John Carreyrou, Bad Blood. Secrets and Lies in a Silicon Valley Startup, Vintage, New York, 341 p. Index, 11,45 $
"Fake-it until you make-it culture"! Peut-être ou peut-être pas ! Cette histoire aura coûté un milliard de dollars à l'ensemble des investisseurs de Theranos dont ce livre raconte les mésaventures. Du début à la fin, cela aura duré 14 ans, de 2004 à 2018. Elizabeth Holmes, la créatrice, a 19 ans lorsqu'elle abandonne l'université en 2003, sans diplome (dropout), pour créer Theranos. En 2022, elle est condamnée (20 ans de prison) et la société est liquidée.C'est, en fait, un véritable roman policier que l'auteur a réussi à rédiger, sans doute involontairement, mais on est pris jusqu'à la fin par son enquête, sa finesse, et l'entêtement professionnel du journaliste. Car même si l'on sait, dès le début, comment cela se termine pour les principaux acteurs de l'histoire, plutôt mal en l'occurrence, les lecteurs sont tenus par les détails et les mouvements de l'intrigue, par ses multiples rebondissements. Pourtant il n'y a pas de quoi s'inquiéter, il ne s'agit que du travail d'enquête d'un journaliste ! Oui, mais quel travail lorsque le travail est bien conduit ! Il faut dire d'abord que l'ambiance dans l'entreprise dont le journaliste analyse les événements est lourde : des employés sont virés sans préavis, Theranos fait prendre des risques à ses usagers, et le secret est partout... Les tentatives de Theranos pour impressionner et dissuader les contacts du journaliste furent d'ailleurs nombreuses et Theranos aurait sans doute pu fonctionner encore longtemps sans cette enquête.
Beaucoup de témoins importants sont convoqués. Certains ont reçu la fondatrice à de multiples reprises, tel Rupert Murdoch, le patron de News Corp., qui a investi plus de 100 millions de dollars, eut l'honnêteté de refuser d'intervenir pour contrôler l'auteur du livre, pourtant journaliste travaillant pour l'un de ses médias, Wall Street Journal ("a tabloïd magazine" comme se permettra de le qualifier Elizabeth Holmes). On peut noter les frères Walton (de Walmart), le président de Cox Entertainment, une ministre, Betsy DeVos (Department of Education du Président Trump), chacun y laissa une centaine de millions de dollars. La famille Clinton, la mère, alors candidate au élections présidentielles, est aussi présente dans les rencontres d'Elizabeth Holmes. Joe Biden, en juillet 2015, il est alors vice-président, visitera aussi Theranos : on lui montrera un faux labo et il n'y verra que du vrai. Pourtant tout était faux.
La créatrice imitait délibérément le patron de Apple, comme lui elle s'habillait de noir ; elle fit appel à la même agence de publicité ("Apple envy" !), prenait une voix grave... Un ancien professeur de Stanford, sans doute ébloui, la compara à Newton, Einstein, Mozart, Léonard de Vinci ! Theranos avait le culte du secret et faisait signer des "non-disclosure agreements" à ses employés ; ceux-ci n'avaient pas le droit d'indiquer Theranos sur leur profile Linkedin, pas le droit non plus d'utiliser Google Chrome (Theranos prétendait craindre d'être espionné par Google !). En 2013, Theranos passa un accord de partenariat avec Walgreens pour des prises de sang dans les magasins (la collaboration cessera en juin 2016, et Walgreens entamera alors un procès. Le board de Theranos comptait nombre de personnalités : Henry Kissinger, George Shultz, etc. La société compta jusqu'à 800 employés, avant d'être liquidée, finalement.
Après avoir lu ce livre, un vrai documentaire ou un roman policier, vous ne lirez plus les promesses des entreprises qui vous assurent la santé, le sommeil, le bonheur, avec tranquillité. Mieux vaut savoir ce qu'il en est vraiment. Comment ? C'est là que les médias ont un rôle à jouer. Le jouent-ils correctement, honnêtement ? Pas vraiment. Ils se répètent les uns les autres, ils interviewent les acteurs de la pièce, contribuant à leur notoriété, sans se soucier de la réalité. Quand, aujourd'hui, on parcourt la revue de presse de Theranos, on est affligé. Car ce n'est pas à une pièce de théâtre que l'on a assisté, c'est le vrai monde. A quelques exceptions près, la presse n'a pas fait son travail, sauf Wall Street Journal qui fut d'ailleurs menacé, en vain, par Theranos.