lundi 22 février 2016

Mesures d'audiences de la TV américaine : comScore contre Nielsen


Le choc de la mesure de l'audience TV/vidéo aux Etats-Unis aura lieu cette année. S'opposeront Nielsen, tenant du titre, et ComScore, nouvel entrant sur ce marché, dès le mois d'avril. ComScore qui vient d'achever sa fusion avec Rentrak : toutes deux avaient WPP comme actionnaire.
La bataille commencera dans 2 à 3 mois, comScore s'étant donné pour objectif d'être opérationnel dès le début des ventes d'espace publicitaire de la saison 2016-2017, en mai 2016 (Upfront market). En réalité, nul ne prévoit un changement radical avant la saison 2017-2018.
L'enjeu est la répartition de 70 milliards de dépenses publicitaires TV.

Après des décennies de quasi monopole, Nielsen affrontera une situation de concurrence. Le choc sera commercial, voire psychologique, plus que méthodologique : dans les deux cas, pour comScore comme pour Nielsen, la mesure des audiences s'appuie sur un panel. La différence tiendra d'abord à la taille des panels respectifs.
Big panel plutôt que Big data ? Pour l'instant, il s'agit encore de mesure des médias plus que de mesure des audiences, alors qu'avec la profusion de données, la tendance est à l'audience planning plutôt qu'au média planning.

La mesure promise par comScore se veut d'emblée Cross-Platform, tous écrans, réunissant en une seule donnée la diffusion locale terrestre (broadcast), la distribution via MVPD ainsi que la diffusion via Internet (streaming, OTT) et sur le Web, direct et différé, sur tous les appareils y compris les consoles de jeu vidéo. Objectif annoncé : l'exhaustivité.
Le raisonnement de comScore est que l'on ne peut plus se contenter de réparer la mesure actuelle en continuant d'y rajouter des éléments (des silos) à chaque innovation technologique mais qu'il faut tout reprendre, en partant de zéro avec un panel unique (single, total). Seul un tel panel évitera l'atomisation des mesures et les problèmes de représentativité, puis de fusion qui s'en suivent. L'avantage du nouvel entrant (prétendant) sur le marché est de n'être pas handicapé par le passé et sa conservation, comme l'est le dominant.

A terme, le panel comScore, Total Home Panel, encore en cours de recrutement (4 000 foyers TV actuellement), devrait compter 60 000 foyers en automne, 300 000 foyers en fin d'année. Avec un panel de cette taille, comScore pourra prendre en compte l'audience de tous les contenus diffusés sur tous les appareils des foyers recrutés, y compris la programmation OTT dont celle de Netflix et d'Amazon Prime. De mensuelle, la publication des résultats devrait passer à quotidienne en fin d'année.
Le coût du panel serait, selon comScore, de l'ordre de de 10 à 15 millions de $ en 2016.

GroupeM, une agence de WPP, a d'ores et déjà décidé de recourir à la mesure de comScore pour ses achats locaux, dans les marchés où Nielsen utilise encore des carnets d'écoute en papier pour recueillir les audiences (DMA N°50 et au-delà). A la différence de Nielsen, qui est une société indépendante des agences de publicité, comScore est en partie contrôlée WPP, l'un des principaux acteurs du marché publicitaire. WPP contrôle également Kantar.
Pour l'instant, Nielsen répète que sa mesure détermine l'étalon-or en matière d'audience, et qu'elle peut se targuer d'être neutre et d'avoir déjà été auditée par le MRC. Le panel national de Nielsen comptera 40 000 foyers TV en 2017 (au lieu de 25 000 en 2015). La mesure du mobile est assurée par Nielsen grâce à l'insertion (embedding) d'un code identifiant chaque émission diffusée (watermarking, Digimarc), ce qui permet de résoudre les problèmes de déduplication. Encore faut-il que le code soit inséré par tous les médias, or on en est encore loin. Pour la qualification de l'audience mobile (âge, sexe), Nielsen fait appel à Facebook, vaste panel.

mercredi 17 février 2016

Guide du DOOH américain par l'IAB


L'IAB a publié un document pour guider l'achat de DOOH. Le guide réunit des informations essentielles, utiles aux professionnels de la publicité intervenant sur le marché américain : Digital Out-of-Home Buyer’s Guide. How to reach the on-the-go consumer (10 p.). Le chapitre ("task force") DOOH de l'IAB a été créé en janvier 2015.

