OKAPI, 100% ado, 5,2 €, bimestriel, éditions Bayard, 52 pages
Facebook a banalisé un mode d'exposition auprès d'une partie de la population française, et notamment des plus jeunes. Aussi, s'adressant à de jeunes adolescents (cible déclarée par le titre : 10-15 ans), il peut paraît raisonnable et efficace (ou démagogique) pour un magazine d'éveil de traiter un personnage historique comme si le lecteur était son ami sur le réseau social dominant.
François 1er aurait donc eu 10 000 amis. Sa vie privée est "compliquée". Sa timeline semble simple. Quelles traces aurait-t-il laissées sur Facebook ?
- Il dialogue avec son fils, sa soeur, avec le pape, avec Jacques Cartier qui colonise le Canada sans y trouver d'or (ce qui déçoit le Roi qui, comme l'Espagne, compte sur des colonies pour financer ses guerres). Cartier publi une image de lui-même posant avec des Iroquois qui l'accompagneront en France où certains se marieront.
- Il fait de la langue française la langue officielle du royaume (à la place du latin) ; il met en place le dépôt légal.
- La liste de ses amis est longue et brillante : des savants et artistes comme François Rabelais, Guillaume Budé qui lui suggère de fonder ce qui deviendra le Collège de France ("docet omnia" - tout enseigner, en commençant par le grec et l'hébreu), des princes, des jeunes femmes (c'est vraiment "très compliqué"), le sultan Soliman, son allié contre leur ennemi commun, Charles Quint. Mais où est Clément Marot ?
- La publicité est lourdement présente : pour un emprunt d'Etat (les finances de l'Etat vont mal), un bijoutier, les voyages, des cartes officielles du royaume, une imprimerie, des livres, un tapissier...
- Le Roi "aime" ("like") les arts italiens, la chasse, la musique de luth, le jeu de paume et les châteaux... Il aime la poésie ; on lui doit des vers émouvants : "Malgré moi vis, et en vivant je meurs ; de jour en jour s'augmentent mes douleurs...". Il publie l'image de l'un des tableaux qu'il préfère, "La Joconde"... François 1er a de l'avenir dans sa timeline !
Un travail plus ambitieux au plan des contenus consisterait à analyser le réseau social de François 1er avec des outils de la théorie des graphes, comme ont pu le faire certains chercheurs à propos d'oeuvres comme L'Iliade. On passerait alors du réseau social comme procès d'exposition au réseau social comme procès de recherche. Et si l'on produisait un Facebook du passé, à partir des travaux des historiens ? Osons admettre qu'une didactique nouvelle peut émerger des outils et de la culture numériques. L'enseignement de l'histoire ne peut qu'y gagner en efficacité.
Cet exemple indique combien les outils numériques inculquent insensiblement des manières de percevoir et concevoir le monde (et son propre monde), de s'exprimer aussi (habitus). Facebook s'avère un outil dynamique de classement et d'organisation de la pensée au même titre qu'un moteur de recherche (cf. "res googlans").
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