Revenons sur l'affrontement entre les deux principaux moteurs de recherche mondiaux, Google et Baidu, sur le marché chinois (cf. notre post du 19 juillet 2008 sur Baidu et l'exception culturelle). C'est la bataille culturelle de ce début de siècle : elle concerne la partie la plus sensible et la plus universelle de la culture vivante : la langue et les mots.
Quelle est la situation ? En Chine, premier pays du monde pour le nombre d'internautes, Google a capté une part des recherches supérieure à 25%, loin derrière Baidu, un moteur chinois qui en détient 65% (sources : Analysys, China IntelliConsulting, iResearch) ; un duopole s'est constitué, ne laissant que des miettes à Sohu (搜狐) et Yahoo! (dont la part était pourtant de 21% en 2005).
La part de marché de Google est certes plus élevée que sa part de recherches, mais, pour 90% des Chinois, Baidu reste le moteur de premier choix. La marque Baidu bénéficie d'une meilleure notoriété spontanée que Google (malgré une réputation altérée par diverses illégalités, corrigées). L'existence d'une concurrence semble profitable au consommateur chinois.
En Chine, les moteurs de recherche recourent aux médias traditionnels pour renforcer leur image, ne comptant pas seulement sur le bouche à oreilles : Baidu a lancé une grande campagne TV en fin d'année, qui s'est révélée efficace. Google, de son côté, a déjà recouru à une campagne dans le métro pour populariser sa nouvelle et ultracourte adresse : g.com.
L'histoire de Google en Chine témoigne de l'importance de la localisation. Symbolique, le nom chinois de Google : nom constitué selon les règles usuelles de sinisation, phonétique et sémantique (Gu - 谷 céréales - Ge 歌 chant, soit le "chant des moissons"). Soumission ostentatoire à la langue chinoise.
Pour survivre et obtenir une licence (juillet 2007), Google s'est plié aux lois locales, entre autres sur le filtrage de certains mots, pour des raisons de politique intérieure chinoise.
Comme Baidu, Google a pris pied dans les contenus, au moyen d'acquisitions et partenariats : Tianya Wenda (天涯问答, sorte de "comment ça marche"), Kingsoft Ciba (词霸, "le maître des mots", logiciel de traduction automatique anglais vers le chinois simplifié), Top100.cn (巨鲸音乐网, téléchargement musical), Chunyun ditu (春运 地图, itinéraires avec Google Maps pour les déplacements au moment de la Fête du printemps, mais aussi lors des tempêtes de neige et tremblements de terre), etc. Partenariat avec Sina aussi. Comme ses concurrents, Google a développé une méthode de saisie du chinois en pinyin (IME,Input Method Editor, 谷歌拼音输入法), pour laquelle on l'a accusé de plagier Sohu, plagiat reconnu par Google qui s'est excusé.
Google réussit d'autant mieux en Chine qu'il est moins américain, qu'il se sinise, colle au plus près de la vie quotidienne chinoise. La Chine a dompté Google et Google a sans doute beaucoup appris dans cette mutation. Que l'on se souvienne des Jésuites envoyés convertir la Chine au XVIème siècle, le pape les rappela : ils devenaient confucéens !
Pour s'en sortir et se siniser, Google.cn a dû s'émanciper un peu de sa tutelle californienne. Comment gérer depuis la Californie une entreprise qui s'établit en Chine ! On dit que ce type de rigidité expliquerait aussi l'échec en Chine de Yahoo!, eBay, MySpace, Facebook et d'autres. Etre global et local ? Pas si simple. Le pragmatisme nécessaire au front s'accomode mal des grands principes concoctés à l'arrière.
Pourquoi n'a-t-on pu suivre cette voie en Europe, et en France surtout où l'on parle tant de défense de la langue française, de la francophonie, d'exception culturelle. All talk, no action.
谢谢, 岚
2 commentaires:
分析的很透彻,这个博客非常好
(pinyin:fēn xi de hěn tòu chè, zhè ge bó kè fēi cháng hǎo)
une analyse bien claire, ce blog est excellent :-)
Depuis ce post, Google ne s'est pas bien intégré en Chine. En effet, aux dernières nouvelles, la messagerie Gmail de Google est mise en difficulté par la Chine depuis juin. Gmail est désormais inaccessible depuis tout type de support.
Une nouvelle étape dans la « censure » visant à expulser le moteur de recherche du pays.
Depuis le 26 décembre, la grande muraille pare-feu de la Chine a commencé à bloquer un grand nombre d'adresses IP utilisées par Gmail.
Il s'agit d'un nouveau cran dans l'offensive mené contre Google, qui a fermé ses bureaux en Chine en 2011, après avoir refusé de coopérer avec les autorités du pays.
#thierry226
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