Notons d'abord que la liste des membres de l'IAB Digital Out-of-Home Task Force aux Etats-Unis n'inclut pas JCDecaux qui est pourtant un acteur majeur de ce marché et le premier dans la monde. All American Guide ? La liste compte Nielsen, Clear Channel Outdoor, Intel, Outfront Media, NEC Vukunet, NBC Universal, des agences média, etc.
Le guide souligne, en rouge, les atouts de ce média qui ne connaît pas les problèmes des autres écrans : "Dynamically-served visual medium that reaches consumers on the move, with advertising that is targeted, un-skippable, and always above the fold." Au ciblage géographique s'ajoute un ciblage temporel, contextuel ; quant à la visibilité, elle reste liée aux emplacements respectifs de l'écran et du passant ("location, location, location", clame depuis longtemps l'affichage traditionnel) mais on est loin des difficultés que connaît la publicité sur le Web où l'on en vient à commercialiser l'invisible. A ces atouts, il faut ajouter l'interactivité : le DOOH devient inséparable du smartphone et il faut, pour un annonceur, apprendre à les combiner adroitement.
  • La première partie du Guide décrit les différents formats possibles et les lieux concernés : l'ensemble est présenté et classé en un tableau synoptique à double entrée croisant lieux et formats.
  • La seconde partie décrit les pratiques commerciales : achat / vente
    • La mesure de l'audience y est rapidement survolée. 
      • Elle est le fait du Traffic Audit Bureau qui établit un indicateur d'impact visuel dit Visibility Audience Impact (VAI), indicateur calculé à l'aide des données INRIX sur la circulation automobile. Depuis 2010, VAI modélise le pourcentage de personnes ayant remarqué un message publicitaire et la durée de vision (dwell time). 
      • Elle est aussi le fait de Nielsen qui procède surtout par voie de comptage, d'enquêtes par intercept. 
      • Mais la mesure (audience, efficacité, ROI) est aussi le fait de sociétés plus spécialisées dans les points de vente, non mentionnées dans ce guide, qui observent plus qu'elles ne modélisent (foot traffic studies) : SMS Store Traffic, Euclid, Placed, Verve, RetailNext, etc
    • L'achat s'effectue par messages de 8 à 10 secondes en tenant compte des emplacements des écrans, de la tranche horaire. Peu de mention de l'exploitation des données collectées à l'aides smartphones (beacons, etc.). Le recours au mobile permet la prise en compte de la géolocalisation (adresse IP, GPS) pour l'attribution.
    • Peu de développement sur l'automatisation des ventes (programmatique), les tranches horaires et la conception des inventaires (invendus, etc.).
    • Rien sur la création et son adpatation à ces nouveaux supports (multiplication des créations, tests, etc. ; rien sur la pige et le monitoring pourtant essentiels.
    • La double existence du DOOH comme network (espace et achat local et national, ou multilocal comme en télévision), l'aspect réseau n'est pas évoqué alors qu'il semble décisif pour le plein emploi publicitaire des équipements et correspond idéalement aux besoins des annonceurs travaillant en réseau : distribution, banques, automobile...
    • Le guide ne traite pas de la coordination avec les autres écrans recourant àa la vidéo (cinéma, Web, TV) qu'il s'agisse d'analytiques multi-plateformes ou création de type responsive design.
    • On oublie enfin que l'écran participe parfois aussi à la décoration et à l'ambiance des lieux publics (cf. "Screens at Grand Central, NY) comme on peut l'observer de plus en plus dans les vitrines.
  • La dernière partie évoque l'avenir du DOOH : cet avenir est aux données collectées et analysées ainsi qu'au mobile : "virtual reality, geofencing, facial recognition, beacons". Ces techniques sont l'avenir proche voire même déjà le présent. Avec les actions et réactions publicitaires en temps réel, avec la liaison immédiate aux points de vente, réels ou virtuels, ces techniques sont porteuses de disruption. Quelle est la place de l'Internet des choses dans cet avenir et d'acteurs comme Cisco (par exemple) ?

