dimanche 10 juin 2018

The Prinicipal, série TV : impossible école ?


"The Principal", série TV est une mini série en quatre parties, diffusée en automne 2015 par la télévision publique australienne, SBS One. Elle est reprise par Netflix et s'inscrit dans sa stratégie de mondialisation des contenus télévisuels.
Le cadre de la série est celui d'un établissement public d'enseignement secondaire pour garçons, dans la banlieue Ouest de Sidney, première agglomération d'Australie. Un nouveau directeur (principal) y est nommé, dernière chance de cet établissement difficile menacé de fermeture, peuplé d'élèves provenant de familles plus ou moins récemment immigrées d'Afrique, du Moyen-Orient (Liban, Syrie), de Polynésie, d'Asie, d'Europe*. La bonne volonté du principal, du personnel, des parents d'élèves, d'une policière est mise à mal, chacun cherchant de son mieux le difficile équilibre entre fermeté et générosité, optimisme et découragement...

Un crime a lieu, une enquête s'en suit qui donne son fil directeur à la série, la narration étant conduite par les interactions de l'établissement avec les familles d'élèves et la justice. Pourtant, l'essentiel de la série n'est pas l'enquête mais la présentation concrète de la situation sociale de l'établissement où convergent tous les problèmes sociaux du quartier et de l'époque : commerce de drogue, coexistence conflictuelle de cultures religieuses diverses, pauvreté, tentation terroriste... Comment ne pas tolérer l'intolérance prônée ici ou là et qui délabre les comportements des élèves ? "School is a war zone", titre la promotion de l'émission par SBS (cf. supra). Le cinéaste semble un correspondant de guerre, embedded. On est loin de l'idée rabâchée de communauté ; la tentation de cette utopie n'est pas absente de la série et fait sourire certains protagonistes : on va désarmer la police, saluer le Principal à l'entrée de l'école, mettre une cravatte...
A rapprocher de la série danoise Rita qui porte également sur l'école et ses difficultés.

Ce que l'on observe avec ces séries venues d'ailleurs, et dont la dimension documentaire est essentielle, n'est pas étranger à la France ou aux Etats-Unis, où les enseignants, de la maternelle au lycée, sont confrontés à des problèmes semblables et dont ils savent qu'ils ne peuvent pas les résoudre et qui les invitent au renoncement. Conditions désespérantes et ignorées par les administrations, loin du terrain et qui n'en ont souvent qu'une expérience abstraite, comptable ; la distance administrative est habilement rendue par la série : le Prinicipal ne communique avec son autorité administrative que par téléconférence et écran de portable interposé, quant à l'inspecteur de Rita, son bureau le tient prudemment éloigné des écoles... Heureuse bureaucratie.
Rita et The Principal abordent des questions primordiales de l'école actuelle, généralement tues : ignorance distante ou silence politiquement correct, irénisme coupable du pédagogisme (appelons "pédagogisme" la croyance selon laquelle tout problème rencontré à l'école y trouverait une solution pédagogique). L'institution scolaire (et universitaire de masse) est confrontée à des problèmes venant d'ailleurs, dont elle hérite. Ce n'est pas la seule institution dans ce cas : l'hôpital, les transports publics, la police, par exemple, connaissent de semblables situations, qui détériorent tous les services publics et les guettent tous.
Quel est le rôle de l'école dans cette situation ? L'enseignement ou l'assistance sociale ? Palier l'impéritie et la démagogie des pouvoirs politiques successifs ? Avant d'enseigner, il faut organiser un petit déjeuner pour les élèves qui n'ont pas à manger ("the breakfast club" du Principal) ? De quelle éducation parle-t-on ? Quelles sont les limites du métier d'enseignant dans de telles situations ? A quel métier les enseignants doivent-ils être formés ? Instituteur, comme le demandait la IIIème République en France, c'est à dire, comme le rappela énergiquement Jean Jaurès, "instituer la République" ? La didactique des langues ou des mathématiques ne constituent qu'une partie, souvent secondes, du métier de professeur des écoles ou des collèges.


* Les premiers habitants de la région, dits aborigènes, ont été presque entièrement décimés. Cf. Grace Karskens, The Colony. A History of Early Sydney, Crows Nest, Allen & Unwin, 2010, 678 p., Bibliogr., Index.

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