mercredi 10 juin 2020

Un philosophe Résistant



Gabrielles Ferrières, Jean Cavaillès. Un philosophe dans la guerre (1903-1944), Préface de Jacques Bouveresse, Postface de Gaston Bachelard, Paris, 2010, Editions du Félin, Résistance Poche, 291 p.

"Si on ne parle pas de lui, qui saura faire la différence entre cet engagement sans retenue, entre cette action sans ménagements d'arrières, et la Résistance de ces intellectuels résistants qui ne parlent tant d'eux-mêmes que parce qu'eux seuls peuvent parler de leur Résistance, tellement elle fut discrète". Cette phrase est de Georges Canguilhem qui fut, lui aussi, normalien, philosophe, et résistant.
Jean Cavaillès fit sa thèse sur l'histoire des mathématiques ; sa thèse, dira Gaston  Bachelard, est "au point de départ d'une culture de philosophie mathématique". Jean Cavaillès est  donc "ensembliste"; en février 1937, il dépose sa thèse principale intitulée Méthode axiomatique et formalisme (Essai sur le problème du fondement des mathématiques), et, en juillet 1937, sa thèse complémentaire, Remarque sur la  formation de la théorie abstraite des ensembles. Etude historique et critique. Son directeur de thèse est Etienne Brunschvicg. Ces thèses ont vieilli, normalement, et ce n'est pas de toute façon l'objet de ce livre qui traite d'une vie militante autant que d'une vie de chercheur (pour ceux que les écrits mathématiques de Jean Cavaillès intéressent, qu'ils se reportent à ses "Oeuvres complètes de philosophie des sciences", publiées aux Editions Hermann en 1994, 686 p.).
Sa soeur raconte la vie de son frère qu'elle admire. Elle sera arrêtée par les nazis en même temps que lui (août 1943) mais sera relâchée. Le livre est une biographie : fils d'un militaire, on en suit les étapes, de la classe préparatoire au bal de l'Ecole Normale (mais Jean Cavaillès ne danse pas !) puis c'est la thèse, la Résistance et sa condamnation à mort par le tribunal d'Arras. Avant et pour sa thèse, Jean effectue des séjours en Allemagne, il évoque Hitler ("la feuille de Hitler est rédigée d'une façon tellement pauvre que je me demande comment elle peut avoir une action", p. 106). Il fait la connaissance d'Emily Noether, fameuse mathématicienne, avec qui il publiera la correspondance Cantor - Dedekind. A Munich, en hiver 1931, il assiste à un discours de Hitler dans une brasserie ("tête de professeur de gymnastique, mâchoires et pas de regard ; débit assez vigoureux, un certain talent de mime..." (p. 115). Catholique plutôt fervent, Cavaillès participe à des cérémonies religieuses. Il rend visite à Edmund Husserl, qui ne l'impressionne guère. Sa thèse terminée, il enseigne la philosophie au lycée d'Amiens. Ensuite, c'est la défaite, et, pour lui, la Résistance. Il ira à Londres, y rencontrera Raymond Aron et le général De Gaulle...
Voici un livre touchant qui donne à voir un vrai philosophe qui passe vraiment à l'acte.

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