Le Canard enchaîné rend des comptes à ses lecteurs. Transparence appréciable : la qualité de la gestion, le montant des bénéfices sont garants de l'indépendance éditoriale.
Pour 2013, les ventes ont chuté (16 %). Ce n'est pas le prix de vente au public qui est en cause puisque, depuis 23 ans, le prix de vente n'a pas changé (1,2 €). Alors ?
L'explication que propose l'hebdomadaire ressort de la politologie : « notre diffusion baisse – c'est ainsi – quand la gauche est au pouvoir ». D'après le P-DG du Canard, le déficit de lectorat proviendrait de la désertion de l'électorat des partis de gauche. Selon cette explication, l'électeur lecteur de gauche, partisan, bouderait le Canard, lui rapprochant de tenir un discours hostile aux partis qu'il a élus.
On pourrait ajouter deux autres hypothèses.
- D'abord, une hypothèse technique. L'insuffisance du réseau de distribution et un certain manque de souplesse et de réactivité dans la gestion de l'approvisionnement. Le réglage des services est insuffisant : souvent le Canard, publié le mercredi, est absent des points de vente avant la fin de la semaine. Le Canard, qui ne fait pas concurrence aux points de vente de Presstalis avec une distribution numérique plus ou moins gratuite, mériterait d'être mieux traité.
- Ensuite, d'un point de vue politologique, on pourrait renverser l'explication que donne Michel Gaillard (cf. document infra) : des partis de dits de gauche étant au pouvoir, le contenu du Canard deviendrait moins féroce, donc moins drôle et moins intéressant. Pas assez déchaîné, trop domestiqué le volatile ? Du coup, la partie du lectorat qui appartient à l'électorat de l'opposition, de gauche ou de droite, serait moins encline à acheter le Canard.
- « Le Canard, écrit M.G., ne tire ses ressources que de ses lecteurs ». Pas tout à fait : il y a une aide de 557 000 € (compensation pour tarif postal en 2013, Source : Ministère de la culture et de la communication). C'est bien peu, comparé à d'autres titres qui contribuent si faiblement au débat démocratique et au pluralisme mais empochent des millions. De plus, Le Canard enchaîné n'a aucun revenu publicitaire : il ne vend pas ses lecteurs à des annonceurs, ne tire aucun profit de son lectorat secondaire (faute d'études d'audience, on ne peut calculer le taux de circulation du titre ; le lectorat secondaire est sans doute égal au double ou au triple de sa diffusion payée, au moins). Journal unique par son modèle économique, son contenu et son rôle dans le débat politique.
- Le Canard a fait jusqu'à présent le pari stratégique du tout papier, renonçant à une distribution et une publication numériques (sauf les Unes). Des simulations de business plan sont-elles faites qui prendraient en compte une hypothèse numérique ? Une appli mobile payante est-elle, à terme, indispensable, ou pas ?
Le Canard enchaîné, 3 septembre 2014, p. 4 (M.G. = Michel Gaillard, P-DG de l'hebdomadaire) |
Références sur l'histoire du Canard enchaîné :
- La thèse de Laurent Martin, "Le Canard enchaîné ou les fortunes de la vertu. 1915-1981", Université de Paris 1.
- Son article dans la revue Vingtième siècle - Revue d'histoire, "Pourquoi lit-on le Canard enchaîné ?", 2000, N°68, pp. 43-54 (disponible ici)
- Le Canard enchaîné. 100 ans. Un siècle d'articles et de dessins. Avec "Le roman du Canard" par Patrick Rambaud, Paris, 2016, Seuil, 614 p.
4 commentaires:
C'est marrant, j'avais également envie d'écrire sur ce sujet mais n'en ai pas pris le temps. En fait, je suis d'accord avec leur analyse: lorsque la gauche gouverne, certaines pages sont un peu nunuches. Le Canard ne sait pas critiquer aussi férocement Najat que Nadine, François que Nicolas. Du coup, je ne rate aucune édition sous les gouvernements de droite, mais admet sauter quelques numéros sous ceux de gauche...
Il y a certes une baisse des ventes du Canard Enchaîné mais l’hebdo dispose d'un matelas confortable en ressources propres de 120 millions d'euros.
Dans le contexte de la crise de la presse, j'y vois l'opportunité d’investir pour développer sa présence sur la Toile afin d’attirer un lectorat plus diversifié notamment les jeunes et les technophiles.
Comme pour tous les autres titres de presse, la transition numérique est un enjeu majeur ; et si le Canard a jusqu’à maintenant refusé d’entrer dans l’arène prétextant que la création d’un site lui ferait perdre des sommes colossales, il pourrait néanmoins bénéficier du fonds Google pour l'innovation numérique de la presse.
Tout en gardant son essence, sa singularité et ses valeurs, il est tout à fait possible pour le journal de s’engager dans un nouveau modèle économique (ex : système d’abonnement sans pub).
De plus, comme vous l’avez noté, la présence du Canard Enchaîné sur internet favorisera le pluralisme politique sur cet espace médiatique.
Selon moi, le fait que la gauche soit actuellement au pouvoir y est pour peu dans la baisse des ventes. Je pense que celle-ci est plus intrinsèque à la rapidité de circulation de l’information. En effet, aujourd’hui, le web permet une information instantanée que le papier peut difficilement offrir. Le canard enchainé, en se démarquant une nouvelle fois, en refusant de se placer sur la toile perd ainsi du lectorat. Leur site ne propose actuellement que quelques informations pratiques... Ne seront-ils donc pas dans l’obligation de proposer une nouvelle offre pour faire face à une concurrence accrue, notamment celle de pure players dont la ligne éditoriale semble proche de la leur. L’offre numérique serait peut être ainsi une des issues pour faire repartir les ventes.
Il est évident que la non-présence du Canard en version numérique à joué et continue à jouer contre lui. Selon une étude Audipress datant de 2013, plus de 45% des français lisent la presse numérique. Et personne ne prendra de risque en disant que cette part ne pourra qu'augmenter dans les années à venir quand on voit à quelle vitesse les modes de consommation se portent vers le digital.
Le journal n'aura donc pas tellement le choix dans les années à venir si il veut maintenir ses ventes, même si ce type de publications conservent toujours son lectorat historique sur papier. Mais il faudra bientôt s'adapter aux nouvelles générations et la digitalisation du journal deviendra impérative pour sa survie. On ne peut que lui souhaiter, au nom de la liberté de la presse et d'expression, surtout dans le contexte actuel.
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