Le hoodie de Mark Zuckerberg restera l'emblème de l'entrée de Facebook au NASDAQ. On attendait du fondateur qu'il mît costume sur mesure, avec cravate et chaussettes assorties. Ce fut son habituel hoodie, sweat shirt avec capuche, sa signature : "signature hoodie". Lors de la cérémonie d'entrée en bourse, le CEO du NASDAQ offrira un hoodie à Mark Zuckerberg.
Dans ce hoodie, on a dénoncé un manque de déférence envers les acteurs du théâtre financier. Mark Zuckerberg ne jouerait pas le jeu comme il faut : son costume ne serait pas celui qui convient aux décors, à la situation. "Immaturité", stigmatise un "homme de finance". Interviewé par Bloomberg TV, un analyste déclare : "Je pense qu'il lui faut montrer aux investisseurs le respect qu'ils méritent parce qu'il leur demande leur argent" (texte en anglais ci-dessous). Rappelons que Zuckerberg a porté cravate pour rencontrer des Présidents (Etats-Unis, France). Le port du hoodie est un acte délibéré de communication.
Dans cette sémiologie vestimentaire, le hoodie symbolise l'écart entre la culture des ingénieurs, des développeurs, geeks et jeunes entrepreneurs, d'une part - Zuckerberg cumule plusieurs titres de noblesse de ce champ - et la culture des financiers, d'autre part. Folklore et réalité des startups, situation qui confronte des socialisations, des légitimités, des conformismes. Querelle de Modernes et d'Anciens. Déjà Google, dans son manifeste des premières années, revendiquait d'être "sérieux sans costume" ("You can be serious without a suit").
Pourquoi tant de bruit pour un simple hoodie ?
L'allure révérencieuse à quoi s'attend spontanément l'analyste, c'est le fameux obsequium spinoziste : "obéissance" et propension à suivre (sequi) les règles tacites du jeu social. "Volonté constante" qui est soumission par défaut, insensible, involontaire (à la différence de l'obséquiosité, ostentation, qui en fait trop). Savoir-vivre inculqué qui fait savoir rester à sa place et avoir le sens pratique de son placement. Alexandre Matheron, commentant le texte de Spinoza, voit dans l'obsequium "l'ultime résultat du conditionnement par lequel l'Etat nous façonne à son usage et qui lui permet de se conserver", le degré zéro de l'habitus, en somme. Pierre Bourdieu y soupçonne les bases du respect sacré de l'ordre social, "sacré qui se glisse dans des riens". Le hoodie fait voir, précipite ce sacré qu'un rien irrite.
En fait, le hoodie de Mark Zuckerberg traduit la phrase clef de sa lettre aux futurs actionnaires de Facebook, maxime qui désarçonna certains "hommes de finance" : "Nous ne réalisons pas des services pour gagner de l'argent, nous gagnons de l'argent pour réaliser de meilleurs services.”
Mise à jour 17 août 2012
Alors que The Los Angeles Times évoque les difficultés boursières de Facebook, revient la critique du style de Mark Zuckerberg par certains analystes. Occasion de trahir une antipathie condescendante pour Mark Zuckerberg (l'article ne dit pas ce qu'a créé ou inventé cet arbitre de la "corporate etiquette") :
"Zuckerberg's indifference to traditional corporate etiquette — he wore sneakers and his trademark hoodie for Facebook's first big investor meeting — is viewed as disrespectful of the corporate world he needs to win over.
"His behavior is what I would expect of someone his age — the hoodies and everything else," said Chris Whalen, senior managing director at Tangent Capital Partners in New York. "He's trying to appeal to his audience instead of being responsible to his investors. His job now is to run the company."
Sur le style de Facebook, voir l'ouvrage de Katherine Losse, The Boys King. A Journey into the Heart of the Social Network, 2012
Mise à jour 20 août 20124
En août 2014, la question de l'étiquette des ingénieurs du numérique revient avec la nomination de Mikey Dickerson à la tête du US Digital Service.
Références
Michael Pachter, analyste pour Wedbush Securities (cf. supra : vidéo de l'interview) :
“I think that’s a mark of immaturity. I think that he has to realize he’s bringing investors in as a new constituency right now, and I think he’s got to show them the respect that they deserve because he’s asking them for their money.”Mark Zuckerberg's Letter to Prospective Facebook Investors, Forbes, Feb. 1, 2012. "We don’t build services to make money; we make money to build better services".
Henry Blodget, "The Maturation of the billionaire Boy-Man", New York Magazine, May 6, 2012
Brent Lang, in The Wrap, "Among the Facebook founder's perceived sins were his decision to wear a hoodie and keep audience-members waiting while he went to the bathroom. At 28, Zuckerberg is a technological wunderkind, but he's more accustomed to the looser Silicon Valley zeitgeist than he is with the more buttoned-up style of Wall Street".
