Numéros 3 et 6 (octobre 2015). |
180°C . Des recettes et des hommes. Trimestriel, dos carré. 194 pages. 20 €. Abonnement annuel, 40€.
Site Internet : http://www.180c.fr/
Retour sur 180°C, trois ans après, à l'occasion du numéro 10 de l'automne 2017. Rien n'a changé : cela reste un très beau magazine, sans publicité (anticipation rationelle de l'adblocking !), épais et relié comme un livre, format magazine, un mook ou magalivre ("cookzine !"). Vendu en librairie. Fait maison. Lancé en avril 2013. Edité par des "passionnés indépendants" et acheté sans aucun doute par des lecteurs tout aussi passionnés et indépendants. Magazine haut de gamme, s'exclamerait, en toute démagogie, un communiqué de presse passe-partout. Magazine qui valorise sa distinction, à l'opposé de tout ce qui standardise le goût.
Autour du thème de la cuisine, de belles photos, suggestives, appétissantes. Des conseils techniques. Des recettes, des simples et des compliquées, chères ou bon marché. Des lectures. Des digressions documentaires (le saké, etc.), des reportages. Le magazine fait feu de toutes les armes du journalisme.
Deux numéros par an, jusqu'à présent : un numéro printemps - été, un numéro automne - hiver, pour commencer, pendant cinq ans.
D'abord semestriel, 180°C est devenu trimestriel en janvier 2018 (N°11). Symptôme de succès du modèle économique, c'est à dire d'abord de succès du "contenu" : en presse comme en cuisine, la qualité peut donc payer.
Le numéro 10, le dernier semestriel, après cinq années, publie une "Déclaration de l'hédoniste", "libres-mangeurs" contre "les monstres de la malbouffe" : on s'y réfère à Aristippe de Cyrène et à Epicure. Pourquoi pas mais, en ce qui concerne Epicure, c'est plutôt risqué : il vante d'abord les désirs "naturels et nécessaires" alors que le gourmet se plaît aux mets non nécessaires. Donc, consommer Epicure avec modération, et pardon pour cette parenthèse cuistre ! Plutôt se rallier au cyrénaïque et aux "plaisirs actuels" mais 'hédonisme ne va pas sans prudence (phronesis, φρόνησις).
Cuisines et produits de saisons, comme la mode (rubrique marché). Des articles bien écrits, parfaitement mis en scène : fécondité de la relation texte / illustration). Un peu d'humour et beaucoup de goût. Des créations aussi, des innovations. Et des classiques retrouvés comme le fish and chips, le boeuf bourguignon, les poireaux vinaigrette, la glace à la vanille ou le maquereau au vin blanc. Sont évoqués aussi des ustensiles et des produits du terroir comme le couteau de la Creuse, la fourme de Montbrison, la cocotte...
Le magazine qui ne dissimule pas un positionnement écologiste, sourcilleux quant à la "liberté d'expression culinaire", dénonce la mal-bouffe industrielle servie par de puissantes relations presse (cf. l'édito du N°6, par le rédacteur en chef, Philippe Toinard sur l'affaire du tweet "la polémique #Nutella"). L'indépendance des journalistes, c'est aussi une affaire de cuisine et de marketing.
Autour de la cuisine, l'éditeur publie aussi : un traité de Miamologie décrypté par le pourquoi, consacré aux fondamentaux de la cuisine ; Man&Food, un ouvrage de vulgarisation sur l'ethno-histoire de la cuisine ("7 écosystèmes et peuples autosuffisants") ; les Cahiers de Delphine (publication exclusivement digitale avec recettes hebdomadaires et produits "anecdotés").
180°C contribue à diversifier la presse cuisine, déjà très peuplée (le mot "cuisine" est l'un des quatre mots les plus fréquents des nouveaux titres de presse, dont hors-séries, depuis 2003). Plaisir de la lecture allié à celui de l'anticipation gourmande et de la réalisation culinaire.
Le modèle économique de ce magazine confirme une alternative plausible à celui d'une presse traditionnelle en difficulté : distribution hors des circuit Presstalis ou MLP, pas de publicité donc pas de mesure de l'audience. Périodicité longue pour un magazine "de garde", comme on dit du vin, qui se bonifie avec le temps. Slow food pour une lente lecture, un magazine qui se rumine.
Le magazine pourrait sans doute tirer profit de la connaissance de son lectorat et de ses lectures (data), dans l'intérêt des éditeurs et des lecteurs complices : approfondir une comparaison avec Netflix (le rôle des recommandations) pour affermir son modèle économique... 180°C n'échappera pas à une évolution numérique.
Pour l'instant, le site se contente d'accompagner le magazine. Site clair, simple, sans publicité, ergonomique, en synergie habile avec le magazine papier. Il propose, en amorce, le début des articles publiés (mise en appétit) ainsi qu'un index des recettes avec vignettes photos, à un clic de la recette. Les librairies vendent aussi les "anciens numéros" qui ne se démodent pas ; un numéro ne chasse donc pas l'autre comme dans le veut la règle actuelle des points de vente : 180°C suit un modèle hybride et luxueux de distribution qui laisse la possibilité à l'acheteur de binge reading, ou de re-lecture, comme Netflix.
La presse n'est pas morte, elle change.
N.B. Pour la presse cuisine dans ce blog, cliquer ici.
Retour du marché : filets d'omble chevalier avec épinards (naturels...). N° 10, octobre 2017 |
4 commentaires:
Le numérique décloisonne les médias et bouleverse les usages en matière de consommation de l’information. Pour la presse, le choc est rude et les remises en question vont bon train. Néanmoins, de nouvelles opportunités voient le jour en raison de cette transition. La presse papier est loin d’être enterrée.
Et, comme l’engouement actuel pour les vinyles, le goût du rétro… l’ode au papier serait-elle la prochaine étape ?
Miser sur un contenu et un contenant qualitatif. C’est d’ailleurs le pari du magazine « Flow » de Prisma Media dont le parti pris est créatif avec notamment différentes textures de papier, des illustrations poétiques, des surprises à chaque numéro etc.
Le prix est bien sûr plus élevé qu’un magazine traditionnel mais quand la qualité est là, le lecteur semble ne pas y prêter beaucoup attention.
Lou-Eve
Ce magazine utilisant un business modèle différent de celui de la presse traditionnel qui ne s'appuie pas sur la publicité est une véritable réussite. Cependant, pour beaucoup, nous assistons peut être à la toute fin de la presse papier.
La tendance est à la chute libre de la presse papier, qui avait pourtant un chiffre d'affaire hors taxe de 7,5 milliards d'euros en en France en 2015. Si la tendance se poursuit, il n'y aura plus de presse imprimée à horizon 2045.
Cette chute libre coïncide avec l'arrivée du smartphone et également les habitudes de lectures sur papiers qui se perdent.
Pour Libération et l'Express, la situation est critique. La diffusion sur papier est compliquée et va cesser un jour, ces deux magazines ont un taux d'invendus qui avoisinent les 60 %.
Sur les principaux éditeurs de presse en France qui sont au nombre de 24 environ, il n y a que deux groupes de presse magazines qui sont en croissance, à savoir Condé Nast(Glamour, Vogue) et Uni Editions.
Beaucoup de magazines , sont placés en redressement judiciaire comme Marianne récemment. Sud-Ouest et La voix du Nord sont en extrême difficulté.
Mais les principaux groupes de presse ont réussis à se faire une audience sur internet. Mais il existe un problème de monétisation de l'audience.
Les alliances Gravity et Skyline qui ont été créées recemment sont une façon pour les éditeurs de monétiser leur audience en ligne, mais également de résister à la domination de Google et Facebook sur la publicité digitale qui est pour beaucoup de groupe de presse une source revenu importante dans leur modèle économique.
Tout cela s'inscrit à l'aune de la nouvelle règlementation qui va entrer en vigueur : le RGPD.
Présenté comme cela, comment résister à l’achat du dernier numéro de 180° !
Les qualités de ce désormais trimestriel répondent précisément aux demandes d’un public las d’être pris entre deux feux (de cuisson), entre le manque de financement publicitaire d’un côté et la nécessité – apparente – de réduire les coûts de production des magazines. Le modèle prédominant n’ayant pas encore fait son introspection, alors même que la diffusion de la presse française a chuté de 46% entre 2007 et 2016, on ne peut qu’applaudir la ligne éditoriale de 180°. Avoir su parier sur l’exigence du consommateur/lecteur était sans doute une gageure, aux yeux des grands groupes de presse.
Les libraires, économiquement traumatisés par Jeff Bezos qui s’attaqua en premier à ces derniers avec Amazon pour des raisons purement logistiques, ont à raison saisi la perche tendue par ces publications d’un nouveau genre, pour entamer une mue vers une hybridation entre librairie et maison de la presse (sur le déclin : leur nombre a diminué de 20% en 20 ans). La librairie bénéficie d’une aura particulière (une pincée de nostalgie, un saupoudré d’élitisme, une louche d’humanisme) qui sublimera les magazines livresques qui y sont vendus. Comment prétendre éditer un magazine haut-de-gamme quand on ne maîtrise même pas la distribution ? La distribution sélective est une condition sine qua none au positionnement haut-de-gamme. Il suffit de rentrer dans la première maison de la presse venue pour se rendre compte de la non convergence de la qualité d’exposition et du positionnement de Vogue, pour ne prendre qu’un exemple - les Relay H sont globalement plus soignés.
En revanche, à l’image du Titanic, soumis à tant d’inertie qu’un iceberg ne pouvait pas être évité, les grands groupes de presse auront certainement beaucoup de difficultés à se réformer, à se désintoxiquer de la manne publicitaire, à embrasser de nouvelles lignes éditoriales. Et ce n’est peut-être pas à coup de plans sociaux et de titres sensationnels que le naufrage sera évité.
Eviter l’écrémage en misant sur la monétisation numérique (dont la rentabilité est encore trop faible - aucune solution miracle n’a vu le jour en la matière) ne semble pas non plus être satisfaisant. L’évolution numérique apporterait un plus mais pas une cure. Au contraire, ce tournant se nourrit encore plus (proportionnellement) des revenus publicitaires.
On imagine donc bien l’avenir de la presse se dessiner autour du modèle de 180°, sans publicité, en partenariat avec nos bien-aimés libraires, et surtout privilégiant le contenu. Que devrait être un périodique, sinon du contenu de qualité ?
Une réussite sans surprise. 180° plane sur deux tendances: le mook et le "porn". En effet, on se rappelle tous du retour de playboy qui a changé ses méthodes pour proposer mook que l'on peut garder sur une table basse. Ici ce n'est pas bien différent, c'est toujours du porn, du porn food!
Aussi, après les fast food et les repas tous prêts tout le monde a de plus en plus à une volonté de se re-tourner vers la cuisine. Le succès des blogs de cuisine, des émissions comme le meilleur patissier, et des sites comme tasty, marmiton etc en témoigne.
Utilisation de belles images sous le format du mook, bonne nourriture 180° a tout pour réussir, et on est tenté
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