Le mois de mai, aux Etats-Unis, est le mois de la vente en avance de l’espace publicitaire national de la télévision (upfront market) . Les trois quarts de l’espace publicitaire des chaînes sont vendus à cette occasion, le reste étant vendu par trimestre (scatter market). Les grandes chaînes terrestres (networks : ABC, CBS, FOX, NBC, Univision principalement) qui ne vivent que de publicité mais aussi les dizaines de chaînes thématiques payantes (pay TV : MTV, NFL, History, A&E, ESPN, CNN, Fox News, Bravo, etc.) exposent leurs programmes et leurs produits publicitaires. Marché américain de 10 milliards de dollars, où se joue l’avenir des "House", "Desperate Housewives", "Grey ‘s Anatomy", "Ugly Betty" et de leurs successeurs. Donc marché au retentissement mondial. Marché suivi attentivement par les analystes financiers.
Cette année le marché vibre des répercussions de la grande grève des scénaristes de l’hiver (cf. notre post du 12 février), mais il esquisse aussi les grandes lignes de la télévision de l’ère numérique : car l’an prochain, le 17 février, toute la télévision terrestre américaine grand public aura accompli son digital switchover et sera numérique, à l’exception des toutes petites stations (Low Power TV -LPTV).
L’effet de la grève aura surdéterminé les contradictions de cette télévision en mutation, provoquant une sorte de laïcisation, de banalisation du média. A noter :
- Régies télévision au train de vie plus modeste : moins de dépenses somptuaires pour présenter les programmes aux annonceurs et agences média ("no hoopla”).
- Gestion plus serrée : moins de pilotes tournés pour donner à voir les grilles nouvelles.
- Marché élargi à tous les supports de la télévision grand public qui prend en compte, en amont, avec Internet tous les autres supports de distribution : téléphonie mobile, VOD out-of-home (inégalement, important pour CBS, inexistant pour Fox). Victoire des grévistes qui réclamaient le paiement de TOUS les droits numériques
- Marché uniforme. Voici la Grande Année télévisuelle : d’une année de 9 mois, la télévision passe à une année entière. Fini l’été télévisuel avec ses rediffusions (reruns) et ses audiences médiocres. On en rêvait depuis 20 ans !
- Moins de pub, mieux évaluée ? Fox annonce un test d’émissions plus longues (passant de 44 à 50 mn) avec deux fois moins de publicité, pour favoriser ainsi une TV sans télécommande ("Remote Free TV") . ABC (groupe Disney) propose un “Advertising Value Index”, indice composite de 25 critères pour évaluer l'engagement et les réponses émotionnelles à la publicité multiplateforme. ESPN (groupe Disney) a mis en oeuvre des recherches sur l'efficacité publicitaire et le comportement interactif des téléspectateurs.
- La télévision sur Internet souffre d'un déficit lancinant de création (on repasse souvent les mêmes créa sur le net que pour les grands écrans). Après les innovations technologiques, il est temps de passer à des créations originales, à des formats adéquats aux suports, qu'il s'agisse de publicité ou d'émissions.
A retenir pour la France ?
- Cessons d’identifier la télévision à son mode de distribution terrestre et prenons en compte tous ses supports, toutes les réceptions, tous ses publics.
- La multiplication des modes de distribution et de réception constitue un défi pour ce marché : comment mesurer et additionner à temps toutes ces audiences disparates.
- L'été est-il encore une saison télévisuelle à part ?
- Vendre, acheter de la publicité TV pose d'abord un problème stratégique. Au coeur des décisions : comment orchestrer le rôle de la TV dans un concert publicitaire que domine la culture Internet ?