Un conflit de retransmisssion (carriage dispute) entre un groupe de stations locales, Tribune Broadcasting, et un MVPD (AT&T U-verse / DirecTV) vient de s'achever. Un conflit semblable avait déjà opposé Tribune Boadcasting et DirecTV en 2012.
Rappelons d'abord ce qu'est-ce que un accord de retransmission (retrans-consent) ? Les stations sont rémunées par le câblo-opérateur qui les retransmet à ses abonnés. L'accord définit les modalités financière de retransmission, combien les câblo-opérateurs versent aux stations (aux groupes de stations).
Le groupe Tribune Broadcasting possède 39 stations. L'une est indépendante (à Oklahoma City) et 38 sont affiliées à l'un des grands networks : 14 à Fox, 12 à The CW, 5 à CBS, 2 à ABC, 2 à NBC.
Le groupe possède aussi WGN radio, Chicagoland TV (CLTV), la chaîne de télévision locale d'information de Chicago, et une chaîne pour le câble et le satellite, WGN America. Cette taille lui donne un pouvoir de négociation élevé pour les revenus de retransmission, ce qui explique pour partie l'augmentation de la concentration parmi les stations. Or le groupe Tribune avait les plus faibles revenus de retransmission par station, 25 cents par foyer TV alors que certains groupes obtenaient 1 dollar.
L'accord global de retransmission (retransmission-consent) a été obtenu sans recourir au conflit recourant au chantage aux téléspectateurs (channel blackout) ; l'accord concerne, pour plusieurs années, la chaîne WGN America et les stations locales du groupe Tribune Broadcasting, d'une part, et U-verse (AT&T) et DirecTV que AT&T vient de racheter (26 millions d'abonnés, au total), d'autre part. Bien sûr, on ne connaît pas les termes de l'accord.
Pour l'instant, l'augmentation des revenus des retransmissions compense largement l'affaiblissement des revenus publicitaires des networks. Les retransmissions représentent une part importante des revenus annuels des networks américains (3,2 milliards de $), la vente d'espace publicitaire représentant 14 milliards. Or on dit que cette dernière pourrait bientôt stagner (érosion et vieillissement des audiences) ; de leur côté, les MVPD sont peu enclins à payer davantage de droits de retransmission qu'ils ont du mal à faire supporter par un nombre décroissant d'abonnés (il leur est difficile d'augmenter les prix de l'abonnement). Si ces deux tendances se confirmaient, érosion de l'audience des networks, diminution du nombre des abonnés, tout l'édifice complexe et fragile de l'économie de la télévision amériaine serait menacé.
Quelles solutions ? Elles pourraient venir de la diffusion OTT des chaînes qui apporte des revenus (abonnement et ou publicité) qui ne sont pas grevés de coûts de retransmissions. Les networks pourraient être également tentés par l'extension de reverse compensation. Dans ce cas, les stations paient pour leur affiliation, ce qui peut être perçu comme la volonté des networks de bénéficier d'une partie des revenus de retransmissions de leurs affiliées (les networks perçoivent aussi les revenus de retransmission obtenues par leurs propres stations, O&O).
- Sur le même sujet, voir Stations contre réseaux de distribution (MVPD).
2 commentaires:
M; Mariet,
De ce que j'ai pu comprendre de cet article, vous pensez que le retransmission consent (à savoir, l'accord entre câblo-opérateurs et MVPD d'une part et grands networks d'autre part de diffuser le contenus de ces derniers) est "l'équilibre de la télévision". Or, le contexte actuel (chute des abonnements, vieillissement de la population et nouveaux usages) converge vers une inefficacité de ce paradigme économique dans l'avenir.
Certes, "l'augmentation des revenus des retransmissions compense largement l'affaiblissement des revenus publicitaires des networks" actuellement mais je ne vois pas comment cet écosystème est "équilibré". Ne serait-ce les jeux de pouvoirs entre stations et MPVD (comme c'est le cas entre Tegna et Dish Network) qui sont au détriment du droit du consommateur à regarder un programme pour lequel il paye (channel blackout).
Dans votre article, vous dites que l'accord entre Tribune Broadcasting et AT&T U-verse / DirecTV s'est fait sans ce chantage, ce qui est bien, mais ceci souligne la place fragile du téléspectateur dans les relations conflictuelles en amont de la télévision américaine. A mon avis, c'est pour cela qu'ils se tournent vers la consommation de programme via la diffusion OTT : le téléspectateur est roi.
Si la solution du problème conjoncturel actuel (baisse des abonnements et le côté "has been" de la tv linéaire traditionnelle) est de "taxer" les revenus venant de la diffusion OTT des chaînes, d'autres solutions viendront pour encore contourner le système. De ce que j'ai pu comprendre du marché américaine des médias télévisuels, il s'agit d'un écosystème fragile et difficilement adaptable avec l'avènement de l'internet. En effet, ces accords entre diffuseurs sont longs et la vitesse des solutions issues du digital sont plus intéressantes pour le téléspectateurs.
L'autre solution, l'extension du reverse compensation par les networks sur leurs affiliées est pour moi inenvisageable puisque leur modèle économique est intéressant et renforce l'importance du local dans le marché américain des médias.
Ainsi, l'"équilibre de la télévision américaine" est loin d'être atteint avec l'arrivée de nouveaux entrant et l'écosystème complexe de ce marché.
Sophie Munck
Merci Sophie pour cette intervention qui éclaire et enrichit le problème posé.
Le titre de mon post est confus voire maladroit. Je le change donc, suivant notre discussion : "l'équilibre local". Ajoutons que l'équilibre est provisoire (les accords de retrans-consent sont de l'ordre de 3 ans). Voyons, à la lumière des futures négociations MPVD / stations, comment la situation évolue et se précise...
Les networks commencent à diffuser OTT (cf. le post de janvier 2015, "OTT everywhere. A media paradigm shift?", mis à jour), ce qui conforte votre point de vue.
Indiscutablement, le localisme de la télévision américaine - qui est un parti pris politique - est au coeur de son modèle économique actuel. C'est la limite du raisonnement économique.
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