vendredi 20 février 2015

flow magazine ou le triomphe du papier


flow, pour l'amour du papier. Prisma Media (groupe Bertelsmann) a lancé en février 2015 un nouveau magazine sur le marché français. Vendu 6,95 €, bimestriel, il a été tiré à 160 000 exemplaires et compte 140 pages. Abonnement annnuel : 38 € (6€15 le numéro). En juin 2015, Prisma annonce 80 000 exemplaires vendus pour les 2 premiers numéros, dont 4 500 abonnements.

flow est déclaré "féminin" par l'éditeur. Il vise "les femmes de 35 à 50 ans, ouvertes d’esprit, positives, qui aiment la papeterie et la beauté des choses", selon les indications données à la distribution (Presstalis). Ciblage plutôt flou et c'est bien (l'analyse data dira l'écart entre le lectorat imaginé et le lectorat atteint). Le titre relève également, selon les taxonomies en cours dans la presse, de la catégorie des "loisirs créatifs".
  • Le modèle économique renvoie à une économie internationale de la presse : conception et recherche marketing (coûts fixes) sont amorties sur plusieurs marchés : Pays-Bas, France, Allemagne. Le concept a été mis au point aux Pays-Bas (groupe Sanoma). Une édition internationale est publiée en langue anglaise. Aux coûts fixes par numéro s'ajoutent des coûts de traduction (coûts variables). 
  • Publicité ? Un peu : Guerlain, Nuxe, Lancôme (4 de couverture). Promotion : des livres et un magazine des Editions Pisma. Et le shopping, format petites annonces avec adresse, photo ; carnet d'adresses en fin de magazine.
  • Le magazine comporte une forte présence numérique : tablettes, Web, Instagram, Facebook, Pinterest, Twitter.
  • La catégorie "loisirs créatifs" est féconde : en France, elle s'accroît d'une centaine de titres chaque année (nouveaux titres + hors séries) depuis 2005 (cf. infra, Base MM).
flow, c'est le triomphe du papier, des "amoureux du papier"

Le déclin du papier et de la papeterie s'accompagne d'un repositionnement. Bien sûr, les magazines ont une affinité naturelle avec les activités recourant au papier (patrons, carterie, décoration, cahiers, origami, coloriage). Si la modernité numérique lui substitue des écrans, cette modernité fait aussi de la papeterie un objet de luxe et de distinction, d'inutile beauté ; un même phénomène s'observe déjà avec la calligraphie et les outils d'écriture, porte-mine ou stylo à plume (cf. Le Stylographe, qui se veut "magazine de haute-écriture", lancé en 2002).
Par son aspect papier, flow se rapproche du scrapbooking : d'ailleurs, par exemple, le numéro de février de Passion Scrapbooking offre en cadeau "16 pages de papiers et étiquettes scrap". Voir aussi Passion Cartes Créatives (cf. le hors série de mars 2015 consacré au faire-part).

Nombre de titres nouveaux et de hors-série dans la catégorie "Loisirs créatifs"
2004-2014.  Source : Base MM (février 2015)
La partie éditoriale met l'accent sur une créativité personnelle d'apparence modeste, mise en œuvre à la maison, sans prétention ni frime, qu'il s'agisse de cuisine, de bricolage ou de crochet. Positionnement européen original que l'on peut rapprocher de Landlust en Allemagne.
flow connaît en Allemagne un grand succès que souligne et analyse l'hebdomadaire allemand Der Spiegel : "Magazin-Erfolg Flow".
La tonalité du magazine, son esthétique vont délibérément à contre-tendance. ("Flow wirkt wie ein Gegenentwurf zu modernen Medien", écrit Sebastian Hammelehle dans Der Spiegel). Le côté "loisirs créatifs" est parcouru comme un fil rouge par une interrogation lucide sur notre relation à la communication et aux technologies numériques : débrancher ? multitasking ? vitesse ? Les articles questionnent avec scepticisme les styles de consommations numériques : "L'instant plutôt que l'instantané", "Une chose après l'autre, SVP". On n'attend pas ces pages de philosophie, écrites à la manière d'Alain ("Les idées et les âges"), de H. D. Thoreau (Walden) ou de Tom Hodgkinson (cf. "Vivre autrement ? Quelle place pour le numérique ?").

flow pose de manière nouvelle - et implicite - la question de l'avenir de la presse. Si cet avenir semble presque exclusivement numérique pour l'information, il appartient certainement au papier pour les magazines de loisirs créatifs (cf. "Lire la presse, c'est faire : loisirs créatifs, déco, bricolage, cuisine",  "Loisirs créatifs : La Maison Victor, magazine professionalisant"). Ne perdons pas de vue que cette catégorie de titres représente près d'un cinquième de la nouveauté presse depuis dix ans, près de la moité si l'on y adjoint les magazines pour "faire" - et non seulement pour lire -consacrés à la cuisine, à la décoration, au jardinage et au bricolage.

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