Passons en revue quelques-uns des mouvements récents affectant le monde de la mesure des audiences aux Etats Unis. Mouvements à lire dans la perspective de mesures multi-plateformes, multi-écrans et d'un ciblage fondé sur des données plus que sur des émissions. Un nouvelle notion apparaît, celle de "targetability" (ciblabilité ?).
La question qui domine les débats : la télévision est-elle handicapée par des outils de mesure en retard sur l'équipement et les pratiques des téléspectateurs ? Peut-on continuer de rafistoler les mesures anciennes ou faut-il tout reprendre à zéro ?
La télévision, toute en défense, cherche à s'armer contre Google et Facebook qui la menacent avec leurs vidéos. Dernière offensive : Facebook s'associe à Nielsen pour produire une mesure facilitant à son avantage la complémentarité publicitaire (on euphémise et parle d'amplifier quand il s'agit, en fait, de remplacer !) : les vidéos de Facebook sont intégrées dans le Total Rating Points (TRP) de Nielsen. Nielsen, de facto, légitime la stratégie publicitaire de Facebook. Stratégie semblable à celle développée par Google en Allemagne et en France pour substituer un peu de YouTube à un peu de TV.
En même temps, eXelate, qu'a racheté Nielsen en mars 2015, collabore avec PushSpring ("audience data for a mobile world") afin d'accroître sa couverture avec des données mobiles, essentielles pour comprendre les consommations vidéo.
Les concurrents de Nielsen
- comScore, qui a acheté Rentrak (732 millions de $), se positionne comme concurrent de Nielsen capable d'associer les mesures du numérique (Web, mobile) et celles de la télévision effectuées via un panel de set-top boxes dit "total home panel"(téléviseur, smartphone, tablette, consoles de jeux, etc.). Rentrak devient filiale de comScore. Le groupe publicitaire WPP, qui a investi dans les deux entités, possèdera 19,9% de l'ensemble quand l'opération sera finalisée, courant 2016.
- Symphony Advanced Media, créée en 2010 (Californie) développe une source unique multi-écrans. Mesure à base de panel. L'audience est recueillie au moyen d'une appli de smartphone. Tests en cours avec NBCU, Viacom, Warner Bros., etc.
Les données : le développement de DMP (Data Management Platform)
- Comcast, le plus important des MVPD se propose de vendre les données issues de ses set-top boxes. Les revenus d'une telle mise en vente peuvent être très élevés. Comcast a déjà refusé une offre de 100 millions de $ de Nielsen. Les données sont commercialisées sous la forme de tableaux de bord personnalisables. Elles sont déjà utilisées par NBCU (NBCU+ Powered by Comcast). Notons que le panel dont dispose Comcast est 1000 fois plus grand que le panel audimétrique de Nielsen (25 000 panélistes). Comcast suit le mouvement des entreprises de télécom qui vendent leurs donnés (Telecom Data as a Service, TDaaS) à SAP (Sybase), IBM, etc. (les évaluations de 451 Research).
- TiVo s'est associé à Viacom Research and Analytics (données d'audience et d'achat). Viacom utilisera les données de comportement enregistrées par TiVo (2,3 millions d'utilisateurs), une fois anonymisées, dans ses outils prédictifs : Echo Social Graph, Viacom Vantage, Velocity (il s'agit d'assembler, de tricoter des données ("knitting together"). Viacom compte une quinzaine de chaînes aux Etats-Unis (BET, MTV, Nickelodeon, Spike, etc.). TiVo a par ailleurs annoncé qu'il mettrait à disposition gratuitement ses données démographiques en 2016.
- NBC Universal : plateforme lancée en janvier 2015, Audience Targeting Platform (ATP), pour une vingtaine de chaînes. Recourt, en plus de ses propres données propres (first-party) à des données tierces, Polk (automobile), Fandango (cinéma), Axciom, Experian...
- Depuis le dernier upfront (première étape de la vente d'espace publicitaire TV, en mai), Turner BS, filiale de Time Warner, met en place une DMP (data-management platform), Data Cloud, pour une dizaine de chaînes (TBS, TNT, Cartoon Network, CNN, etc.). Intégration avec Krux, Oracle et Epsilon.
1 commentaire:
M. Mariet,
Si la collecte et l'analyse de Data a trouvé sa légitimité grâce à Internet, je trouve que c'est naturel de faire du ciblage et mesure en TV sur internet étant donné qu'une part de l'audience télévision se consomme sur internet. J'ai bien dit "une part".
En effet, pour rester compétitifs, les médias télévisuels ont besoin d'informations à jour pour leur planification, et d'outils fiables permettant de quantifier la valeur de leurs campagnes publicitaires et de leur présence numérique. Surtout avec la crise du marché publicitaire qui rend le marché disparate et de plus en plus difficile à séduire.
Après, ce qui m'inquiète le plus c'est de constater que des groupes publicitaires tel WPP possèdera un pourcentage élevé chez comScore et Rentrak, une fois que les deux entités seront effectivement transformées en 1. Par ailleurs, Comcast est un groupe de médias américain et premier câblo-opérateur aux EUA qui investit dans ces études d'audience. Pareil pour NBCUniversal ou la filiale de Time Warner. C'est comme si Numericable ou Lagardère investissaient dans les études d'audience et dérangeait Médiamétrie. ça me paraît décalé, intrusif et pas légitime.
La question de légitimité se pose. Mais un compromis entre les publicitaires qui cherchent de plus en plus des études ciblées aussi. Ces groupes qui entrent dans les études d'audience, sous prétexte qu'ils ont des études qualitative sur le numérique pertinentes, ne peuvent-ils pas biaiser leurs études afin d'attirer plus de pub ?
Accélérer la croissance par la voie numérique semble être le leitmotiv des entreprises de tous les secteurs, les frontières ne sont plus étanches au risque d'aveugler les annonceurs.
A mon avis, la télévision est certes handicapée mais leurs outils de mesure ne sont pas forcément en retard. Beaucoup de personnes regardent encore la télévision de manière linéaire et mieux vaut faire confiance sur les études déclaratives que sur le monde gris des grands groupes industriels. Je suis quand même d'accord qu'aucune des deux n'est idéal mais "le mieux est l'ennemi du bien".
Il ne faut pas aussi reprendre de zéro. Je pense que le plus "safe" serait de garder l'institut Nielsen avec ses mesures d'audiences "has been" pour la télévision linéaire d'une part et considérer l'audience internet d'autre part. Ainsi, les données des individus sont moins vues comme une simple marchandise exploitables tous azimuts. Du point de vue du téléspectateur, je pense aussi qu'il est plus à même à déclarer ses modes de consommations que de voir ses données personnelles exploitées sans son accord. Les données ne seraient alors que étudiées sur Internet, vu que dans ce chantier, ces méthodes sont déjà omniprésentes et un retour en arrière semble impossible.
Les groupes de médias ou publicitaires devraient garder leurs prérogatives sous peine d'être, éventuellement, tenté de diffuser des fausses informations.
Sophie
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