Spinoza, Traité politique, II, 19. (1675 ; PUF, 2005, p. 108-109).
"Obsequium autem est constans voluntas id exequendi, quod jure bonum est et ex communi decreto fieri debet". Traduction de Charles Ramond : "Tandis que "l'obéissance est la volonté constante d'accomplir ce qui est bon selon le droit et doit être fait selon le décret commun". Brent Lang (cf. supra) rappelle que le hoodie a été considéré comme un "péché" ("perceived sin") : à l'obsequium (II, 19. "peccatum est..."), Spinoza oppose le "péché"comme désobéissance...
Alexandre Matheron, Individu et communauté chez Spinoza, nouvelle édition, 1988, Editions de Minuit, p. 349. Bibliogr, Index.
Pierre Bourdieu, Sur l'Etat. Cours au Collège de France 1989-1992, Paris, 2012, Seuil, Bibliogr., Index.
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12 commentaires:
La tenue vestimentaire de Marc Zuckerberg est certes provocatrice, mais ceci ne fait-il pas partie du personnage ?
J'admets que ce type de comportement est quelque peu immature et irrespectueux vis à vis des investisseurs. Cependant Marc Zuckerberg peut largement se le permettre étant donné sa position. C'est à lui de savoir jouer et doser ces apparitions en hoodie. S'il est aussi bon manager qu'il le laisse entendre, il saura en quelle circonstance adapter sa tenue vestimentaire.
La fraîcheur de Zuckerberg est un exemple à suivre selon moi! Il s'agit surtout de provocation mais après tout pourquoi pas?
Facebook ne peut fonctionner que si les utilisateurs font confiance à ce site et continuent à lui fournir des données personnelles.
Face à un évènement aussi marquant que l'IPO, Mark Zuckerberg se devait de montrer sa différence par rapport aux "financiers de Wall Street".
Il valait bien mieux froisser quelques personnes du NASDAQ qu'effrayer 900 millions d'utilisateurs.
Enfin ce hoodie n'est quand même pas si provoquant et fait même plutôt penser à une pâle copie de Steve Jobs.
On fait donc tout un buzz (très calculé) de peu de chose
Le hoodie est un symbole qui montre que la logique facebook ne va pas se perdre malgré l'IPO. Certains analystes financier ont même déclaré qu'investir dans Facebook c'est prendre une position sur Mark Zuckerberg.
Je ne vois pas cela comme une manque de respect mais plutôt comme une frontière. Il ne va pas jouer au financier car ce n'est pas son rôle et n'est pas formé pour ça!!! A la rigueur ceci pourrait même rassurer les investisseurs potentiel sur une stabilité de l'orientation stratégique!
Le hoodie n'est peut être que le symbole de la révolution 2.0 qui pourrait être en marche, révolution qui comme toute celles qui l'ont précédé change les habitus et qui fait forcément peur à l'ancienne garde. Zuckerberg ne leur manque pas de respect, il s'émancipe de cet ancien monde et Wall Street ne se sent pas outrée mais menacée par ces codes qu'elle n'a pas encore acquis. Ceci n'est peut être pas autant une erreur qu'une prise de position.
I do not think it's immaturity or incivility,but just to let them talk and he do it!
His hood is not a problem, but the real problem is the listed on stock exchange of a social network.
The men in black should be shocked about what will happen (or that it already happened)
and not for the outfit of a twenty-seven year old.
Meiner Meinung nach ist es nur konsequent, dass Zuckerberg keinen Anzug trug (überraschenderweise tat er es dann doch als er den Präsidenten traf und als er heiratete).
Erfrischend, dass da mal einer aus der Reihe tanzt und nicht im schwarzen Anzug aufkreuzt.
Die Non-verbale Kommunikation macht deutlich klar, wer das sagen hat und wer sich die Freiheiten rausnehmen kann, das zu tun was er will.
Sans être fan de Zuckerberg, la question du respect n’entre pas en ligne de compte devant le fric que ces investisseurs vont gagner grâce à l’homme en hoodie. Il ne faut pas renverser les rôles et si Zuckie n’avait pas construit l’empire facebook, même en 3 pièces, il ne serait pas reçu par ces investisseurs.
Arslan Unifr
J'ai tout de même l'impression que le hoodie n'est que la pointe de l'iceberg.
La vraie fronde et l'entubage de première a été l'IPO elle-même. D'une certaine manière, la côté Ouest a volé les "voleurs" de Wall Street en jouant leur propre jeu. La dégringolade de la cote de FB en bourse (la moitié de sa valeur depuis le lancement) montre tout simplement que les premiers acheteurs en bourse (les gens de Wall Street) se sont fait roulés dans la farine.
