lundi 14 mars 2016

Netflix, première télévision mondiale


Netflix n'est pas une chaîne. Il n'y a ni maillons, ni stations comme en réunissent les networks américains, il n'y a pas de satellites de diffusion non plus comme en utilisent CNN ou ESPN.
Netflix n'accepte pas d'interruptions publicitaires. Ses revenus proviennent exclusivement de la vente directe aux consommateurs sous la forme d'un abonnement mensuel. L'absence de la publicité dans le modèle économique ne lui impose pas d'insertion dans le tissu économique national (ce qui, soit dit en passant, fait percevoir, un des effets ignorés du financement publicitaire).
Le contenu proposé aux consommateurs sera de plus en plus mondial ; ce sera de moins en moins une mosaïque de contenus nationaux, tel est l'objectif déclaré (cf. "evolving proxy detection as a global service" ). Ainsi, en mars 2015, Netflix diffuse "Daredevil" simultanément dans 190 pays. La mondialisation de Netflix, c'est du "Soft power" en faveur des Etats-Unis.
Déjà, Netflix compte plus de 30 millions d'abonnés hors Etats-Unis, 21 langues.
Netflix déshabitue les téléspectateurs des comportements de consommation hérités de décennies de diffusion linéaire (dont HBO) et généralise ses modes de consommation (habitus télévisuel) : binge watching, consommation multisupport dont smartphone, abonnement forfaitaire, chill, recommandations... Télévision armée d'innombrables données qu'elle ne partage pas.

Berlin : affichage Netflix pour "Better Call Saul",
 série issue de "Breaking Bad", mars 2016
("La vérité n'est pas non plus une solution")
Quels sont les obstacles à la mondialisation que propage Netflix ?
  • Le droit protectionniste que déploie chaque nation, les réglementations nationales : si la conquête peut être fait de culture, alors il faut résister au "Soft power" et se protéger par le droit nationalLes Etats imposent des productions nationales, en faveur de leur industrie cinématographique organisée en groupe de pression. La Chine seule résiste encore à Netflix, qui ne désespère pas. La revendication de défense des cultures nationales est incommode à prôner puisque les industries culturelles et leurs serviteurs se réclament de l'universel, en théorie.
  • La diversité linguistique. Doublage, sous-titrage : Netflix entraîne ses abonnés à l'acceptation du sous-titrage (cf. "Narcos", "Orange Is The New Black"). Notons que la barrière linguistique à l'entrée sur le marché des médias s'abaisse au fur et à mesure que les nouvelles générations acquièrent une compétence de réception de l'anglais (ou l'illusion d'une compétence : l'anglais de "Orange is the new black", par exemple, est extrêmement difficile, en raison de ses multiples sociolectes).
  • Les différences de performance des infrastructures pour le haut débit ("essential facility") pourraient et sans doute constitué un obstacle à l'implantation de Netflix. En fait, le succès de Netflix en fait l'un des accélérateurs de développement de ces infrastructures. Pour optimiser la diffusion de ses programmes, Netflix recourt au cloud (AWS d'Amazon) et à son propre Content Delivery Network (CDN) qui utilise des Open Connect Appliances (OCA) placés sur les ISP locaux. Netflix s'appuye sur des algorithmes de consommation pour prépositionner les contenus (cf"Netflix Media Center").
L'effet le plus manifeste de la mondialisation de et par Netflix s'observe d'ores et déjà en France avec la série "House of Cards". Elle a d'abord été diffusée triomphalement sur la chaîne payante Canal + qui en avait acheté les droits. En 2016, Netflix étant dorénavant présent en France, la quatrième saison de la série ne sera plus accessible qu'aux abonnés de Netflix en France. Les premières diffusions sur Canal+ auront fonctionné comme de remarquables promotions de Netflix. C'est sans doute de promotion qu'il s'agit quand TF1 diffuse les premiers épisodes de "Marseille" (co-diffusion, mai 2016).

Mondialisation de la production ? Pour remplir les obligation réglementaires que lui imposent les Etats et que requière le marketing, des productions de Netflix sont ancrées dans des économies nationales : "Marseille" (France), "Suburra" (Italie), "The Crown" (Grande-Bretagne), "Club de Cuervos" (Mexique, sur le football), "3%"(Brésil), "Okja" (Corée), "Dark" (Allemagne)...
Les produits américains télévisuels bénéficient d'une image favorable auprès des publics internationaux. Les chaînes nationales, publiques et commerciales, ont fait le lit de leur concurrence future en mettant en avant les émissions américaines dans leur grille. Désormais, une partie de celles-ci leur échapperont parce qu'elles seront produites par Netflix.
Netflix répond à la demande de générations qui ne comprennent plus les blocages nationaux et les barbelés virtuels de type "guerre froide". Une enquête de TNS Emnid en Allemagne pour le Verbraucherzentrale Bundesverband confirme que les consommateurs demandent une ouverture des frontières leur permettant d'accéder aux programmes étrangers: "digitalen Inhalte grenzüberschreitend nützen". La portabilité transfrontalière proposée par la Commission européenne va dans cette direction (cf. "cross-border portability of online content services").

Pour Netflix, le nerf de la guerre est donc désormais la production de nouveaux contenus, originaux, de qualité : 600 heures ont été promises pour 2016 (pour un budget de 1,2 milliard dollars). Netflix vise un contrôle accru de ses contenus, pour s'affranchir de la dépendance des studios hollywoodiens. De plus, l'internationalisation devrait enrichir le moteur de recommandation de Netflix de données nouvelles transcendant cultures et sous-cultures nationales.

Déjà, des opérateurs traditionnels de télévision tentent de s'inspirer de Netflix, dont ils ressentent la menace même s'ils ont réussi à produire de pseudo "études" pour clamer que la consommation de télévision linéaire n'en était pas affectée. Il s'est même trouvé un cadre du network américain NBC pour enrôler Dieu au service de la télévision linéaire : "linear TV is TV like God intended". 
Excommunions Netflix !

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