mercredi 7 mars 2018

Suisse, débat sur la redevance et sur le secteur public de radio télévision


No Billag ? Non. Une votation a eu lieu en Suisse le 4 mars 2018 à propos de la redevance TV. Finalement, démentant les sondages, 71,6% des votants demandé le maintien la redevance qui finance la SSR (Société Suisse de Radiodiffusion et télévision). Une longue et dynamique campagne hostile à la redevance ("No Billag") a eu lieu, commencée fin 2015. Le référendum d'initiative populaire a été organisé suite à une pétition recueillant 100 000 signatures.
Billag est l'entreprise suisse qui perçoit actuellement la redevance obligatoire, redevance assise sur la possession de tout appareil de réception, y compris le téléphone portable et l'ordinateur ; la redevance s'élève à 451 Francs suisses par an (392 € ou 481 $). Bientôt, elle devrait baisser un peu pour les personnes et augmenter pour les entreprises...

No Billag ? Non mais... Au-delà du résultat, l'important est surtout qu'il y ait eu débat, que la redevance n'aille plus sans dire, que le principe même d'une radio-télévision publiques puisse être discuté. "Démanteler le service public", accusent les uns, refuser des "médias sous perfusion publique", se défendent les autres. "La SSR est tout sauf une vache sacrée", rappelle en arbitre le rédacteur en chef de la Tribune de Genève (19 février 2018), elle n'est plus intouchable : le débat reviendra et la SSR doit l'anticiper avec des réformes drastiques.
Le débat reviendra aussi dans d'autres pays d'Europe. Aux Etats-Unis, où pourtant il n'y a pas de redevance mais un versement volontaire, l'idée et l'existence même d'une radio-télévision publique sont discutées. Le Danemark vient de supprimer la redevance (mars 2018), la Wallonie (Belgique) l'a déjà supprimée...

En Europe, les secteurs publics de radio et télévision ont été conçus et mis en place dans un monde de médias de papier dominants. Des décennies avant la télévision commerciale (c'est l'inverse aux Etats-Unis). Leur vocation était culturelle et éducative, sans publicité aucune. Quel rôle concevoir aujourd'hui, pour la puissance publique nationale, en matière d'information et de divertissement, dans un univers numérique où triomphent sans partage des réseaux sociaux américains (YouTube, Facebook, LinkedIn, Twitter, Snapchat), un moteur de recherche américain (Google), la vidéo payante américaine (Netflix, Amazon), la radio payante internationale (Apple, Spotify) ?
Parmi les arguments des défenseurs de la radio-télévision publique, la défense des cultures nationales a été essentielle ; les artistes suisses, les organisateurs de manifestations sportives, le cinéma suisse ont été mobilisés... Quels moyens d'action sont aujourd'hui les plus appropriés pour défendre les cultures nationales, si du moins elles doivent-elles être défendues ? Quel secteur public construire pour développer la démocratie, renforcer les libertés ? La radio-télévision commerciale d'Etat est-elle encore un levier adéquat ? Les médias, tous les médias, ne devraient-ils pas être indépendants de l'Etat ?
La votation suisse invite à y penser, à douter, à remettre en chantier cette institution. On ne peut plus ne pas se poser la question. Question qui est du même ordre que celle qui concerne l'école publique, elle aussi bouleversée et affectée jusqu'en ses racines, par la numérisation.

Ce n'est qu'un début, continuons le débat !
En Suisse et ailleurs, le débat se poursuivra et son centre se déplacera, passant de la notion de radio-télévision publique à la notion plus large de médias publics. Car la presse aussi participe du service public d'information générale et de divertissement, l'affichage numérique urbain (DOOH) de plus en plus... L'information ce n'est pas seulement le débat politicien, électoral, c'est aussi la consommation, les modes vie, les loisirs et la presse magazine y joue un rôle important.
Qu'en pensent les plus jeunes générations qui ont mieux intégré la culture numérique et qui sont plus friandes de médias numériques étrangers que de télévision nationale, et qui réclament en Suisse le droit d'affecter les 450 CHF de la redevance aux médias de leur choix ? Avec Netflix et YouTube, la télévision n'est plus pour ces générations une affaire d'Etat.

La grande peur que No Billag a provoquée dans le cinéma suisse

1 commentaire:

Paul LG a dit…

Ce débat n’a pas encore eu lieu en France, mais pourrait ressurgir à l’occasion de la réforme de l’audiovisuel public ou la suppression de la taxe d’habitation. En effet, la légitimité de nos vieux médias publics traditionnels est régulièrement critiquée et questionnée (parfois même par ceux à la tête de l’État). Certains se sont émus du basculement prochain de France 4 sur le numérique uniquement, mais à mon sens cela va dans la bonne direction. Comment croire à la pérennité de nos médias publics, quand par exemple la moyenne d’âge de France 2 est près de 20 ans supérieure à la moyenne d’âge des Français ? Si la contribution à l’audiovisuel public devient universelle, comme certains le préconisent, son universalisation devra s’accompagner nécessairement d’un débat autour des formes que doivent prendre les médias de service public. Il en ira de sa survie.