  • Ce guide, s'il est utile pour attirer et retenir l'attention des annonceurs, reste quelque peu rudimentaire pour les professionnels. Cela tient-il à la faible représentation des nouvelles technologies de ce secteur dans cette section de l'IAB ? En tout cas, ce guide publié par l'IAB est une reconnaissance de l'importance de ce nouveau support et de sa légitimité.

lundi 15 février 2016

Comcast, Google et le haut débit

Prospectus de Comcast
publié sur reddit, le 10 février 2016

Google est présent sur tous les fronts télévisuels, aux Etats-Unis.
  • Avec YouTube d'abord, et les très nombreux multichannel networks (mcn), avec la mesure l'analyse des audiences aussi.
  • Google est soupçonné d'être l'instigateur et le premier bénéficiaire de la remise en question par la FCC de la location des set-top boxes par les opérateurs traditionnels (MVPD). Google mène la bataille contre les MVPD, gate keepers de la télévision ; l'objectif immédiat est sans doute l'ouverture de l'accès aux données TV en laissant aux consommateurs le libre choix de leurs set-top boxes. La FTC (Federal Trade commission) est intervenue pour demander à la FCC le renforcement de la protection de la vie privée des utilisateurs.
  • Google Fiber (carte des implantations actuelles et prochaines ci-dessous) inquiète Comcast. En lançant un réseau à Atlanta (Georgia), Google propose son offre haut débit dans certains complexes immobiliers (condos). Or c'est justement à Atlanta que Comcast teste les différentes modalités de son offre haut débit. Manifestement agacé, Comcast a lancé une campagne dénigrant Google Fiber (Ne vous laissez pas séduire : "Don't fall for the hype", cf. supra). Ni la comparaison des prix, ni les limitations de volume ne sont mentionnées par le prospectus d'auto-promotion de Comcast. Or les comparaisons sont éminemment favorables à Google Fiber qui propose au meilleur prix un débit élevé sans limitation de volume (data cap). Péché d'omission ! M à J : Courant mars, Comcast riposte à Atlanta avec un test de haut débit (1 G downstream) pour 70$ dans le cadre d'un contrat de 3 ans. AT&T propos également une offre à 70$.
Stratégie TV de Google
On n'attendait pas Google sur ces deux champs de bataille. Google revendique sa place dans la distribution des contenus télévisuels et le traitement des données afférentes. Malgré l'évolution du portable, la télévision reste le plus important des médias de divertissement. Google veut faire sauter le verrou des distributeurs qui accaparent les dispositifs d'accès aux contenus télévisuels (câblo-opérateurs, opérateurs satellites, télécoms) que certains MVPD cumulent avec des programmes et des stations (NBCU / Comcast). Ces distributeurs sont impopulaires auprès des consommateurs ; leurs prix élevés et la réputation souvent médiocre de leur service après-vente prêtent le flanc aux attaques de Google.
La concentration croissante du secteur confère un pouvoir considérable aux MPVD, pouvoir que tentent de contourner les opérateurs OTT comme Netflix : la neutralité du net est l'autre grande bataille que mène Google dans ce cadre de sa stratégie TV.




mardi 9 février 2016

Bataille pour les données TV aux Etats-Unis. L'enjeu des set-top boxes


Tout d'abord, les forces en présence
  • A l'origine du débat, la FCC dont la mission de régulation consiste à assurer la concurrence dans le secteur des médias, dans l'intérêt des consommateurs américains. Le président de la FCC voudrait mettre fin au monopole des distributeurs de programmes de télévision (MVPD) en matière de set-top box : elle y voit un obstacle à la concurrence ("anti-competitive barriers"). Sa proposition (Notice of Proposed Rulemaking, NPRM) a été mise au vote le 18 février.
    • Mise à jour du 18 février 2016. Par 3 voix contre 2, la FCC a approuvé la proposition du président de la Commission. L'application de cette déciion prendra toutefois au moins deux ans avant d'atteindre les consommateurs abonnés.
  • Les Multichannel Video Proramming Distributors (MVPD), opérateurs câble, télécoms et satellite comme Comcast, Time Warner Cable ou AT&T (qui a racheté DirecTV), Cablevision (racheté par Altice) se sont coalisés contre le projet (Future of Television Coalition). 
  • De nouveaux entrants, Google (Chromecast), TiVo (DVR racheté par Rovi), Roku, Apple TV, Vizio réclament un standard ouvrant le marché TV à la concurrence. Ils sont réunis dans The Consumer Video Choice Coalition.
Ensuite, l'enjeu

L'enjeu n'est pas tant la set-top box au sens strict du terme que l'accès aux données produites par les millions de téléspecteurs abonnés. En même temps qu'ils commercialisent leurs services aux abonnés, les MVPD leur louent une set-top-box. En perdant le monopole des set-top box, les MVPD perdraient un revenu récurrent et surtout, le monopole du recueil des données qu'ils utilisent eux-mêmes ou revendent. Les abonnés pourraient acheter la set-top-box de leur choix auprès de divers fournisseurs concurrents. Pour un foyer, la location coûte actuellement 231 $, en moyenne, par an (sur ce chifffre, voir Daniel Frankel, FierceCable).

