménage et revient, en actes, sur la conclusion de son ouvrage. J'en retiens "l'impératif de description" (p. 211) qui remet en questions tous les grands concepts de la sociologie et de "ce que nous appelons, plutôt vaguement, le monde social" ; encore une fois l'ironie de Jean-Louis Fabiani qui revendique finalement "de contribuer à l'expansion dans la société d'une sorte de distance critique à l'égard des affirmations les plus péremptoires qui y circulent, et de ne jamais renoncer à chercher à comprendre". Heureux projet. Les théories, les notions de la sociologie, oui, mais jamais sans l'ironie qui en est une hygiène constante.