lundi 10 mars 2008

Internet, média performatif

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Les annonceurs et les éditeurs australiens réclament des investissements (10 millions de dollars) pour que soit établie une mesure permettant à Internet d’être sur un pied d’égalité avec les médias traditionnels, TV, presse, notamment. Internet est selon eux sous-investi : 10% de part de marché publicitaire contre 18% de part de durée média (« share of media time and our share of advertising revenue »). C’est l’occasion d’introduire un peu de doute à propos des usages de la durée par le marketing des médias. La durée est une notion ineffectuable pour comparer des médias hétérogènes.
  • Lire un journal et passer devant une affiche ne relèvent pas de la même activité psychique, pas plus que regarder la télévision ou passer devant un écran dans un centre commercial, entendre et écouter la radio, etc. Avec une mesure aussi floue, le journal ou Internet perdront toujours au jeu de la part de durée. La durée n’est pas le dénominateur commun des médias. Ou alors il faut au moins lui associer un coefficient correcteur pour prendre en compte l’attention.
  • Comment traiter la dimension multitâche de la consommation médias ? Des durées simultanées peuvent être inégales. Par exemple : écouter la radio en travaillant sur Internet. Les deux médias font l’objet d’investissements d’attention différents de la part des auditeurs internautes. Pour la radio, il s’agit d’un fond de tâche, pour Internet, d’une tâche.
  • La durée est une donnée ambiguë. Par exemple, la durée d'écoute d'un auditeur en compagnie d’une station musicale indique une affinité avec la programmation de la station : elle situe approximativement l’intérêt de l’auditeur. En revanche, sur un site transactionnel, brièveté peut signifier efficacité. La notion de stickyness (cf. taux d’assiduité, DEA) peut être un indicateur fallacieux et celle de bounce rate sans pertinence. La durée passée sur un site n’a de sens que mise en rapport avec la transaction, la conversion (jusqu’où, quel montant, etc.). La durée moyenne de la conversion est alors un indicateur d’efficacité du site (usability), de sa conception, de ses ergonomies. Un site d’information ou de commerce qui améliore son design voit sa durée d’usage par internaute diminuer. La durée, en revanche, est pertinente pour des sites comme YouTube qui font de la TV.
  • On ne mélange pas des occasions de voir ou d’entendre avec des occasions de faire. Il y a des publicités d’accompagnement et des publicités d’action (d’inter-action). Ne les confondons pas dans une nuit de la mesure où toutes les vaches sont noires. Souvent ce qui importe pour un annonceur, ce n’est ni l’audience ni la durée, mais l’accomplissement d’une transaction.
En avril 2001, l’IAB a décidé de changer son nom, substituant Interactif à Internet pour se distinguer des autres médias. En effet, quel média publicitaire est aujourd’hui interactif, quel média permet de passer im-médiatement d’une information à une action (recommander, acheter, demander, comparer, dénoncer, vendre, voter, faire passer, opiner, "like", etc.) ? 
Puisque l’on se complaît à classer les médias, déjà séparés arbitrairement du vaste « hors médias », empruntons aux linguistes la notion de performatifs pour qualifier des médias dont la consommation est de l’ordre du faire et les distinguer des médias inactifs (constatifs, diraient les mêmes linguistes !), dont le faire éventuel s’exécute hors média. Les premiers ont des acteurs, les autres des spectateurs, des passants, des auditeurs. Internet, immobile ou mobile, a aussi des spectateurs et des passants, mais c’est le seul média qui ait des acteurs. D'ailleurs, quand les médias traditionnels veulent se faire inter-actifs, ils se développent sur le Web ou sur des écrans mobiles (multiscrentasking).
On peut en débattre car, manifestement, il n’y a pas consensus sur le rôle de la durée dans la mesure (cf. les modifications introduites récemment par comScore) ; deux points sont susceptibles de faire achoppement :
· Internet (dont l’Internet mobile) est-il aujourd’hui le seul média inter-actif ?
· Que faire de la notion de durée dans les médias ? Quand, à quelles conditions présente-t-elle un intérêt ? N'est-elle qu'un pis-aller, un plus petit commun dénominateur de tous les médias.

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Je pense qu'Internet n'est pas le seul média interactif. De plus, Internet se consomme aussi de manière inactive: lorsque l'utilisateur passe une heure sur YouTube, n'est-ce pas du zapping? L'interactivité n'est pas un simple choix de consultation, c'est une démarche, une partie prenante du consommateur qui met une part de lui-même dans le message, c'est un enrichissement d'un message.
L'utilisation d'un téléphone portable s'effectue peut-être plus de manière interactive : on s'envoie des SMS, on le fait suivre à ses contacts, le rapport au temps est dans la simultanéité. Les photos prises par son téléphone sont envoyées immédiatement : quel autre produit peut le faire?
Sansan

Simona Candrian a dit…

La publicité interactive peut avoir un grand effet, mais je ne connais pas beaucoup qui ont réussis d’être vraiment bien. Une que je connais, qui l’a fait d’une manière magnifique et celle-là : http://youtu.be/4ba1BqJ4S2M Pour une publicité, la interaction provoquée est supérieur de la moyenne et avec grande valeur pour la marque Tipp-Ex. Avec ce « jeu » on peut passer beaucoup de temps, ici une longue durée est un indicateur positif. Pour les médias qui veulent donner des informations effectivement, une courte durée est souhaitable. Et pour les médias qui veulent transmettre une atmosphère et un image spécifique c’est la longue durée.