La pente de la presse, récemment, c'est de passer au numérique, corps et biens. Sans trop savoir : oeuvre de Panurge ? Suivre sa pente, pourvu que ce soit en la remontant, recommandait un héros de Gide. Nonfiction.fr suit cette maxime ; c'est un site consacré aux ouvrages récemment publiés : sciences sociales ou humaines, art, philosophie. Tout sauf la fiction ? Presque, car le site ne couvre ni le jardinage, ni le bricolage, ni la cuisine, ni la santé, ni les loisirs créatifs ou numériques. Qui comptent pour une part importante du chiffre d'affaires de l'édition.
Ce titre en ligne, pour son premier anniversaire, s'offre une version papier dans les points de vente (20 000 exemplaires, selon les MLP qui le distribuent. N.B. : sans loi Bichet, il serait mort né). Cet éditeur fait à rebours le chemin de ses concurrents qui commencèrent leur vie dans le papier, pour passer, non sans mal, sur Internet. Rythme trimestriel ; en ligne, il est quotidien, 4,9 € le numéro. Quadri, bon grammage, 100 pages, agréable à feuilleter et à lire. Belle maquette.
Le contenu ? L'objectif de donner envie de lire, d'éveiller la curiosité, d'informer de la parution de nouveaux ouvrages est partiellement atteint. A mon avis, trop de politique politicienne (on a déjà tout entendu, jusqu'à la nausée), impression parfois de communiqués de presse des "piètres penseurs", toujours les mêmes... On attend d'un tel magazine un positionnement plus rare, moins "microcosme", pas news du tout, différenciant... Exemple, la place exceptionnellement raisonnable accordée à la Chine (3 articles), à François Jullien et Anne Cheng (mais on aimerait aller plus loin).
Peu d'annonceurs pour ce premier numéro : Allocine en quatre de couv, Radio France en 3 (pour les émissions sur les livres), les Editions du Félin en 2 ; à l'intérieur, quelques publicités pour une librairie (Mollat, Bordeaux, le magazine L'Histoire, evene.fr, un site sur l'art, Philosophie Magazine, donc des annonceurs captifs, principalement. Médiaplanning tautologique, conservateur par défaut. Quand même, ni Amazon, ni Gallimard, ni Hachette, ni chapitre.com ... Espace mal vendu ou mal acheté ? Pourtant, c'est dans une revue comme celle-ci que la publicité devrait évoquer les automobiles, les parfums, les montres, les vacances, les ordinateurs ... Evidemment, si l'on ne conçoit les plans médias qu'à partir des données en "bécanes" (AEPM ou OJD) dans les agences média, aucune chance. Car un titre nouveau n'y est pas, restant invisible aux repèrages du marché, aux médiaplanners... En revanche, on apprendrait du site Internet et de ses analytiques (mais je doute que Google Analytics y suffise) ... Associer la régie du papier à celle du site ? Pourquoi pas, même combat de l'affinité, de la long tail ? Transferts d'outils. A étudier ...
600 "rédacteurs", annonce le magazine pour le site. Quel est leur statut ? Journalistes ? "Jeunes chercheurs, journalistes, militants politiques, syndicaux et associatifs et créateurs de sites Internet" dit la présentation au-dessus de l'ours. On n'est pas loin d'une sorte de crowd sourcing restreint... Intéressant.
Alors que les grands prédicants déclarent la presse papier condamnée, le mouvement à rebours de NonFiction.fr suscite l'intérêt. Tentation du modèle mixte ? Oracom prend des riques : pourquoi pas ? Spécialisé dans la presse des télécoms et du numérique (plus d'une douzaine de titres), l'éditeur a l'habitude des esssais et erreurs ... Voici une contribution en acte aux Etats généraux de la presse écrite !
Même si l'on redoute une diminution des ventes de livres et le basculement éventuel des lectures sur suppports électroniques, le modèle économique mixte attire les magazines consacrés aux livres, chacun visant son segment particulier : la non-fiction, "l'actualité par les livres du monde" (Books Mag), les romans (Service Littéraire, "le magazine des écrivains fait par les écrivains" consacré aux romans et qui se veut un "Canard Enchaîné culturel") ... pour ne citer que les très récents.
En suivant ces innovations hardies, à contre-courant, on pense à cette remarque de Stendhal dans Le Rouge et le Noir (II, XI), digne de Mandelbrot : "Quelle est la grande action qui ne soit pas un extrême au moment où on l'entreprend ? C'est quand elle est accomplie qu'elle semble possible aux êtres du commun." En gestion, seul le réalisé prouve le possible ; le non réalisé ne prouve rien, et surout pas l'impossible. Donc, suivons l'avenir de cette initiative.