"Il y a quelque chose de pourri dans l'Etat du Danemark", dit-on dans Hamlet (« Something is rotten in the state of Denmark », 1, 4). Et, selon "Rita", série télévisuelle danoise, ce quelque chose, c'est l'école grand public, école pour tous. Cela se passe au Danemark mais pourrait bien être situé en France ou ailleurs, dans une zone urbaine que l'on dit défavorisée, ou rurale qui se dépeuple.
Les séries télévisées se sont emparées de l'hôpital (ER), de l'agence de publicité (MadMen), de l'information télévisée (Argon), du cabinet d'avocat d'affaires (Suits), de la grande entreprise multinationale (Misaeng)... Avec "Rita", le lieu principal de l'action, c'est l'école publique, obligatoire, fondamentale, primaire, selon les pays. Les élèves ont de 4 à 16 ans.
Rita, c'est l'institutrice. La quarantaine, divorcée, mère de trois enfants, sympathique, souvent fatiguée, fumeuse à tous crins, militante de l'éducation. "Inconformiste", féministe naturellement, elle est peu portée aux compromis et à l'hypocrisie sociale. La solitude s'empare d'elle progressivement ; ses enfants partent où leur vie les mène, ses amis et amants aussi. On dirait du Brecht parfois : Rita, mère de famille "indigne" ("unwürdige") et "mère courage" ? Rita finira par retomber dans son enfance et ses drames, qu'elle a tenté de refouler. Peut-on échapper à son enfance ? Rita, dont l'enfance et la scolarité furent douloureuses, est évidemment en empathie avec ses élèves ; elle semble d'ailleurs ne pas vouloir devenir adulte. Utopie. "Famille, je vous hais", le mot d'André Gide (Les Nourritures terrestres) pourrait servir d'exergue à la série que l'on peut aussi voir comme une cure pychanalytique...
D'épisode en épisode, la série passe en revue les problèmes que Rita rencontre, l'homosexualité de son fils, la dyslexie de sa fille, le décès de sa mère. A l'école, Rita est confrontée à la stigmatisation des élèves en difficulté : hyperactivité (ADHD), autisme, syndrome d'Asperger... Difficultés sociales aussi : enfants de milieux pauvres, de familles plus ou moins dysfonctionnelles. Tout espoir de salut est placé dans une éducation scolaire alternative, dans une pédagogie non conventionnelle inspirée de Montessori, Freinet, Makarenko peut-être, fondée sur la coopération, les méthodes actives, l'auto-apprentissage, l'expression libre...
La critique porte tour à tour, et simultanément, sur les comportements parentaux, sur l'administration locale, la hiérarchie scolaire, le sexisme ordinaire. Tous les acteurs de l'éducation en prennent pour leur grade. Mais la série dresse des portrait d'enseignants, d'abord enthousiastes, dévoués puis découragés, résignés, souvent coincés, impuissants, entre les autorités scolaires et les parents d'élèves.
Tout y passe des événements de la vie scolaire : les tests, les poux, les fêtes pour collecter un peu d'argent, la drogue, les difficultés de l'adolescence dont les héros sont issus de YouTube et du football professionnel, la banalisation de la pornographie, les graffitis... Série réaliste, qui désenchante l'image sociale d'un quelconque modèle scandinave. "Rita" montre l'universel derrière le singulier danois.
La série, diffusée par la chaîne danoise TV2 dès 2012, avait déjà acquis quelque notoriété quand Netflix l'a reprise, co-produisant la suite, à partir de 2015. Au total, la série compte 32 épisodes. A la dernière saison, la série s'essouffle un peu, la psychologie introspective et l'invraisemblable l'emportant.
Avec "Rita", Netflix s'avère l'indipensable pourvoyeur et moteur de télévision pluri-nationale (avec sous-titres), dépassant l'horizon des chaînes nationales. Positionnement enviable. ARTE ?
Un spin-off a été développé à partir du personnage d'une institutrice, collègue de Rita, également peu conventionnelle, "Hjørdis", avec Netflix encore (2015). "Rita" a été adaptée en français par TF1, en 2015, "Sam".
N.B. Pour des points de vue complémentaires, voir le post sur le blog de Caroline et l'article de Mat Whitehead, sur BuzzFeed Australie.
L'uniforme de Rita, jeans, plaid shirt, talons hauts, blouson. Voir la série sur le site de TV2. |
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire