dimanche 28 janvier 2018

Au temps des Pentagon Papers et du papier roi : "The Post"


Titre original du film: "The Post" (en France, "Pentagon Papers", 1 heure et 55 minutes).
Nous n'évoquerons ni l'histoire que raconte Steven Spielberg, ni Meryl Streep dans le rôle de Katharine Graham, Présidente inattendue du quotidien de Washington, actrice aujourd'hui en guerre avec la Maison Blanche ; nous ne discuterons pas non plus la véracité, l'exhaustivité des faits... D'autres le font parfaitement.
Nous nous en tiendrons à ce que le film fait voir de l'histoire de la presse, au spectacle de la fabrication et de la distribution des journaux avant l'informatique, avant le smartphone, avant le web, avant Google. Notons encore que Katharine Graham fut l'une des premières femmes à diriger un journal, d'abord sous-estimée, bien sûr, et dont l'action s'avère décisive, ce que le film évoque, subtilement.

L'action du film se déroule en 1971. The Washington Post, bientôt centenaire (1877), entre en bourse (NYSE, juin 1971). 40 ans plus tard, il est racheté par l'actionnaire d'Amazon (2013) et, depuis, numérisé à marche forcée pour épouser son temps et sortir du rouge.
Retenons du film de Steven Spielberg les images documentaires de ce qu'était la presse avant le numérique.
  • Lourdeur de la fabrication : l'encre, les grands formats, les machines à écrire et les téléphones des salles de rédaction, le bruit des machines qui font tout trembler (lynotypes, rotatives). Labeur de l'imprimerie... Gutenberg n'était encore pas si loin.
  • Lourdeur de la distribution : les paquets de journaux que l'on ficelle avant de les charger dans des camions, de les placer dans les distributeurs (vending machines)...
  • Lourdeur de la documentation : "Paper" est à prendre au pied de la lettre car les "Pentagon Papers", ce sont 7000 pages dactylographiées, non numérotées, qu'il faut transporter dans des cartons (en première classe) et explorer, analyser à la main. Ce travail passerait aujourd'hui par des algorithmes de machine learning et de NLP, après lecture automatique (OCR).
En 1971, la TV américaine était encore au second plan des médias, malgré le célèbre "CBS News" de Walter Cronkite. C'est la presse qui décide de l'actualité (agenda setting function) ; elle constitue alors l'essentiel du quatrième pouvoir (cf. David Halberstam, The Powers that Be, 1979, livre de journaliste...). Bientôt ce sera Watergate (1972), apogée de la presse d'investigation...
Aujourd'hui, en revanche, la Une d'un quotidien ne fait plus la Une de l'actualité. Autres temps, autres médias. La presse n'"accuse" plus guère...
Le film traite aussi de la collusion entre les patrons de presse, les cadres des entreprises de presse, les journalistes et les gens du pouvoir (mondanités, amitiés, voyages, parties, dîners, etc.). Collusion dangereuse pour l'honnêteté de l'information, qui conduit à mettre sur un même plan l'actualité people (mariages, etc.) et une actualité politico-militaire, chaque jour plus dramatique.

mardi 23 janvier 2018

After viewability here is audibility


After its viewability standards, widely accepted by the profession, the Media Rating Council (MRC) is publishing the audibility requirements for advertising and editorial content, audio streaming and progressive-download on any Internet connected device (but not on AM/FM over-the-air digital broadcasts). Audits and accreditations of measurers will follow the establishment of these audio measurement standards. MRC validations help advertisers to choose their advertising media and decide on which metrics to base planning, monetization and invoicing.

Definition 1. What is an “Audio Ad Impression”?  
  • The ad must be played with a digital audio player "in an unmuted state and at a nonzero volume" (whether browser or in-application environment).
  • The ad must be filtered for Invalid Traffic Detection and Filtration (following MRC Guidelines) ; Sophisticated Invalid Traffic Detection is strongly encouraged and is required for audience metrics.
Definition 2. What is an "Audible Ad Impression"? 
  • Like a Viewable Ad Impression, an Audible Ad Impression must play for a minimum duration of two continuous seconds to be measured.
  • Measurements must occur on the client side, not on the server side (log file analysis).
  • The ad must be loaded and initiated by the user ("insofar as possible"); what about autoplay?
Questions
  • The new standards will certainly be applied in European and Asian markets. Nevertheless, besides global advertising groups, companies or associations involved in establishing the standards are mostly American: Radio Advertising Bureau (RAB), National Association of Broadcaster (NAB), Interactive Advertising Bureau (IAB), 4As and ANA. Is the all American MRC becoming de facto a world-wide organization?
  • Duration: two seconds ; only two seconds? Is that enough to define an "Audible Ad Impression"? Especially if "any part of the ad qualifies", as specified by the MRC. Further research is needed. In the mean time, why not let each advertiser decide which duration is best.
  • How to manage compatibility of all audio measurements, whether legacy terrestrial radio (broadcast) or streaming. How to combine the two measurements in order to calculate one single and hybrid GRP (Reach and Frequency)?
  • How long will the validation of measurement techniques take ("accreditations")? How expensive will they be? Will viewability specialists be the first audited and accredited for audibility? When it comes to video, how will measurers combine - or separate - viewability and audibility?

mercredi 10 janvier 2018

Hulu, l'année de la réussite ?


Pour son dixième anniversaire, Hulu semble terminer en beauté ; pour cette offre de télévision en streaming (SVOD), après des années de doutes, 2017 aura été un tournant, marqué par cinq événements :
  1. Hulu annonce 20 millions d'abonnés en avril 2018 (12 millions en 2016). Cela reste certes encore bien loin des 57 millions d'abonnés de Netflix aux Etats-Unis, mais, avec 54 millions de téléspectateurs uniques, Hulu constitue désormais un véhicule publicitaire significatif pour les annonceurs.
  2. La barre symbolique du milliard de dollars de revenus publicitaires a été franchie. La puissance est confirmée pour les annonceurs ; en même temps, la viabilité du modèle d'affaires semble se vérifier. Les abonnés sont jeunes (moyenne d'âge de 31 ans) et le revenu annuel moyen du foyer est élevé (92 000 dollars).
  3. L'actionnariat de Hulu est désormais contrôlé par Disney (à hauteur de 60%), le pilotage de l'entreprise en sera plus aisé. A condition toutefois que les autorités réglementaires entérinent la vente des 30% de Fox à Disney, Hulu sortira d'une situation compliquée avec un actionnariat délicat à manoeuvrer, trois actionnaires disposant chacun de 30% (Disney, Fox, Comcast), plus Time Warner avec 10%.
  4. Hulu a lancé avec succès Live TV, un MVPD virtuel
  5. Enfin, après les Emmys et les Golden Globes, Hulu a reçu deux récompenses remarquées pour sa série, "The Handmaid's Tale". Des prix, certes mais à quel prix ?
Toutefois, malgré tous ces succès, Hulu reste déficitaire même après les injections de cash de ses actionnaires. Rappelons que Hulu met en oeuvre un modèle d'affaires mixte, associant publicité et abonnements. Les abonnés peuvent choisir de s'abonner avec publicité (8 $ /mois) ou sans (12 $). 
Pour la vente d'espace publicitaire (SSP), après avoir travaillé avec LiveRail (racheté par Facebook), Hulu travaille avec Tremor, tout en utilisant également Oracle. Pour les données, ses partenaires sont Oracle (Blukai et Datalogix) ainsi que Acxiom et Liveramp.
Hulu déclare disposer d'une bibliothèque de 75 000 épisodes (1700 titres) et se promet de dépenser 2,5 milliards de $ en 2018 pour la production (mais Netflix en annonce 8).

A l'origine, Hulu fut d'abord conçu et perçu comme une tentative de réaction des médias traditionnels (networks, studios hollywoodiens) au succès de YouTube puis au succès de Netflix.
Aujourd'hui, dans le marché télévisuel américain, un nouvel acteur du numérique est né, héritier tout armé de la télévision traditionnelle (legacy). 


Argon, mythologie moderne : le journaliste TV héros d'une série coréenne


Argon, par Netflix, 2017
Cette série originale de Netflix, compte 8 épisodes, chacun d'une durée d'une heure environ. La série Argon a été diffusée par la chaîne coréenne tvN en septembre 2017 (night time).

Au coeur de la série, se trouve la difficulté d'enquêter, de montrer la vérité au grand jour, surtout s'il s'agit de corruption liant les élus et de grandes entreprises (construction, pharmacie, etc.). Les fausses nouvelles abondent, tromperies volontaires (fake news), mais aussi involontaires (erreurs professionnelles) : peut-on exercer le métier d'informer sans risque ? Non : le métier de reporter, exhiber la vérité cachée dans les faits, est un métier toujours dangereux. Telle est la démonstration de la série télévisée à propos de la télévision...
La série est centrée sur un lieu de travail (une émission d'information télévisée, Argon) et une profession (reporter, journaliste). La salle de rédaction constitue un lieu de pouvoir ("the powers that be"), de compromis et la série en oppose les personnages et les enjeux, sans manichéisme.
D'abord, les bons : la  jeune recrue, douée, dite "mercenaire" parce qu'embauchée à l'occasion d'une grève, risque-tout, tout d'abord évitée par ses collègues ; puis les reporters, consciencieux, et le présentateur, vertueux, incorruptible ; tous ont en partage l'amour de la vérité. Puisque, par construction sociale, toute vérité  est dissimulée, voilée (en grec, vérité se dit aléthéia, ἀλήθεια, avec un α privatif : la vérité est privation de l'oubli, λήθε), le journaliste doit la dé-couvrir, provoque le dés-oubli. Sa tâche est de construire la vérité, toujours incomplète, et, pour cela, de collecter et sortir les faits de l'oubli, de les relier, de les combiner pour qu'ils parlent (data journalisme).
Ensuite, il ya les méchants : volontairement ou involontairement, ils sont plus ou moins complices, par construction encore (la carrière...) des pouvoirs économiques et politiques en place (distribution, finance, armement, télécoms, etc.) et les pouvoirs de l'Etat (pouvoir judiciaire). Collusion, illusion, il faut bien jouer le jeu (du latin lūdō, êre = jouer) !