Les MVPD, par la voix de AT&T, notamment, dénoncent une manœuvre de Google qu'ils soupçonnent d'être derrière l'action de la FCC :  "It’s time for the FCC to put consumers, not special interests, first, and reject Google’s ill-conceived proposal", conclut AT&T dans un post véhément.

Les données sont désormais au cœur du nouveau marché télévisuel : elles l'ouvrent à de nouveaux acteurs, à de nouvelles mnières de travailler, à de nouveaux modèles économiques, donc à de nouvelles réglementations.


N.B. Le problème de la location des set-top boxes et de l'exploitation des données n'est pas propre aux Etats-Unis : en Europe aussi, les opérateurs louent les set-top boxes aux abonnés ...

vendredi 5 février 2016

Tennis Channel contre Comcast : balles neuves !


Quel modèle économique convaincant une chaîne spécialisée dans le tennis peut-elle trouver ? Le modèle traditionnel du bouquet (bundling) adopté par les distributeurs : opérateurs satellite, câble et télécom (Multi-channel Video Programming Distributors, MVPD) est secoué et malmené par le développement du streaming de programme à la demande (OTT, SVOD). La situation de ESPN, chaîne sportive généraliste, qui voit ses abonnements et audiences en baisse, constitue une alerte globale pour la télévision sportive.
Même si l'on écarte, a priori, l'hypothèse d'un "Netflix pour le sport", la nécessité d'imaginer un nouveau modèle économique est illustrée par le cas de Tennis Channel.

La chaîne linéaire Tennis Channel a été lancée aux Etats-Unis en 2003, sur le modèle du Golf Channel qui appartient à NBC Comcast et compte près de 80 millions d'abonnés. La chaîne retransmet les prinicipaux événements tennistiques mondiaux.
Tennis Channel est dans le rouge (200 millions de déficit d'exploitation en 2015) ; elle vient d'être rachetée par le groupe Sinclair Broadcast Group (SBG) pour 350 millions de USD. Le déficit de Tennis Channel est lié à une distribution insuffisante : 30 millions de foyers ("undercompensated and under-distributed", dit le président de Sinclair) qui affecte les revenus d'abonnement payés par les distributeurs ainsi que les revenus publicitaires. Pour les MVPD, le public potentiel de la chaîne est trop étroit.
Tennis Channel est en conflit avec Comcast qui plaça Tennis Channel dans une zone d'abonnement (tiers) réservée aux petites chaînes, loin de ESPN qui est dans le basic tier (où se trouve aussi la chaîne Golf Channel). L'imbroglio juridique, qui dure depuis plusieurs années, a mobilisé la FCC jusqu'à la Cour Suprême... Tennis Channel n'a pas obtenu gain de cause. Pas encore !
Une chaîne indépendante spécialisée peut-elle survivre dans un marché qui est aux mains de grands groupes concentrant distribution et programmation ? La concentration des distributeurs compromet-elle l'existence de petites chaînes ? La réponse se trouve peut-être dans le streaming vendu directement aux consommateurs...
Tennis Channel a lancé en 2014 un service OTT avec une appli pour la réception sur support mobile, Tennis Channel Plus / Tennis Channel Everywhere et un accès à des archives (VOD). Le streaming donne à la chaîne toutes données de consommation alors qu'avec la distribution linéaire, c'est le MVPD qui a la relation aux clients (abonné) et collecte les données. Ainsi, que sait Tennis Channel des modes de consommation du tennis à la télévision ? Quels matchs, à quel rythme, à quel prix ? La chaîne devrait savoir autant sur le tennis que Netflix sur les spectateurs des séries et des films, pour mettre en œuvre des recommandations, négocier le prix des tournois, etc

L'autre source de revenu peut venir des négociations de retransmission consent. Associé au groupe Sinclair, Tennis Channel pourra obtenir des MVPD une meilleure position sur le dial afin d'élargir sa distribution. Sinclair Group compte 171 stations locales (broadcasting) dans 81 DMA pour une couverture de 40% des foyers TV américains. Tennis Channel détient les droits de la plupart des compétitions internationales de tennis. Avec Sinclair Broadcast Group, la chaîne va servir avec des arguments neufs...

Va-t-on vers un modèle mixte, linéaire + OTT ? La mixité des revenus est-elle concevable, les deux modes sont-ils compatibles ? Quelles données collecter ? Comment les exploiter ? La gestion d'une chaîne de sport doit combiner de nombreux savoir faire et toues sortes de données.