Je crois bien que le hoodie a une symbolique, mais dans le cas qui nous concerne, je me demande si l'IPO elle-même n'était pas plutôt la vraie fronde, puisqu'elle a servi a appâter les "greedies" spéculateurs de l'établishment.
Je n'approuve pas ce genre de manoeuvre pour autant, mais il me semble que le hoodie n'est que l'ombre et non la proie dans cette discussion...
Cette discussion montre à nouveau à quel point les apparences sont importantes, et qu'elles comptent même plus que le fond. Associer un pull à un immense manque de respect représente pour moi une exagération. Zuckerberg ne s'est pas non plus pointé à torse nu ou en habits sales. Et en plus, qui doit-il respecter dans l'histoire? Je rejoins Kad Ars dans son commentaire, Zuckerberg ne doit rien (ou presque) à personne. Les investisseurs vont (probablement) gagner plein d'argent grâce à lui et à ce qu'il a construit par lui-même. Ce sont donc plutôt eux qui devraient se montrer respectueux et accepter que Zuckerberg porte un hoodie. Sa tenue peut attirer l'attention et paraître bizarre pour certains, mais de là à y mêler le respect, il y a certainement un pas de trop.
Et si on pense à feu Steve Jobs, que portait-il lors des Keynotes? Un pull tout simple, un jeans et des baskets. C'est tout. Pas de costard, de chaussures cirées, de nœud papillon ni même de chemise. En plus de ne choquer personne, cela n'a pas empêché Apple d'atteindre un taux de croissance incroyable.
Alors laissons Zuckerberg dans son fameux hoodie (qui doit être beaucoup plus confortable que les chemises boutonnées jusqu'au col avec une cravate assortie) et intéressons-nous plutôt au contenu et aux faits importants.
Je me demande si Steve Jobs portait un costume sur-mesure le jour de l'entrée en bourse d'Apple ou s'il avait opté pour l'éternelle combo col roulé noir, jeans Levi's et baskets Nike?
Même question pour Sir R. Branson et Virgin, B. Gates et Microsoft, etc.
Autant de patrons sur le devant de la scène et qui sont parties intégrantes du succès de leurs entreprises et de leur personnalité.
Le hoodie de M.Z. n'est ni plus ni moins qu'une manière de dire à tous les financiers de Wall Street : "this is how I do business". L'homme a aussi été très rusé car il s'est payé un beau coup de com' gratis : aurait on autant parlé de l'introduction de Fb en bourse, sur autant de supports différents s'il s'était présenté à Wall Street en costume cravate? Sans doute pas. Au même titre que le style de nos politiques est systématiquement scruté à la loupe, celui des grands dirigeants de ce monde l'est aussi.
Le hoodie de Mark Zuckerberg semble intéressant sur plusieurs points. Tout d’abord sur la médiatisation du créateur de facebook et le processus de domination charismatique qui en résulte.
Si dans la plupart des inventions modernes, la création est le fruit d’équipes de chercheurs de grands laboratoires, Zuckerberg incarne à lui seul la marque et les valeurs de son entreprise. Sa personne intègre à elle seule tout un storytelling, qui est à la fois le fruit d’un processus socio-historique lié aux idées héritées de mai 68 mais aussi à une « cool-attitude », servant de lubrifiant économique pour les acteurs technologiques.
Cependant, même si dans ce cas la, « Le message c’est le Zuckerberg … », la domination dans l’asymétrie économique retrouve sa place dans les processus de distinction sociale et de domination symbolique.
Robert Linhart, dans l’Etabli, soulignait dans un passage l’importance du vêtement chez les ouvriers maghrébins. Alors même qu’ils passaient leurs journées dans la crasse et la poussière de fer, à la sortie de l’usine, ils s’empressaient de revêtir un costume afin de diffuser une posture d’homme d’affaires, de devenir respectable.
Si dans ces formes de résistances « par le bas », on assiste à une volonté de réintégrer les codes culturels légitimes, le hoodie de Zuckerberg est caractéristique d’une volonté de ne pas respecter les normes légitimes de domination symbolique. De fait, outre une personnification à outrance et un usage communicationnel d’une attitude, le créateur de facebook est caractéristique de nouvelles modalités d’action et de représentation des normes devant être légitimes ou non.
Depuis la crise économique et le dénigrement d’une finance irresponsable, les normes traditionnelles hégémoniques sont clairement remises en causes et les individus aspirent à plus de « sens ». Le conflit entre Zuckerberg et Wall Street, est entièrement caractéristique de deux conceptions, la posture de l’homme des services, classiques, et celle des digital natives, dont les aspirations, dans une période de crise et de « stagification des contrats »dépassent les seuls enjeux économiques.
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