La fin, la vérité, justifie-t-elle toutes les méthodes d'investigation, tous les moyens ? Toute vérité est-elle bonne à dire ? A-t-on le "droit de mentir par humanité" ? Le discours de la série, ses intrigues et ses actions se situent toujours dans le registre moral. L'enquête journalistique, comme l'enquête sociologique peut se confondre avec l'enquête de police, ce qui rend la situation des journalistes inconfortable et risquée lorsqu'ils s'éloignent de l'opinion courante, recherchent les témoignages, les mettent à l'antenne... La relation information / justice est essentielle, sans compromis ; la vérité passe-t-elle avant tout ? On peut évoquer à ce propos le discours programmatique que Jean Jaurès prononça en 1903 pour la distribution des prix au lycée d'Albi, un an avant de fonder un journal, L'Humanité ; Jean Jaurès est alors vice-président de la Chambre des députés (discours republié par L'Humanité en septembre 2017) : "Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques". Décidément,  morale et média sont indissociables. Les reporters de "Argon" se veulent courageux.

Pour un téléspectateur occidental, la série fourmille d'allusions à l'inévitable Watergate : l'inconscient de tout journaliste d'investigation n'est-il pas encore structuré comme "All the President's Men", le légendaire livre de Carl Bernstein et Bob Woodward (1974) et le film éponyme de 1976.
Pour un téléspectateur coréen, la série évoque certainement la situation politique coréenne où les affaires de corruption ne manquent pas, impliquant les conglomérats industriel (cheabols), leurs clans et le personnel politique, jusqu'au plus haut niveau hiérarchique de l'Etat. Le singulier, local, coréen, s'avère universel.

Pourquoi le titre, "Argon" ? Faute d'avoir trouvé une réponse officielle, faute de mieux, pensons à Argos, qui, dans la mythologie grecque désignait le géant aux yeux multiples qui ne dormait que d'un oeil sur deux (il en avait une centaine, voire un millier) : on le disait panopsios / πανοψιος, celui qui voit tout ou ce qui s'offre à la vue de tout le monde : belle ambiguïté pour évoquer le mythe de l'information télévisée ! "Argon", ce titre va bien à la série et au journal télévisé. Le récit doit aider les téléspectateurs à percevoir la dialectique de l'information et de la vérité.
Donc, beaucoup de grec dans ce post, titre de la série oblige, d'autant que vers la fin du 8ème épisode l'ancien présentateur et mentor du héros, gravement malade, ironise : une fois mort, il continuera de chercher la vérité chez Hadès, qui règne sur les Enfers ; encore la mythologie grecque (dans l'Odyssée, Mentor était le précepteur du fils d'Ulysse) ! Poursuivons. Selon Hésiode (VIIIème siècle avant notre ère), dans son poème, Les travaux et les jours (vers 42-106), Argon a été tué par Hermès, le messager de Zeus. Or, ce même Hermès fera don à Pandore de la parole (φωνή, phônê) : dans son sein, "il crée mensonges, mots trompeurs, coeur artificieux". Pandore laissera s'échapper les maux de sa fameuse boîte, un don piégé de Zeus. Depuis, écrit Hésiode, "des tristesses innombrables errent au milieu des hommes" (vers 100)... A l'information télévisée de se débrouiller de ces tristesses, non sans ambiguïté, des enregistrements des voix de témoins aussi...


Références

- David Halberstam, The Powers That Be, 1979, sur le fonctionnement des grands médias américains de l'époque (CBS, The New York Times, Time magazine, The Washington Post, Los Angeles Times, etc.)
- Marcel Détienne, Les maîtres de vérité dans la Grèce archaïque, 1967
- Luc Boltanski, Enigmes et complots. Une enquête à propos d'enquêtes, Paris, Editions Gallimard, 2012
- Hésiode, Les travaux et les jours, Paris, Les Belles Lettres
- Martin Heidegger, "Aletheia", (in Vorträge und Aufsätze, 1954)
- Immanuel Kant, D’un prétendu droit de mentir par humanité (Über ein vermeintes Recht aus Menschenliebe zu lügen), 1797
- MediaMediorum, "The Newsroom"
- les acteurs de la série "The West Wing" (NBC 1999-2006) donneront une lecture publique du scenario (screenplay) de "All the President's Men" en janvier 2018 à Los Angeles.